Aspects littéraires
L'entrée de Pascal dans la polémique
Il y a deux versions de l’intervention de Pascal dans la polémique : l'une veut que Pascal se soit proposé de lui-même ; l'autre qu'il ait été sollicité. La seconde s’accorde avec le thème des ennemis de Port-Royal, que les docteurs jansénistes ont fait appel à un secrétaire pour présenter leurs arguments dans un style adapté à des lecteurs mondains. Mais c’est la première qui s'impose. Elle est conforme à ce qu'on sait de l'évolution spirituelle de Pascal. Le récit de Nicole dans la quatrième édition latine de Provinciales et la traduction de Melle de Joncoux indiquent que Pascal a pris l'initiative. Voir GEF VII, p. 60 et p. 65 sq., la troisième préface de Wendrock.
En janvier 1656, Blaise Pascal a 32 ans. Une longue crise de conscience l'a, en 1654, conduit à la nuit du Mémorial. Sa sœur Jacqueline a pu espérer un moment qu'il deviendrait un des Solitaires, mais il a vite repris une relative indépendance, se contentant d'être pour Port-Royal un ami dévoué et sûr. Il a apporté au groupe janséniste sa renommée de savant, mais depuis sa conversion, il semble avoir renoncé à publier ses travaux scientifiques et mathématiques. Pour ce qui touche la théologie, il s’est familiarisé depuis 1648, donc bien avant la nuit de feu, avec la pensée et les œuvres de saint Augustin ; il connaît les débats qui ont conduit à l’affaire Arnauld. Fin 1655, il a commencé à rédiger un ensemble de trois ouvrages, connus sous le titre d’Ecrits sur la grâce, qui abordent les problèmes de la possibilité des commandements, et de la prédestination et de la grâce. Ces ouvrages, parce qu’ils ont été édités de manière partielle, et surtout dans un désordre qui en rendait la lecture quasi impossible, ont été négligés longtemps. Ce n’est que depuis que Philippe Sellier a publié sa thèse sur Pascal et saint Augustin, et surtout depuis que Jean Mesnard a établi une édition entièrement renouvelée des Écrits sur la grâce, que la Lettre sur la possibilité des commandements, de peu antérieure à la première Provinciale, le Discours sur la possibilité des commandements, contemporain des premières Petites Lettres, et le Traité de la prédestination et de la grâce, à peu près contemporain des dernières Provinciales, ont montré que Pascal connaissait à fond la doctrine augustinienne, et qu’il s’était préoccupé de l’exposer dans un français accessible à tous. Il était donc tout désigné pour prendre la relève dans une affaire comme celle du pouvoir prochain.
Voir SELLIER, Port-Royal et la littérature, I, p. 170. Le degré de maîtrise nécessaire pour atteindre la rapidité de rédaction de la première Provinciale s’explique par l’intensité du travail fourni par Pascal dans l’année 1655. Pascal compose l’Entretien avec M. de Sacy, l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ, L’esprit géométrique ; c’est aussi l’année où il entreprend les Écrits sur la grâce : p. 170.
PASCAL, Œuvres complètes, III, éd. J. Mesnard, p. 575 sq. Sources et origines du concept de pouvoir prochain. La différence entre le pouvoir prochain dans la Lettre sur la possibilité des commandements et la première Provinciale, c'est que dans le premier écrit, Pascal ne tourne pas le pouvoir prochain en dérision. Le pouvoir prochain disparaît après la Lettre sur la possibilité des commandements. Pascal a décidé d'abandonner un terme barbare et dangereux. Au moment où Pascal écrit la Lettre, il ne soupçonne manifestement pas l'ambiguïté de l'expression de pouvoir prochain, qui a été révélée en 1655 par Lalane ; la première Provinciale en revanche s'inscrit dans un cadre qui tient compte de cette équivoque. Pascal emploie encore l'expression de pouvoir prochain dans la partie la plus ancienne du Discours, avec une définition analogue à celle qu'il donne dans la première Provinciale : "auquel il ne manque rien de la part de Dieu pour agir" (D1, §2) : p. 581. Il tentera de créer un vocabulaire nouveau, plus conforme aux habitudes des honnêtes gens, avec pouvoir et possibilité.
On a pensé que Pascal partit vers le début de janvier 1656 faire un séjour à Port-Royal des Champs. C’est ce que prétend par exemple CLÉMENCET, Histoire de Port-Royal, Livre IX, LXXXVI, p. 441 sq. Baudry d' Asson de Saint-Gilles écrit : « Au moment de l'année 1656, j'étais à Port-Royal des Champs. M. Pascal, qui y était aussi, y commença les Petites lettres. » Voir OC I, p. 470, Journal de Saint-Gilles, 27 janvier 1656. J. Mesnard a établi qu’en janvier 1656, Arnauld se cache à Paris, de même que Lemaître de Sacy, comme l'indique une lettre de la Mère Angélique adressée à son frère Antoine vers janvier : « Encore que nous ayons été consolées de voir mon cher neveu de Sacy, néanmoins ç'a été avec douleur de vous savoir seul, et, s'il ne fallait pas aimer tout ce que Dieu fait, je regretterais le pauvre frère Simon, sur qui je ,me reposais avec assurance pour son grand soin. On m'a dit que vous auriez M. Pascal ; j'en suis bien aise. Mais cela n'est bon que pour le spirituel. Pour le reste, je ne sais à qui vous pensez ; il vous faut quelqu'un. » Contre la fiction de la retraite de Pascal à Port-Royal, voir OC I, p. 468. La collaboration entre Pascal et Arnauld a eu lieu à Paris, rue Christine de la paroisse Saint-André des Arts, non loin du domicile de Pascal, rue des Francs-Bourgeois.
D'autre part, Arnauld devait sentir qu'il était insuffisant pour la lutte : l'affaire janséniste n’était plus désormais l'apanage des spécialistes, elle atteignait le grand public cultivé, et l'on en discutait dans les salons tout autant qu'à la Sorbonne. Or sa science patristique assurait à Arnauld une place éminente parmi les théologiens ; mais ses apologies à la faculté sont illisibles pour le commun des lecteurs. Nicole mis à part, il en va de même des autres défenseurs de Jansénius, Lalane, Bourzeis ou Barcos. Les jésuites étaient mieux fournis en publicistes, avec le. P. Pinthereau ou le P. Annat, capables d’arguments brutaux, peu délicats sur le choix des procédés, mais dont la vigueur ne manquait pas d’efficacité C'est dans ce contexte que s’imposa l’intervention de Pascal.
MESNARD Jean, « Pierre Nicole ou le janséniste malgré lui », Chroniques de Port-Royal, n° 45, 1996, p. 239. Dans quelle mesure les Provinciales sont-elles le fruit d’une collaboration entre Nicole et Pascal ? La seule dette que Pascal ait jamais reconnue est l’apport par Arnauld et Nicole des extraits des casuistes. Fouillou et Beaubrun ont insisté sur la dette à l’égard de Nicole, mais ils commettent une erreur sur la première lettre. Ils affirmennt que la première lettre aurait été revue par Nicole à Port-Royal des Champs ; affirmation gratuite, suggérée par la prise en compte de deux documents erronés : le récit de Marguerite Périer sur une prétendue invitation faite par Arnauld à Pascal de participer à sa défense lors d’une assemblée tenue à Port-Royal des Champs, et une interpolation dans le Journal de Saint-Gilles affirmant faussement la présence de Pascal aux Granges vers le début de l’années 1656. Il ne faut pas surévaluer la dette.
Les Mémoires de Charles Perrault témoignent que l'idée de porter le débat devant le grand public était dans l'air. Son frère le docteur de Sorbonne Nicolas Perrault était ami de Port-Royal. Au cours du mois de janvier 1656, il eut l’occasion d'expliquer à ses frères et à quelques amis le sujet des controverses. « Nous vîmes par là, écrit Perrault, que la question méritait peu le bruit qu'elle faisait. » Un des frères Perrault en parla à Nicolas Vitart, cousin de Racine, intendant du duc de Luynes. Il fit conseiller par Vitart aux Messieurs de Port-Royal d'informer le public par le moyen d'un libelle. Huit jours après, Vitart lui apporta la première Provinciale comme le fruit de leur conversation. La suggestion transmise par Vitart correspondait sans doute aux préoccupations des gens de Port-Royal. Arnauld avait composé un écrit, peut-être sa Lettre apologétique à un évêque, qui fut publiée un peu plus tard avec la date du 10 mars. Marguerite Périer, nièce de Pascal, rapporte les circonstances dans lesquelles naquit la première Provinciale ; voir in OC I, p. 1126 sq., les Additions au Nécrologe : « (M. Arnauld) fit donc un écrit, lequel il lut en présence de tous ces Messieurs, qui n'y donnèrent aucun applaudissement. M. Arnauld, qui n'était point jaloux de louanges, leur dit : « Je vois bien que vous trouvez cet écrit mauvais, et je crois que vous avez raison. » Puis il dit à M. Pascal : « Mais vous, qui êtes jeune, vous devriez faire pour (sic) quelque chose. » M. Pascal fit la première lettre, la leur lut. M. Arnauld s'écria : « Cela est excellent, cela sera goûté. Il faut le faire imprimer. » On le fit, et cela eut le succès qu'on a vu. On continua. » Mais les anecdotes transmises Marguerite Périer sont souvent suspectes. Nicole en tête de la 4e édition de sa traduction latine des Provinciales, rapporte une version différente. Après avoir raconté, la conversation entre les Solitaires, où quelqu'un lança l'idée d'un factum destiné au commun des lecteurs, Nicole ajoute : « Tous approuvèrent ce dessein, mais personne ne s'offrait pour le réaliser. Alors Montalte, qui n'avait encore presque rien écrit, et qui ne connaissait pas combien il était capable de réussir dans ces sortes d'ouvrage, dit qu'il concevait à la vérité comment on pouvait faire ce factum, mais que tout ce qu'il pouvait promettre était d'en ébaucher un projet, en attendant qu'il se trouvât quelqu'un qui pût le polir et le mettre en état de paraître. Voilà comment il s'engagea simplement, et ne pensait pour lors à rien moins qu'aux Provinciales. Il voulut le lendemain travailler au projet qu'il avait promis ; mais, au lieu d'une ébauche, il fit tout de suite la première lettre, telle que nous l'avons. Il la communiqua à un de ses amis, qui jugea à propos qu'on l'imprimât incessamment, et cela fut exécuté. » Pascal écrivit donc sa première lettre d'un seul jet, à titre de simple démonstration, sans songer à s'engager dans une entreprise d’envergure. Cependant, les lignes finales de la première Provinciale montrent qu'on envisageait dès lors de leur donner une suite.
Voir JOUSLIN Olivier, Pascal et le dialogue polémique, I, p. 227 sq., qui cite des témoignages sur l'entrée en scène de Pascal : p. 230. Port-Royal a dû vouloir tirer parti du passé de son polémiste.
Certains historiens ont fait des suppositions sur les interventions qui ont pu déterminer Pascal. Voir par exemple PICARD Raymond, La carrière de J. Racine, p. 26 sq., sur l'influence possible de Vitart ; voir GEF VII, p. 59-60. Extrait des Mémoires de Perrault ; SAINTE-BEUVE, Port-Royal, III, VII, t. 2, p. 67-68.
OC I, p. 964 sq. Extrait des Mémoires de Perrault. Origine des Provinciales. Rôle de Vitart dans la genèse de la première Provinciale.
GAZIER Augustin, Histoire générale du mouvement janséniste, I, p. 99 sq. et p. 103 sq.
L’hypothèse de LE GUERN Michel, Pascal et Arnauld, Paris, Champion, 2003, p. 63, sur une intervention de Jacqueline auprès de son frère, est, comme de coutume, une pure imagination.
OC I, p. 977 sq. Récit de l’abbé Massillon sur les Provinciales.
OC I, p. 966. Préface du Nécrologe de Port-Royal.
DU FOSSÉ, Mémoires, XVII, p. 151.
CLÉMENCET, Histoire de Port-Royal, Part. I, Liv. IX, p. 7442 sq.
Recueil d'Utrecht, p. 277 sq.
RAPIN René, Mémoires, Livre X, éd. Aubineau, t. 2, p. 300 sq.
FERREYROLLES, Les Provinciales, p. 35 sq.
Anonymat des écrits polémiques de Port-Royal
FONTAINE Nicolas, Mémoires ou histoire des Solitaires de Port-Royal, éd. P. Thouvenin, Paris, Champion, 2001, p. 632. Sur Arnauld défenseur de la grâce (1655-1656) : « Le dernier retranchement de ces personnes contre les ouvrages de M. Aranuld et de ses amis sur la grâce était qu’ils paraissaient sans nom. Ils prenaient de là comme un juste sujet de les décrie et de les rendre suspects. Ils répandaient dans le monde que les auteurs de ces écrits les croyaient eux-mêmes si dangereux, qu’ils n’osaient y mettre leurs noms. O malice ignorante et aveugle, qui ne sait pas qu’il y a plus de douze ou treize siècles que l’on a objecté la même chose à de très saints évêques, et qu’ils s’en sont admirablement justifiés ! « Pourquoi, dit Salien, s’informe-t-on quel est l’auteur de ces livres ? Pourquoi veut-on savoir son nom ? Si cette curiosité pouvait produire quelque bien on aurait raison ; que si elle est inutile, pourquoi se donne-t-elle de la peine en vain ? C’est le fruit, c’est l’utilité qu’il faut chercher dans les livres qui paraissent, et non l’auteur qui les a faits. Si la lecture seule est avantageuse à ceux qui les lisent, de quoi leur peut servir un nom ? ».
Montalte
Sur les recherches sur l’identité de l’auteur des Provinciales, voir VIII, 1.
Les Petites Lettres étaient anonymes. Le nom de Montalte n'est apparu que dans la publication des Provinciales en volume collectif. Il faut donc utiliser cette dénomination avec prudence : elle suppose une unité du personnage de l'auteur qui est peut-être un pur effet de perspective rétrospective. Sur ce sujet, l'article de KUENTZ, “Un discours nommé Montalte”, est très utile.
DONETZKOFF Denis, Saint-Cyran épistolier. D’une rhétorique savante à l’éloquence du cœur, Thèse, 2002, p. 85 sq. Sur le Petrus Aurelius. Anonymat réel, par opposition à un anonymat de convention : p. 86. Dénégations et demi aveux de Saint-Cyran : p. 86. Raisons de l’anonymat de Saint-Cyran : p. 89. L’anonymat expliqué par une conviction spirituelle ; nécessité du secret des actions faites pour Dieu : p. 92.
D’où vient ce pseudonyme ? On a pensé que Montalte, c'est-à-dire haute montagne, renvoyait au Puy de Dôme, mais la supposition est aventureuse. En revanche, il est sûr que Pascal l'a inventé lui-même, puisque c'est l'anagramme de Amos Dettonville, pseudonyme qu'il a choisi pour ses traités sur la roulette, et de Salomon de Tultie, dont il semble que c'était le pseudonyme qu'il avait choisi pour son Apologie de la religion chrétienne. Voir Laf. 745 : “La manière d'écrire d'Epictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d'usage, qui s'insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire et qui se fait le plus citer, parce qu'elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie, comme quand on parlera de la commune erreur qui est dans le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose il est bon qu'il y ait une erreur commune, etc. (qui est la pensée de l'autre côté).”
On a pensé à un Ludovicus Montaltius, auteur d’un Tractatus reprobationis sententiae Pilati, Paris, Johannes Higman et Wolfgangus Hopyl, impens. Eguilberti et Goderfridi de Marnef, 1943.
La clé du mystère est fournie pas la mention manuscrite portée par Marguerite Périer, nièce de Pascal (la miraculée) sur l’exemplaire de la bibliothèque de Clermont-Ferrand des Lettres de A. Dettonville (exemplaire de Clermont-Ferrand).
GEF VII, p. 78 sq.
JOVY Ernest, “Essai de solution d'un petit problème d'histoire littéraire relatif à Pascal. Pascal et Montalte”, Bulletin historique et philologique, 1894.
Provinciales, éd. Cognet, p. LXXI, mentionne un juriste italien du nom de Ludovicus Montaltius, mais remarque qu’il est peu probable que Pascal en ait entendu parler.
“Les Provinciales et la littérature”, Notice 2 de PASCAL, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. Sellier et Ferreyrolles, Pochothèque, p. 237 sq.
MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, p. 103 sq. Le moi des Provinciales.
CANTILLON Alain, « Qu’importe qui parle, de qui à et à qui dans Les Provinciales ? », in Lectures à clés, Littératures classiques, n° 54, printemps 2005, p. 221-234. Voir p. 229 sq., sur l’identification progressive de Pascal à Montalte.
CANTILLON Alain, « Enonciation individuelle et énonciation collective (I) – la position auctoriale dans les Provinciales », La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 165-176.
MICHON Hélène Laurent, « L’auteur des Provinciales : une autre figure du jésuite », La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 243-256.
Le type de l’honnête homme
L’idéal de l’honnête homme est commun à tous les moralistes du XVIIe siècle français. L’originalité de Pascal, c’est qu’il ne le restreint pas à son aspect social, il en sonde les racines psychologiques et la signification religieuse.
Le type de l’honnête homme fleurit dans les périodes de paix qui suivent les guerres de religion, puis la Fronde, quand la vie sociale peut reprendre dans la bonne société. Au héros, dont les qualités de bravoure et de générosité s’épanouissent dans les combats, succède alors un idéal différent ; les dames qui règnent dans les salons n’apprécient pas le style soldat et les jurons : ces messieurs sont bien obligés de laisser les plaisanteries grasses au vestiaire, de troquer les récits de leurs exploits pour les exercices plus raffinés de la conversation et des bouts-rimés, et de se muer en personnes du monde courtoises et polies. Les théoriciens répondent donc à une demande lorsqu’ils systématisent cet idéal en publiant des traités de civilité sur la manière de plaire et de concilier honneur et succès en société. Pascal fréquente deux connaisseurs en la matière, le chevalier de Méré et le bourgeois Damien Miton, qui ont à la Cour réputation de bel esprit et de lettrés ; tous deux ont écrit sur l’honnêteté en des termes qui trahissent l’influence de Montaigne, par leur recherche de l’agrément, leur refus du pédantisme et un certain scepticisme. Leur doctrine est exempte de moralisme : pour Méré l’honnête homme est heureux dans le monde parce qu’il sait plaire, autrement dit se faire aimer, qu’il possède l’art d’agréer, de persuader, l’élégance, bref tout ce qui attire la bienveillance. Pour plaire, il sait se montrer officieux : l’adaptation à autrui est liée au désir d’être aimé. Selon Miton, l’honnêteté consiste dans « le désir d’être heureux, mais de manière que les autres le soient aussi ».
Le narrateur et Pascal
Il faut éviter de confondre Pascal et le narrateur supposé naïf qui, dans les dix première lettres, s'exprime à la première personne, et Pascal, qui connaît bien les problèmes du pouvoir prochain au moment où il écrit. Voir PASCAL, Œuvres complètes, éd. J. Mesnard, p. 580.
DESCOTES Dominique, “Fonction argumentative de la satire dans les Provinciales de Pascal”, in L’Esprit de la satire, p. 43-66.
THIROUIN Laurent, “L'ethos de Montalte dans les Provinciales”, in CORNILLIAT François et LOCKWOOD Richard (dir.), Ethos et pathos. Le statut du sujet rhétorique, Champion, Paris, 2000, p. 371-389.
PARISH Richard, Pascal's Lettres Provinciales. A study in polemic, p. 29 sq.
Pour la comparaison avec le catéchumène de la Défense de la Proposition de Nicole, voir DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire..., p. 34. Un personnage à facettes, un être de feinte, au moins jusqu'à la onzième lettre : p. 192 sq. La présence du je, de plus en plus insistante, empêche les Provinciales de devenir de simples traités de polémique religieuse : p. 199.
MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, p. 103 sq. Le moi des Provinciales.
Le “secrétaire de Port-Royal”
GEF VI, p. 316. Les ennemis de Port-Royal ont le sentiment d'avoir affaire à plusieurs personnes. Ils ont forgé le personnage du secrétaire du Port-Royal pour donner corps à cette impression.
L'expression de secrétaire, pour désigner un littérateur qui écrit sur instruction, sans toujours comprendre ce qu'on lui fait écrire, apparaît avant les Provinciales ; voir par exemple BOURZEIS, Saint Augustin victorieux de Calvin et de Molina, Paris, 1652, Première conférence, ch. IV et V, p. 13 sq. et p. 16 sq., qui appelle l'auteur du Secret du Jansénisme, secrétaire moliniste. Voir la Première conférence, Chapitre III, p. 11. “ Idée générale du libelle intitulé Le secret du jansénisme, etc. Et des trois points capitaux qui y sont traités et condamnés d’hérésie. ” Dans le texte, l’auteur du Secret du jansénisme est nommé “cet Œdipe de la secte molinienne, et ce révélateur des mystères jansénistes ”, p. 11, puis plus bas, p. 12, “ ce secrétaire de la cabale molinienne ”, et p. 13, “ le secrétaire molinien ”, et chapitre VI, p. 18, “ le secrétaire moliniste ”.
