P 13 : Texte de la réponse

 

Fin octobre 1656. NOUËT Jacques, Réponse à la treizième Lettre des jansénistes

NOUËT Jacques, Réponse à la XIIIe lettre, slnd (octobre 1656), 8 p. ibn 4° ; texte in Réponses, éd. de 1658, p. 230 sq. ; voir GEF VI, p. 118.

Lettre de Saint-Gilles à Florin Périer du 27 octobre 1656, in BAUDRY DE SAINT-GILLES D’ASSON Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p. 254 sq.

OC III, éd. J. Mesnard, p. 460, p. 1048 sq., et p. 1051 sq. Envoi de la sentence du Grand Vicaire sur le miracle de la sainte Épine. Annonce que la XIVe Provinciale est sous presse : p. 1052. Sur les discussions des curés de Paris pour faire campagne contre les casuistes : p. 1052. Sur le soufflet de Compiègne, et sur la question de savoir si le soufflet a été donné du plat ou du dos de la main. “Les bons Pères, par une Réponse à la treizième (que je diffère à vous envoyer pour vous en envoyer en même temps la réfutation) nient le soufflet de Guille, qui cependant est indubitable. La seule difficulté est de savoir si ça été d’avant ou derrière main” : p. 1053.

Lettre de Saint-Gilles à Florin Périer du 27 octobre 1656, in BAUDRY DE SAINT-GILLES D’ASSON Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p. 254 sq.

JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Etude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol.

 

Réponse à la treizième Lettre des Jansénistes.

Monsieur,

Vous êtes toujours semblable à vous-même : toujours faible dans vos réponses, et violent dans vos passions : toujours lâche dans votre défense, et hardi dans vos impostures.

Celles du soufflet de Compiègne est assez nouvelle. C’est par-là qu’il faut que je commence. Cette question de fait est sans embarras, et de plus elle vous est fort honorable. On verra clairement qu’elle estime on doit faire désormais de votre probité, et combien vous êtes éloigné de vous exposer à tout perdre, et vous exposant à être reconnu pour imposteur. Car vous ne pouviez donner au public une plus éclatante preuve de la sincérité de vos paroles, ni prouver par un exemple plus signalé, qu’un Janséniste ne ment jamais.

Le Roi le sait : la Reine en est bien informée : toute la Cour en a ouï parler : et je m’assure que toute la France en parle encore : voilà un grand théâtre ouvert à votre réputation : c’est dommage que vous ne vous faites connaitre, et qu’on ne sait le nom de ce savant homme, qui a fondé si solidement sa Théologie sur un soufflet.

Le bruit se rependit il y a peu de jours dans la ville de Compiègne, qu’une personne, dont le nom est assez connu, avait reçu un soufflet d’un Jésuite, que sa rare modestie a rendu aimable aux plus grands du Royaume. Monseigneur de Rhodés ayant voulu s’en informer apprit la fausseté de cette calomnie, de la bouche même de celui qu’on disait être l’offensé.

Pendant que ce faux bruit se dissipait dans Compiègne et se tournait en risée, le mensonge honteux aux yeux de la Cour, vous est venu trouver dans vos ténèbres, pour vous prier de lui prêter ce beau visage, que vous donnez à vos impostures, afin de courir les rues de Paris.

Vous l’avez bien reçu parce que vous l’aimez : vous l’avez accueilli avec joie, et après l’avoir fardé et déguisé, vous l’avez mis au plus beau lieu de votre lettre à la tête d’une infinité de faussetés qui lui font escorte.

Si vous étiez un auteur grave, les Jésuites seraient bien attrapés. Car quelque fausse que soit cette opinion populaire, dès là qu’on la verrait dans vos écrits, vous les obligeriez par la doctrine de la probabilité d’avouer selon le P. d’Escobar, que c’est une opinion probable secundum praxim societatis.

Mais, Monsieur, on attend le Roi à l’heure même que j’écris ceci : quand il sera arrivé, comment est-ce que ce mensonge masqué et travesti osera paraître ? Que dira-t-on de cet habile Écrivain, qui l’a mis parmi ses cas de Conscience ? Que deviendront les instructions Chrétiennes de ce Curé, que vous n’avez fait entrer dans votre lettre, que parce qu’il n’aime pas trop les Jésuites, et que l’on n’a fait sortir de Paris, que parce qu’il aime encore moins la Religion ? Enfin que répondront les Jansénistes, quand on leur reprochera qu’au préjudice de l’innocence, vous avez fait d’un bruit de ville, les décisions de leurs morales ?

Certes, Monsieur, je ne vois pas ce qu’ils peuvent dire, si ce n’est peut-être que la grâce étant vérité dans l’esprit, et charité dans le cœur, l’une et l’autre vous a manqué : mais comme cette confession n’est pas fort Catholique, j’aime mieux dire que vous avez manqué à la grâce, et qu’il est faux qu’un Jésuite ait blessé la charité en donnant un soufflet à Guille : mais qu’il est vrai qu’un Janséniste en l’écrivant a donné un soufflet à la vérité.

Laissons donc là votre imposture de Compiègne, et voyons si vous défendez mieux la quatrième qui se trouve dans vos lettres, que vous n’avez fait les trois premières.

