GARASSE François (1585-)

Né à Angoulême en 1585, François Garasse est admis à la Compagnie en 1600, puis admis à prononcer ses vœux en 1618 seulement, après avoir passé par l'enseignement et eu Balzac comme élève. Le Dictionnaire de Grente qualifie Garasse de « nature brouillonne, sans méchanceté foncière » ; mais c’est en tout cas un prédicateur et un polémiste fougueux. Prédicateur, on va écouter ses sermons pour y rire; vers 1622, les libertins vont le chahuter, ADAM Antoine, Théophile de Viau, p. 339-340. Ses excès de langage le font interdire de chaire par ses supérieurs. Il publie alors des pamphlets contre les ennemis de la religion. Ses premières cibles sont les principaux ennemis de la Compagnie de Jésus. Il tire à boulets rouges sur les magistrats et les parlementaires, d’abord sur l’avocat général Servin, puis en 1622, sur la Recherche des recherches d'Etienne Pasquier, contre Pasquier, dont on sait qu’il n’aimait pas les jésuites. Il s’en prend aussi aux protestants : en 1615, il publie un Elixir calvinisticum, sous le pseudonyme de Schoppius. En 1619, c'est Le Rabelais réformé par les ministres, où il attaque Du Moulin et l'accuse d'imiter Rabelais.

Garasse est surtout connu pour le rôle très actif, mais pas très brillant, ni très honnête, il faut en convenir, dans l’affaire du procès de Théophile de Viau. Voir dans Les libertins du XVIIe siècle, I, éd. Jacques Prévot, Pléiade, Gallimard, Paris, 1998, un résumé des actions du P. Garasse dans cette affaire ; ainsi que ADAM Antoine, Théophile de Viau et la libre-pensée française en 1620, Droz, Paris, 1935.

Son livre contre les libertins, La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels, contenant plusieurs maximes pernicieuses à l’Etat, à la Religion et aux bonnes mœurs, combattues et renversées par le P. François Garasse, de la Compagnie de Jésus, Sébastien Chapelet, Paris, 1623 (Privilège du 13 mars 1623; achevé d'imprimer du 18 août. BN: D 11 421), a donné lieu à une controverse d’ordre à la fois spirituel et rhétorique dont la XIe Provinciale est le lointain prolongement. On en trouve quelques extraits dans ADAM Antoine, Les libertins, p. 33 sq. Ce livre s’inscrit dans une ample campagne contre le mouvement libertin. Sur la rédaction de sa Doctrine curieuse, voir FUMAROLI Marc, L'Age de l'éloquence, p. 326 sq. et p. 345. Selon ADAM Antoine, Théophile de Viau, p. 34, ce livre prouve surtout son ignorance du mouvement libertin, et son manque d'information directe ; en réalité Garasse connaissait au moins les idées du cercle de Théophile de Viau, par exemple. Il pratique l’attaque personnelle et directe, et ne ménage pas les libertins le groupe de Théophile qu’il appelle la Confrérie des bouteilles sur leurs mœurs. On trouve sous sa plume des formules parfois judicieuses, comme ce jugement sur Charron, qu’il avait la tête pleine d’écrevisses. Garasse s’en prend très durement à Charron, qu’il considère comme un maître en scepticisme. Mais sa principale cible est Théophile de Viau. Garasse reproche surtout à Théophile sa dévotion feinte, ses confessions hypocrites: p. 341.

Mais le style burlesque adopté par Garasse n’a pas passé dans les milieux catholiques, particulièrement les milieux catholiques parlementaires. Il s’attire une réfutation ferme de la part de François Ogier, Jugement et censure du livre de la Doctrine curieuse de François Garasse, Paris, 1623. Voir FUMAROLI Marc, L'Age de l'éloquence, p. 326 sq.: Ogier soutient qu'il doit y avoir convenance entre la majesté de l'office dont est chargé un ecclésiastique et le style par lequel son éloquence se manifeste; violant le decorum auquel il est tenu par sa condition d'ecclésiastique, Garasse ne saurait être qu'un mauvais prêtre. Garasse mêle deux genres, la raillerie et le style du procureur; or une des règles de l'éloquence parlementaire est d'interdire le rire dans le Palais: p. 328. Selon Ogier, la raillerie est incompatible avec l'apologétique chrétienne, du moins sous la forme grossière qu'elle prend chez Garasse: p. 330. Sur les reproches adressés au P. Garasse par Ogier, d'user de mots injurieux, et de ravaler le style chrétien au dessous du médiocre, au niveau des comédiens et bateleurs. Son style révèle un individu méprisable et dangereux: p. 331. Voir p. 331, sur le reproche d'écrire d'une manière "indigne de la chaire ou d'un livre qui traite des mystères sacrés de notre religion". Ce que dit Pascal dans le XIe Provinciale sur le thème "est-ce une pièce digne d'un prêtre..." (XI, 27, éd. Cognet, p. 207), rappelle directement la critique de Garasse par Ogier.

Garasse répond par une Apologie du Père François Garasse pour son livre contre les athéistes et libertins de notre siècle, et réponse aux censures et calomnies de l'auteur anonyme, S. Chappelet, Paris, 1624; voir FUMAROLI, L'Age de l'éloquence, p. 332 sq. Garasse s'efforce de définir la légitimité du style plaisant en matière de polémique, même religieuse: p. 332-333. Il se justifie d'être tombé dans la bouffonnerie: "les traits et pointes d'esprit ne se doivent pas qualifier du nom de bouffonneries... Il y a une vertu nommée eutrapélie... par laquelle un homme d'esprit fait de bonnes et agréables rencontres qui réveillent l'attention des auditeurs ou des lecteurs appesantis par la longueur d'une écriture ennuyeuse ou d'un discours trop sérieux". Sur cette eutrapélie, voir ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, IV, 14; Rhétorique, II, 12, 16. Eutrapelos, surnom d'un familier d'Antoine, est l'objet de deux colloques d'Erasme, Puerpera (l'Accouchée) et Convivium fabulosum (le Repas anecdotique). Il y a à la Renaissance une querelle de l'eutrapélie, à laquelle le De ludicra dictione du P. Vavasseur, 1658, fait écho: le jésuite réhabilite cette notion au sens de maîtrise des passions, d'humeur équilibrée et sociable, favorisant une conduite aussi éloignée de la bouffonnerie complaisante que de la rusticité revêche: p. 333. Le P. Garasse entend l'eutrapélie en un sens assez différent, comme une compensation à la tension exigée par les sujets graves, plutôt que comme un principe de juste mesure. Le baiser Lamourette qui a réuni les deux adversaires a donné lieu à une Lettre du P. F. Garassus à M. Ogier touchant leur réconciliation, Paris, 1624.

Garasse a tenté de rattraper l’erreur rhétorique commise avec la Doctrine curieuse en rédigeant un ouvrage sérieux : La somme théologique des vérités capitales de la religion chrétienne, Sébastien Chappelet, Paris, 1625, tente de réfuter solidement les athées, alors que la Doctrine curieuse s'en prenait à eux sur le mode burlesque. Le titre ne manquait pas de prétention, semblant égaler le P. Garasse à saint Thomas d’Aquin. Or cet ouvrage attaquait Les Grandeurs de Jésus , ouvrage important de Pierre de Bérulle. Garasse se heurte alors à Saint-Cyran, qui lui oppose la Somme des fautes et faussetés capitales contenues en la Somme Théologique de François Garasse (1626): