P 12 : Notes Wendrock

 

Ludovici MONTALTII Litterae provinciales de morali et politica jesuitarum disciplina, a Willelmo Wendrockio  [...], e gallica in latinam linguam translatae, Coloniae, N. Schouten, 1658, p. 320-335.

(NICOLE Pierre, Réfutation de la Réponse à la douzième Lettre)

 

NICOLE Pierre, Réfutation de la Réponse à la douzième Lettre, 8 p. in-4°.

Voir WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, éd. 1700, p. 213-230. Nicole répondit au P. Nouët par une réfutation de la réponse à la douzième lettre, 8 p. in 4°, qui parut un peu après la XIIIe Provinciale. Elle fut insérée dans Wendrock sous la forme de la Note I à la XIIe lettre, comme texte d'un « auteur inconnu ».

JOUSLIN Olivier, La campagne des Provinciales de Pascal, Étude d’un dialogue polémique, p. 432 sq. Œuvre collective dont le rédacteur principal est probablement Nicole. Il s'agit d'éviter à Pascal de s'enliser dans le marais de la chicanerie où les jésuites cherchent à l'attirer. L’écrit contient une réfutation point par point de la réponse du P. Nouët sur les questions de théologie morale, avec la position de Port-Royal : p. 617 sq.

FABRI Honoré, Notae in notas W. Wendrockii, J. Busdeum, Cologne, 1659.

Dans cet écrit, l’auteur des lettres désigne l’auteur des Provinciales, savoir Montalte, ou Pascal. L’apologiste des casuistes désigne le p. Nouët. Le mot société désigne en général l’ordre des jésuites.

 

Note I sur la douzième Lettre

Ou

Réfutation de la Lettre que les Jésuites ont publiée contre la Lettre précédente.

Avertissement.

La lettre suivante a été donnée au public par un auteur inconnu, et insérée entre la douzième et la treizième lettre de Montalte. Elle examine en détail quelques chicanes des jésuites auxquelles Montalte n’aurait pu s’arrêter sans faire tort au public qui attendait de lui toute autre chose. Il est vrai qu’elle est fort éloignée de la beauté des autres, parce qu’elle traite une matière tout à fait difficile. Mais comme elle a néanmoins son prix et son utilité, nous avons jugé à propos de l’insérer ici et de la faire servir de première Note à la douzième lettre.

 

Défense de la douzième Lettre

Monsieur,

Qui que vous soyez qui avez entrepris de défendre les jésuites contre les lettres qui découvrent si clairement le dérèglement de leur morale, il paraît par le soin que vous prenez de les secourir, que vous avez bien connu leur faiblesse, et en cela on ne peut blâmer votre jugement. Mais si vous aviez pensé de pouvoir les justifier en effet, vous ne seriez pas excusable. Aussi j’ai meilleure opinion de vous ; et je m’assure que votre dessein est seulement de détourner l’auteur des lettres par cette diversion artificieuse. Vous n’y avez pourtant pas réussi ; et j’ai bien de la joie de ce que la treizième vient de paraître sans qu’il ait reparti à ce que vous avez fait sur la 11e et sur la 12e, et sans avoir seulement pensé à vous. Cela me fait espérer qu’il négligera de même les autres. Vous ne devez pas douter, Monsieur, qu’il ne lui eût été bien facile de vous pousser. Vous voyez comment il mène la Société entière : qu’eût-ce donc été s’il vous eût entrepris en particulier ? Jugez-en par la manière dont je vas vous répondre sur ce que vous avez écrit contre sa douzième lettre.

Je vous laisserai, Monsieur, toutes vos injures. L’auteur des lettres a promis d’y satisfaire, et je crois qu’il le fera de telle sorte qu’il ne vous restera que la honte et le repentir. Il ne lui sera pas difficile de couvrir de confusion de simples particuliers comme vous et vos jésuites, qui par un attentat criminel usurpent l’autorité de l’Église, pour traiter d’hérétiques ceux qu’il leur plaît, lorsqu’ils se voient dans l’impuissance de se défendre contre les justes reproches qu’on leur fait de leurs méchantes maximes. Mais pour moi je me resserrerai dans la réfutation des nouvelles impostures que vous employez pour la justification de ces casuistes. Commençons par le grand Vasquez.

Vous ne répondez rien à tout ce que l’auteur des lettres a rapporté pour faire voir sa mauvaise doctrine touchant l’aumône. Et vous l’accusez seulement en l’air de quatre faussetés, dont la première est, qu’il a supprimé du passage de Vasquez cité dans la sixième lettre, ces paroles : Statum quem licitè possunt acquirere ; et qu’il a dissimulé le reproche qu’on lui en fait.

Je vois bien, Monsieur, que vous avez cru sur la foi des jésuites vos chers amis, que ces paroles-là sont dans le passage qu’a cité l’auteur des lettres. Car si vous eussiez su qu’elles n’y sont pas, vous eussiez blâmé ces pères de lui avoir fait ce reproche, plutôt que de vous étonner de ce qu’il n’avait pas daigné répondre à une objection si vaine. Mais ne vous fiez pas tant à eux. Vous y seriez souvent attrapé. Considérez vous-même dans Vasquez le passage que l’auteur en a rapporté. Vous le trouverez de Eleem, c. 4 n. 14, mais vous n’y verrez aucune de ces paroles qu’on dit qu’il en a supprimées ; et vous serez bien étonné de ne les trouver que 15 pages auparavant. Je ne doute point qu’après cela vous ne vous plaigniez de ces bons pères, et que vous ne jugiez bien que pour accuser cet auteur d’avoir supprimé ces paroles de ce passage, il faudrait l’obliger de rapporter des passages de 15 pages in folio dans une lettre de 8 pages in quarto, où il a accoutumé d’en rapporter 30 ou 40, ce qui ne serait pas raisonnable.

Ces paroles ne peuvent donc servir qu’à vous convaincre vous-même d’imposture ; et elles ne servent pas aussi davantage pour justifier Vasquez. On a accusé ce jésuite d’avoir ruiné le précepte de Jésus-Christ, qui oblige les riches de faire l’aumône de leur superflu, en soutenant, que ce que les riches gardent pour relever leur condition ou celle de leurs parents, n’est pas superflu ; et qu’ainsi à peine en trouvera-t-on dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. C’est cette conséquence, qu’il n’y a presque jamais de superflu dans les gens du monde, qui ruine l’obligation de donner l’aumône ; puisqu’on en conclut par nécessité, que n’ayant point de superflu ils ne sont pas obligés de le donner. Si c’était l’auteur des lettres qui l’eût tirée, vous auriez quelque sujet de prétendre, qu’elle n’est pas enfermée dans ce principe, que ce que les riches gardent pour relever leur condition, ou celle de leurs parents, n’est pas appelé superflu. Mais il l’a trouvée toute tirée dans Vasquez. Il y a lu ces paroles si éloignées de l’esprit de l’Évangile, et de la modération chrétienne, Qu’à peine trouvera-t-on du superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. Il y a lu encore cette dernière conclusion rapportée dans la douzième lettre : À peine est-on obligé de donner l’aumône, quand on n’est obligé à la donner que de son superflu : et ce qui est remarquable, c’est qu’elle se voit au même lieu de ces paroles, statum quem licitè possunt acquirere, par lesquelles vous prétendez l’éluder. Vous chicanez donc inutilement sur le principe, lorsque vous êtes obligé de vous taire sur les conséquences, qui sont formellement dans Vasquez, et qui suffisent pour anéantir le précepte de Jésus-Christ, comme on l’a accusé de l’avoir fait. Si Vasquez les avait mal tirées de son principe, il aurait joint une faute de jugement avec une erreur dans la morale ; et il n’en serait pas plus innocent, ni le précepte de Jésus-Christ moins anéanti. Mais il paraîtra par la réfutation de la seconde fausseté que vous reprochez à l’auteur des lettres, que ces mauvaises conséquences sont bien tirées du mauvais principe que Vasquez établit au même lieu ; et que ce jésuite n’a pas péché contre les règles du raisonnement, mais contre celles de l’Évangile.