Je vous ai convaincu de fausseté sur un texte touchant l’homicide que vous donnez à Lessius Jésuite, bien qu’il soit du Théologien Victoria, dont vous supprimez le nom en votre septième lettre. Après avoir été repris de cette faute, vous reconnaissez dans la treizième qu’il est en effet de celui-ci : et pour vous excuser de l’avoir attribué à l’autre, vous répondez que ne c’est pas encore le sujet de la dispute. Je ne sais pas si c’est le sujet que vous prenez de votre dispute : mais je sais bien, Monsieur, et vous le pouvez nier, que c’est le sujet de votre imposture.

Je vois bien à la vérité, que ce sujet ne vous pait pas, que vous y êtes en assez mauvaise posture, et que vous seriez bien aise de changer de place. Mais que sert au malade de quitter le lit, s’il n’y peut laisser sa faiblesse, et s’il porte son mal avec lui ? Vous pouvez bien changer le sujet de la dispute, parce que vous n’y trouvez pas votre avantage. C’est la méthode ordinaire des hérétiques, que vous n’avez pas mal étudiée. Mais vous ne pouvez nous persuader, que de faire passer sous le nom de Lessius des paroles que vous êtes contraint de rendre vous-même à Victoria, ce ne soit pas une falsification toute visible. Voici le passage dont nous sommes en différend, que je rapporte dans vos propres termes.

>Celui qui a reçu un soufflet ne peut pas avoir l’intention de s’en venger ; mais il peut bien avoir celle d’éviter l’infamie, et pour cela de repousser à l’instant cette injure, et même à coups d’épée.

Dites-moi donc, Monsieur, si ce n’est pas ce passage que vous avez donné à Lessius en votre septième lettre ? Dites-moi si ce n’est pas ce même passage que vous restituez à Victoria dans la treizième ? Dites-moi si ce n’est pas la une fausseté manifeste ? Et enfin dites-moi s’il suffit à celui qui l’a commise, de dire pour sa justification que ce n’est pas encore le sujet de la dispute ? Je prends un voleur sur le fait, et je le contrains de rendre la bourse à celui à qui il l’a coupée : en est-il quitte pour dire, que ce n’est pas encore le sujet de son procès, et qu’il a bien fait d’autres vols ?

Vous voyez, Monsieur, la faute que vous avez faite en imputant à un auteur ce qu’il ne fait que rapporter d’un autre : et je pourrais me contenter de vous avoir contraint d’en faire une reconnaissance publique : Mais parce que vous direz que ce n’est pas encore le sujet de la dispute, et qu’en effet il y a bien d’autres fautes à corriger dans votre feuille, il faut vous pousser plus avant, et continuer la suite de vos impostures, qui vont croissant à mesure qu’elles se multiplient.

S’il est vrai, dites-vous, que Lessius ne fait que rapporter les paroles du Casuiste Victoria, il est vrai aussi qu’il ne les rapporte que pour les suivre. C’est ici une nouvelle imposture, qui entraine plusieurs autres ensuite, mais qui ne justifie pas celle qui la précède. Ce n’est pas le moyen de guérir vos plaies que d’en faire de nouvelles.

Si vous vous fussiez contenté de falsifier les paroles de ce Jésuite, on eut appris cette chute pour un effet de votre trouble qui nous eut donné de la pitié : mais d’altérer ses pensées et de corrompre la pureté de sa doctrine, c’est l’effet d’une malice affectée, pour laquelle on ne peut avoir que de l’indignation et du dédain.

Est-ce suivre l’opinion de Victoria que de dire qu’il ne la faut pas facilement permettre, parce qu’il est à craindre qu’elle ne donne lieu à la haine, à la vengeance, et à l’excès ? Pouvait-il se déclarer contre cet auteur célèbre par une expression plus forte, sans sortir des bornes de la civilité, et du respect qu’on doit garder dans cette sorte de dispute contre des Docteurs Catholiques ?

Est-ce la suivre que de la combattre par l’autorité de saint Augustin (que vous n’aviez garde de montrer à tout le monde, parce que vous eussiez découvert à même temps votre mauvaise foi) et de conclure par le sentiment de ce grand saint, que s’il fait difficulté de dire, qu’on puisse pour défendre sa vie, tuer un homme, beaucoup moins accorderait-il qu’on le puisse tuer pour défendre son honneur ?

Est-ce la suivre que de dire immédiatement après le sujet de cette autre maxime, qui permet de tuer pour repousser la calomnie dont on ne se peut autrement défendre, qu’il la condamne aussi dans la pratique ? Hac quoque sententia (ces mots sont remarquables pour montrer la liaison de cette décision avec la précédente) hac quoque (souffrez Monsieur que je le répète encore une fois pour vous faire voir la raison que j’ai eue de la rapporter, non pour les confondre toutes deux, comme vous m’imposez, nonobstant que je vous en eusse déjà averti dans ma réponse à votre onzième Lettre ; mais pour vous en montrer la conformité) Hac quoque sententia cadibus cum magnâ rip. perturbatione praberet occasionem. Je n’approuve point non plus cette opinion dans la pratique, d’autant qu’elle donnerait ouverture à beaucoup de meurtres secrets, qui causeraient de grands désordres dans les Royaumes, parce que quand il s’agit du droit que chacun a de se défendre, il faut toujours prendre garde que l’usage n’en soit pas préjudiciable au public.

