P10 : NOUËT - Lettre à une personne de condition

 

NOUËT Jacques, Lettre à une personne de condition sur le sujet de celles que les jansénistes publient contre les jésuites (ou Seconde réponse aux lettres des jansénistes)

Nouët Jacques, Lettre à une personne de condition sur le sujet de celles que les jansénistes publient contre les jésuites, 1656, 8 p. in-4° (Coll. LP: 383, 38). Voir sur cet opuscule GEF V, p. 164 sq. Il a été réimprimé dans le recueil de 1657 sous le titre de Seconde Réponse. Le recueil PR 382 porte la note : "par un jésuite". BJB 2937 b l’attribue au P. Nouët.

Cette Lettre aurait été écrite après la VIIIe Provinciale. Publication après la IXe Provinciale, puisqu’elle est mentionnée dans le début du texte.

A ne pas confondre avec NOUËT Jacques, Lettre écrite à une personne de condition sur la conformité des reproches et des calomnies que les jansénistes publient contre les Pères de la Compagnie de Jésus avec celles que le ministre Du Moulin a publiées devant eux contre l’Église Romaine dans son livre des Traditions, imprimé à Genève en l’année 1632.

GEF V, p. 164 sq. Écrit réimprimé dans le recueil de 1657 sous le titre de Seconde Réponse aux lettres des jansénistes (ou Deuxième réponse sur la page de couverture). Extraits dans GEF V, p. 164-166 : texte intégral in Réponses..., éd. de 1658, p. 57 sq. Voir ce texte dans le dossier correspondant.

Note portée sur le recueil PR 382 : "par un jésuite". BJB 2937b attribue cette lettre au P. Nouët. Selon Cognet, l'auteur serait le même que celui de la Première réponse.

Voir éd. Cognet, p. L: cette Lettre consiste uniquement en railleries sur le début de la huitième Provinciale, où Pascal déclare n'être ni docteur, ni théologien. Voir aussi la note de la p. 194 (Provinciales, éd. Garnier).

On trouve le texte dans le recueil des Réponses aux lettres Provinciales, éd. de 1658, p. 57 sq.

L’éd. de L. Cognet, p. L, suit BJB 2937 b, et attribue cette lettre au P. Nouët. Selon Cognet, l'auteur serait le même que celui de la Première réponse. Voir l’éd. Cognet, p. L : cette Lettre consiste uniquement en railleries sur le début de la huitième Provinciale, où Pascal déclare n'être ni docteur, ni théologien. Voir aussi la note de la p. 194 (Provinciales, éd. Garnier).

GEF V, p. 164 sq : Écrit réimprimé dans le recueil de 1657 sous le titre de Seconde Réponse aux lettres des jansénistes. Extraits dans GEF V, p. 164-166 : texte intégral in Réponses..., éd. de 1658, p. 57 sq. On trouve aussi le texte dans le recueil des Réponses aux lettres Provinciales, éd. de 1658, p. 57 sq.

JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 293 sq. L'édition fait preuve d'un certain luxe, puisqu'elle offre une véritable page de garde sur laquelle le titre est centré, et que le texte ne commence qu'en page 3. Le texte insiste sur le fait que l'auteur des Provinciales n'est ni théologien ni docteur. L’auteur de l’ouvrage tente de retourner contre l'adversaire sa propre stratégie : comment un écrivain qui n'est pas théologien peut-il, après avoir refondu toute la théologie de la grâce en quelques lettres, entreprendre de réformer à lui seul la morale des jésuites?. Il tente de faire passer Pascal pour un railleur dénué de science. La manière d'écrire de Pascal, "pleine de rencontres ingénieuses", ne convient pas à un ecclésiastique.

L'édition fait preuve d'un certain luxe, indique Olivier Jouslin, La campagne des Provinciales de Pascal, p. 293 sq., puisqu'elle offre une véritable page de garde sur laquelle le titre est centré, et que le texte ne commence qu'en page 3. Le P. Nouët vise à faire passer Pascal pour un railleur dépourvu de science. On ne doit pas, selon lui, chercher qui est l'auteur des Provinciales : en avouant ne pas être docteur, il rend tout son art argumentatif inutile : p. 3-6. Le fait qu'il se présente au début proche de Port-Royal, mais éloigné et neutre dans la huitième lettre ruine sa crédibilité. La manière d'écrire de Pascal, « pleine de rencontres ingénieuses », son style divers et brillant et son ton intéressent tout le monde, riches, valets, libertins, bons esprits, mais ils ne conviennent ni à un docteur, ni à un prêtre. Dans une tentative pour retourner contre l'adversaire sa propre stratégie, le P. Nouët demande comment un auteur qui n'est pas théologien peut, après avoir refondu toute la théologie de la grâce en quelques lettres, entreprendre de réformer à lui seul la morale des jésuites ? Pour le croire, il faudrait se méfier de tous les docteurs en place, ce qui entraînerait des abus et un désordre épouvantables : p. 7. Extraits dans GEF V, p. 164-166 ; texte intégral in Réponses..., éd. De 1658, p. 57.

GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 191.

JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 293 sq. L'édition fait preuve d'un certain luxe, puisqu'elle offre une véritable page de garde sur laquelle le titre est centré, et que le texte ne commence qu'en page 3. Le texte insiste sur le fait que l'auteur des Provinciales n'est ni théologien ni docteur. L’auteur de l’ouvrage tente de retourner contre l'adversaire sa propre stratégie : comment un écrivain qui n'est pas théologien peut-il, après avoir refondu toute la théologie de la grâce en quelques lettres, entreprendre de réformer à lui seul la morale des jésuites ? Il tente de faire passer Pascal pour un railleur dénué de science. La manière d'écrire de Pascal, "pleine de rencontres ingénieuses", ne convient pas à un ecclésiastique.

GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 191.

 

Lettre écrite à une personne de condition,

Sur le sujet de celles que les Jansénistes publient contre les Jésuites.

Puisque vous voulez absolument savoir le jugement que je fais de ces lettres de conscience, où la morale des jésuites est si agréablement débitée, je ne puis plus m’en excuser, ni différer davantage à vous donner la satisfaction que vous désirez. Je commencerai donc par les qualités de l’auteur, qu’il est bon de connaitre avant que de juger de son ouvrage ; et de peur de tomber en de faux soupçons, et d’essayer inutilement, comme plusieurs autres, de deviner qui il est, je me contenterai pour cette heure de vous dire ce qu’il n’est pas. Il me semble que je le puis faire aisément sans m’éloigner de ses sentiments ni de ses paroles. Car il avoue tout simplement dans sa huitième lettre page 1 qu’il n’est pas ce qu’on pense, qu’on le prend pour un docteur de sorbonne, mais qu’il ne le faut pas croire, et même qu’il n’est ni prêtre, ni ecclésiastique. Cette reconnaissance pleine de modestie édifie le lecteur, et ne laisse pas d’être utile et glorieuse à son auteur. Car qui n’admirera, qu’un homme l’ai ait eu assez de courage pour entreprendre un dessein aussi considérable qu’est celui de réformer toute la doctrine Morale de ces pères, qui est d’une si vaste étendue, que la vie d’un homme pourrait à peine suffire à la seule lecture de tous les volumes qu’il prend à tâche de corriger ? Qui ne voit clairement par-là, combien il est avantageux d’avoir commerce avec ces savants disciples de saint Augustin, qui ont des grâces du ciel si efficaces et si extraordinaires, qu’ils peuvent diriger les consciences sans être ecclésiastiques, discerner la lèpre spirituelle des âmes sans être prêtres, enseigner la doctrine des mœurs sans être docteurs, et devenir théologiens soudain qu’ils ont appris au Port-Royal à mettre des souliers en forme ? Après cela ne se peuvent-ils pas bien passer de la Sorbonne, et n’ont-ils pas sujet de se rire du pouvoir prochain, et bannir honteusement ces termes barbares, pour se venger du tort qu’elle leur a fait, en effaçant le nom de leur digne chef du nombre de ses véritables enfants.