Cette seconde fausseté que vous dites qu’il a dissimulée après en avoir été convaincu, est qu’il a omis ces paroles par un dessein outrageux, pour corrompre la pensée de ce père, et en tirer cette conclusion scandaleuse, Qu’il ne faut selon Vasquez qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de superflu. Sur cela, Monsieur, je vous pourrais dire en un mot, qu’il n’y eut jamais d’accusation moins raisonnable que celle-là. Les jésuites ne se sont jamais plaints de cette conséquence. Et cependant vous reprochez à l’auteur des lettres de n’avoir pas répondu à une objection qu’on ne lui avait pas encore faite. Mais si vous croyez avoir été en cela plus clairvoyant que toute cette compagnie, il sera aisé de vous guérir de cette vanité qui serait injurieuse à ce grand corps. Car comment pouvez-vous nier que de ce principe de Vasquez : Ce que l’on garde pour relever sa condition ou celle de ses parents, n’est pas appelé superflu, on ne conclue nécessairement, qu’il ne faut qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de superflu ? Je vous permets de bon cœur d’y ajouter encore la condition qu’il exprime en un autre endroit, qui est que l’on ne veuille relever son état que par des voies légitimes : Statum quem licitè possunt acquirere. Cela n’empêchera pas la vérité de la conséquence que vous accusez de fausseté.

Il est vrai, Monsieur, qu’il y a quelques riches qui peuvent relever leur condition par des voies légitimes. L’utilité publique en peut quelquefois justifier le désir, pourvu qu’ils ne considèrent pas tant leur propre honneur et leur propre intérêt, que l’honneur de Dieu et l’intérêt du public : mais il est très rare que l’esprit de Jésus-Christ, sans lequel il n’y a point d’intentions pures, inspire ces sortes de désirs aux riches du monde : il les porte bien plutôt à diminuer ce poids inutile, qui les empêche de s’élever vers le ciel : et à craindre ces paroles de son Évangile : Que celui qui s’élève sera abaissé. Ainsi ces désirs que l’on voit dans la plupart des hommes du siècle, de monter toujours à une condition plus haute et d’y faire monter leurs parents, quoique par des voies légitimes, ne sont pour l’ordinaire que des effets d’une cupidité terrestre, et d’une véritable ambition. Car c’est, Monsieur, une erreur grossière, de croire qu’il n’y ait point d’ambition à désirer de relever sa condition, que lorsqu’on se veut servir de moyens injustes : c’est une erreur que s. Augustin condamne dans le livre de la Patience c. 3 lorsqu’il dit : L’amour de l’argent et le désir de la gloire sont des folies que le monde croit permises. Et on s’imagine que l’avarice, l’ambition, le luxe, les divertissements des spectacles, sont innocents lorsqu’ils ne nous font point tomber dans quelque crime ou quelque désordre que les lois défendent. L’ambition consiste à désirer l’élèvement pour l’élèvement et l’honneur pour l’honneur ; comme l’avarice à aimer les richesses pour les richesses. Si vous y joignez les moyens injustes, vous la rendez plus criminelle ; mais en substituant des moyens légitimes, vous ne la rendez pas innocente. Or Vasquez ne parle pas de ces occasions, dans lesquelles quelques gens de bien désirent de changer de condition, et sont dans l’attente probable de le faire, comme dit le cardinal Cajetan. S’il en parlait, il aurait été ridicule d’en conclure, comme il a fait, que l’on ne trouve presque jamais de superflu dans les gens du monde ; puisque des occasions très rares, qui ne peuvent arriver qu’une ou deux fois dans la vie, et qui ne se rencontrent que dans un très petit nombre de riches, à qui Dieu fait connaître qu’ils ne se nuiront pas à eux-mêmes en s’élevant pour servir les autres, ne peuvent pas empêcher que la plupart des riches n’aient beaucoup de superflu. Mais il parle d’un désir vague et indéterminé de s’agrandir : il parle d’un désir de s’élever sans aucune borne ; puisque s’il était borné, les riches commenceraient d’avoir du superflu, lorsqu’ils y seraient arrivés. Et enfin il croit que ce désir est si généralement permis, qu’il empêche tous les riches d’avoir presque jamais du superflu.

C’est, Monsieur, afin que vous l’entendiez, cette prétention de s’agrandir, et de s’élever toujours dans le siècle à une condition plus haute, quoique par des moyens légitimes, ad statum quem licitè possunt acquirere, que l’auteur des lettres a appelée du nom d’ambition ; parce que c’est le nom que les Pères lui donnent, et que l’on lui donne même dans le monde. Il n’a pas été obligé d’imiter une des plus ordinaires adresses de ces mauvais casuistes, qui est de bannir les noms des vices, et de retenir les vices mêmes sous d’autres noms. Quand donc ces paroles, statum quem licitè possunt acquirere, auraient été dans le passage qu’il a cité, il n’aurait pas eu besoin de les retrancher pour le rendre criminel. C’est en les y joignant qu’il a droit d’accuser Vasquez, que selon lui il ne faut qu’avoir de l’ambition pour n’avoir point de superflu. Il n’est pas le premier qui a tiré cette conséquence de cette doctrine. M. du Val l’avait fait avant lui en termes formels en combattant cette mauvaise maxime, tom. 2 qu. 8, p. 576. Il s’ensuivrait, dit-il, que celui qui désirerait une plus haute dignité, c’est-à-dire qui aurait une plus grande ambition, n’aurait point de superflu, quoiqu’il eût beaucoup plus qu’il ne lui faut selon sa condition présente : SEQUERETUR eum qui hanc dignitatem cuperet, seu qui MAJORI AMBITIONE DUCERETUR, habendo plurima supra decentiam sui status, non habiturum superflua.

