Le P. Alphonse Le Moyne
A ne pas confondre avec le jésuite Pierre Le Moine, que Pascal prend à partie dans la XIe Provinciale. L’édition originale orthographie Le Moine ; toutefois, pour éviter la confusion entre le docteur Alphonse Le Moine et le Pierre Le Moine, on orthographie ici Le Moyne.
RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, t. 1, p. 43. Né au diocèse d'Amiens, docteur de Sorbonne ne 1624, professeur royal de théologie. Il donne sa démission le 16 septembre 1654 et meurt le 2 août 1659.
PASCAL, Les Provinciales, éd. Cognet, p. 13, n. 2, et p. 58, n. 1. Professeur de Sorbonne de 1642 à 1654, il y enseignait un système particulier, dont le principe est que, en toute circonstances, une grâce suffisante doit être donnée à tout homme, pour lui permettre d'implorer le secours de Dieu, l'homme demeurant libre de suivre ou de s'y soustraire ; si ces conditions ne sont pas remplies, il ne peut y avoir la matière d'un péché.
PASCAL, Œuvres complètes, GEF, IV, p. 133, n. 2.
GRES-GAYER Jacques M., En Sorbonne, Autour des Provinciales, Paris, Klincksieck, 1997, p. 25 sq. Le Congruisme de Sorbonne du P. Le Moyne.
ARNAULD Antoine, Œuvres, XV-XVI, t. XVI, p.XXV sq. Le Moyne, après avoir professé la philosophie pendant plusieurs années au collège de Calvi, “réuni depuis à celui de Sorbonne, il fut nommé curé de la Madeleine à Paris. Il y remplit les fonctions lorsque Lescot, que Richelieu vient de nommer à l'évêché de Chartres, lui fait donner la chaire de Professeur royal de Sorbonne. Pour obtenir ce poste, Le Moyne aurait promis de réfuter l'Augustinus. Il se forme un système à part, un milieu entre les anciens théologiens et les jésuites : il admet que la grâce est nécessaire pour toute bonne action, grâce efficace par elle-même ; mais il prétend avec Molina que la grâce qui inspire les premiers mouvements de la foi ne dépend que de la volonté de l'homme. Le don de la grâce efficace par elle-même, la seule qu'il appelle médicinale, est selon lui infailliblement attaché au bon usage de la grâce de la prière ; donc la prédestination n'était pas gratuite pour le commun des saints, et ne l'était tout au plus que pour quelques élus privilégiés. Le Moyne enseigne son système en le dictant trois ans de suite, et le publie en octobre 1650 dans son De dono orandi, pour se défendre contre Lalane, qui en juillet 1650 écrit le De initio piae volontatis dissertatio. Arnauld publie contre lui son Apologie pour les saints Pères. Port-Royal connaît le contenu des cours du P. Le Moyen par les cahiers de deux étudiants, Métayer et Girard ; voir HERMANT, Mémoires, I, p. 459.
PASCAL, Œuvres complètes, III, éd. J. Mesnard, p. 568 sq. Voir p. 602 sq., sur la doctrine de la grâce du P. Le Moyne. L'idée de la grâce de prière. La prière est l'effet de la grâce efficace et l'homme ne peut prier sans une grâce qui le fasse prier. Pascal prend parti dans un débat contemporain : les leçons professées par le P. Le Moyne depuis 1647 en Sorbonne présentaient la prière comme l'effet d'une simple grâce suffisante donnée à tous les hommes et soumise au libre arbitre de chacun. Port-Royal considère cette doctrine comme une variante du molinisme : p. 569. Le Moyne n'est toutefois pris à partie nommément qu'en 1650, par Lalane dans la De initio piae voluntatis dissertatio : p. 569. Le Moyne met sa doctrine en forme en octobre 1650 par la puublication du De dono orandi. Arnauld publie, à la fin de la même année, son Apologie pour les saints Pères, qui complète les deux précédentes Apologies. Le P. Le Moyne et les Ecrits sur la grâce : OC III, p. 569. Théologie du P. Le Moyne : les grandes actions sont des dons de Dieu, et elles requièrent une grâce efficace ; mais celle-ci est réservée à ceux qui ont bien usé d'une grâce suffisante donnant les préliminaires de la bonne vie, la foi et surtout la prière : p. 602. Point commun avec la pensée de Pascal : que la prière obtient toujours ce qu'on demande, Dieu ne refusant jamais le secours pour les oeuvres à ceux qui ne cessent pas de le demander. Critique : toutes les objections qui valent contre le molinisme s'appliquent à cette doctrine ; il n'est pas possible de séparer le pouvoir de l'acte ; la prière est toujours, selon saint Augustin, l'effet de la grâce efficace : p. 602. La doctrine du P. Le Moyne fait dépendre le don de la grâce efficace du bon vouloir de l'homme : p. 603. Dès que l'homme à un moment possède l'initiative du bien, le système demeure moliniste, quelle que soit sa forme particulière : p. 603.