Le mot ou l'idée apparaissent souvent dans les opuscules publiés contre les Provinciales. Voir la Lettre d'un Provincial au secrétaire de Port-Royal, qui date d'après le VIe lettre ; ANNAT François, La bonne foi des Jansénistes... dans les lettres que le secrétaire du Port-Royal a fait courir..., 1657. Voir ci-dessous ce qu’en dit le NOUET, Première réponse..., in Réponses..., p. 13.
MOREL, Réponse générale..., p. 9. L'auteur ne fait qu'écrire ; l'examen théologique vient de Port-Royal.
FERREYROLLES Gérard, Les Provinciales, p. 40 sq.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 41 sq. L’abbé Maynard soutient que Pascal a été victime de Port-Royal, qu’il ne comprenait rien au débat et écrivait comme un secrétaire ce qu’on lui disait d’écrire. La thèse est soutenue avec une netteté et une force particulières.
L'auteur des Provinciales n'est ni prêtre ni théologien
Le P. Nouët, dans la Première réponse..., in Réponses..., p. 13, écrit que ce rapiéceur et ravaudeur de calomnies, n'a en charge que la mise en forme, et non le fond, qui vient de la Théologie morale des Jésuites. De même, NOUËT, Deuxième réponse, in Réponses, p. 43 sq. “C'est merveille qu'un homme qui n'est ni prêtre ni ecclésiastique, ni docteur, soit devenu en deux jours le théologien des femmes” : p. 44. “Théologien laïque, qui a appris en deux jours toute la théologie de la grâce” : p. 44. Voir aussi p. 49 sq. Lettre écrite à une personne de condition, in Réponses, p. 57 sq. ; cité in GEF V, p. 164-165. L'auteur des Provinciales se charge d'un travail qui n'est pas le sien. Il est poussé par les “savants disciples de saint Augustin”. L’avantage qu'il trouve à déclarer qu'il n'est pas docteur, c’est que, quoiqu’il ne puisse ignorer la réponse du P. Caussin à la Théologie morale, cela lui permet de répondre qu’il n'est pas tenu de savoir ce qu'on enseigne en Sorbonne : p. 60 sq. C'est un “secret pour désarmer les jésuites” : p. 61.
Demandant “si l'auteur des Lettres contre les jésuites est théologien”, MOREL Andoche, Réponse générale, dit aussi que l'examen théologique vient de Port-Royal ; et à l'adresse du secrétaire, il écrit, p. 3 : “Votre facilité à vous effrayer de ce qui remplit vos lettres est une évidente preuve de votre ignorance...” ; “la théologie a ses formes et son style, dont il ne paraît aucune trace dans vos lettres ; si bien que nous inférons avec raison que vous ignorez le langage qui se parle chez elle...” : p. 6.
PIROT, Apologie pour les casuistes, p. 139. Pascal ne connaît rien ni à la théologie, ni au droit canon.
DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, p. 90.
OC I, p. 849, RAPIN, Mémoires. C'est un philosophe qui a du génie pour les mathématiques, mais aucune notion de théologie scolastique, aucune connnaissance des canons et des conciles.
Lettre de Saint-Amour à Arnauld du 31 janvier 1656, à propos de la première Provinciale : “j'ai dit à ceux à qui j'en ai parlé qu'elle était d'un laïque” ; voir SAINTE-BEUVE, Port-Royal, III, VII, Pléiade, t. 2, p. 85.
PARISH Richard, Pascal's Lettres provinciales, p. 53 sq.
La première Provinciale et L'esprit géométrique
PLAINEMAISON Jacques, “La Méthode géométrique contre la doctrine des équivoques dans les Provinciales “, Méthodes chez Pascal, p. 223-235.
REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées : pensées et poétiques du langage dans l'augustinisme du second Port-Royal, p. 107.
L'identité du Provincial
BARRIÈRE, La vie intellectuelle..., p. 143 sq. Notion de provincial.
DANIEL, Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, p. 16 ; p. 197 : cite Bouhours, qui dit qu'on ne prend guère le mot de provincial qu'en mauvaise part, pour désigner quelqu'un qui demeure en province ; provinciales : on le dit de ces femmes nouvellement débarquées qui viennent à Paris pour la première fois. Bouhours : “le mot de provincial emporte je ne sais quoi de contraint et d'embarrassé, et sans compter le mauvais accent, quelque chose d'irrégulier, de peu poli dans le langage... A parler en général, il y a une espèce de ridicule attaché au nom de Provincial pris pour une personne qui demeure en province, et le titre de certaines lettres satiriques ne manquent pas de délicatesse. Je m'étonne que l'imprimeur, voyant que l'adresse était à une personne à la campagne, ne mit pour titre Lettres écrite à un campagnard de ses amis, et que ces lettres n'aient été appelées les Campagnardes au lieu des Provinciales.”
DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire dans les Provinciales de Pascal, p. 11 sq. ; il faut envisager cette dénomination selon le couple Paris-Province. Campagnard aurait été trop péjoratif : penser au campagnard de la satire de Boileau sur le repas ridicule. Un provincial, c'est un homme de province qui n'a pas l'air du beau monde, que l'éloignement prive d'information, dans le cas présent sur les affaires récentes (intrigues de Sorbonne, hautes sphères politiques).
Dans la traduction des Provinciales par Nicole, c'est l'Allemagne qui prend la place de la province française : comme les Petites Lettres sont connues en France, pour justifier ses explications, Wendrock, prétendument théologien à Salzbourg, écrit que certains détails sont encore mal connus en Allemagne ; voir Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 42, Note unique sur la troisième lettre.
Pensées, Laf. 888. “Nul ne dit courtisan que ceux qui ne le sont pas, pédant qu'un pédant, provincial qu'un provincial, et je gagerais que c'est l'imprimeur qui l'a mis au titre des lettres au provincial”.
Les Provinciales, éd. Cognet, p. 3, note 1. Sur l'hypothèse qu'il s'agit de Florin Périer.
Sur la fonction littéraire du Provincial, voir DESCOTES Dominique, “Fonction argumentative de la satire dans les Provinciales de Pascal”, in L’Esprit de la satire, Narr-Place, 1979, p. 43-66.
Peut-on identifier le lecteur réel au Provincial ? À priori, cela va de soi : ce sont le destinataire désigné et le destinataire par délégation. Mais il n'en découle pas qu'ils soient destinataires au même titre ni sur le même mode. Ils ont aussi en commun d'être muets, du moins par écrit. Voir sur ce point DUCHÊNE Roger, L’Imposture littéraire..., p. 114. Le lecteur se reconnaît à la fois dans l'auteur peu instruit et dans le destinataire qui n'a plus besoin d'être très intelligent pour comprendre de quoi il s'agit.
“Les Provinciales et la littérature”, Notice 2 de PASCAL, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd.Sellier et Ferreyrolles, Pochothèque, p. 237 sq.
PARISH, Pascal's Lettres Provinciales, p. 49.
THIROUIN Laurent, “L'èthos de Montalte dans les Provinciales”, in CORNILLIAT François et LOCKWOOD Richard (dir.), Ethos et pathos. Le statut du sujet rhétorique, Champion, Paris, 2000, p. 371-389.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 71. Sur le mot provincial, que Bouhours critique dans ses Remarques nouvelles sur la langue française, 1693, p. 276 : le mot se prend en mauvais part ; on aurai dû appeler les lettres de Pascal les Campagnardes.
Le problème des clefs dans les Provinciales
CANTILLON Alain, « Qu’importe qui parle, de qui à et à qui dans Les Provinciales ? », in Lectures à clés, Littératures classiques, n° 54, printemps 2005, p. 221-234.
Nature littéraire de la première Provinciale
La première Provinciale doit être étudiée à part des autres, parce qu'elle a été composée sans intention de lui donner une suite. Le titre est : Lettre écrite à un provincial par un de ses amis sur le sujet des disputes présentes en Sorbonne. C'est une lettre d'information, une gazette, qui porte sur l'actualité, les disputes en Sorbonne ; mais une gazette imaginaire. Noter toutefois que la fiction ne commence que dans la deuxième partie de la lettre, où commence une petite comédie sur la montagne Sainte-Geneviève, qui ne se retrouvera pas dans les Provinciales ultérieures. La première lettre sort à un moment où l'on peut garder quelque espoir d'agir sur le cours des événements ; en revanche, une fois la chose officiellement jugée, il faudra venir aux questions de fond. Il n'est pas encore question des jésuites, qui n'apparaissent que dans la IVe Provinciale.
“Les Provinciales et la littérature”, Notice 2 de PASCAL, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. Sellier et Ferreyrolles, Pochothèque, p. 231 sq.
La première Provinciale et la Logique de Port-Royal
Dans Logique, IV, II (1664), Les auteurs reprennent la distinction cartésienne des questions de mots et des questions de choses : dans les premières, il s’agit de trouver le sens d’une énigme, ou d’expliquer ce qu’a voulu dire un auteur par des paroles obscures ou ambiguës. C’est le cas ici : tout tourne autour de ce que veulent dire les termes de pouvoir prochain. Ce qui complique la chose, c’est que l’ambiguïté ne provient pas ici de l’obscurité d’un seul auteur, car chacun des deux partis, molinistes et néo-thomistes, sont parfaitement univoques dans le sens qu’ils donnent à ces mots, mais du fait qu’ils s’accordent pour ne pas dire qu’il y a entre eux une différence.
La question de mots devient de ce fait une question de personnes, et surtout de partis.