Vous avez donc fort mal réussi, Monsieur, dans les deux premières faussetés que vous reprochez à l’auteur des lettres. Voyons si vous serez mieux fondé dans les deux autres que vous l’accusez d’avoir faites en se défendant. La première est, qu’il assure que Vasquez n’oblige point les riches de donner de ce qui est nécessaire à leur condition. Il est bien aisé de vous répondre sur ce point : car il n’y a qu’à vous dire nettement que cela est faux, et qu’il a dit tout le contraire. Il n’en faut point d’autre preuve que le passage même que vous produisez trois lignes après, où il rapporte que Vasquez oblige les riches de donner du nécessaire en certaines occasions.

Votre dernière plainte n’est pas moins déraisonnable. En voici le sujet. L’auteur des lettres a repris deux décisions dans la doctrine de Vasquez : l’une, que les riches ne sont point obligés ni par justice ni par charité de donner de leur superflu, et encore moins du nécessaire dans tous les besoins ordinaires des pauvres. L’autre, qu’ils ne sont obligés de donner du nécessaire qu’en des rencontres si rares qu’elles n’arrivent presque jamais. Vous n’aviez rien à répondre sur la première de ces décisions, qui est la plus méchante. Que faites-vous là-dessus ? Vous les joignez ensemble, et apportant quelque mauvaise défaite sur la dernière, vous voulez faire croire que vous avez répondu sur toutes les deux. Ainsi pour démêler ce que vous voulez embarrasser à dessein, je vous demande à vous-même, s’il n’est pas vrai que Vasquez enseigne, que les riches ne sont jamais obligés de donner ni du superflu, ni du nécessaire, ni par charité, ni par justice, dans les nécessités ordinaires des pauvres ? L’auteur des lettres ne l’a-t-il pas prouvé par ce passage formel de Vasquez : Corduba enseigne que lorsqu’on a du superflu, on est obligé d’en donner à ceux qui sont dans une nécessité ordinaire, au moins une partie, afin d’accomplir le précepte en quelque chose (Remarquez qu’il ne s’agit point en cet endroit si on y est obligé par justice ou par charité, mais si on y est obligé absolument.). Voyons donc quelle sera la décision de votre Vasquez : Mais cela ne me plaît pas, SED HOC NON PLACET ; car nous avons montré le contraire contre Cajetan et Navarre. Voilà à quoi vous ne répondez point, laissant ainsi vos jésuites convaincus d’une erreur si contraire à l’Évangile.

Et quant à la seconde décision de Vasquez, qui est que les riches ne sont obligés de donner du nécessaire à leur condition, qu’en des rencontres si rares qu’elles n’arrivent presque jamais, l’auteur des lettres ne l’a pas moins clairement prouvé par l’assemblage des conditions que ce jésuite demande pour former cette obligation, savoir que l’on sache que le pauvre qui est dans la nécessité urgente, ne sera assisté de personne que de nous ; et que cette nécessité le menace de quelque accident mortel, ou de perdre la réputation. Il a demandé sur cela si ces rencontres étaient fort ordinaires dans Paris, et enfin il a pressé les jésuites par cet argument : Que Vasquez permettant aux pauvres de voler les riches, dans les mêmes circonstances où il oblige les riches d’assister les pauvres, il faut qu’il ait cru ou que ces occasions étaient fort rares, ou qu’il était ordinairement permis de voler. Qu’avez-vous répondu à cela, Monsieur ? Vous avez dissimulé toutes ces preuves, et vous vous êtes contenté de rapporter trois passages de Vasquez, où il dit dans les deux premiers, que les riches sont obligés d’assister les pauvres dans les nécessités urgentes, ce que l’auteur des lettres reconnaît expressément : mais vous vous êtes bien gardé d’ajouter qu’il y rapporte des restrictions, qui sont que ces nécessités urgentes n’obligent presque jamais à donner l’aumône, qui est ce dont il s’agit.

Le troisième de vos passages dit simplement, que les riches ne sont pas obligés de donner seulement l’aumône dans les nécessités extrêmes, c’est-à-dire quand un homme est prêt de mourir, parce qu’elles ont trop rares ; d’où vous concluez qu’il est faux, que les occasions où Vasquez oblige à donner l’aumône, soient fort rares. Mais vous vous moquez, Monsieur, vous n’en pouvez conclure autre chose sinon que Vasquez ôte le nom de très rare, aux occasions de donner l’aumône, qu’il rend très rares en effet par les conditions qu’il y apporte. En quoi il n’a fait que suivre la conduite de sa compagnie. Ce jésuite avait à satisfaire tout ensemble les riches qui veulent qu’on ne les oblige que très rarement à donner l’aumône, et l’Église qui y oblige très souvent ceux qui ont du superflu. Il a donc voulu contenter tout le monde, selon la méthode de sa société ; et il y a fort bien réussi. Car il exige d’une part des conditions si rares en effet, que les plus avares en doivent être satisfaits : et il leur ôte de l’autre le nom de rares pour satisfaire l’Église en apparence. Il n’est donc pas question de savoir si Vasquez a donné le nom de rares aux rencontres où il oblige de donner l’aumône. On ne l’a jamais accusé de les avoir appelées rares. Il était trop habile jésuite, pour appeler ainsi les mauvaises choses par leur nom : mais il est question de savoir si elles sont rares en effet par les restrictions qu’il y apporte : et c’est ce que l’auteur des lettres a si bien montré, qu’il ne vous est resté sur cela que cette réponse générale, qui ne vous manquera jamais, qui est la dissimulation et le silence.

Tout ce que vous ajoutez ensuite de la subtilité de l’esprit de Vasquez dans les divers sens qu’il donne aux mots de nécessaire, et de superflu, est une pure illusion. Il ne les a jamais pris qu’en deux sens, aussi bien que tous les autres théologiens. Il y a selon lui nécessaire à la nature, et nécessaire à la condition : superflu à la nature, superflu à la condition. Mais afin qu’une chose soit superflue à la condition, il veut qu’elle le soit non seulement à l’égard de la condition présente, mais aussi à l’égard de celle que les riches peuvent acquérir ou pour eux, ou pour leurs parents par des moyens légitimes. Ainsi selon Vasquez tout ce que l’on garde pour relever sa condition, est appelé simplement nécessaire à la condition, et superflu seulement à la nature : et on n’est obligé d’en faire l’aumône que dans les occasions que l’auteur des lettres à fait voir être si rares qu’elles n’arrivent jamais.

Il n’est pas besoin de rien ajouter touchant la comparaison de Vasquez et de Cajetan à ce que l’auteur des lettres en a dit. Je vous avertirai seulement en passant, que vous imposez à ce cardinal, aussi bien que Vasquez, lorsque vous soutenez, Que contre ce qu’il avait dit dans le traité de l’aumône, il enseigne en celui des indulgences, que l’obligation de donner le superflu, ne passe point le péché véniel. Lisez-le, Monsieur, et ne vous fiez pas tant aux jésuites ni morts ni vivants. Vous trouverez que Cajetan y enseigne formellement le contraire : et qu’après avoir dit qu’il n’y a que les nécessités extrêmes, sous lesquelles il comprend aussi la plupart de celles que Vasquez appelle urgentes, qui obligent à péché mortel, il y ajoute cette exception, si ce n’est qu’on ait des biens superflus ? SECLUSA SUPERFLUITATE BONORUM.