Après des preuves si évidentes, comment avez-vous osé dire, que Lessius ne rapporte l’opinion de Victoria que pour la suivre ? Comment avez-vous eu la hardiesse de prendre à témoins toutes les personnes d’honneur, qui l’ont vue dans sa source devant même que j’eusse pris le dessein de vous répondre ? Je vous avais dit en ma réponse à vos impostures, que beaucoup de gens d’honneur avaient reconnu celle-ci devant moi, et je m’étais contenté de leur témoignage sans vous citer le texte qu’ils avaient eux-mêmes vérifié. Comment pouvez-vous dire sans rougir que je le leur ai caché ? Je l’avais cité depuis en répondant à ce rare éloge que vous avez fait de la bouffonnerie dans votre onzième lettre. Comment avez-vous eu la lâcheté de le dissimuler ?

Je crois fermement que vous vous êtes imaginé qu’il n’y avait plus dans le monde de gens d’honneur ni de savoir, et qu’ainsi vous les pouviez impunément appeler à témoins comme ces francs pécheurs, ces pécheurs pleins et achevés que vous connaissez, jurent sans cesse le nom de Dieu, et le prennent à témoin sans aucune crainte, parce qu’ils ne croient pas qu’il y en ait.

Car si vous craignez le jugement des personnes d’honneur, par quelle sincérité Jansénienne pouvez-vous m’accuser d’avoir supprimé le texte du nombre 80 qui combat directement l’opinion de Victoria, puisqu’en le citant dans ma réponse à l’onzième, j’avais prévenu cette chicane ? Et si vous craignez la censure des savants, comment pouvez-vous dire que le texte du nombre 82 que j’ai rapporté en réfutant votre quatrième imposture, touche une question toute différente, et une opinion toute séparée ?

Réveillez votre mémoire, Monsieur, elle vous fait un mauvais service. Souvenez-vous que Lessius enferme ces deux opinions comme deux espèces d’un même genre dans une même question, à savoir si l’on peut tuer un homme pour défendre son honneur. Souvenez-vous que les raisons qu’il apporte pour combattre l’une, sont d’une force égale contre l’autre. Souvenez-vous de ces mots qui en montrent la liaison dans le sentiment de cet auteur ; hac quoque sententia mihi in praxi non prebatur. Que si vous faites vanité d’un glorieux oubli de la plus belle de toutes les langues, souvenez-vous au moins de vos propres paroles, et faites réflexion sur ce que vous dites au commencement de votre lettre, que vos impostures 15, 15, 17, 18 où il s’agit de la seconde opinion, qui permet de tuer un calomniateur, sont sur le même sujet que celle où il s’agit de la première, qui permet à celui qui a reçu un soufflet de repousser l’injure et même avec l’épée, et qu’ainsi il est à propos d’y satisfaire à même temps. S’il est à propos d’y satisfaire à même temps, pourquoi n’est-il pas à propos d’en parler à même temps ? Seront-elles toutes différentes pour moi, et sur un même sujet pour vous ?

Je vous demande, Monsieur, par quel équivoque vous pouvez accorder cette contradiction, qui se trouve entre la première et la seconde page de votre lettre ? J’avais bien appris du procès de l’Abbé de S. Cyran, que cet illustre chef de votre secte croyait qu’on pouvait dire tout bas que le Concile de Trente n’est qu’un Concile de Théologiens qui a beaucoup altéré la doctrine de l’Église, et le nier tout haut quand on était accusé de l’avoir dit. Mais il faut avouer que le disciple à bien enchéri sur le Maître. Car vous pensez qu’il est permis de dire tout haut que deux opinions sont sur le même sujet, et un moment après assurer tout haut que ces mêmes opinions sont toutes séparées, et sur un sujet tout différent.

Je ne vois pas, Monsieur, comment vous pouvez franchir ce mauvais pas, si vous n’imitez Monsieur de saint Cyran dans une de ses belles Lettres dont les Jésuites ont l’origine au Collège de Clermont, que vous pouvez voir quand il vous plaira, car je vous assure qu’ils les montrent aussi volontiers à tout le monde, que vous avez pris autrefois de soin pour en supprimer toutes les copies.

Écoutez donc, Monsieur, comme parle cet incomparable Abbé, écrivant à Monsieur d’Andilly. Si je suis quelquefois surpris en contrariété de discours, comme j’ai été naguères par cet excellent Cousin que vous aimez, j’ai raison de me défendre : étant en partie d’une céleste composition, deux qualités contraires, le feu et l’eau s’assemblent, qui me font quelquefois faire de contraires discours, mais néanmoins d’une telle sorte que l’un ne détruit pas l’autre. Comme dans le Ciel, le feu prochain de la lune, qui n’est pas loin des eaux qui l’environnent, n’en ressent aucune diminution de sa chaleur.

Vraiment l’Abbé de S. Cyran ne raisonnait pas mal quelquefois. Il savait accorder les qualités de la lune et du feu, et faire de l’humide et du chaud un tempérament excellent pour remédier aux défauts de la mémoire. Cela vous peut servir, Monsieur, car je m’aperçois qu’elle vous manque souvent, et qu’ayant promis d’abord de satisfaire à l’onzième 13, 14, 15, 16, 17 et 18 imposture, vous vous emportez si fort sur la quatrième, que vous laissez les autres au bout de votre plume.