Comment transformer une question de mots en question de fond…
Construction de la première Provinciale
Voir ce qu’écrit Jean MESNARD, « Sur la composition dans Les Provinciales de Pascal ». L’unité de la première lettre est fortement soulignée par une introduction et une conclusion qui se répondent exactement. Destinée à informer le correspondant des disputes présentes de la Sorbonne, elle proclame dès les premières lignes qu'elles se réduisent à rien. Elle énonce à la fin, une fois présenté le débat entre Arnauld et ses adversaires, les points d'accord entre les parties en présence. Sont particulièrement visés les dominicains de Paris, les nouveaux thomistes. Pour Pascal, leur doctrine, tout artifice de langage mis à part, est parfaitement conciliable avec celle d'Arnauld, à la défense duquel il est contre nature qu'ils ne veuillent pas s'associer. L'unanimité se révèle totale sur le plan de la doctrine ; les divergences ne touchent qu'à une simple question de vocabulaire, concernant le sens à attribuer à l'expression pouvoir prochain, qui fournit le sujet principal de la lettre. Il est clair que cette manière négative de procéder coupe court à tout savant exposé théologique et allège considérablement l'argumentation. Toutefois le point retenu offre un caractère crucial, si bien que le débat, quoique traité sobrement, ne l'est pas moins en profondeur. La question du pouvoir prochain n'est envisagée pourtant que dans une partie de la lettre. Car Pascal a voulu donner un avis complet sur le procès intenté à Arnauld par la Faculté de Théologie. La condamnation qui le menace porte sur deux points : la question de fait, concernant le présence ou non des fameuses cinq propositions dans l'Augustinus de Jansénius, présence qu'il a niée ; la question de droit, c'est-à-dire de doctrine, relative au pouvoir dont disposait saint Pierre, lorsque son Maître a été poursuivi, de ne pas le renier ; selon Arnauld, le reniement a été causé par le manque de grâce, destiné à lui enseigner l'humilité. La lettre donc dans son ensemble se compose de deux parties, l'une consacrée à la question de fait, l'autre à la question de droit. L'ordre suivi est celui de la juxtaposition. Mais les deux éléments ainsi distingués restent étroitement associés, car, dans les deux cas, les questions qui font difficulté se révèlent sans objet véritable. De plus, conformément à la réalité, le premier est présenté comme nettement secondaire par rapport au second. Il fait l'objet d'un développement beaucoup plus bref, et traité d'une manière directe, au nom du simple bon sens : un fait, étant accessible à la vue, ne peut faire l'objet d'un jugement d'autorité. Au contraire, le second occupe l'essentiel de la lettre, au point qu'il semble constituer le seul sujet de l'ensemble et que la conclusion s'y applique d'une manière presque exclusive. De plus, le mode de composition qui s'y trouve mis en œuvre le fait trancher radicalement sur l'ensemble.
Ayant alors à envisager diverses doctrines, à les critiquer et à les situer les unes par rapport aux autres, Pascal aurait pu les présenter en son nom propre, à travers un raisonnement progressif conduisant à une conclusion analogue à celle qu'il a retenue. C'était courir le risque de se poser en savant et de quitter le masque de simple homme de bonne foi qu'il a pris dès le commencement. C'était aussi s'écarter lourdement du ton de la lettre. Dès lors, si la progression d'un raisonnement est maintenue, celui-ci est transposé sur le plan de la narration et du dialogue, voire du théâtre. Le narrateur se donne pour un simple témoin, un ignorant avide de savoir. Les diverses positions sont incarnées par un ou plusieurs de leurs représentants. Le narrateur court de l'un à l'autre, revient en arrière, oblige chacun à se découvrir et, au terme, trouve le moyen de mettre en présence les tenants d'attitudes fort différentes en matière de doctrine, mais unis dans l'emploi commun du terme de « pouvoir prochain », et décidés à dissimuler leurs divergences quant au sens de l'expression, dans l'intérêt du combat mené de part et d'autre contre Arnauld.
Ainsi la composition, dans la première lettre, répond-elle aux diverses exigences que faisait ressortir une étude théorique. Particulièrement remarquable est l'habileté avec laquelle Pascal sait combiner les diverses modalités de l'ordre. Au-delà de l'argumentation conduite, toute une réalité humaine est présente : les représentants des divers écoles théologiques reçoivent une véritable personnalité. L'homme qui parle à la première personne acquiert un rôle vivant et merveilleusement approprié à la fonction qu'il s'est donnée. Si le destinataire au premier degré n'offre ici que des traits assez sommaires, le destinataire au second degré, c'est-à-dire le public, qui requiert à la fois plaisir et instruction, impose sa norme à l'ensemble du propos. Peut-être toutefois dans un sujet grave, le souci de plaire était-il trop accusé, produit d'un art trop calculé. Peut-être aussi l'élimination du débat de fond a-t-elle entraîné un exposé un peu superficiel. Pascal sera sensible aux observations qui lui seront faites sur ces points. Il tendra généralement par la suite vers une plus grande simplicité et atteindra une plus grande profondeur.
Le style coupé et discontinu
OC I, p. 892, extrait du Recueil de choses diverses, f° 110 r°-v° : « Le style des Provinciales est coupé, mais il y a deux lettres où il ne l’est pas. Il y a des sujets qui demandent le style coupé ; d’autres le style plus étendu ». Voir LESAULNIER Jean, Port-Royal insolite, p. 328.
Le style coupé, la forme fragmentaire, l’inachèvement, la discontinuité de l’expression et de la pensée sont pour beaucoup dans le succès des Pensées : ils placent Pascal dans une tradition qui passe par La Rochefoucauld et La Bruyère, jusqu’à Nietzsche et René Char. Par goût pour les formes brèves, Pascal compose souvent des dialogues, des lettres, des courts traités.
Les formes littéraires longues conviennent aux pensées achevées qui se prêtent à un exposé synthétique : c’est celles des sommes scolastiques. Une pensée qui se cherche recourt de préférence à des formes brèves, plus propres à l’exploration. Pascal pense d’ailleurs que les lourds traités, avec leurs divisions, attristent et ennuient. Il préfère donc les textes nerveux, clairs et libres, par exemple à la manière de Montaigne. Il n’est pas le seul : le Discours de la méthode et les Essais qui l’acconpagnent sont aussi des modèles de brièveté ; en politique, la Fronde a suscité les mazarinades, petits écrits polémiques volants, qui touchaient un important public, dont s’est à coup sûr inspiré l’auteur des Provinciales. La lettre, ouverte ou confidentielle, connaît un succès croissant : celles de Guez, de Balzac ont été considérées comme le modèle d’une prose capable de traiter sérieusement des sujets élevés de philosophie et de politique, en demeurant accessible au public mondain.
Toute l’œuvre de Pascal est marquée par la brièveté : les Provinciales, brochures d’une dizaine de pages, les Écrits pour les curés de Paris, les Expériences nouvelles touchant le vide, le Récit de la grande expérience, autant d’opuscules incisifs, dont certains ont échappé à la destruction par pur miracle. Les Lettres de A. Dettonville et le Triangle arithmétique sont constitués de plusieurs traités tous réduits à l’essentiel d’un problème. La forme épistolaire revient aussi partout, dans les sciences comme dans la polémique religieuse. Ce goût pour la brièveté, cette « recherche du discontinu et de la cassure » (P. Sellier) a des raisons profondes : pour les augustiniens, le cœur de l’homme corrompu est marqué par l’inconstance et la vanité ; il supporte mal l’uniformité, il a besoin de variété rhétorique. Seule la brevitas le touche.
Cette brièveté répond aussi chez Pascal à une manière naturelle de penser et de composer. Pascal cherche toujours l’ordre et la synthèse, mais au lieu de recourir à des modèles préétablis, il procède par mises au point de noyaux fragmentaires et discontinus. C’est le cas des Pensées, où apparaissent différents degrés d’élaboration : d’abord Pascal note un mot, une formule, une image ; ce germe est ensuite développé, étoffé, intégré à un ensemble plus vaste jusqu’à constituer les grands développements que nous connaissons sur l’imagination, le divertissement ou les deux infinis par exemple. À plus grande échelle, les chapitres des Pensées sont autant de noyaux travaillés chacun à part et destinés à marquer les différentes étapes de l’argumentation apologétique. La même technique de mise au point de mouvements séparés a été mise en lumière par Jean Mesnard pour les Écrits sur la grâce et les Lettres de A. Dettonville. Naturellement, l’œuvre achevée porte dans son plan la trace de cette méthode : la Ve Provinciale par exemple, comporte visiblement trois éléments distincts. Le premier présente la politique des Jésuites, le second les fondements de la casuistique, le troisième les casuistes eux-mêmes.
La brièveté implique la densité. Une Provinciale traite en dix pages un point précis et typique, sur lequel les positions des adversaires sont clairement tranchées. Le Récit de la grande expérience n’a que vingt pages, où deux lettres suffisent à poser et à résoudre le problème de l’horreur du vide. Cette densité a des vertus dramatiques : le « suspens » de l’expérience du Puy de Dôme, l’enquête à moitié sérieuse et pleine de rebondissements sur le complot ourdi contre Arnauld en Sorbonne dans la 1ère Provinciale.
La brièveté implique aussi l’emploi de techniques de rupture et de discontinuité : éviter l’ampleur inutile, les périodes éloquentes pour recourir aux ellipses, aux raccourcis, aux formules qui frappent et éveillent l’esprit. Cette rhétorique se moque de celle des écoles : elle n’hésite pas devant les répétitions nécessaires pour ramener sans cesse le lecteur à l’idée directrice, les hyperboles, les anacoluthes, qui entrechoquent les pensées, l’emploi d’exemples vivants, qui évitent de longs développements abstraits. Pascal n’hésite pas non plus dans le fragment sur l’imagination par exemple, à pasticher la fantaisie de Montaigne qui passe sans cesse d’un sujet à l’autre.
La rhétorique du discontinu n’est pas une technique qui disperse la pensée. Elle conserve l’animation de la vie, avec sa variété et ses surprises, mais toujours dans la recherche d’un ordre solide tiré de la matière même. Il ne faut pas s’étonner de voir que les fragments, parfois très elliptiques, des Pensées puissent aboutir à des œuvres aussi fortement charpentées que les Provinciales.
SELLIER Philippe, “Vers l'invention d'une rhétorique”, in SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 171 sq. L’une des règles de rhétorique que Pascal s’est formée est la recherche du discontinu et de la cassure, dans le double champ de la dispositio et de l’elocutio. Technique consistant à polir des formes brèves, discontinues, tout en marquant fortement que cette fragmentation en lettres séparées va de pair avec l’unité d’un dessein d’ensemble : p. 171. La technique de la lettre permet la fragmentation des questions : p. 172. La technique de Pascal consiste à construire des formes brèves, tout en soulignant que la fragmentation va de pair avec l'unité d'un dessein d'ensemble : p. 172. Voir le début de la Provinciale IV, p. 176.
SELLIER Philippe, “Des Confessions aux Pensées”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 211 sq. L'exemple de Montaigne sautant de sujet en sujet ; mais Pascal critique la confusion des Essais.