D’ailleurs ce n’est pas une petite adresse à cet écrivain, d’avertir le public qu’on se garde bien de le prendre pour un docteur de Sorbonne, parce qu’ayant tiré une grande partie des reproches qu’il fait aux Jésuites de cette fameuse Théologie Morale, qui fut lacérée à Bordeaux par arrêt du Parlement l’an 1644 et d’un seul Libelle, ayant déjà fait huit lettres fort longues, il ne peut ignorer la réponse du p. Caussin, ni les moyens de défense qu’il a employés dans son apologie, entre lesquels la conformité de leurs opinions avec celles des plus illustres docteurs de cette Faculté, est une puissante preuve de leur justification. De peur donc que quelqu’un de ces bons Pères ne s’avise de prendre contre lui ces mêmes armes, il veut que tout le monde sache qu’il n’est point Docteur de sorbonne, que son zèle n’épargne personne, soit sorboniste ou jésuite, et qu’il ne craint pas de blâmer avec une sainte liberté le désordre des mœurs en quelque lieu qu’il se trouve. Ne voyez-vous pas, Monsieur, de quelle conséquence est ce désaveu, pour leur ôter l’espérance de pouvoir se mettre à couvert à l’ombre de la Sorbonne, et se prévaloir du consentement général des casuistes, qui se trouvent par malheur trop favorables à leur parti. Par exemple, s’ils lui opposent que Monsieur du Val enseigne avec eux, qu’il suffit de suivre une opinion sûre et probable, et que l’on peut sans faillir quitter celle qui a plus de probabilité : Asserendum est satis esse tutam et probalitem opinionem sequi, et probabiliorem posse optimè relinqui. Il leur dira ingénieusement, je ne suis point docteur de Sorbonne, je ne suis pas tenu de savoir ce qu’on y enseigne, et beaucoup moins encore de l’approuver. S’ils lui remontrent qu’il a tort de les accuser en la sixième lettre page 3 de ce qu’ils établissent avec tant de soin, qu’un seul docteur s’il est grave, peut rendre une opinion probable, puisque Major, qui est docteur de Paris, reconnait, qu’un auteur peut corriger l’opinion de plusieurs : qu’il ne faut pas toujours avoir égard à la multitude, mais qu’avec le nombre il faut aussi considérer la science des auteurs, parce qu’ainsi qu’un homme fort et vigoureux en vaut bien deux ou trois plus faibles, de même un bon esprit ayant examiné soigneusement une difficulté, en vaut bien trois autres qui lui sont inférieurs. Il aura sa défaite toute prête. Ne vous l’ai-je pas déjà dit, que je ne suis point docteur de Sorbonne ? Qu’on ne m’en parle plus, je ne puis souffrir ces probabilités, qui causent une corruption si horrible dans l’Église, et quand je serais tout seul de mon sentiment, dussé-je avoir tous les casuistes à dos, je soutiens qu’un seul auteur, (si ce n’est peut-être Monsieur Jansénius) quelque grave qu’il puisse être, quand il pèserait autant que toute la Sorbonne ensemble, ne peut faire une opinion probable. Enfin s’ils pensent se couvrir de l’autorité d’un nombre infini de savants hommes, qui ne sont point de leur compagnie, ni de la Faculté de Paris, et qui tiennent toutefois les opinions qu’il condamne ; avec la même générosité qu’il a renoncé à la qualité de docteur de Sorbonne, il méprisera celle de théologien, et leur dira, Mes pères, si vous avez mal rencontré. Car je n’ai jamais étudié les cas de conscience sinon en deux livres, dans la Théologie Morale qu’on vous attribue, que j’ai lue exactement à dessein d’en faire mon profit, et dans Escobar, que j’ai parcouru, afin d’en rire innocemment, et de divertir ceux qui me font l’honneur de lire mes lettres. Mais sans mentir je trouve que vous êtes insupportables, d’avoir ainsi réduit toutes les règles de la morale à des probabilités, afin de vous mettre par-là en possession de disposer chacun selon sa fantaisie, de tout ce qui regarde la conduite des consciences. Jugez, Monsieur, si cette franchise n’est pas tout à fait aimable, et s’il n’a pas trouvé un merveilleux secret pour désarmer les jésuites, et prévenir toutes leurs réponses, en désavouant tout d’un coup toute la Sorbonne, et toute l’École de la Théologie, qui leur pourrait servir de défense.

Au reste, s’il a eu raison de se défaire de la qualité de docteur, qui lui pourrait beaucoup nuire, ne vous semble-t-il pas qu’il a encore mieux fait de quitter celle de Prêtre ?