J’espérais que vous diriez pourquoi vous attribuez à Layman Jésuite l’opinion de Navarre sur le duel, qui est le sujet de votre onzième imposture. Vous l’avez oublié.

J’attendais une plus fidèle traduction de deux passages de Molina que vous avez si cruellement estropiés. Vous en avez perdu le souvenir.

Je jugerais avec vous qu’il était juste de faire quelque satisfaction à Reginaldus, Lessius, Filliucius, dont vous avez falsifié, et coupé les textes en supprimant une partie pour corrompre l’autre. Cela vous est échappé de la mémoire.

Enfin je croyais que vous me feriez voir quelque Jésuite qui enseignât ce que vous leur reprochés faussement, que la loi de Dieu ne défend point de tuer de simples médisances : car c’est le mot de Simples qui est fort surprenant, et véritablement, Monsieur, vous aviez bien jugé qu’il était à propos d’y satisfaire : mais vous vous en êtes souvenu. Vous ressemblez à ces mauvais débiteurs, qui sont tous les jours de nouveaux procès, de peur de payer de vieilles dettes. S’il eut fallu satisfaire à tant de calomnies que vous avez publiées contre les devoirs de la Justice, et de la charité Chrétienne, on vous eut trouvé entièrement insolvable. Qu’avez-vous fait pour tromper tous vos créanciers ? Vous vous êtes avisé de leur faire un procès sur la doctrine de la probabilité, et de les poursuivre par des raisonnements si justes, et des réflexions si judicieuses, que vous nous donnez sujet de douter si c’est le jugement qui l’emporte sur votre mémoire, ou si votre mémoire ne couvre point le jugement.

Je pourrais vous renvoyer au premier cahier de la seconde partie de vos impostures qui a paru tout à propos à même temps que votre lettre, pour vous montrer que vous êtes aussi savant dans la doctrine des opinions hérétiques, que mal instruit dans la doctrine des opinions probables. Mais parce que vous me paraissez extraordinairement ému, il faut que je fasse un nouvel effort, pour vous apaiser, et vous ramener à la raison.

Pour lever le scandale que vous avez donné au peuple, en publiant par une étrange calomnie, que les Jésuites permettent, selon la loi de Dieu, de tuer pour de Simples médisances, et que s’ils le défendent ce n’est que par des raisons politiques ; j’ai jugé qu’il était nécessaire en réfutant cette horrible fausseté, d’avertir le public de deux choses. La première, Qu’il n’y a point de Casuistes qui aient jamais avancé dette maxime : La seconde, Que quelques-uns ont écrit qu’il est permis de tuer pour des calomnies atroces, qui touchent à l’honneur et à la vie, quand on ne peut les repousser autrement ; et qu’il est à regretter que Monsieur du Val se trouve engagé avec Bannes dans ce parti : Mais que pour les Jésuites, leurs plus savants Auteurs, comme Vasquez et Suarez, condamnent absolument cette maxime ; les autres la condamnent dans la pratique. J’ajoute, Que si quelques particuliers ont suivi cette doctrine étrangère, leur malheur est de s’être éloigné des sentiments de leur Compagnie, qui les a publiquement désavoués, comme tout le monde sait. À cela qu’avez-vous répondu ?

Pour éluder ma première proposition, vous l’avez falsifié, en omettant le mot de simples. Voilà un trait de votre belle mémoire, qui a trouvé ce que cet Ancien cherchait, l’art d’oublier ce qu’elle veut : et vous m’avez fait dire, qu’il n’y a pas un Jésuite qui permette de tuer pour des médisances. Voilà un beau trait de votre jugement, qui mériterait d’être relevé, s’il ne m’en restait encore beaucoup d’autres à remarquer.

Pour combattre la seconde, vous blâmez hautement cette diversité de sentiments qui se rencontre parmi les auteurs Jésuites, dont les uns reprouvent tout ensemble l’opinion de Bannes dans la pratique et dans la spéculation, les autres la condamnent seulement dans la pratique ; et par un stratagème nouveau, au lieu de diviser vos ennemis, vous les voulez unir contre leurs propres sentiments. À quel dessein ? Afin de montrer qu’ils conspirent par un merveilleux concert à établir cette doctrine lors même qu’ils la condamnent ; et pendant que vous amusez ainsi le monde par vos sophismes, faire disparaitre adroitement toutes vos impostures. Cette défaite est digne de vous : mais vous vous surpassez vous-même dans les remarques et les réflexions que vous faites pour y réussir.

Vous remarquez en premier lieu, que cette distinction de spéculation et de pratique en matière d’opinion, que l’Université a traité de ridicule, est une invention des Jésuites, et un secret de leur politique, qu’il est bon de faire entendre.

Les Jésuites à ce compte sont bien plus anciens que je ne croyais dans l’Église de Dieu, par les règles de votre Chronologie. Car Sanchez Jésuite m’avait fait croire jusqu’ici que le Cardinal Cajetan l’avait introduite dans la Théologie : que S. Thomas lui en avait donné l’ouverture : et que depuis plusieurs Théologiens l’avaient reçue. Mais puisque vous m’assurez qu’elle est de l’invention de ces Pères, je conclus qu’ils sont de l’âge de S. Thomas, et même qu’ils sont aussi anciens que l’Évangile, puisque les Théologiens fondent ordinairement cette distinction sur celle de S. Paul, qui avoue que manger de la chair des victimes, c’est une chose permise en elle-même. (Voilà ce que l’on appelle dans l’École permis dans la spéculation.) Mais que dans les circonstances du temps où le scandale des fidèles était si dangereux, il ne l’eut jamais voulu pratiquer. (Voilà ce que l’on appelle défendu dans la pratique.)