SELLIER Philippe, “Imaginaire et rhétorique”, in Essais sur l'imaginaire classique. Pascal, Racine, Précieuses et moralistes, Fénelon, Paris, Champion, 2003, p. 141-156. Voir p. 146, sur la recherche du style discontinu et de la cassure rhétorique.
CARRIER Hubert, “La victoire de Pallas et le triomphe des Muses ? Esquisse d'un bilan de la Fronde dans le domaine littéraire”, XVIIe siècle, 145, p. 372 sq. Effet de la production polémique de la Fronde sur la phrase française. Le Manifeste que Retz écrit en l'attribuant à Beaufort : p. 373. La rhétorique du fascicule polémique n'est pas celle du traité ni de la dissertation ; il faut faire bref et frappant : p. 372. Plus d'érudition, tout pour l'efficacité : p. 373. La mode est désormais aux exposés concis, aux narrations vives, à la violence oratoire, aux formules cinglantes, à l'ironie, voire au pastiche : p. 373. Pascal en a tiré la leçon dans les Provinciales : p. 373.
Par opposition au style coupé, on trouve parfois des exemples de style périodique qui touchent à la caricature : voir la lettre de Saint-Cyran à Arnauld d'Andilly du 25 septembre 1620, SAINT-CYRAN, Lettres, éd. Donetzkoff, I, p. 9-10 : “La science qu'on a des choses de Dieu naît seulement de son amour, et que tous les esprits de la terre, pour aigus et savants qu'ils soient, n'entendent rien en notre cabale s'ils ne sont initiés à ces mystères, qui rendent, comme en de saintes orgies, les esprits plus transportés les uns envers les autres, que ne sont ceux qui tombent en manie, en ivresse, et en passion d'amour impudique, qui sont trois défauts par lesquels notre Maître explique en ses livres l'indicible perfection de ceux qui s'unissent, ou se rendent uns avec lui par une amoureuse dévotion, qui a ses mouvements divers, qui s'expliquent dignement par ceux du soleil, qui sont uniformes en leur difformité, qui a des taches en apparence qui s'expliquent bien par celles qu'on remarque au corps de la lune, qui n'ôtent rien de sa beauté et de sa lueur, qui a des dérèglements, qui sont comme ceux des quatre saisons, qui sont les mêmes en leur variété, et dont les plus violents, qui sont ceux de l'hiver, ramènent toujours la beauté du printemps, qui est une saillie de plus que vous devez avoir pour agréable, quoiqu'elle ne convienne guères bien à une lettre, puisqu'il a fallu que pour prouver qu'il y avait un honnête dérèglement en cet excellent amour que je m'approprie, je me sois moi-même déréglé”. On comprend que Pascal cherche à éviter ce style...
DAINVILLE François de, L'éducation des Jésuites (XVIe-XVIIIe siècles), p. 200-201. Éloge du style coupé par le jésuite Porée, contre le style cicéronien, qui ne se ferait pas écouter. Rapport avec la crise de la rhétorique traditionnelle. Éloge du style à la Sénèque, « plus propre à aiguiser l'esprit des jeunes gens, et à exercer leur imagination. Il leur apprend à construire leurs pensées avec art et à symétriser leurs expressions » : p. 201.
DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire..., p. 76 sq.
SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008, p. 631 sq. Style coupé et eshétique de la rupture.
Les répétitions et les refrains dans les Provinciales
Le Nous étions bien abusés est repris en I, 13, Mais nous étions bien trompés.
Laf. 515. « Miscell. Quand dans un discours se trouvent des mots répétés et qu'essayant de les corriger on les trouve si propres qu'on gâterait le discours il les faut laisser, c'en est la marque. Et c'est là la part de l'envie qui est aveugle et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit, car il n'y a point de règle générale. »
SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, p. 176 sq. Esthétique de la répétition chez Pascal. Contrairement au vœu du grammairien Vaugelas, qui n’approuve que du bout des lèvres les répétitions stylistiques. Polyptotes : p. 177. Martèlements lexicaux qui sont parfois renforcés par la dureté des antithèses : p. 177. Martèlement qui prennent la forme de la réversion, souvent considérée comme un paroxysme del’antithèse : p. 177.
Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 102. Pascal donne l'illustration de sa règle dans le fragment Laf. 515 par la répétition du verbe trouver.
VINET, Études sur Pascal, p. 115.
LE GUERN Michel, “La répétition chez les théoriciens de la seconde moitié du XVIIe siècle”, XVVIIe siècle, 152, Juillet-septembre 1986, p. 269-278.
DANIEL, Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, p. 202 sq. Etude grammaticale et stylistique du passage. Répétitions qui sont contre la beauté et la justesse du discours. Les répétitions sont mal venues dans un état de question, et si l'on répète, il faut varier les tours.
DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire dans les Provinciales..., p. 19.
Le dialogue
« L’ordre par dialogues» est une structure souple, vivante et nerveuse qui permet de varier à l’infini la présentation des idées. Pascal s’en sert dans les sciences et dans la polémique comme dans l’apologétique.
Platon a donné ses lettres de noblesse au dialogue philosophique. Les contemporains de Pascal en usent abondamment : Galilée, le P. Mersenne le P. Boucher, le P. Desmares, les savants et les théologiens. C’est une manière d’échapper à la sclérose des formes universitaires : le dialogue remplace la disputatio scolastique, exercice de pure virtuosité technique où l’on défend une thèse fixée d’avance et sans rapport avec la réalité. Le dialogue, lui, n’a de sens que si la recherche de la vérité tient compte de la complexité de la vie et de la diversité des esprits. C’est une forme qui plaît aux gens du monde, habitués aux conversations de salon : présenter un débat d’idées par dialogue permet de mettre à leur portée des questions ordinairement réservées aux doctes. On s’explique l’enthousiasme de Mme de Sévigné pour les Provinciales, qu’elle égale aux œuvres de Platon.
Dialogue et lettre supposent une communication entre personnes distinctes par leurs idées, leur tour d’esprit leur information. Pascal caractérise avec soin ses protagonistes. Le jésuite des Provinciales donne une saisissante impression de réalité : il paraît sans méchanceté, mais son enthousiasme pour les spéculations des casuistes tourne facilement au prosélytisme. On voit tout de suite ce qui l’oppose à son visiteur. La différence d’état d’esprit est aussi clairement marquée : « Montalte » cherche le sûr en matière de morale, même si c’est le plus pénible ; le jésuite est si ébloui par les distinctions des casuistes et leur art d’inventer des solutions ingénieuses qu’il gobe n’importe quelle opinion soi-disant probable. Cette manière de caractériser les parties évite que les personnages se confondent trop grossièrement avec les idées qu’ils sont chargés de défendre. Elle permet au lecteur de choisir son parti selon ses sympathies.
Si la lettre tend vers la narration, qui exige une certaine unité thématique, le dialogue a une structure dramatique : il serre de près les retournements inattendus de la vie. Dans le fragment sur le pari, une discussion serrée entre l’incroyant et le chrétien renverse en trois temps la situation initiale : au début, l’incrédule pense être bien à l’abri de son incertitude. Première étape : on lui montre qu’il faut parier. Second temps : il doit parier pour Dieu. Troisième temps : il doit s’estimer heureux de parier avec tant d’avantage. Final : obligé de se dédire, il finira par lire les Écritures et faire dire des messes. Cette nervosité du dialogue n’est pas l’effet du hasard : dès les ébauches les plus elliptiques, Pascal cherche un rythme soutenu qu’il conserve dans les rédactions élaborées. Seule condition : « Il faut, en tout dialogue, qu’on puisse dire à ceux qui s’en offensent : de quoi vous plaignez-vous ? » (L. 669, S. 548). Savoir enlever toute échappatoire à l’adversaire, le tenir dans la « serre » après qu’il a avoué ses principes, voilà ce qui fait la force du fragment sur le pari, ou des Provinciales en général.
Que peuvent répondre les Jésuites, lorsque Pascal, après avoir exposé rigoureusement les principes du probabilisme, en tire les conséquences, toutes contraires à la religion, par la bouche même d’un membre de la Société ? La souplesse du dialogue n’exclut donc pas la rigueur. On la devine parfois même dans des textes à première vue purement argumentatifs, comme le début du fragment L.136, S.168 sur le divertissement, où Pascal oppose l’interprétation que les philosophes en donnent ordinairement (le divertissement est une agitation inutile à laquelle on remédie par la retraite dans une chambre) à la sienne (c’est une manière pour l’homme de se cacher sa condition misérable) : la progression de l’argumentation dissimule à peine un dialogue implicite.
Pascal cherche dans le dialogue le ton juste de la vie. Il indique les réactions des interlocuteurs par des approbations tantôt bruyantes, tantôt perplexes, surprises ou satisfaites, et par de brusques changements de ton. On lui a parfois reproché le « hoho de comédie » qu’il a prêté au jésuite des Provinciales. Ses personnages se content des anecdotes, s’attrapent l’un l’autre, se tendent des pièges. Le caractère concret du dialogue met en lumière, autant que les idées, leur rapport avec le caractère des interlocuteurs : en écoutant le jésuite faire son petit cours de casuistique, le lecteur sent qu’il est tout fier de ses « docteurs graves », et qu’il est lui-même un bel exemple de l’orgueil de corps de sa Société. Il s’accoutume ainsi à prendre une certaine distance, et à l’écouter avec la même ironie que « Montalte ».
MONGRÉDIEN Georges, La vie littéraire au XVIIe siècle, p. 63. Rapport de la forme dialoguée avec le langage des honnêtes gens.
FUMAROLI Marc, La diplomatie de l'esprit, p. 499. Poétique du dialogue. Dialogue didactique et dialogue de raillerie : p. 499 sq. Modèle de Socrate : p. 501. L'ironie, essence du dialogue : p. 502.
Pour élargir la perspective, on peut considérer certaines extensions de la forme dialoguée.
Sur la place du dialogue dans l'éloquence oratoire, voir MAURY Sifrein, Essai sur l'éloquence des prédicateurs, I, p. 233 sq. Utilité du dialogue dans les sermons : p. 237 sq. Efficacité des suspensions interlocutoires : p. 239. Logique nerveuse, analyse claire : p. 240.
DIETZ MOSS Jean, Novelties in the Heavens, p. 264 sq. Dialogue platonicien, dialogue cicéronien, dialogue galiléen.