Il voyait bien que cette manière d’écrire pleine de rencontres ingénieuses, où il excelle certainement, et qui lui réussit à merveille, n’était pas autrement convenable à une personne sacrée qui approche des autels, et que s’il eut pris la qualité d’ecclésiastique, il eut été obligé pour garder quelque bienséance de parler un peu plus sérieusement, et d’abandonner le personnage qu’il fait le mieux, qui est celui de plaisant et de railleur. Car il faut avouer qu’il sait mieux qu’un homme du monde l’art du ridicule, et qu’il s’en sert avec toute la perfection qu’on peut souhaiter. Se peut-il rien dire de plus délicat que le pouvoir prochain de sa première lettre, de plus surprenant que le Mohatra de la huitième, de plus falot que le conte de Jean d’Alba, de plus nouveau que la simplicité de ce bon père jésuite, qu’il sait bien entretenir, qu’il lui fait croire qu’il ne rit pas, lorsqu’il fait rire tout le monde à ses dépens ? Je dis tout le monde : car, comme tous ne se plaisent pas à même jeu, il n’y a sorte de railleries qui ne se trouve dans ses lettres, afin de servir au divertissement de toutes sortes de personnes. Il y en a de subtiles pour délasser les bons esprits, d’utiles pour intéresser les riches, de basses pour amuser les valets et les servantes, d’impies pour contenter les libertins, de sacrilèges pour faire danser les sorciers au sabath. Or vous savez qu’un prêtre, un ecclésiastique n’eut pas osé se donner cette liberté : elle eut été plus indécente à sa personne, et n’eut pas été si bien reçue. Sans doute il a bien jugé qu’on la prendrait mieux de toute autre, et que cela seul qu’un homme l’ai qui n’est ni docteur, ni prêtre, ni ecclésiastique se mêle de réformer les cas de conscience, serait capable de faire rire les plus mélancoliques, et de les mettre en belle humeur.

Mais ne remarquez-vous pas encore, Monsieur, qu’en protestant qu’il n’est point Ecclésiastique, il a su par une admirable industrie rendre toutes ses railleries innocentes ; ce qui était extrêmement difficile dans un sujet de cette nature. Car il ne se peut dire avec quel artifice il a déguisé la doctrine de ces bons pères, afin de lui donner un faux visage, et nous apprêter à rire ; et comme personne ne prend plaisir à défrayer les compagnies, ils se plaignent à toute la terre des calomnies et des impostures dont ses lettres sont remplies. D’ailleurs la théologie des mœurs étant une science sacrée, il était apparemment impossible qu’il ne donnât aux gens de bien un sujet de le soupçonner d’impiété, en se moquant des choses du monde les plus saintes. Et puis enfin on dirait à voir comme il parle de la doctrine des casuistes, qui durait être la science des confesseurs, et la règle de toute leur conduite dans le gouvernement des âmes, qu’elle n’est plus aujourd’hui qu’une source empoisonnée qui corrompt les bonnes mœurs ; si bien que si l’on ajoutait foi à ce qu’il dit, il faudrait se défier de tous les directeurs de consciences, et abolir l’usage des confessions, qui ne serait plus qu’un abus et un désordre épouvantable, s’il était tel qu’il nous le représente.

Qu’a-t-il donc fait pour empêcher le mauvais effet que pouvait produire contre son intention cette humeur enjouée, qui pense plus à se divertir qu’à nuire ? Il a fait voir clairement à tout le monde, que s’il ne voulait pas être connu, il ne voulait pas non plus être cru, que c’était assez pour lui de faire peur aux jésuites sans leur faire mal, et que s’il se riait des confesseurs, c’était sans dessein de détourner les pénitents de la pratique ordinaire des confessions. Car se déclarant ouvertement janséniste dès sa première lettre, et protestant dans la huitième qu’il n’est ni docteur de Sorbonne, ni prêtre, ni ecclésiastique, pouvait-il mieux nous apprendre quelle créance il voulait qu’on donnât à ses écrits, et avec quelle réserve il les fallait lire ? Qui voudrait condamner la conduite des plus sages Confesseurs sur la parole d’un homme qui n’a ni la science des docteurs, ni l’expérience des prêtres ? Et enfin qui serait si peu raisonnable, que de vouloir réformer tous les prêtres et tous les ecclésiastiques sur les lettres d’un gaillard, qui confesse lui-même qu’il ne tient aucun rang dans l’Église, que d’une brebis égarée qui s’est rangée au Port-Royal pour effacer ses péchés en riant des fautes d’autrui. Véritablement, Monsieur, si quelques-uns étaient encore assez crédules pour recevoir les mauvaises impressions que cet auteur semble donner de la Sorbonne et des jésuites, après les avoir avertis comme il a fait, je ne l’oserais pas obliger à réparation d’honneur. Mais comme je n’ai pas aussi le pouvoir de l’absoudre entièrement, il me suffira pour le remercier de la peine qu’il prend à nous divertir, de lui dire qu’après nous avoir dit ce qu’il n’est pas, il ne lui prenne point envie de nous dire qui il est. Pour moi, Monsieur, ayant l’honneur d’être connu de vous depuis longtemps, vous savez que je suis.