Je passe donc avec vous à la doctrine de la simonie. L’auteur des lettres n’a eu autre dessein que de montrer, que la Société tient cette maxime, que ce n’est pas une simonie en conscience de donner un bien spirituel pour un temporel, pourvu que le temporel n’en soit que le motif même principal, et non pas le prix ; et pour le prouver il a rapporté le passage de Valentia tout au long dans la 12e qui le dit si clairement que vous n’avez rien à y répondre, non plus que sur Escobar, Erade Bille, et les autres, qui disent tous la même chose. Il suffit que tous ces auteurs soient de cette opinion, pour montrer que selon toute la compagnie qui tient la doctrine de la probabilité, elle est sûre en conscience, après tant d’auteurs graves qui l’ont soutenue, et tant de provinciaux graves qui l’ont approuvée. Confessez donc qu’en laissant subsister, comme vous faites, le sentiment de tous ces autres jésuites, et vous arrêtant au seul Tannerus, vous ne faites rien contre le dessein de l’auteur des lettres que vous attaquez, ni pour la justification de la société que vous défendez.

Mais afin de vous donner une entière satisfaction sur ce sujet ; je vous soutiens que vous avez tort aussi bien sur Tannerus que sur les autres. Premièrement vous ne pouvez nier qu’il ne dise généralement, qu’il n’y a point de simonie en conscience, in foro conscientiae, à donner un bien spirituel pour un temporel, lorsque le temporel n’en est que le motif même principal, et non pas le prix. Et quand il dit qu’il n’y a point de simonie en conscience, il entend qu’il n’y en a point ni de droit divin ni de droit positif. Car la simonie de droit positif est une simonie en conscience. Voilà la règle générale à laquelle Tannerus apporte une exception qui est, que dans les cas exprimés par le droit c’est une simonie de droit positif, ou une simonie présumée. Or comme une exception ne peut pas être aussi étendue que la règle, il s’ensuit par nécessité que cette maxime générale, que ce n’est point simonie en conscience de donner un bien spirituel pour un temporel, qui n’en est que le motif, et non pas le prix, subsiste en quelque espèce des choses spirituelles. Et qu’ainsi il y ait des choses spirituelles qu’on peut donner sans simonie de droit positif pour des biens temporels, en changeant le mot de prix en celui de motif.

L’auteur des lettres a choisi l’espèce des bénéfices, à laquelle il réduit la doctrine de Valentia et de Tannerus. Mais il lui importe peu néanmoins que vous en substituiez une autre, et que vous disiez, que ce n’est pas les bénéfices, mais les sacrements ou les charges ecclésiastiques, qu’on peut donner pour de l’argent. Il croit tout cela également impie, et il vous en laisse le choix. Il semble, Monsieur, que vous l’ayez voulu faire ; et que vous ayez voulu donner à entendre, que ce n’est pas simonie de dire la messe ayant pour motif principal d’en recevoir de l’argent. C’est la pensée qu’on peut avoir en lisant ce que vous rapportez de la coutume de l’Église de Paris. Car si vous aviez voulu dire simplement que les fidèles peuvent offrir des biens temporels à ceux dont ils reçoivent les spirituels ; et que les prêtres qui servent à l’autel peuvent vivre de l’autel, vous auriez dit une chose dont personne ne doute ; mais qui ne touche point aussi notre question. Il s’agit de savoir, si un prêtre qui n’aurait pour motif principal en offrant le sacrifice que l’argent qu’il en reçoit, ne serait pas devant Dieu coupable de simonie. Vous l’en devez exempter selon la doctrine de Tannerus ; mais le pouvez-vous selon les principes de la piété chrétienne ? Si la simonie, dit Pierre le Chantre l’un de plus grands ornements de l’Église de Paris, est si honteuse et damnable dans les choses jointes aux sacrements, combien l’est-elle plus dans la substance même des sacrements, et principalement dans l’eucharistie, où on prend Jésus-Christ tout entier, la source et l’origine de toutes les grâces. Simon le magicien, dit encore ce saint homme, ayant été rejeté par Simon Pierre, lui eût pu dire : Tu me rebutes, mais je triompherai de toi et du corps entier de l’Église : j’établirai le siège de mon empire sur les autels ; et lorsque les anges seront assemblés en un coin de l’autel pour adorer le corps de Jésus-Christ, je serai à l’autre coin pour faire que le ministre de l’Autel, ou plutôt le mien, se forme pour de l’argent. Et cependant cette simonie, que ce pieux théologien condamne si fortement, ne consiste que dans la cupidité, qui fait que dans l’administration des choses spirituelles, on met sa fin principale dans l’utilité temporelle qui en revient. Et c’est ce qui lui fait dire généralement c. 25 que les ministres saints, qu’il appelle les ouvrages de la droite, étant exercés par l’amour de l’argent, forment la simonie : Opus dexterae operatum causa pecuniae acquirendae, parit simoniam. Qu’aurait-il donc dit, s’il avait ouï parler de cette horrible maxime des casuistes qui vous défendez : Qu’il est permis à un prêtre de renoncer pour un peu d’argent à tout le fruit spirituel qu’il peut prétendre du sacrifice ?

Vous voyez donc, Monsieur, que si c’est là tout ce que vous avez à dire pour la défense de Tannerus, vous ne ferez que le rendre coupable d’une plus grande impiété. Mais vous ne prouverez pas encore par là qu’il y ait selon lui simonie de droit positif à recevoir de l’argent comme motif pour donner des bénéfices. Car remarquez, s’il vous plaît, qu’il ne dit pas simplement que c’est une simonie de donner un bien spirituel pour un temporel comme motif, et non comme prix : mais qu’il y ajoute une alternative en disant que c’est ou une simonie de droit positif, ou une simonie présumée. Or une simonie présumée n’est pas une simonie devant Dieu : elle ne mérite aucune peine dans le tribunal de la conscience. Et ainsi dire, comme fait Tannerus, que c’est une simonie de droit positif, ou une simonie présumée, c’est dire en effet que c’est une simonie, ou que ce n’en est pas une. Voilà à quoi se réduit l’exception de Tannerus, que l’auteur des lettres n’a pas dû rapporter dans sa sixième lettre ; parce que ne citant aucunes paroles de ce jésuite, il y dit simplement qu’il est de l’avis de Valentia : mais il l’a rapportée, et y répond expressément dans sa douzième, quoique vous l’accusiez faussement de l’avoir dissimulée.

Çe’a été pour éviter l’embarras de toutes ces distinctions, que l’auteur des lettres avait demandé aux jésuites, si c’était simonie en conscience selon leurs auteurs, de donner un bénéfice de quatre mille livres de rente, en recevant dix mille francs comme motif, et non comme prix. Il les a pressés sur cela de lui donner réponse précise dans parler de droit positif, c’est-à-dire sans se servir de ces termes, que le monde n’entend pas, et non pas sans y avoir égard, comme vous l’avez pris contre les lois de la grammaire. Vous y avez donc voulu satisfaire, et vous répondez en un mot, qu’en ôtant le droit positif il n’y aurait point de simonie, comme il n’y aurait point de péché à n’entendre point la messe un jour de fête, si l’Église ne l’avait point commandé : c’est-à-dire que ce n’est une simonie que parce que l’Église l’a voulu, et que sans ses lois positives ce serait une action indifférente. Sur quoi j’ai à vous répondre.