GALILÉE, Dialogue sur les deux grands système du monde, éd. Fréreux, p. 21 sq. La forme du dialogue chez Galilée. Transformation du parallèle des hypothèses en un artifice littéraire et pédagogique, en dialogue socratique où la vérité se fait jour par la confrontation des opinions. Digressions, jeux de scène, surprises : p. 22. Les propositions avancées dans le dialogue ne sont pas toutes sur le même plan. Possibilité d'énoncer des thèses qui seront récusées ou même tout simplement oubliées. Fictions et suggestions trop hardies : p. 22.
SELLIER Philippe, « Les premières Provinciales et le dialogue d'idées au XVIIe siècle », Port-Royal et la littérature, I, p. 143-153. Durant la période de 1598 à 1654, on constate une prédominance des dialogues de type didactique, dans lesquels le libertin se laisse trop facilement convaincre ; l'ordo docendi domine, et les interlocuteurs n'ont pas grande consistance. Seconde période, après la Fronde, le développement de la vie mondaine donne lieu à un essor, et les Provinciales suscitent une approbation générale : p. 147. Elles serviront de modèle à Saint-Evremond et à Malebranche, mais la réussite des Provinciales reste isolée : p. 147-148. Les premières Provinciales, à cause de l’ironie socratique, comme procédé d'interrogation par un faux ignorant, semblent répondre à un Plato abbreviatus : p. 148 sq. Mais on n'a jamais mis en lumière une influence directe de Platon sur les Provinciales et les Pensées : p. 149. Abréviation des sinuosités du dialogue platonicien, allure rapide, adaptée à l'impatience française : p. 149-150. Vivacité du dialogue ; apostrophes et impératifs ; art de la réponse imprévisible : p. 151. Extrême rapidité dans la présentation des didascalies : p. 152. Brèves indications rendant le réel d'un trait concret : p. 152. Diversité et mobilité des personnages, contrastant avec l'immobilité métaphysique des dialogues de Malebranche : p. 153. Souci d’éviter la monotonie : p. 153.
Les précédents : voir ANNAT François, Réponse à quelques demandes dont l’éclaircissement est nécessaire au temps présent, seconde éd., chez Lambert, Paris, 1655, 151 p., in-4°. Seconde édition en 1656. Analyse de l'aspect rhétorique dans JOUSLIN Olivier, Pascal et le dialogue polémique, p. 249 sq. Forme de l'ouvrage : des réponses données à des demandes d'une personne du monde des honnêtes gens ; Annat sait que Port-Royal a des appuis mondains : p. 254. Fiction de dialogue destinée à montrer le caractère inconciliable des deux camps : p. 254.
GEF IV, p. 112 sq. Sur Nicole, Défense de la proposition. Voir p. 115, n. 1. P. Gaborens, Discours d'un religieux..., 1652, qui semble être la source dont s'est servi Nicole.
Les Provinciales, éd. Cognet, p. 13, n. 1, sur BOURZEIS, Conférence de deux théologiens molinistes, 1650. Défense de l'ordre par dialogues dans l'Avertissement de Nicole, p. 471-473.
FERREYROLLES Gérard, Les Provinciales, p. 44 sq.
DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire..., p. 40. Nicole a nettement marqué dans sa Défense de la proposition que le dialogue qu'il proposait était fictif ; mais les propositions attribuées aux parties sont exactement les leurs. Chez Pascal, le mouvement est inverse : il supprime cet avertissement dans le première Provinciale.
PARISH Richard, Pascal's Lettres Provinciales, p. 33. Formes du dialogue multiple.
JOUSLIN Olivier, Pascal et le dialogue polémique, p. 465 sq. Caractère théâtral du dialogue pascalien. Dans le roman, à l'époque, on ne cherche quasi jamais à donner l'illusion d'une conversation vivante.
Le comique du dialogue tient en partie au double jeu de Montalte : il a un aspect socratique, par le procédé du faux naïf face à celui qui prétend savoir ; la technique de l’in petto ou de l’a parte, qui permet le contraste (souriant et intéressé pour le jésuite ; effaré et indigné pour le Provincial), assure une certaine variété.
La variété et la bigarrure dans la structure du dialogue : une forme en contrepoint musical. Pascal amateur de musique : voir l'article de J. Mesnard, “Pascal et la musique”. Sur les mêmes choses, le ton du jésuite est tout d'admiration et d'enthousiasme, alors que le ton de l’auditeur est réticent, ironique, mais aussi scandalisé. Cela revêt une forme musicale : voir dans la Provinciale X, dont le début est dans le ton des précédentes, mais plus grave, à cause de la matière : des mœurs, on passe à la règle des mœurs, à la confession, à la repentance du côté des fidèles, au ministère des confesseurs, puis à l’amour de Dieu. La progression croît simultanément dans l’horreur. Le contrepoint entre bavardage fantaisiste du jésuite et style d’indignation chrétienne atteint un point de discordance, p. 182. La rupture survient lorsque l’accumulation de décisions scandaleuses sur l’amour de Dieu devient excessive, p. 190 sq.
Mme. de SÉVIGNÉ, Lettres du 21 décembre 1689 et du 15 janvier 1690.
KERBRAT-ORECCHIONI Catherine, « Les Provinciales : un texte « dialogal » et « dialogique » », La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 73-89.
MANIN Yuri, Mathematics as metaphor, Providence, American mathematical Society, 2007, p. 197 sq. Dialogue, sagesse et entraînement.
Lettre, gazette, relation, récit
MURPHY James J., Rhetoric in the Middle Ages. A history of rhetorical theory from St. Augustine to the Renaissance, University of California Press, Berkeley, Los Angeles, London, 1974, 396 p. Un chapitre sur the art of letter-writing.
Voir l'étude de FUMAROLI Marc, “Genèse de l'épistolographie classique : rhétorique humaniste de la lettre, de Pétrarque à Juste Lipse”, Revue d'Histoire Littéraire de la France, nov.-déc. 1978, p. 886-900.
OC II, p. 667. La lettre souvent lue en public ; cela lui assure une publicité à laquelle l'auteur tient.
ADAM Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, I, p. 243. La lettre devenue le refuge d'une éloquence judiciaire et politique qui n'existe plus. Le succès des Lettres de Balzac, qui veulent traiter, puisque les harangues sont devenues impossibles, “toutes matières de la politique et de la morale”.
FUMAROLI Marc, L'Âge de l'éloquence, p. 154 sq. Juste Lipse et la lettre. La lettre avec ses risques de dispersion. Possibilités données à l'exposition de soi et à l’expression de l’ingenium personnel. Le genre épistolaire selon Juste-Lipse : genre discontinu et court, dédaigné par les grands traités oratoires. Conforme à la condition privée de l'épistolier. Contre le style cicéronien. Genre gigogne qui peut contenir tous les autres : p. 157. Liberté d’improvisation : p. 457.
FERREYROLLES Gérard, Les Provinciales, p. 14 sq. Lettre polémique en matière religieuse : p. 17. Genre majeur au Moyen-Age, avec le sermon : p. 15. Style humble ; genre capable d'aborder tous les sujets : p. 15. Balzac : p. 15. La lettre tire son lustre de la politique : p. 16. Fonction polémique ; moyen de faire entrer la polémique dans la littérature : p. 16. Les lettres ouvertes provoquées par l'alliance avec les puissances protestantes pendant la guerre de Trente Ans, et à l'époque de la Fronde : p. 16-17. Goulu contre Balzac : p. 17. Bourzeis et Arnauld précurseurs de Pascal : p. 18. La lettre a une fonction polémique : c'est un moyen de faire entrer la polémique, notamment la polémique religieuse, dans la littérature.
BEUGNOT Bernard, « Style ou styles épistolaires ? », in La mémoire du texte. Essais de poétique classique », Paris, Champion, 1994, p. 187-204.
SELLIER Philippe, “Vers l'invention d'une rhétorique”, in SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 171 sq. Le choix par Pascal de la forme volante de certains pamphlets de la Fronde, selon le format et le nombre de pages de la Gazette fondée par Renaudot en 1631. Il fait appel à des techniques journalistiques en avance sur son temps, comme le courrier des lecteurs et les brèves de dernière heure. La technique de la lettre permet la fragmentation des questions : p. 172. Avec la onzième Provinciale, Pascal change de genre épistolaire, et recourt à la lettre ouverte : p. 172. L'originalité de Pascal consiste en ce qu'il force le cours des choses : la Gazette existait, mais pas en théologie de la grâce : p. 175.
DUCHÊNE, L'imposture littéraire..., 2e éd., p. 17 sq. De la dispute au récit. Dans le but de faire reconnaître le vrai du faux par la peinture de ce qui s'est passé, le reportage se substitue à l'exposé avec la création d'un univers imaginaire : p. 17 sq. Au lieu de dépeindre les faits, Pascal les reconstruit à sa manière : p. 18. Alliance d'une objectivité prétendue et d'une séduisante subjectivité : p. 112. La relation : l'auteur disparaît complètement derrière la narration, menée de bout en bout à la troisième personne ; forme employée dans le début de la première Provinciale. Le reportage diffère de la narration par le fait que l'auteur y apparaît plus nettement : p. 112. Sérieux de l'enquête et visible bonne foi qui donnent confiance au lecteur : p. 113. Goût de l'époque pour les récits des “particularités” de certains événements. Les repères pour donner au texte l'apparence d'une lettre : p. 114. La présence du correspondant : p. 115. On oubliera la forme épistolaire à partir de la quatrième lettre : p. 115.
Dramaturgie des Provinciales
RACINE Jean, Lettre aux deux apologistes de l'auteur des Hérésies imaginaires, in Œuvres complètes, II, éd. Picard, Pléiade, p. 29. “Vous semble-t-il que les Lettres provinciales soient autre chose que des comédies ? Dites-moi, Messieurs, qu'est-ce qui se passe dans les comédies ? On y joue un valet fourbe, un bourgeois avare, un marquis extravagant, et tout ce qu'il y a dans le monde de plus digne de risée. J'avoue que le Provincial a mieux choisi ses personnages : il les a cherchés dans les couvents et dans la Sorbonne ; il introduit sur la scène tantôt des jacobins, tantôt des docteurs, et toujours des jésuites. Combien de rôles leur fait-il jouer ! Tantôt il amène un jésuite bonhomme, tantôt un jésuite méchant, et toujours un jésuite ridicule. Le monde en a ri pendant quelques temps, et le plus austère janséniste aurait cru trahir la vérité que de n'en pas rire.”
Mme. de SÉVIGNÉ, Lettres du 21 décembre 1689 et du 15 janvier 1690.
SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, p. 149. Propension naturelle de Pascal à dramatiser, à mettre en scène.
