Solitaires
Attirées par le prestige de Saint-Cyran et de Port-Royal, des âmes pieuses renoncèrent au monde pour vivre d’abord à l’ombre de Port-Royal de Paris, puis dans l’abbaye de Port-Royal des Champs, désertée par ses occupantes, et enfin, quand celles-ci y revinrent, dans la ferme des Granges et divers « ermitages », situés les uns auprès de Port-Royal des Champs, les autres dans les parages des Granges. Ainsi, demeura dans la maison voisine du Musée actuel une élite d’hommes parmi lesquels beaucoup, ayant refusé de se laisser portraiturer, ne nous ont laissé aucun souvenir de leur périssable apparence corporelle : tels, entre autre, Luzancy, le médecin Pallu, Bouilly, Baudry d’Asson de Saint-Gilles qui occupa le pavillon transformé aujourd’hui en conciergerie du Musée, etc. Des images, souvent posthumes, nous ont cependant conservé les traits des principaux d’entre eux.
Le premier des Solitaires fut un neveu des Arnauld, Antoine Le Maître, l’avocat le plus brillant de Paris, le favori du chancelier Séguier, qui rompit soudain en 1637 avec les vanités du siècle. En plus de la prière et de la pénitence, M. Le Maître se consacra à défendre par la plume le Jansénisme persécuté et à élever les enfants des Petites Écoles.
Le second Solitaire fut le frère d’Antoine Le Maître, Séricourt. Sa mémoire est évoquée par le manuscrit d’une note nécrologque qui lui fut consacrée par une religieuse de Port-Royal.
De même, faute de documents iconographiques, c’est par un livre qu’est rappelé Claude Lancelot : par ses fameux Mémoires touchant M. de Saint-Cyran.
C’est un livre encore qui rend présent Nicolas Fontaine, le secrétaire de M. de Sacy. C’est lui qui a rapporté le fameux « entretien de Pascal et de M. de Sacy » dans le tome II de ses Mémoires.
Ce sont encore des Mémoires (1676) qu’écrivit Pontis, soldat retiré à Port-Royal vers 1656 et dont Mme de Sévigné appréciait fort les écrits.
Frère aîné de la Mère Angélique, de la Mère Agnès et du Grand Arnauld, père de la Mère Angélique de Saint-Jean, Robert Arnauld d’Andilly avait fait, à la Cour et à la Ville, une carrière brillante. Bien vu de la Reine et de Mazarin, habitué de l’Hôtel de Rambouillet, ami de tous les grands, il vint à Port-Royal en 1646 pour se partager entre la prière, le jardinage et la littérature. Fier de ses beaux fruits qu’il envoyait à Anne d’Autriche dans le vain espoir de l’amener à de meilleurs sentiments envers Port-Royal, il multipliait des traductions et des écrits originaux en vers ou en prose, admirés par d’aussi bons juges que La Rochefoucauld, La Fontaine et Mme de Sévigné. Chassé de Port-Royal en 1656, il se réfugia dans sa terre de Pomponne. Père d’un ambassadeur de France en Suède qui allait devenir Secrétaire d'État aux affaires Étrangères, c’est là qu’il écrivit ses Mémoires.
Prêtre du diocèse de Beauvais, Charles Duchemin se retira à Port-Royal et s’y fit l’humble économe du domaine des Granges, où il demeura seul quand la persécution en eût chassé les Solitaires.
Ponchâteau vint à Port-Royal en 1651. Obligé de courir la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, pour le service des Jansénistes, il ne put se fixer définitivement aux Granges qu’en 1662.
Frère d’Antoine Le Maître et de Séricourt, neveu d’Arnauld, pénitent de Saint-Cyran et de Singlin, M. de Sacy, une fois ordonné prêtre en 1649, fut le directeur des Solitaires et de certains « Amis du dehors » comme Pascal, dont l’Entretien avec M. de Sacy est, en fait, la synthèse de diverses lettres ou discussions échangées entre eux. Dans le même temps, Sacy polémiquait contre les Jésuites. Ceux-ci avaient attaqué en 1653 les Jansénistes dans une estampe satirique Déroute et Confusion des Jansénistes. Il leur riposta en 1654 par ses Enluminures. Enfermé à la Bastille de 1666 à 1668, il s’y consacra à continuer la traduction de la Bible déjà commencée dès 1657, par un comité comprenant Le Maïtre, Arnauld, Nicole, Pascal, le duc de Luynes et Sacy lui-même, et qui avait abouti en 1664 à la publication des Psaumes, et en 1667, à celle du Nouveau Testament dit de Mons. À partir de 1672, il publia les traductions commentées des Proverbes, de l’Ecclesiaste, de la Sagesse, d’Isaïe, etc. Après sa mort, ses amis continuèrent la publication de ces traductions. La première édition complète de la Bible dite de Saci parut en 1696 : elle fut longtemps en usage et une réédition de 1821 prouve de quelle longue faveur elle a légitimement joui.
Jean Hamon, médecin fixé à Port-Royal à partir de 1651, soigna les religieuses, les Solitaires, les pauvres des environs, y enseigna aux Petites Écoles, y écrivit de nombreux ouvrages de spiritualité et, quoique laïc, servit de directeur, entre 1665 et 1669, aux religieuses de Port-Royal emprisonnées dans leur couvent.
Le rayonnement de Nicole ne fut ni moins brillant ni moins durable que celui d’Arnauld. Écrivain aussi fécond, il multiplie des traités de théologie, de spiritualité, de polémique contre les Protestants. Il écrit surtout à partir de 1671 ces fameux Essais de Morale que Mme de Sévigné aimait tant qu’elle regrettait de ne pouvoir les boire en bouillon. De très nombreuses rééditions tout au long du XVIIIe siècle – l’une d’elle date de 1788 – attestent, ainsi que le livre l’Esprit de M. Nicole, réédité jusqu’en 1765, de quel long crédit bénéficia ce Solitaire.