Premièrement que vous répondez fort mal à la question qu’on a faite. L’auteur des lettres demandait s’il y avait simonie, selon les auteurs jésuites qu’il avait cités, et vous nous dites de vous-même qu’il n’y a que simonie de droit positif. Il n’est pas question de savoir votre opinion : elle n’a pas d’autorité. Prétendez-vous être un docteur grave ? Cela serait fort disputable. Il s’agit de Valentia, Tannerus, Sanchez, Escobar, Erade Bille, qui sont indubitablement graves. C’est selon leur sentiment qu’il faut répondre. L’auteur des lettres prétend que vous ne sauriez dire selon tous ces jésuites, qu’il y ait en cela simonie en conscience. Pour Valentia, Sanchez, Escobar, et les autres, vous le quittez. Vous le disputez un peu sur Tannerus : mais vous avez vu que c’était sans fondement, de sorte qu’après tout il demeure constant que la société enseigne, qu’on peut sans simonie en conscience donner un bien spirituel pour un temporel, pourvu que le temporel n’en soit que le motif principal, et non pas le prix. C’est tout ce qu’on demandait.

En second lieu je vous soutiens que votre réponse contient une impiété horrible. Quoi, Monsieur, vous osez dire que sans les lois de l’Église il n’y aurait point de simonie de donner de l’argent avec ce détour d’intention pour entrer dans les charges de l’Église : qu’avant les canons qu’elle a faits de la simonie, l’argent était un moyen permis pour y parvenir, pourvu qu’on ne le donnât pas comme prix, et qu’ainsi s. Pierre fut téméraire de condamner si fortement Simon le Magicien, puisqu’il ne paraissait point qu’il lui offrît de l’argent plutôt comme prix, que comme motif.

À quelle école nous renvoyez-vous pour y apprendre cette doctrine ? Ce n’est pas à celle de Jésus-Christ, qui a toujours ordonné à ses disciples de donner gratuitement ce qu’ils avaient reçu gratuitement ; et qui exclut par ce mot, comme remarque Pierre le Chantre in Verb. abbr. c. 36 toute attente de présents ou services, soit un pacte, soit sans pacte : parce que Dieu voit dans le cœur. Ce n’est pas à l’école de l’Église, qui traite non seulement de criminels, mais d’hérétiques tous ceux qui emploient de l’argent pour obtenir les ministères ecclésiastiques ; et qui appelle ce trafic, de quelque artifice qu’on le pallie, non un violement d’une de ses lois positives, mais une hérésie, simoniacam haeresim.

Cette école donc en laquelle on apprend toutes ces maximes, ou que ce n’est qu’une simonie de droit positif, ou que ce n’en est qu’une présumée, ou qu’il n’y a même aucun péché à donner de l’argent pour un bénéfice comme motif et non comme prix, ne peut être que celle de Giesi, et de Simon le magicien. C’est dans cette école, où ces deux premiers trafiqueurs des choses saintes, qui sont exécrables partout ailleurs, doivent être tenus pour innocents ; et où laissant à la cupidité ce qu’elle désire, et ce qui la fait agir, on lui enseigne à éluder la loi de Dieu par le changement d’un terme qui ne change point les choses. Mais que les disciples de cette école écoutent de quelle sorte le grand pape Innocent III dans sa lettre à l’archevêque de Cantorbie de l’an 1199 a foudroyé toutes les damnables subtilités de ceux qui étant aveuglés par le désir du gain prétendent pallier la simonie sous un nom honnête : Simoniam sub honesto nomine pallians. Comme si ce changement de nom pouvait faire changer et la nature du crime, et la peine qui lui est due. Mais on ne se moque point de Dieu (ajoute ce pape) et quand ces sectateurs de Simon pourraient éviter en cette vie la punition qu’ils méritent, ils n’éviteront point en l’autre le supplice éternel que Dieu leur réserve. Car l’honnêteté du nom n’est pas capable de pallier la malice de ce péché ; ni le déguisement d’une parole empêcher qu’on n’en soit coupable. Cum nec honestas nominis criminis malitiam palliabit, nec vox poterit abolere reatum.

Le dernier point, Monsieur, est sur le sujet des banqueroutes. Sur quoi j’admire votre hardiesse. Les jésuites que vous défendez avaient rejeté la question d’Escobar sur Lessius très mal à propos. Car l’auteur des lettres n’avait cité Lessius que sur la foi d’Escobar, et n’avait attribué qu’à Escobar seul ce dernier point dont ils se plaignent, savoir que les banqueroutiers peuvent retenir de leurs biens pour vivre honnêtement, quoique ces biens eussent été gagnés par des injustices et des crimes connus de tout le monde. C’est aussi sur le sujet du seul Escobar qu’il les a pressés ou de désavouer publiquement cette maxime, ou de déclarer qu’ils la soutiennent, et en ce cas il les renvoie au Parlement. C’était à cela qu’il fallait répondre ; et non pas dire simplement que Lessius, dont il ne s’agit pas, n’est pas de l’avis d’Escobar duquel seul il s’agit. Pensez-vous donc qu’il n’y ait qu’à détourner les questions, pour les résoudre ? Ne le prétendez pas, Monsieur. Vous répondrez sur Escobar, avant qu’on parle de Lessius. Ce n’est pas que je refuse de le faire. Et je vous promets de vous expliquer bien nettement la doctrine de Lessius sur la banqueroute, dont je m’assure que le Parlement ne sera pas moins choqué que la Sorbonne. Je vous tiendrai parole avec l’aide de Dieu : Mais ce sera après que vous aurez répondu au point contesté touchant Escobar. Vous satisferez à cela précisément, avant que d’entreprendre de nouvelles questions. Escobar est le premier en date : il passera devant, malgré vos suites. Assurez-vous qu’après cela Lessius le suivra de près.

Note II

Diverses maximes corrompues des Jésuites touchant les revenus ecclésiastiques.

L’apologiste des jésuites avait extrêmement fait valoir l’obligation que Vasquez impose aux ecclésiastiques de donner leur superflu aux pauvres. Mais Montalte qui ne voulait pas s’écarter de son dessein en se jetant dans de nouvelles disputes, méprise ces vaines déclamations, et se contente de répondre qu’il n’a point parlé des ecclésiastiques, mais que néanmoins si les jésuites voulaient entrer dans cette question, il est prêt d’en parler quand il leur plairaè.

Afin donc de faire voir qu’il n’y a rien que de véritable dans cette menace de Montalte, je crois devoir faire ici ce qu’il n’a pas dû faire, et marquer en passant divers relâchements de la morale des jésuites sur l’usage des biens ecclésiastiques.

