Port-Royal et la couronne de France
Dans l’ensemble, l’hostilité de la couronne et de la cour à l’égard de Port-Royal est une suite de l’opposition de Richelieu, puis de Mazarin, au parti dévot. Mais les raisons particulières et la forme prise par cette hostilité diffèrent selon les époques et les personnes.
L’hostilité de Richelieu vise d’abord Saint-Cyran comme l’une des têtes du parti dévot. Il avait refusé d’importantes fonctions que lui avait offertes le ministre, notamment l’archevêché de Bayonne. Saint-Cyran était aussi lié à Jansénius, auteur du Mars Gallicus contre la politique étrangère de la France. Enfin, il y eut entre Richelieu et Saint-Cyran une rivalité d’ordre théologique sur la question de l’attrition et de la contrition (voir la Provinciale X). Richelieu a fait arrêter Saint-Cyran le 14 mai 1638 ; l’abbé ne sortira de prison qu’après la mort du ministre, et il ne survivra guère à sa libération. Voir sur ce sujet MOUSNIER Roland, L’homme rouge, ou la vie du cardinal de Richelieu (1585-4642), coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 616-617.
L’hostilité de Mazarin à Port-Royal n’est pas de même ordre. Elle tient en partie à ce que beaucoup de personnes liées à Port-Royal ont été du côté de la Fronde (Pascal est sur ce point une exception dans le groupe de Port-Royal). Il faut aussi se souvenir que le cardinal de Retz, qui a été l’un des ennemis les plus constants de Mazarin, a été soutenu par nombre de partisans de Port-Royal. On trouve l’interprétation janséniste de l’attitude de Mazarin à l’égard de Port-Royal dans ARNAULD, Œuvres, XXI, p. VII : les motifs de Mazarin lors de l’assemblée du clergé de 1656 ; il n’avait pas l’esprit théologien. Sa haine du cardinal de Retz explique son hostilité à l’égard de Port-Royal : on lui a mis dans la tête que les jansénistes soutenaient Retz. Il veut s’en venger, et faire passer Retz lui-même pour janséniste. Voir ce qu’en dit GOUBERT Pierre, Mazarin Paris, Fayard, 1990, p. 392-394.
Mais l’affaire janséniste est surtout pour Mazarin une carte dans le jeu qu’il joue à l’égard de Rome, et un moyen de chercher à se concilier des papes qui ne l’aiment pas beaucoup. Il cherche à se faire un mérite auprès du pape de ce qu’il fait contre les ennemis des jésuites. Il utilise à cet effet Pierre de Marca. Sur Mazarin et Port-Royal, voir GRES-GAYER Jacques M., Le jansénisme en Sorbonne, p. 118. Voir aussi JANSEN Paule, Arnauld d’Andilly, p. 62. Mazarin décide le réveil de l’affaire janséniste dès la première quinzaine d’avril 1655. Son attitude lors de l’affaire de la censure : p. 76.
Arnauld d’Andilly défenseur de Port-Royal (1654-1659), éd. P. Jansen, p. 19. Vers 1654, Mazarin cherche à se concilier la cour de Rome et le pape. L’année 1653, il a fait recevoir la bulle condamnant les cinq propositions, mais il est déçu par l’attitude du pape qui ne lui en sait aucun gré. Il songe vers la fin janvier 1654 à favoriser l’adoption d’un moyen suggéré par les ennemis de Port-Royal pour aggraver le cas des jansénistes, savoir l’attribution formelle des propositions à Jansénius, qui n’a pas été fermement affirmée dans la bulle pontificale. Pour savoir ce qui se passe dans le camp janséniste, il utilise par l’intermédiaire de Claude Auvry, devenu évêque de Coutances, Arnauld d’Andilly, qui est intervenu en leur faveur. Sur Arnauld d’Andilly, l’article du Dictionnaire de Port-Royal, et
Le prolongement de ces réunions est l’affaire Picoté de 1655. Le 7 avril 1655, le cardinal Fabio Chigi étant élu pape sous le nom d’Alexandre VII, Mazarin, qui le sait favorable aux jésuites, juge nécessaire de réveiller l’affaire janséniste. Voir JANSEN, Le cardinal Mazarin..., p. 21 sq. Il pousse donc Arnauld d’Andilly à entraîner son frère à écrire d’autres ouvrages, de manière à ce qu’il se compromette encore plus. Cela donnera la Seconde lettre à un duc et pair qu’Arnauld d’Andilly présente par lettre à Mazarin le 25 août 1655. Cette publication est à l’origine de l’affaire Arnauld en Sorbonne.
Avec Louis XIV, c’est encore autre chose. Voir BLUCHE François, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986, p. 303-323. Dans ses Mémoires pour l’année 1661, Louis XIV écrit : « Je m’appliquai à détruire le jansénisme, et à dissiper les communautés où se fomentait cet esprit de nouveauté, bien intentionnées peut-être, mais qui ignoraient ou voulaient ignorer les dangereuses suites qu’il pourrait avoir » : p. 309. Pour Louis XIV, le jansénisme est inséparable de la Fronde qui a mis sa couronne ne péril de devenir une simple monarchie parlementaire. Il reproche à Port-Royal d’avoir été un nid de frondeurs. Les gens de Port-Royal ont du reste des habitudes de clandestinité engendrées par l’habitude de la persécution. Louis XIV refuse de laisser libre cours à ce qui lui apparaît comme un parti virtuellement dangereux par les liens qu’il entretient jusque dans les plus hautes sphères de l’État. Sur les mesures prises contre Port-Royal, voir p. 312 sq. Du reste, Louis XIV est soucieux de l’unité religieuse du royaume, dont il s’estime responsable. La Paix de l’Église (1668-1679) fut à la fois une trêve pour Port-Royal et une tentative de restaurer la concorde religieuse. Mais elle ne dura que quelques années. Et le souci d’extirper l’hérésie, qui se manifeste par la révocation de l’édit de Nantes, n’a pas épargné les jansénistes. Voir BLUCHE, Op. cit ., p. 592-620.
LAVISSE Ernest, Louis XIV, histoire d’un grand règne, 1643-1715, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 82 sq., sur l’affaire janséniste jusqu’à la mort de Mazarin. Voir p. 367 sq. sur la persécution et la paix de l’Église.
Les Provinciales, éd. Cognet, p. VII sq. Synthèse historique sur les antécédents des Provinciales. Sur La théologie morale des jésuites, août 1643, voir Les Provinciales, éd. Cognet, p. X-XI.