D’ailleurs, Monsieur, les Jésuites sont fort grands Politiques, de faire un secret de la chose du monde la plus commune parmi les Savants : de publier ce rare secret dans tous leurs Livres ; et de l’enseigner dans toutes leurs Écoles : Où est votre jugement ? Sancius, célèbre Théologien d’Espagne, dit que cette distinction est commune parmi les Jurisconsultes, et que plusieurs d’entre eux n’osent suivre dans la pratique les opinions de Cujas, de Duarenus, et de Donellus, parce qu’ils estiment qu’elles ne sont bonnes que pour la spéculation et pour l’École. Appelant illas opiniones solùm theoricas et non practicas, tantum ad Scholarum ludum prosicuas et non ad judicandum in praxi. Monsieur du Val l’a rendue commune dans la Sorbonne : Diana et Pascaligus parmi les Disciples de S. Augustin : Cajetan entre les Disciples de S. Thomas : Et vous pensez qu’on croira que les Jésuites en ont fait un secret de leur politique, que l’Université de Paris a traité de ridicule : Ne méritez-vous pas vous-même d’être traité de ridicule, par toutes les Universités du monde ?

Vous ajoutez que le secret de cette distinction ne leur est pas utile pour les questions où la Religion seule est intéressée, et qu’ils ne s’en mettent pas en peine, parce que ce n’est pas ici le lieu où Dieu exerce visiblement sa justice : mais qu’ils en font un grand usage quand il faut se mettre à couvert du côté des Juges ; et qu’ainsi par un renversement tout contraire à l’esprit des Saints, ils sont hardis contre Dieu, et timides envers les hommes.

Tout du bon, Monsieur, vous ne deviez pas découvrir le secret de ces bons Pères à tout le monde. Car outre que par ces beaux éloges vous donnez de la jalousie à tous les Théologiens, qui les méritent aussi bien que les Jésuites, puisqu’ils enseignent la même doctrine : Vous apprenez aux assassins, et aux voleurs un puissant moyen pour se mettre à couvert des Juges, et de faire un étrange renversement de la Justice : car après qu’ils auront montré aux Juges parla subtilité de cette distinction, qu’il est permis de tuer et de voler spéculativement, ils trouveront le moyen de passer, comme vous le prouvez admirablement, de la spéculation à la pratique : Et pourquoi n’auraient-ils pas droit de faire ce que toutes les Écoles enseignent ? Néanmoins, je ne sais s’il s’en trouverait beaucoup qui voulussent s’y fier, et qui ne préférassent au secret de ces Docteurs celui de Jansénius, qui avait trouvé la méthode de prendre en cachette de l’argent du Collège de sainte Pulcherie autant qu’il en fallait pour entretenir Barcos, sans qu’aux comptes qu’il en devait rendre tous les ans, personne du monde en sut rien.

Voilà comme les maximes des Jésuites sont contraires à celles des Jansénistes. Les Jésuites, dites-vous, approuvent les crimes dans la spéculation, et les condamnent dans la pratique : et les Jansénistes commettent les crimes dans la pratique, et les condamnent dans la spéculation. Les Jésuites, selon vos visions, cherchent des distinctions pour se mettre à couvert du côté des Juges : et les Jansénistes inventent des colonnes pour se mettre à couvert du côté des Papes : Mais ce qui est bien sensible à ceux qui ont un véritable amour pour cette Église Réformée, dont vous projetez le rétablissement, les Jésuites, par le zèle qu’ils ont pour le bien de l’État, sont bien venus auprès des Juges : et les Jansénistes, par leur rébellion contre l’Église, ne trouvent point de faveur auprès des Papes.

Voilà la véritable source de vos calomnies et de vos reproches : Voilà ce qui vous ronge d’envie, et ce qui vous fait faire cette troisième observation : Que les Jésuites s’imaginent que le crédit qu’ils ont dans l’Église, empêchera qu’on ne punisse leurs attentats contre la vérité.

Ne craignez-vous point qu’ils se piquent de ce reproche, et qu’ils se tiennent offensés de ce que vous publiez le crédit qu’ils ont dans l’Église ? Quand toute la secte Jansénienne eut travaillé autant de temps à justifier la bonne doctrine des Jésuites, qu’elle en a employé pour la calomnier, elle ne vous en eut peu suggérer une preuve plus puissante, plus claire, plis invincible que celle-ci ? Car s’ils ont du crédit dans l’Église, qui est toute sainte, et toute savante ; sur quoi peut-il être fondé, sinon sur la pureté de leurs mœurs et leur doctrine ? Le vice peut-il avoir du crédit, où la sainteté règne ? Et la mauvaise doctrine peut-elle subsister avec honneur, où la vérité préside ?