JOUSLIN Olivier, Pascal et le dialogue polémique, p. 465 sq. Caractère théâtral du dialogue pascalien. Dans le roman, à l'époque, on ne cherche quasi jamais à donner l'illusion d'une conversation vivante.
Le scénario de la première Provinciale
Quand Pascal publie la première Provinciale, il ne compte pas en écrire d’autres. Le succès révèle combien son style est propre à intéresser les plus indifférents aux matières théologiques en les conduisant « agréablement à la connaissance de la vérité » (Nicole).
La première Provinciale unit des éléments qui paraissent incompatibles : un problème d’actualité, une narration comique et la structure d’un roman policier (avant la naissance du genre), qui donnent à l’ensemble une solide charpente logique.
La situation initiale ne peut manquer d’intriguer le lecteur : le théâtre en est la prestigieuse Faculté de théologie de Paris, la Sorbonne, qui inspire au public un respect teinté d’incompréhension, comme tous les grands organismes nationaux. Ce qui corse l’affaire, c’est que les disputes qui défraient régulièrement la chronique ne sont pas bien compréhensibles. On saisit mal, remarque l’auteur, pourquoi tant de bruit entoure la question de fait à savoir si le docteur Arnauld est téméraire de ne pas trouver dans Jansénius les propositions que Rome a condamnées, ni pourquoi on ne règle pas le débat en les montrant. Quant à la question de droit, à savoir si la grâce a manqué à saint Pierre quand il a renié Jésus-Christ, on suppose qu’il s’agit « d’examiner les plus grands principes de la grâce », mais c’est pure supposition. Tous ces mystères intriguent, on demande à s’informer. Pour mener l’enquête, Pascal crée un personnage d’honnête homme (Montalte), un chrétien de bonne volonté et de bon sens, qui va raconter dans une lettre à un ami de province (on a supposé que c’était Florin Périer) ses efforts pour voir clair dans ces disputes entre théologiens de Sorbonne. Précurseur du commissaire Maigret, « Montalte » court d’un docteur à l’autre pour confronter leurs déclarations : une succession comique d’allers et retours le conduit d’abord chez le très antijanséniste M. N... (qui doit ressembler à Nicolas Cornet, le syndic de Sorbonne qui a concocté les propositions), puis chez un janséniste, puis de nouveau chez M. N..., puis encore chez le janséniste. L’enquête s’oriente alors vers le groupe des ennemis d’Arnauld, molinistes et nouveaux thomistes. Nouvelles navettes, nouvelles questions. Enfin, au cours d’une dramatique confrontation de tous ces théologiens, « Montalte » découvre la ténébreuse conspiration ourdie par les docteurs antijansénistes contre Arnauld.
Suivons à présent le déroulement logique de l’affaire. Elle tourne autour d’un point de théologie : les justes peuvent-ils accomplir les commandements de Dieu ? À première vue, aucun problème : tout le monde, de M. N... aux jansénistes, s’accorde sur l’affirmative. Mais c’est là que la question se complique : l’un des ennemis d’Arnauld sort de sa besace un terme inconnu qui enferme selon lui le nœud du mystère : « Les Jansénistes vous diront bien que tous les justes ont toujours le pouvoir d’accomplir les commandements : mais ils ne vous diront pas que ce pouvoir soit prochain. » Naturellement, « Montalte » n’a aucune idée de ce que ces mots signifient (Pascal, lui, a étudié la question dans son premier Écrit sur la grâce) ; il sait seulement que prochain signifie ordinairement « immédiatement accessible », de sorte qu’avoir le « pouvoir prochain » d’accomplir une action, c’est être en mesure de l’accomplir sans aide extérieure par ses propres forces. Mais rien n’est simple à la Sorbonne : le janséniste indique à « Montalte » que les ennemis d’Arnauld, qu’on croyait jusqu’alors ne faire « qu’un même corps », forment en réalité deux partis qui se sont ligués contre Arnauld, mais qui entendent le «pouvoir prochain » en des sens tout à fait différents. Le pauvre « Montalte » reprend ses navettes.
L’enquête révèle en effet que molinistes et thomistes n’interprètent pas le mot prochain de la même façon. On interroge d’abord un disciple du P. Le Moyne, « professeur de théologie » des plus molinistes. Il répond qu’avoir le pouvoir prochain de faire quelque chose, c’est avoir tout le nécessaire pour agir : on a le pouvoir de voir lorsqu’on a bonne vue et qu’il fait jour, autrement dit un juste a le pouvoir prochain d’accomplir les commandements parce qu’il peut le faire sans grâce efficace spéciale en sus. Mais les thomistes, disciples du théologien espagnol Alvarez, qui modernisent la théologie de saint Thomas par un vocabulaire « branché », l’entendent autrement : ils appellent pouvoir prochain une capacité médiate, qui a besoin d’un secours supplémentaire pour passer à l’acte : avoir le pouvoir prochain de voir, c’est avoir bonne vue, étant entendu que s’il fait nuit on n’y verra rien tout de même. Le juste a le pouvoir prochain de faire le bien, mais il n’y arrive jamais sans une grâce efficace supplémentaire de Dieu. Voilà donc un pouvoir bien différent du précédent. Il est clair que les molinistes parlent une langue conforme à l’usage courant, mais aussi que, pour un augustinien, leur doctrine est erronnée. En revanche, les thomistes emploient le mot « prochain » en un sens inhabituel et aberrant, mais leur doctrine, pour le fond, est proche de celle des jansénistes ; la seconde Provinciale montrera aussi qu’ils parlent de « grâce suffisante » pour désigner une grâce qui, de toute évidence, ne suffit pas, puisqu’elle exige une autre grâce, l’efficace, pour permettre d’agir.
« Montalte » s’appuie alors sur le bon bout de sa raison pour conclure : 1. que thomistes et molinistes ne sont pas d’accord entre eux sur le fond ; 2. que les mots « pouvoir prochain » n’ont pas entre eux de sens univoque, c’est un terme vide qu’ils s’accordent pour « dire de part et d’autre sans dire ce qu’il signifie » ; 3. que ce problème théologique inexistant sert à cacher un conflit entre théologiens ; 4. et que comme molinistes et thomistes n’ont en commun que le désir de condamner Arnauld, le « pouvoir prochain » soutient un « programme commun » en vue d’une purge toute politique qui vise à éliminer le chef du parti augustinien : nous sommes les plus nombreux, donc nous avons théologiquement raison. Le mystère est ainsi éclairci.
Cette habile fiction montre que les contestations de Sorbonne ne touchent pas la conscience des fidèles ; elle appelle aussi le public à protester contre l’injustice dont Arnauld est victime. Du point de vue littéraire, la première Provinciale jette une vive lumière sur la technique de dramatisation et de vulgarisation par laquelle Pascal tente d’intéresser le monde à des questions qui ordinairement le dépassent.
On peut distinguer
1. une structure narrative, qui est celle d'une sorte d'enquête policière menée par le narrateur ;
2. une structure logique : l'effort de Pascal est de rejeter de la question de droit comme de la question de fait toute affaire de foi ; les deux parties de la lettre, la première sur le fait, la seconde sur le droit, sont liées aux deux facultés purement naturelles par lesquelles n'importe quelle personne de bon sens peut juger : les sens pour les faits, le bon sens pour le droit.
NICOLE, Défense de la Proposition..., p. 25-28. Noter que dans ces pages, le P. Nicolaï est présenté comme un nouveau thomiste ordinaire, mais que l'Avis initial de l'ouvrage rectifie les choses. L'opposition entre Le Moyne et le P. Nicolaï est complétée par un appel à Nicolas Cornet.
DESCOTES Dominique, Pascal. Biographie. Étude de l'oeuvre, p. 126-129. Pascal a conservé de l'opuscule de Nicole la parti de l'anecdote la plus parlante et la plus vivante, celle qui se laisse le mieux réduire à une opposition logique simple. Il ne tient pas compte de Chamillard, auquel Nicole est obligé de passer ensuite.
DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire..., p. 25. La farce du pouvoir prochain. Les visites en ville du narrateur : p. 26. La méthode de l'interview : p. 26. Ses buts, s'informer pour informer le public : p. 26. Rapport avec la Défense de la Proposition : p. 33.
Dans la réfutation des ennemis d'Arnauld, Pascal traite la notion du pouvoir prochain more geometrico. Il suppose que, selon la Provinciale II, 10, p. 28, il y a le mot, qui n'est que du son, et il y a le sens ; il s'agit de savoir s'il y a accord, non sur le son, mais sur le sens. Dans la Provinciale I, il représente une longue enquête par substitution du sens au mot, jusqu'à ce que l'on constate par confrontation des sens, qu'il n'y a accord que sur le mot. La préparation est savante : le mot est d'abord dissimulé : on parle de pouvoir, sans préciser ; c'est seulement en I-18, p. 11, que surgit le mot prochain, mais coupé de tout sens : I, 19, p. 12 : mot nouveau et inconnu ; une suggestion goguenarde fait comprendre qu'il y a quelque mystère : I, 19-20, p. 12. La révélation progressive du double sens du mot prochain chez les molinistes et chez les thomistes français vient ensuite. La méthode géométrique est employée comme une sorte de principe d'enquête policière, alors que dans les Écrits sur la grâce, il en allait autrement.
Sur le procédé comique de l'information qui produit paradoxalement de l'obscurité, voir DUCHÊNE Roger, L'imposture littéraire..., p. 27 sq. Aux bonnes questions que pose le narrateur, on substitue de faux problèmes.
La première Provinciale unit des éléments qui paraissent incompatibles : un problème d’actualité, une narration comique et la structure d’un roman policier (avant la naissance du genre), qui donnent à l’ensemble une solide charpente logique.
