Petites écoles
Tous les Solitaires s’intéressèrent à la pédagogie ; leurs écoles (après avoir fonctionné à Port-Royal) le firent à partir de 1646 dans une maison du cul-de-sac de Saint-Dominique à Paris. À la suite de tracasseries policières, une partie des élèves alla en 1649 s’installer au presbytère de Magny-les-Hameaux et une autre partie dans la ferme des Granges. Afin de les rassembler, on construisit en 1651-1652 le bâtiment dans lequel est installé le Musée. Il y eut alors des Petites Écoles dans trois endroits différents, au château des Trous, près de Chevreuse, à celui du Chesnay près de Versailles, et aux Granges. En 1660, la dernière d’entre elles, celle du Chesnay, fut fermée par la police.
Éphémères, peu abondantes en élèves, les Petites Écoles, dont Pierre Floriot fut un moment préfet des études, ont cependant tenu un rôle capital dans l’histoire de la pédagogie. C’est là, d’abord, qu’on commença à faire apprendre à lire aux enfants, non dans des livres en latin, mais dans des livres en français. On y mit ensuite le grec à l’honneur. On y eut des classes peu nombreuses, le maître pouvant de la sorte suivre personnellement chaque enfant à qui on essayait de donner l’impression du foyer familial. Devançant certaines méthodes modernes, on répugnait à développer l’esprit de compétition entre les élèves. Enfin c’est pour eux qu’ont été composées outre diverses traductions et anthologies comme l’Epigrammatum delectus, ces ouvrages capitaux que sont la Logique, la Grammaire, les Nouvelles Méthodes pour apprendre le grec, le latin, l’italien, le Jardin des Racines Grecques et les Nouveaux Eléments de Géométrie qui ont été réédités jusqu’au milieu du XIXe siècle, preuve de leur valeur et de leur qualité.
Parmi les principaux élèves des Petites Écoles, il faut citer les frères Thomas du Fossé et Le Nain de Tillemont. Fils de Gentien Thomas du Fossé, maître des comptes à Rouen et pénitent de Saint-Cyran, Pierre Thomas du Fossé non seulement publia les Mémoires de Pontis et les traductions de la Bible, que Sacy n’avait pas encore données au public, mais il écrivit encore en collaboration avec Sacy une Vie de Saint Barthélémy des Martyrs et composa aussi des ouvrages originaux, des Mémoires surtout d’un grand intérêt.
Quant à Le Nain de Tillemont, il est le fondateur de l’histoire religieuse, qu’il dégagea de l’hagiographie. Chassé par la persécution de Port-Royal en 1679, il se retira dans la propriété familiale de Tillemont, où il rédigea ses Mémoires pour servir à l’Histoire Ecclésiastique des six premiers siècles. Digne contemporain de Richard Simon, le créateur de l’exégèse, et des Bénédictins de Saint-Maur, il a jeté les bases de la critique historique. Trop pieux pour accepter qu’on le portraiturât, « après ma mort, disait-il, on ne fera de moi ce qu’on voudra. Je n’en serai plus responsable ».
Orphelin, sans ressources, élevé à Port-Royal où sa grand-mère devenue veuve et sa tante étaient religieuses, Racine eut pour maîtres Antoine Le Maître, Lancelot, Nicole, Hammon, et pour condisciples Pierre Thomas du Fossé et le duc de Chevreuse, à qui il dédiera Britannicus. C’est là qu’il fit ses premiers vers, le Paysage ou les Promenades de Port-Royal des Champs, en particulier. Entré au service du très janséniste duc de Luynes, il se détacha cependant de Port-Royal qui blâmait ses ambitions littéraires et son arrivisme. Trouvant dans un passage des Lettres sur l’Hérésie Imaginaire de Nicole, un prétexte pour rompre avec ses anciens maîtres, et poussé sans doute par Péréfixe qui lui offrait comme salaire un canonicat, il lança en 1666 contre Nicole sa Lettre à l’auteur des Hérésies Imaginaires et en prépara deux autres qu’il n’osa pas publier, peut-être par crainte de voir son ingratitude condamnée par l’opinion. Sans avoir complètement rompu alors avec Port-Royal, il ne s’en rapprocha toutefois décidément qu’en 1677, après être devenu historiographe du Roi et avoir renoncé au théâtre. Il écrit alors des œuvres sacrées pour la Cour, Esther, Athalie, les Quatres Cantiques Spirituels. Il compose également des ouvrages pour les gens de Port-Royal, écrit les Hymnes tirées du Bréviaire Romain pour le bréviaire que publie en 1688 le janséniste Le Tourneux, rédige un poème pour accompagner un portrait d’Arnauld et donne surtout l’admirable Abrégé de l’Histoire de Port-Royal dont la 1ère partie ne paraîtra qu’en 1742, et encore fut-ce à Cologne, et la 2e à Vienne en 1767. Il fréquente les jansénistes les plus notoires, confie au très augustinien Rollin l’éducation de son fils Jean-Baptiste, élève dans le christianisme le plus austère ses enfants parmi lesquels Louis écrira un poème sur la Religion. Il s’entremet auprès de la Cour et des archevêques de Paris en faveur de Port-Royal : Clémencet rappelle une de ces démarches au tome VIII de son Histoire Générale de Port-Royal. Et c’est à Port-Royal qu’il souhaite être inhumé dans son testament. Aussi les Nécrologes jansénistes du XVIIIe siècle célébrèrent-ils à l’envi cet élève des Petites Ecoles qui demeure pour nous la gloire la plus éclatante de Port-Royal avec cet autre « Ami du Dehors » qu’est Pascal.