WENDROCK, Lettres Provinciales, tr. Joncoux, I, Note III et Note IV. “Note III. De M. le Moine Docteur de Sorbonne. Monsieur le Moine est un docteur de la Maison de Sorbonne que le Cardinal de Richelieu engagea à se déclarer contre Jansénius qu'il n'avait jamais lu, non plus que saint Augustin. Ce docteur pour se débarrasser plus facilement des passages de S. Augustin a voulu dans notre siècle se faire auteur d'un nouveau système sur la grâce. Il distingue la grâce d'action d'avec celle de prière, et soutient que celle-ci n'est que suffisante, et que celle d'action est toujours efficace. Cette opinion a fait quelque bruit dans la Sorbonne. Il a eu même la hardiesse de la mettre dans un livre qu'il a fait imprimer ; mais ayant été repoussé fortement par des écrits latins et français, et surtout par l'Apologie pour les SS. Pères, où il est fort mal traité, il appris depuis le parti de cabaler en secret, au lieu de répondre. C'est lui qui avec quelques docteurs de sa sorte a excité la tempête contre M. Arnauld, dont il est ennemi déclaré, et qu'il croit auteur de l'Apologie. Et ceux de sa faction l'ayant fait nommer député et juge dans sa propre cause, il s'est vengé de l'Apologie pour les SS. Pères par la censure de la lettre de M. Arnauld. Mais cela n'empêche pas que son opinion ne tombe ; et s'il vit encore quelques temps, il pourra se vanter d'y avoir survécu.
Cependant le lecteur doit remarquer que la véritable origine de toutes ces disputes n'est autre chose que l'envie que Mrs. le Moine, Cornet, Habert et Hallier ont conçue contre M. Arnauld ; et il ne pourra s'empêcher d'admirer la plaisante erreur où sont tant de personnes de distinction, qui s'intéressent dans ces différends, comme s'il s'y agissait d'un point d'importance de la foi catholique, ne comprenant pas que ce n'est ici qu'une querelle de docteurs, et qu'il ne s'agit que des inimitiés particulières d'un M. le Moine, d'un M. Cornet, et d'autres gens de pareil caractère.” Voir pour compléter la Note IV, p. 16. “ (...) C'est avec grande raison que Montalte introduisant sur la fin de cette Lettre un disciple de M. le Moine lui fait dire distinguo sur chaque chose qu'on lui propose. Car jamais personne n'a tant inventé de distinctions que M. le Moine : il en entasse souvent trois ou quatre les unes sur les autres, quand il répond à un argument, et n'en prouve aucune ; parce qu'il n'a jamais eu dessein de trouver la vérité, mais seulement de l'éluder.”
Sur les distinctions du P. Le Moyne : l'Apologie pour les saints Pères revient là-dessus ; voir ARNAULD Antoine, Œuvres, XVIII, Liv. VI, ch. XVII, p. 649. “Voilà comment, à force de multiplier les distinctions, de les doubler ou de les tripler, et de les embarrasser les unes dans les autres, on croit pouvoir obscurcir les autorités les plus claires et s'échapper des preuves les plus invincibles” ; on élude ainsi l'autorité de saint Augustin par des “distinctions fantastiques” et “indignes du moindre théologien” : p. 649. Nicole s'en est déjà moqué dans la Défense de la proposition et lui consacre la note ci-dessous sur ce point.
ARNAULD Antoine, Apologie pour les saints Pères, Œuvres, XV-XVI, t. XVI, p.759 sq. Sur la doctrine bizarre du P. Le Moyne, contraire à la fois à saint Augustin et aux molinistes ; il a pris aux molinistes le grâce suffisante soumise à la volonté pour la foi et la prière, aux seconds molinistes “ce qu'il dit de la vocation congrue”, aux Dominicains qu'il n'a pas recours à la science conditionnelle pour expliquer l'efficace de la grâce, et aux augustiniens ce qu'il dit “du plaisir victorieux qui détermine efficacement la volonté” : p. 760.
ARNAULD Antoine, Troisième lettre apologétique, p. 8. Sa doctrine de la grâce.
LALANE, De la grâce victorieuse de Jésus-Christ, ou Molina et ses disciples convaincus de l’erreur des pélagiens. Sur Le Moyne : p. 2-3. pour paraître suivre sant Augustin, il enseigne “ que la grâce était efficace par elle-même pour les bonnes opeuvres, pour la foi en Jésus-Christ, mais qu’elle n’était que suffisante et soumise au libre arbitre pour le commencement de la foi en Dieu, et de la bonne volonté pour la prière, pour les mouvements imparfaits de piété ; que l’homme n’opérait et ne se convertissait parfaitement à Dieu que par le secours d’une grâce efficace et déterminante ; mais qu’il priait, qu’il commençait à croire en Dieu ; qu’il se disposait à bien vivre avec le suel secours de la grâce suffisante, dont l’usage dépendait de son libre arbitre ; et sans avoir besoin d’une grâce efficace et déterminante. ”
NICOLE Pierre, Défense de la proposition de M.Arnauld, docteur de Sorbonne, touchant le droit, contre la première lettre de M.Chamillard, docteur de Sorbonne et professeur du Roi en théologie, Paris, 1656, 44 p. in-4°. Théorie du pouvoir prochain.
Nicole était particulièrement bien placé pour connaître la doctrine du P. Le Moyne, puisqu’il a suivi ses cours en Sorbonne ; voir la Continuation des Essais de morale, Tome quatorzième, contenant la vie de M. Nicole et l’histoire de ses ouvrages, Première partie, A Luxembourg, chez André Chevalier, 1732, p. 14 sq. la distinction de la grâce de prière et de la grâce d’action « fit du bruit en Sorbonne » ; le livre du P. Le Moyen a été réfuté par Arnauld dans l’Apologie pour les saints Pères. le Moyne décide alors de « cabaler en secret , au lieu de répondre » : p. 14. saint-Beuve est de ceux qui se sont opposés à son système. Nicole se déclare hautement contre Le Moyne, avec d’autant plus de fondement qu’il « avait déjà lu avec beaucoup d’application tout ce que saint Augustin a écrit sur la grâce », p. 15.
PLAINEMAISON, “Qu'est-ce que le jansénisme ?”, Revue historique, CCLXIII-1,1984, p.117-130. La doctrine du P. Le Moyne : p. 122. Demi moliniste dont Arnauld a poursuivi la réfutation dans l'Apologie pour les Saints Pères.
ARNAULD Antoine, Œuvres, XIX, p. XLIV. Son attitude pendant l'affaire Arnauld.
ARNAULD Antoine, Considérations sur ce qui s’est passé a l’Assemblée de la Faculté de Théologie de Paris tenue le 4 novembre 1655. Sur le sujet de la Seconde lettre de Monsieur Arnauld Docteur de Sorbonne, Paris, 1655, 34 p. in-4°. Voir p. 12, sur son hostilité à Arnauld.
BEAUBRUN, Mémoires, GRES-GAYER Jacques M., En Sorbonne. Autour des Provinciales, Paris, Klincksieck, 1997, p. 120. Discours du P. Le Moyne du 10 décembre 1655, sur la censure d’Arnauld.
Le P. Le Moyne a toutefois des défenseurs...
FABRI, Notae in Notas..., p. 15-16. In notam 3 ad Epistolam I. Sur le fait que Richelieu a ordonné au P. Le Moyne d'attaquer Jansénius, que Le Moyne n'avait pas lu. “Urit te Cardinalis Richelii memoria, qui Sancygiranum vestrum, ne nova et impia dogmata spargeret, per multos annos in vinculis habuit. Illam vero, quam Moynio affingis sententiam, vel non capis, vel capere dissimulas. Nemo enim neget, quin tum ad orandum, tum, ad bene agendum, divina gratia nobis opus sit : sed quod orandi gratia sit duntaxat sufficiens, quis, amabo, dicat ? quis capiat ? quando enim illius impulsu oratur, haud dubie efficax est, cum suum effectum sortiatur. Ubi autem oratum est, quis nescit novam gratiam ad agendum, ad non peccandum, ad praecptum Dei servandum necessariam esse ; quam tamen semper efficacem nemo dicat, qui doctus sit et Catholicus ; cum eidem saepe ac saepius resistatur. Quod subnectis, de praestantissimorum Doctorum aemulatione in Arnaldum /p.16/ calumnia est : a vero tuà conjectura longè aberras ; nihil enim piis et doctis hominibus, in tuo Arnaldo, praeter errores displicuit (...).”
DUCHÊNE Roger, L’Imposture littéraire dans les “Provinciales” de Pascal, p.103 sq. Théologie du P. Le Moyne, mûrie de 1642 à 1648 ; on ne s'aperçoit pas que Pascal est passé du cas de l'homme qui n'a pas la foi à l'examen de la manière dont, de façon ontologique et pas nécessairement consciente, Dieu accorde au chrétien en état de grâce le secours dont il a besoin pour le prier et obtenir la grâce qui l'empêchera de pécher. Réfutation de la théologie du P. Le Moyne par Arnauld dans son Apologie pour les saints pères : p. 104. Voir p. 274 sq., l'Avis prononcé par le P. Le Moyne en Sorbonne, le 21 janvier 1656.
Il est amusant de penser qu'Antoine Lemaître, qui devint solitaire à Port-Royal, plaida en faveur du docteur Le Moyne lorsqu'il était avocat ; voir dans ses Plaidoyers, Plaidoyer IV, p. 55 sq. Pour Maître Alphonse Le Moyne, prieur de Sorbonne, et recteur de l'Université, intimé, contre les appelants comme d'abus. Trois audiences les jeudi 19 et 27 juin et 11 juillet 1630. L'avocat Jacques Talon a conclu pour Le Moyne, p. 71.