Rappelez en votre mémoire ce que vous avez fait à Rome, auprès du Pape Innocent X, et les artifices dont vous vous êtes servi pour vous donner du crédit dans l’Église : Y avez-vous réussi ? Avez-vous fait par toutes vos intrigues approuver une seule de vos pernicieuses maximes ? Le seul nom de Janséniste n’est-il pas également suspect à la Religion et à l’État ? N’a-t-on pas flétri tous vos Livres par une censure honteuse ? N’en a-t-on pas mis plus de quarante parmi les Livres défendus ? Et n’a-t-on pas nouvellement condamné à Rome les deux dernières Lettres du Sieur Arnaud, qui ont fait tant de bruit dans la Sorbonne ? Qui ne voit que cette disgrâce est une marque infaillible de vos erreurs, et une peine nécessairement attachée à l’Hérésie ?

Usez donc maintenant de discours, et raisonnez ainsi par la loi des contraires. Les Jésuites ont du crédit dans l’Église : Les Conciles approuvent leur Institut : Les Papes font des Bulles en faveur de leur bonne doctrine et de leur bonne vie : Messeigneurs les Évêques leur font l’honneur de leur donner de l’emploi dans leurs Diocèses, pour travailler au salut des âmes, et à l’instruction des peuples : Les gens de bien qui les connaissent, les aiment : Il n’y a que les Hérétiques et les Libertins, qui les persécutent : Il faut donc dire que c’est à tort que les Jansénistes décrient leur Morale, puisqu’elle tombe dans l’approbation universelle, et que ces Lettres scandaleuses qui volent par toute la France ne sont pleines que d’impostures, de faussetés et de déguisements.

De vérité, Monsieur, cette seule considération peut servir d’une Apologie générale à tout ce que vous avez dit jusqu’ici : et quand vous le redirez encore en mille nouvelles manières, on se pourrait contenter de vous envoyer à Rome, et de vous prier de porter vos plaintes devant le Pape, qui est le Juge souverain de la doctrine des mœurs, aussi bien que de la Foi : Car on commence à se lasser de vos redites.

Combien de fois nous avez-vous battu les oreilles de la doctrine des Opinions probables ? Faut-il encore aujourd’hui que je vous fasse rougir des fautes que vous y faites ? Je vous épargnerais volontiers cette confusion, s’il ne m’était évident que vous manquez de lumière aussi bien que de charité, et que vous avez besoin d’instruction.

Apprenez donc, Monsieur, pour demeurer sur le sujet de l’homicide, qu’il y a des opinions en cette matière qui choquent ouvertement la Foi, que l’on appelle Hérétiques comme celle des Vaudois, qui estimaient qu’il n’était jamais permis de tuer un homme pour quelque cause que ce fut, non pas même par les lois de la Justice.

Il y en a qui la choquent couvertement, que nous appelons suspectes et dangereuses, comme celle que vous avancez sans aucune réserve : Qu’il y a une distance infinie entre la défense que Dieu a faite de tuer, et la permission spéculative que les Auteurs en ont donnée. Car, comme vous ne vous expliquez jamais, et qu’on ne sait ni de quelle défense, ni de quelle permission vous parlez, on a sujet de douter si pour paraitre plus saint que les Lois, vous n’affectez point cette erreur, Que jamais il n’est loisible de tuer un homme non pas même par autorité publique, ni pour défendre sa vie, Cum moderamine inculpata tutela. C’est pourquoi, parlez une autre fois plus clairement ; puisqu’il y a précipice de part et d’autre ; soit dans le trop grand relâchement qui corrompt la doctrine des mœurs ; soit dans l’excès de la rigueur qui ruine celle de la Foi.

Il y en a qui sont contre les bonnes mœurs, que nous appelons scandaleuses, comme celles de Monsieur de S. Cyran, qui enseignait que l’on était obligé de tuer un homme quand l’inspiration nous y poussait, quoi qu’elle fut contraire à la Loi extérieure qui le défend.

Il y en a qui choquent le sens commun, que nous appelons extravagantes et téméraires, comme celle de ce même Abbé, qui prouve dans sa question Royale, que vous reconnaissez pour le premier de ses Ouvrages, que l’on est souvent obligé de tuer soi-même ; et que comme cette obligation est une des plus importantes et difficiles, il faut un courage et une force d’esprit extraordinaire pour y satisfaire.

Il y en a qui sont reçues de toute l’Église, dont il n’est pas permis de se séparer, et que nous appelons pour cet effet Orthodoxes, Catholiques, Indubitables. Par exemple, Que celui qui tue un voleur, qu’il trouve de nuit forçant les portes d’une maison, ou perçant les murailles, n’en doit point être recherché : car c’est l’Écriture même qui le déclare.

Il y en a qui ne sont pas si claires ni si évidentes, que l’Église abandonne à la dispute des Théologiens, leur permettant de tenir ce que bon leur semble : et ce sont celles que nous appelons probables : entre lesquelles il faut encore distinguer les Opinions probables dans la pratique, c’est-à-dire que l’on peut pratiquer en sureté de conscience, de celles qui ne sont probables que dans la spéculation c’est-à-dire dans des précisions subtiles de l’esprit, qui contemple les choses permises en elles-mêmes, bien que dans la pratique elles soient toujours accompagnées de circonstances dangereuses, qui les rendent illicites.