Il n’y a rien de plus certain dans la doctrine des Pères, des conciles, et des anciens scolastiques, que les ecclésiastiques ne sont point les maîtres de leurs revenus, mais qu’ils n’en sont que les économes et les dispensateurs : ce qui a fait dire au jésuite Comitolus [Rest. Mor. l. I, q. 10] : Que les anciens docteurs et les meilleurs auteurs des siècles passés et même du nôtre, n’ont jamais mis en question si ceux qui ont des bénéfices, sont les maîtres des revenus et des fruits de ces bénéfices. Tant il était certain qu’ils ne l’étaient pas. Et afin qu’on ne s’imagine pas que cela n’a lieu qu’à l’égard des premiers siècles, le dernier concile général [Sess. 25 de reform. C. I] a déclaré conformément à ce sentiment commun, que les biens des évêques (ce qu’on doit aussi entendre de ceux des ministres inférieurs) appartiennent à Dieu ; et ainsi il leur défend de les dissiper et de les donner à leurs parents. « Néanmoins, ajoute Comitolus, certains auteurs modernes disciples de Dominique Soto ont tâché après quinze siècles d’introduire dans l’Église une opinion nouvelle et pernicieuse, savoir que les bénéficiers sont véritablement les maîtres des revenus de leurs bénéfices ».

Voilà comme parle ce jésuite, bien éloigné en cela des maximes de sa société. Car ces casuistes à qui il suffit pour embrasser les opinions les plus relâchées, qu’elles soient appuyées sur la moindre raison ou sur quelque autorité qui ne soit pas tout à fait méprisable, ont presque tous donné dans l’opinion de Soto, et Vasquez entre autres [De Redit. Eccl. c. 1, dub. 1. num. 27]. Ainsi ceux qui enrichissent leur famille des biens de l’Église, ou qui les emploient à nourrir des chiens, ne sont point obligés, selon ces auteurs, à restituer : et ils peuvent par conséquent obtenir l’absolution de cette dissipation, et rentrer en grâce avec Dieu en se confessant, et faisant un acte d’attrition qui est toujours en leur pouvoir. Il est aisé de comprendre quels désordres une maxime si licencieuse peut introduire.

Non seulement Vasquez rend les biens de l’Église propres aux ecclésiastiques ; mais n’ayant pas osé nier qu’ils ne fussent obligés de donner au moins leur superflu aux pauvres, il décharge de cette obligation ceux qui ne sont pas titulaires des bénéfices et qui ont seulement des pensions. « Je ne vois, dit-il [De eleems. c. 4. dub. ult. num. 22], aucun auteur qui oblige ceux qui ont des pensions sur des bénéfices, à faire des aumônes plus abondantes que les séculiers », qui selon le même Vasquez ne sont point obligés à donner leur superflu, si ce n’est dans les nécessités pressantes et extrêmes, et encore avec les exceptions que Montalte a rapportées.

Mais quand ce qu’il dit serait vrai, qu’il n’a trouvé aucun auteur qui oblige ceux qui ont des pensions sur les bénéfices, à faire des aumônes plus abondantes que les séculiers, ce serait par une autre raison et par un motif très éloigné de sa prétention. Car puisqu’il est évident que ces pensions font véritablement partie du bien de l’Église et des pauvres, il est naturel que les auteurs ne les aient point distinguées des autres biens ecclésiastiques. Pourquoi en effet les en distinguer, puisqu’elles n’ont rien de particulier, sinon que l’usage en est tout nouveau, qu’elles sont sujettes à beaucoup d’abus, qu’elles ont toujours quelque chose d’odieux et qui ressent la simonie, à moins que l’utilité de l’Église ou quelque raison importante ne les rende nécessaires ?

De ces principes les autres jésuites qui ont un génie merveilleux pour étendre les opinions relâchées, qu’ils regardent comme des faveurs qu’on ne doit point resserrer, de ces principes, dis-je, ils ont tiré diverses conséquences qui déshonorent la dignité et la sainteté du sacerdoce et de l’état ecclésiastique.

Hurtado de Mendoza [In 2. 2. Vol. 2. Disp. 160. Sect. 15. § 105, usque ad 110] cité par Diana [5 part. tract. 8. Resp. 37], enseigne qu’un évêque qui dans les nécessités ordinaires donne le tiers de son revenu aux pauvres, et donne une grande partie du reste à sa famille, ne pèche point. « Supposons dit-il, un évêque qui ait trente mille livres de rente : s’il en distribue dix mille en œuvres pieuses, il n’y a personne qui puisse l’accuser d’avarice ou de dureté envers les pauvres, ni se scandaliser avec raison de ce qu’il dépense les vingt mille qui lui restent pour l’entretien de sa maison, ou comme il lui plaît, pourvu que ce ne soit point en des usages profanes, quand même il les répandrait abondamment sur sa famille… ce qu’il peut sans aucun scrupule.

Sanchez assure que ce que l’on donne aux prêtres pour administrer les sacrements, et pour entendre les confessions, doit être regardé comme un bien de patrimoine, et que par conséquent ils ne sont point absolument obligés d’en donner même le superflu aux pauvres. Il prétend que cette maxime a lieu à l’égard de ceux mêmes qui sont obligés par leur emploi à exercer ces fonctions sans aucune restriction. C’est ce qu’Escobar renferme dans ce peu de mots. « Les prêtres, demande-t-il [tract. 5 ex. 5. c. 6 in praxi], sont-ils obligés de faire des aumônes du superflu de ce qu’ils reçoivent pour les fonctions de leur ministère, comme par exemple pour dire la messe, prêcher, assister aux convois, administrer les sacrements etc. J’assure, répond-il, que selon la doctrine de Sanchez ils n’y sont point obligés, quand même leur emploi les obligerait d’exercer toutes ces fonctions gratuitement, parce qu’on doit regarder ces biens comme des biens de patrimoine ». Comme si les prêtres pouvaient espérer de leur ministère quelque chose de temporel qui leur tienne lieu de récompense, ou que saint Paul permît aux ministres de l’Évangile de retirer autre chose de l’autel que ce qui est nécessaire pour leur nourriture et leur entretien.

Le même Sanchez autorise l’avarice la plus sordide des ecclésiastiques. Quand les ecclésiastiques, dit-il [Concl. mor. l. 2. c. 2. dub. 43], vivent avec une telle épargne qu’ils ne dépensent pas des revenus de leurs bénéfices ce qui, au jugement d’un homme de bien, est nécessaire pour vivre honnêtement dans leur état, peuvent-ils disposer de cette épargne comme d’un bien de patrimoine, ou sont-ils obligés de le donner aux pauvres comme un bien superflu ?

Il y a là-dessus deux opinions. La première qu’ils sont obligés de le donner aux pauvres, parce que les biens de l’Église ne sont donnés aux ecclésiastiques qu’autant qu’ils leur sont nécessaires, et que le reste doit être distribué aux pauvres. Or dans ce cas le nécessaire est devenu superflu par l’épargne de cet ecclésiastique. Donc etc. » C’est l’opinion de Panorme. cap. Cum omnes num 27 de test Sarmient. Et il en apporte plusieurs preuves. Lib de red. part 3. c. 5. n. 1. 2. 3. 4. 5 et in defens. Part. 14 monito 30 et 31.