La situation initiale ne peut manquer d’intriguer le lecteur : le théâtre en est la prestigieuse Faculté de théologie de Paris, la Sorbonne, qui inspire au public un respect teinté d’incompréhension, comme tous les grands organismes nationaux. Ce qui corse l’affaire, c’est que les disputes qui défraient régulièrement la chronique ne sont pas bien compréhensibles. On saisit mal, remarque l’auteur, pourquoi tant de bruit entoure la question de fait à savoir si le docteur Arnauld est téméraire de ne pas trouver dans Jansénius les propositions que Rome a condamnées, ni pourquoi on ne règle pas le débat en les montrant. Quant à la question de droit, à savoir si la grâce a manqué à saint Pierre quand il a renié Jésus-Christ, on suppose qu’il s’agit « d’examiner les plus grands principes de la grâce », mais c’est pure supposition. Tous ces mystères intriguent, on demande à s’informer. Pour mener l’enquête, Pascal crée un personnage d’honnête homme (Montalte), un chrétien de bonne volonté et de bon sens, qui va raconter dans une lettre à un ami de province (on a supposé que c’était Florin Périer) ses efforts pour voir clair dans ces disputes entre théologiens de Sorbonne. Précurseur du commissaire Maigret, « Montalte » court d’un docteur à l’autre pour confronter leurs déclarations : une succession comique d’allers et retours le conduit d’abord chez le très antijanséniste M. N... (qui doit ressembler à Nicolas Cornet, le syndic de Sorbonne qui a concocté les propositions), puis chez un janséniste, puis de nouveau chez M. N..., puis encore chez le janséniste. L’enquête s’oriente alors vers le groupe des ennemis d’Arnauld, molinistes et nouveaux thomistes. Nouvelles navettes, nouvelles questions. Enfin, au cours d’une dramatique confrontation de tous ces théologiens, « Montalte » découvre la ténébreuse conspiration ourdie par les docteurs antijansénistes contre Arnauld.
REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées : pensées et poétiques du langage dans l'augustinisme du second Port-Royal, p. 95. Arnauld, “sur ce qu'on suppose partout qu'il y a une nouvelle secte d'hérétiques, qu'on appelle Jansénisme, et que cependant on ne saurait dire ce qu'on entend par ce nom de Jansénistes, sans faire voir qu'il n'y a pas d'hérétiques”. Parenté avec la technique des Provinciales. Dénoncer les noms-étiquettes pour formuler des noms-définis, résultats d'une définition.
La langue et le style des Provinciales
On trouve dans les Pensées des esquisses de la rhétorique des Provinciales. Voir par exemple Laf. 956. “C’est ce qu’il a prévu aussi en ce lieu me répondit-il, ou après avoir dit - 22 - si cela était vrai les plus riches seraient damnés. Il ajoute : à cela Arragonius répond qu’ils le sont aussi et Bauny, jésuite ajoute, de plus, que leurs confesseurs le sont de même mais je réponds avec Valentia, autre jésuite, et d’autres auteurs qu’il y a plusieurs raisons pour excuser ces riches et leurs confesseurs.
J’étais ravi de ce raisonnement quand il me finit par celui-ci : Si cette opinion était vraie pour la restitution, O qu’il y aurait de restitutions à faire !
O mon Père, lui dis-je, la bonne raison. - O, me dit le Père, que voilà un homme comme. - O, mon Père, répondis-je, sans vos casuistes qu’il y aurait de monde damné. (O répliqua-t-il qu’on a tort de ne nous pas laisser en parler) - O mon Père, que vous rendez large la voie qui mène au ciel ! O qu’il y a de gens qui la trouvent ! Voilà un...”
“Les Provinciales et la littérature”, Notice 2 de PASCAL, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. Sellier et Ferreyrolles, Pochothèque, p. 230 sq. : les Provinciales n’ont été considérées sous l’angle littéraire que très récemment alors que, paradoxalement, leur succès a d’abord été d’ordre littéraire.
OC I, p. 907 sq. Extraits des Mémoires de Hermant. Eloge du style des Provinciales. Voir p. 950, extrait des Mémoires de Du Fossé.
FERREYROLLES Gérard, Les Provinciales, p. 43 sq.
DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 204 sq. Analyse stylistique.
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, III, VII, éd. Leroy, t. 2, p. 72. Sur le ton cavalier, indifférent, mondain, aisément fringant et d’un autre monde que nos docteurs ; opposition au style de famille de Port-Royal : p. 74.
MESNARD Jean, “Prélude à l’édition des Provinciales”, Treize études sur Blaise Pascal, n, p. 103. Manifeste de style coupé. Son audace a effrayé le correcteur, qui a tenté de l’atténuer en modifiant la ponctuation.
SELLIER Philippe, “Imaginaire et rhétorique”, in Essais sur l’imaginaire classique. Pascal, Racine, Précieuses et moralistes, Fénelon, Paris, Champion, 2003, p. 141-156. Voir p. 146, sur la recherche du style discontinu et de la cassure rhétorique. Voir dans Provinciale I, note sur le style coupé.
SELLIER Philippe, “Vers l’invention d’une rhétorique”, in SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 171 sq. L’une des règles de rhétorique que Pascal s’est formée est la recherche du discontinu et de la cassure, dans le double champ de la dispositio et de l’elocutio. Technique consistant à polir des formes brèves, discontinues, tout en marquant fortement que cette fragmentation en lettres séparées va de pair avec l’unité d’un dessein d’ensemble : p. 171. La technique de la lettre permet la fragmentation des questions : p. 172. La technique de Pascal consiste à construire des formes brèves, tout en soulignant que la fragmentation va de pair avec l’unité d’un dessein d’ensemble. Voir le début de la Provinciale IV, p. 176.
CARRIER Hubert, “La victoire de Pallas et le triomphe des Muses ? Esquisse d’un bilan de la Fronde dans le domaine littéraire”, XVIIe siècle, 145, p. 372 sq. Effet de la production polémique de la Fronde sur la phrase française. Le Manifeste que Retz écrit en l’attribuant à Beaufort. La rhétorique du fascicule polémique n’est pas celle du traité ni de la dissertation ; il faut faire bref et frappant. Plus d’érudition, tout pour l’efficacité. La mode est désormais aux exposés concis, aux narrations vives, à la violence oratoire, aux formules cinglantes, à l’ironie, voire au pastiche. Pascal en a tiré la leçon dans les Provinciales.
MESNARD Jean, “Montaigne maître à écrire de Pascal”, in La culture au XVIIe siècle, p. 74-94. Voir p. 75 sq. Modernisation du langage, comparée à l’archaïsme de Montaigne.
SELLIER Philippe, “Des Confessions aux Pensées”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 211 sq. L’exemple de Montaigne sautant de sujet en sujet ; mais Pascal critique la confusion des Essais.
DUCHÊNE Roger, L’imposture littéraire..., p. 76 sq.
Par opposition au style coupé, on trouve parfois des exemples de style périodique qui touchent à la caricature : voir la lettre de Saint-Cyran à Arnauld d’Andilly du 25 septembre 1620, SAINT-CYRAN, Lettres, éd. Donetzkoff, I, p. 9-10 : “La science qu’on a des choses de Dieu naît seulement de son amour, et que tous les esprits de la terre, pour aigus et savants qu’ils soient, n’entendent rien en notre cabale s’ils ne sont initiés à ces mystères, qui rendent, comme en de saintes orgies, les esprits plus transportés les uns envers les autres, que ne sont ceux qui tombent en manie, en ivresse, et en passion d’amour impudique, qui sont trois défauts par lesquels notre Maître explique en ses livres l’indicible perfection de ceux qui s’unissent, ou se rendent uns avec lui par une amoureuse dévotion, qui a ses mouvements divers, qui s’expliquent dignement par ceux du soleil, qui sont uniformes en leur difformité, qui a des taches en apparence qui s’expliquent bien par celles qu’on remarque au corps de la lune, qui n’ôtent rien de sa beauté et de sa lueur, qui a des dérèglements, qui sont comme ceux des quatre saisons, qui sont les mêmes en leur variété, et dont les plus violents, qui sont ceux de l’hiver, ramènent toujours la beauté du printemps, qui est une saillie de plus que vous devez avoir pour agréable, quoiqu’elle ne convienne guères bien à une lettre, puisqu’il a fallu que pour prouver qu’il y avait un honnête dérèglement en cet excellent amour que je m’approprie, je me sois moi-même déréglé”. On comprend que Pascal cherche à éviter ce style...
Sur les Provinciales comme modèle littéraire, voir THIROUIN Laurent, “Les Provinciales comme modèle polémique : la querelle des Imaginaires”, Ordre et Contestation au temps des Classiques, t. 2, Biblio 17, Paris-Tübingen-Seattle, 1992, p. 75-92.
Les répétitions et les refrains dans les Provinciales : Le Nous étions bien abusés est repris en I, 13, Mais nous étions bien trompés. Voir Pensées, Laf. 515. « Miscell. Quand dans un discours se trouvent des mots répétés et qu’essayant de les corriger on les trouve si propres qu’on gâterait le discours il les faut laisser, c’en est la marque. Et c’est là la part de l’envie qui est aveugle et qui ne sait pas que cette répétition n’est pas faute en cet endroit, car il n’y a point de règle générale. »
SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, p. 176 sq. Esthétique de la répétition chez Pascal. Contrairement au vœu du grammairien Vaugelas, qui n’approuve que du bout des lèvres les répétitions stylistiques. Polyptotes : p. 177. Martèlements lexicaux qui sont parfois renforcés par la dureté des antithèses : p. 177. Martèlement qui prennent la forme de la réversion, souvent considérée comme un paroxysme de l’antithèse : p. 177. Sur les répétitions chez Pascal géomètre, voir DESCOTES Dominique, Blaise Pascal. Littérature et géométrie, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2001.
LE GUERN Michel, “La répétition chez les théoriciens de la seconde moitié du XVIIe siècle”, XVVIIe siècle, 152, Juillet-septembre 1986, p. 269-278.
DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 202 sq. Etude grammaticale et stylistique du passage. Répétitions qui sont contre la beauté et la justesse du discours. Les répétitions sont mal venues dans un état de question, et si l’on répète, il faut varier les tours.
Ironie dans les Provinciales
FERREYROLLES Gérard, “L’ironie dans les Provinciales de Pascal”, Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, 38, 1986, p.39-50.
THIROUIN Laurent, « Imprudence et impudence. Le dispositif ironique dans les Provinciales », in Treize études sur Blaise Pascal, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2004, p. 167-193.
JAYMES David, “La méthode d’ironie dans les Provinciales “, Méthodes chez Pascal, Paris, P.U.F., 1979, p. 203-207.
Pamphlet
PLAINEMAISON Jacques, Blaise Pascal polémiste, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2003, p. 137-155. Les Provinciales sont-elles des pamphlets ?
CARRIER Hubert, « Pour une définition du pamphlet : constantes du genre et caractéristiques originales des textes polémiques du XVIe siècle, in Le pamphlet en France au XVIe siècle, Cahiers V.-L. Saulnier, Pars, ENSJF, 1983, p. 123-136.
L’unité d’ensemble des Provinciales, et les groupes de lettres dans la série
“Les Provinciales et la littérature”, Notice 2 de PASCAL, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. Sellier et Ferreyrolles, Pochothèque, p. 232 sq.
Jean MESNARD, « Sur la composition dans Les Provinciales de Pascal », article électronique.