Voilà pourquoi les Théologiens disent qu’elles sont probables dans la spéculation ; mais qu’elles ne le sont pas dans la pratique : Et si quelques-uns, comme vous avez remarqué, enseignent que toutes les choses qui sont permises dans la spéculation, le sont aussi dans la pratique, ce n’est pas dans la mauvais sens que vous leur donnez : mais dans un autre tout contraire. Car ils présupposent toujours qu’on les puisse séparer dans la pratique des circonstances qui les corrompent ; si bien que dès là qu’elles en sont inséparables il est impossible de passer, selon le sentiment universel de tous les Docteurs, de la spéculation à la pratique. C’est ainsi que le P. d’Escobar s’explique, au même lieu que vous citez ; et si vous eussiez rapporté nettement sa pensée, les plus simples se fussent aussitôt aperçus de vos égarements.

Je tiens, dit-il, la première opinion, parce que si après avoir prévu les inconvénients, qui naissent de la pratique, je juge encore probablement que cette pratique est permise, il m’est loisible d’en user. J’avoue néanmoins, que tout ce qui est permis n’est pas toujours expédient, à raison des circonstances extérieures : Et de plus, si le Prince ou la Cour souveraine le défendaient par leurs Déclarations ou par leurs Arrêts, alors l’opinion qui s’y trouverait contraire, cesserait d’être probable. Par exemple, il se trouve quelques propositions d’Angelus, d’Armilla, et de Sylvestre, qui étaient probables devant le Concile de Trente : et néanmoins depuis ce même Concile, il n’est plus permis de les suivre dans la pratique. Et partant, dès là qu’on dit qu’une opinion n’est pas probable dans la pratique, je tiens pour moi qu’elle n’est pas aussi probable dans la spéculation, parce que les inconvénients qui se rencontrent dans la pratique en montrent la fausseté.

Et bien, Monsieur, le P. d’Escobar ne raisonne-t-il pas bien quelquefois ? Et si vous eussiez aussi bien raisonné que lui, ne deviez-vous pas passer de la pratique à la spéculation, au lieu que vous passez de la spéculation à la pratique ? Et pour parler clairement ne deviez-vous pas conclure de ce texte, que dès là que les Jésuites estiment que l’opinion de Bannes, de Victoria, et de Monsieur du Val touchant l’homicide, n’est pas probable dans la pratique, il s’ensuit selon le P. d’Escobar, qu’elle n’est pas même probable dans la spéculation ?

Ramassons donc notre discours, et pour réfuter en peu de paroles le reste de vos impostures, servons-nous de ces règles si certaines pour en découvrir l’injustice.

Il est faux premièrement, Que tout ce qu’approuvent des Auteurs célèbres soit probable et sûr en conscience : Vous ne prenez jamais les paroles des Auteurs, que pour les corrompre. Quand on dit qu’un Auteur célèbre suffit pour rendre une opinion probable et sûre en conscience : Ce n’est pas que tout ce qu’il enseigne soit probable. Vous êtes aussi éloigné du sens de cette proposition, que le Ciel l’est de la Terre. Le Cardinal Cajetan est un Auteur célèbre, et néanmoins on a retranché de ses écrits, par un ordre suprême, des décisions qui n’étaient pas soutenables. Le véritable sens de cette maxime, Monsieur, c’est que la probabilité d’une opinion ne dépend pas tant de la multitude des Auteurs qui l’enseignent, que de la force des raisons sur lesquelles elle est appuyé ; et que quand elle n’en aurait qu’un seul, si d’ailleurs les raisons qu’il apporte sont solides, et si l’opinion qu’il établit ne choque point la Foi ni les bonnes mœurs, son autorité est suffisante pour l’introduire dans les Écoles, et lui donner vogue parmi les Savants. Voilà ce qui vous a trompé : Vous avez séparé l’autorité de l’Auteur de la force de ses raisons conformes aux bonnes mœurs et à la Foi : il ne faut pas s’étonner, si d’une maxime corrompue par ignorance, ou déguisée par artifice, vous avez tiré de si mauvaises conséquences.

Il est faux ensuite, Monsieur, que la doctrine de la probabilité rende les Jésuites garants de toutes les erreurs que les Casuistes peuvent commettre, puisqu’au contraire la probabilité exclut toutes les erreurs qui choquent les règles de la Foi, et la discipline des bonnes mœurs.

Il est faux que cette diversité d’opinions probables soit funeste à la Religion. Cela sent le Calviniste : Et vous ne pouvez avancer cette fausseté, sans offenser le Pape qui les permet, les Universités qui les enseignent, et tous les Sages qui les suivent.

Il est faux que cette même diversité d’opinions, pourvu qu’elles soient probables, soit contraire à l’esprit de S. Ignace et de son Ordre, puisqu’elle n’est pas contraire à l’esprit de l’Église. Quand il leur recommande l’uniformité de sentiments et de doctrine, il ne leur ôte pas la liberté des opinions probables, mais il leur défend sévèrement les opinions hérétiques et dangereuses ; et s’il se trouvait quelqu’un parmi ses enfants, qui eut embrassé le Jansénisme, leur Compagnie ne le pourrait souffrir non plus que le Mer ne peut souffrir un corps mort sans le pousser hors de son sein, et le jeter sur le sable.

Il est faux enfin que la doctrine des opinions probables soit une marque de leur relâchement. Et quand vous dites qu’il y a bien d’autres Casuistes qui sont dans le relâchement aussi bien qu’eux, parce qu’il y en a bien d’autres qui soutiennent avec eux les opinions probables : vous leur faites plus d’honneur que vous ne pensez : Car si tous ceux qui les enseignent sont avec eux, et si vous les enveloppez dans le même relâchement, vous prenez tous les Docteurs Catholiques à parti, et vous demeurez véritablement tout seul sans force, sans appui, et sans autre défense que celle des disciples de Luther et de Calvin.