« II. La seconde opinion tient le contraire.

III. Ma conclusion est qu’il est plus probable que les ecclésiastiques peuvent user comme d’un bien de patrimoine de ce qu’ils ont épargné sur leur nécessaire. Et la raison sur laquelle je me fonde est que ce nécessaire est accordé aux ecclésiastiques à cause de leur travail ; en sorte qu’ils en peuvent disposer comme il leur plaît : Ils peuvent donc sans scrupule disposer comme d’un bien de patrimoine de ce qu’ils ont amassé par leur épargne. C’est le sentiment de Navarre etc. »

Escobar dit la même chose en moins de mots : « Un ecclésiastique, demande-t-il [Theol. mor. tract. 5. exam. 5. c. 6], est-il obligé de donner aux pauvres comme superflu ce qu’il a épargné sur ce qui était nécessaire pour vivre honnêtement selon son état ? Je soutiens avec Molina qu’il n’y est pas obligé : parce que ces biens sont comme des biens de patrimoine qui lui sont dûs pour sa subsistance ». C’est ainsi que les jésuites non contents d’introduire l’avarice dans le plus saint de tous les ministères, corrompent encore les vertus mêmes en enseignant aux prêtres à vivre frugalement et pauvrement, non pour l’amour de Jésus-Christ, mais pour enrichir leurs parents.

Mais rien n’est plus indigne que ce qu’enseigne encore le même Sanchez [Conc. mor. l. 2. c. 2. disp. 38. num. 16] : « Si un ecclésiastique, dit-il, mérite par son travail et par les services qu’il rend à l’Église, une plus grande récompense que celle qui est nécessaire pour son honnête subsistance ; comme s’il exerce dans son Église plus de fonctions qui méritent une récompense, qu’il n’est obligé d’en exercer, par exemple, s’il prêche, s’il confesse etc., il peut prendre sur le superflu de ses revenus une certaine quantité proportionnée à son travail et en disposer comme d’un bien de patrimoine, parce que selon le droit divin et le droit naturel celui qui travaille, mérite sa récompense [Cor. c. 9. et Luc. c. 11] ». C’est le sentiment de Navarre etc.

On ne peut trouver des termes assez forts pour détester une doctrine si abominable, et si injurieuse à Jésus-Christ et à l’Église. Je dis donc hardiment que quiconque tire des fonctions ecclésiastiques au-delà ce qui est nécessaire pour vivre honnêtement, selon les règles du christianisme, non seulement il déshonore son ministère, mais il s’en acquitte avec un esprit simoniaque et mercenaire. Car c’est vendre les fonctions de son ministère, et non pas les exercer gratuitement, que d’en exiger quelque chose comme récompense.

Ce n’est pas ici le lieu de s’arrêter à combattre ces relâchements. Je sais qu’il y a un grand nombre d’ecclésiastiques à qui ces maximes ne déplaisent pas ; tant l’esprit ecclésiastique est éteint dans la plupart de ceux qui en devraient être remplis. Mais enfin tous ceux qui sont encore un peu touchés de l’honneur et de la sainteté de leur ministère, entreront dans les mêmes sentiments que moi. Ils gémiront comme moi de l’injure qu’on fait à l’Église ; et méprisant les murmures de cette multitude aveugle, ils répéteront avec moi ces belles paroles de s. Augustin sur l’Épître de S. Paul aux Galates. « Malheur aux hommes à cause de leurs péchés. Nous n’avons plus d’horreur que pour les crimes extraordinaires. Car pour ceux qui se commettent communément, quoique Jésus-Christ ait versé son sang pour les expier, et qu’ils soient si grands qu’ils ferment l’entrée du royaume du ciel, nous sommes contraints en les voyant souvent commettre, de les tolérer, et en les tolérant, d’en commettre souvent nous-mêmes quelques-uns. »

Note Troisième

Explication et réfutation de la doctrine de l’apologiste des casuistes

sur la simonie de droit divin et de droit positif.

Il n’est pas nécessaire que j’examine ici ce que l’apologiste des casuistes dit dans la chaleur de son emportement pour défendre Vasquez. Car il n’y a rien qui n’ait déjà été suffisamment détruit dans la lettre précédente. Il dissimule à dessein de l’avoir vue, afin de confondre, selon sa coutume, l’état véritable de la question, et d’en substituer de nouvelles et de frivoles qui lui donnent lieu d’accabler ses adversaires d’injures. Il suppose, par exemple [p. 58], que Montalte oblige les riches de se dépouiller de ce qui est nécessaire à leur condition, pour soutenir ou rétablir celle de ceux qui sont en danger de déchoir de leur état ; quoiqu’on ne puisse trouver aucun vestige de cette opinion outrée dans les lettres de Montalte.

Mais s’il a mal pris le sens de Montalte, il a parfaitement bien pris celui des jésuites sur la simonie ; et il en présente le venin sans aucun déguisement, car voici comme il parle [p. 61. 62] : « Le secrétaire de Port-Royal nous objecte, dit-il, que s’il faut pour faire la simonie qu’il y ait une vraie vente… ainsi que l’enseignent nos auteurs, … il n’y aura plus de simonie. Car qui sera assez malheureux que de vouloir contracter pour une messe, pour une profession, pour un bénéfice sous cette formalité de marchandises et de prix ? Je réponds que tout homme qui serait actuellement dans cette disposition : Je n’ai gardé jamais de vouloir égaler une chose spirituelle à une temporelle, ni de croire qu’une chose temporelle puisse être le prix d’une spirituelle, ne commettrait pas une simonie contre le droit divin en donnant quelque chose spirituelle en reconnaissance d’une temporelle qu’il aurait reçue. Je dis plus, que la disposition habituelle suffit, pour empêcher qu’on ne tombe dans le péché de simonie. Que s’il se trouve quelqu’un qui n’ait jamais eu cette disposition habituelle ou actuelle, et qui donne de l’argent pour une chose spirituelle, en sorte qu’il égale la valeur de l’un à l’autre, il commettra le péché de simonie contre le droit divin ; encore qu’il ne pense pas formellement si la chose spirituelle tient lieu de marchandise, et l’argent tient lieu de prix ». Ainsi, selon lui, il n’y a de simonie que lorsqu’on égale l’argent avec la chose spirituelle, et qu’on regarde l’un comme le prix de l’autre. Et comme cela n’est presque jamais venu dans l’esprit de personne, il s’ensuit que cet auteur abolit entièrement la simonie du droit divin.

Cette simonie du droit divin, qui est proprement la vraie simonie, et presque la seule que tous les décrets des conciles condamnent, étant une fois retranchée, les casuistes n’auront pas beaucoup de peine à anéantir aussi celle de droit positif qu’il a plu à l’apologiste de conserver.