Après tout je suis bien aise, Monsieur, que vous ayez reconnu à la fin de votre Lettre la pureté de leur institut, la Sainteté de leur fondateur, et la sagesse de leurs premiers Généraux, que vous paraissiez avoir enveloppé dans la confusion de ce désordre, prétendu de la probabilité, lorsque vous disiez zen la page 8, de la cinquième au Provincial, edit. de Col. p. 73 qu’à leur arrivée on avait vu disparaitre Saint Augustin, Saint Hierôme, Saint Ambroise, et tous les Pères pour ce qui est de la Morale, et en la page 3 de la même Lettre, edit. de Col. p. 61 qu’ils s’étaient répandus par toute la terre, par la doctrine des opinions probables, qui est la source et le base de tous les dérèglements.

Vous avez par là prévenu le reproche que je vous en eusse fait en la 4 partie de vos impostures et les Jésuites se doivent tenir satisfaits de ce côté-là, puisque leur Compagnie s’étant répandue par toute la terre sous Saint Ignace et sous leurs premiers Généraux que vous exemptez de ce blâme, il est clair par votre propre confession ou que la doctrine des opinions probables n’est pas la source de leur dérèglement, ou qu’ils ne se sont pas répandus par toute la terre par la doctrine des opinions probables.

Mais je suis mari, qu’à même temps vous n’ayez pas remarqué que Saint Ignace et le P. Lainés, les deux premiers Généraux de leur Compagnie, avaient puisé la doctrine de la probabilité dans l’Université de Paris, qui était alors la plus belle et la plus pure source de la Théologie Morale, et qu’ils l’avaient transmise à leurs enfants, leurs recommandant de ne s’écarter jamais des opinions qui sont communes dans les Écoles pour se jeter en des nouveautés dangereuses.

Que direz-vous, Monsieur, si je vous montre, qu’encore que vous soyez ennemi déclaré de la doctrine des opinions probables, vous êtes obligé malgré vous d’approuver ce que vous condamnez ; et de porter tout ensemble ces deux qualités si différentes, d’accusateur de ce que vous approuvez, et d’approbateur de ce que vous accusez ?>

Car ou vous estimez que dans les questions de la Morale il y a des opinions probables de part et d’autre : ou vous ne le croyez pas : si vous le croyez, vous voilà partisan de la probabilité : si vous ne le croyez pas, vous allez contre le sens commun. Car s’il est vrai, comme dit le Philosophe, qu’il n’y a point de science où il y ait plus de probabilité, et moins d’évidence que dans la morale, n’est-il pas absurde d’y penser trouver ce qui n’y est pas ? J’aimerais autant dire que vous avez trouvé l’évidence de la vérité et de la fausseté de toute chose, et que si on écoute le Port-Royal il n’y aura plus que des articles de Foi dans la Théologie Spéculative, des Canons et des règles certaines et indubitables dans la Morale, des aphorismes infaillibles dans la Médecine, des démonstrations dans la Philosophie, des questions de droit et de fait plus claires que le Soleil dans la science des Lois, et qu’ainsi vous bannirez du monde toute probabilité qui est à votre jugement la source de tous les dérèglements. Pardonnez-moi si je vous dis qu’il est plus probable que vous trompez le monde, ou que vous vous trompez vous-même, si vous êtes dans cette erreur.

D’ailleurs, présupposé que vous soyez obligé de passer pour ridicule, à moins que d’admettre des opinions probables dans la Morale : Ou vous tenez que de deux opinions probables, il faut toujours suivre la plus sûre ; ou vous ne le tenez pas :Si vous n’estimez pas qu’on y soit toujours obligé, vous approuvez ce que vous avez condamné ; Si vous assurez qu’on y est toujours tenu, l’opinion la moins sûre demeurera probable dans la seule spéculation, et ne sera plus jamais probable dans la pratique.

Et ainsi de censeur sévère que vous étiez, vous voilà approbateur de cette distinction que l’Université a traité de ridicule : Vous voilà coupable de tous les désordres qu’elle cause. Vous voilà complice de ce funeste secret de la politique des Jésuites : garant de toutes leurs opinions : responsable de leurs maximes corrompues : Païen avec Lessius, en ce qui touche l’homicide : Païen avec Vasquez, en ce qui regarde l’aumône : Païen avec Tannerus , en ce qui regarde la Simonie : Païen avec le Père Desbois que vous faites Auteur d’une doctrine qu’il n’a jamais enseignée, et que vous chargez d’un procès imaginaire : Païen enfin avec tous les Jésuites, en tout ce qui regarde la doctrine des mœurs.

Je prie Dieu, Monsieur, que vous le soyez comme eux ; et je ne crois pas vous pouvoir souhaiter un plus grand bien pour tout le mal que vous leur voulez, que celui d’une parfaite conformité de sentiments et de cœurs, qui vous rende soumis à l’Église comme eux, obéissant comme eux aux décisions des Papes et des Évêques : zélé comme eux à combattre la Doctrine pernicieuse des Hérétiques, et enfin modeste et retenu comme eux, à ne point condamner témérairement la doctrine probable de tous les Docteurs Catholiques.