Car premièrement si cet usage d’offrir de l’argent pour obtenir des bénéfices devient plus commun dans l’Église, il n’en faudra pas davantage pour le rendre aussitôt permis, selon les maximes des jésuites, qui veulent, comme nous l’avons expliqué ailleurs, que les lois qui ne sont que de droit positif, s’abrogent par le non-usage. C’est pourquoi parce qu’il est très ordinaire parmi les prélats de donner des bénéfices à ceux qui leur ont rendu service ; Un évêque, si on en croit les jésuites, peut sans scrupule gratifier de quelque bénéfice le fils d’un avocat qui l’a servi gratuitement. C’est ce que dit expressément l’apologiste, page 63.

Mais il n’attend pas même qu’un usage contraire ait abrogé la loi ; il trouve le moyen de la rendre inutile longtemps auparavant par cette décision qu’on trouve à la page 113. « L’excommunication portée contre ceux qui commettent simonie, n’étant, dit-il, que contre la vraie simonie, ceux qui ne sont simoniaques que contre les lois de l’Église, n’encourent point l’excommunication, à cause que la simonie ecclésiastique n’est pas à proprement parler simonie ». Or ce qu’il dit l’excommunication, on le peut dire également des autres peines. Ainsi selon cette doctrine de l’apologiste, ceux qui sont seulement coupables de la simonie de droit positif, ne sont obligés par aucune loi ni à restituer ni a quitter leurs bénéfices. Ils peuvent par le moyen d’une simple confession rentrer en grâce avec Dieu, et jouir ensuite tranquillement pendant toute leur vie des revenus de leurs bénéfices. Et comme il est presque impossible qu’on tombe dans la simonie du droit divin, étant aussi facile qu’il l’est, selon les jésuites, de l’éviter par une direction d’intention, il s’ensuit qu’il n’y a personne qu’on puisse priver de son bénéfice à cause de la simonie, personne qu’on puisse obliger à en restituer les fruits, et que par conséquent tous les décrets des conciles contre les simoniaques sont inutiles et sans aucune force, puisqu’ils ne regardent qu’un crime imaginaire et un cas métaphysique qui n’arrive jamais dans la pratique.

Mais pour donner à ceux qui aiment la pureté de la morale des armes pour combattre des maximes si pernicieuses, on peut remarquer.

I. Que tous les canons des conciles, les décrets des papes, et les décisions des Pères qui condamnent la simonie, sont tellement généraux, qu’il n’y en a point qui exceptent cette espèce de simonie où l’on donne de l’argent comme motif et non comme prix. Cependant il y aurait eu d’autant plus de nécessité de l’excepter, que cette simonie a toujours été infiniment plus commune que cette autre espèce imaginaire de simonie, qui consiste à estimer le bien temporel en lui-même autant que le bien spirituel considéré en lui-même. Par quelle autorité les casuistes ont-ils donc excepté des canons des conciles l’espèce de simonie qui est la plus connue, la plus commune, et presque la seule qui soit en usage. Mais nous parlerons avec étendue dans la suite de ces exceptions arbitraires qu’ils ont ajouté aux commandements de Dieu.

II. La plupart des canons de l’Église sont conçus dans des termes qui ne peuvent pas souffrir ces fausses interprétations. Car tantôt ils veulent qu’il n’entre aucun motif d’intérêt temporel dans la distribution des dignités ecclésiastiques : « Prenez garde, dit saint Grégoire à un évêque, qu’il ne se glisse jamais dans les ordinations que vous ferez, aucun motif d’intérêt, de peur que vous ne vous rendiez coupable de l’hérésie de la simonie : ce que je prie Dieu de ne pas permettre. »

Tantôt ils déclarent en général qu’il n’est pas permis de parvenir aux dignités ecclésiastiques en donnant de l’argent : « Si un évêque, dit un des canons des Apôtres [Can. 30], ou un prêtre, ou un diacre a obtenu par argent cette dignité, qu’il soit déposé. »

Tantôt ils défendent en général de rien offrir pour aucun ministère ecclésiastique : « Si on découvre, dit le huitième concile de Tolède, que quelqu’un ait offert quelque chose pour obtenir la dignité sacerdotale, qu’il sache que dès ce moment il est frappé d’anathème. »

Tantôt ils condamnent toutes les subtilités par lesquelles on pourrait éluder ce commandement de Jésus-Christ : Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. C’est ce qu’on peut voir dans la lettre de Gennade, patriarche de Constantinople, qui fait une partie du droit canonique de l’Église d’Orient : ou plutôt dans le décret du concile de Constantinople assemblé par ce patriarche qui le rapporte en ces termes : « Nous avons, dit-il, jugé à propos avec le saint concile qui se tient maintenant dans cette nouvelle Rome, d’abolir cette coutume impie et odieuse qui s’est glissée dans les plus saintes églises, et d’en ruiner absolument tous les artifices, tous les prétextes, et toutes les subtilités dont on tâche de la couvrir, afin que personne n’étant élevé aux ordres que d’une manière pure et éloignée de toute convention criminelle, la grâce du Saint Esprit descende sur ceux qui sont ordonnés, en même temps que la proclamation en est faite par les évêques etc. »

III. Enfin les souverains pontifes condamnent généralement tous ces détours qui ne changent que les noms et non les choses : comme si le changement du nom pouvait faire changer et la nature du crime et la peine qui lui est due. Ce sont les paroles d’Innocent III dont on peut voir la suite dans la lettre de Montalte.

Il est facile maintenant de réfuter par ces autorités ce que dit Escobar, que celui qui obtient un bénéfice en promettant de l’argent qu’il n’a point intention de donner, n’est point simoniaque. Car puisque la simonie consiste proprement à obtenir par argent un bénéfice, un ordre, ou quelque autre chose spirituelle, il est évident qui celui qui promet de l’argent, soit qu’il s’acquitte ou non de sa promesse, ne l’obtient pas moins par argent, que celui qui a effectivement donné de l’argent, puisque le bénéfice n’est accordé à l’un et à l’autre qu’à cause de l’argent.

De plus la simonie est à l’égard des collations des bénéfices, ce que la corruption ou la subordination est à l’égard des jugements. Or celui qui a promis de l’argent pour obtenir un jugement, n’a pas moins corrompu son juge, quoiqu’il ne l’ait pas donné, que celui qui l’a promis et qui l’a donné. Donc celui qui a promis de l’argent pour obtenir un bénéfice, n’est pas moins simoniaque, quoiqu’il n’eût pas intention de le donner, que celui qui l’a promis et qui l’a donné.

Enfin les conciles ne défendent pas seulement de donner de l’argent, ils défendent aussi d’en promettre. Que personne dit le concile de Melfi tenu en 1090 ne tâche à l’avenir d’obtenir la dignité épiscopale en faisant des présents ou des promesses, ou en donnant de l’argent, ou en rendant à ce dessein ou promettant de rendre quelque service.

On voit par là avec quelles précautions les conciles ont prévenu les distinctions et tous les vains subterfuges des casuistes.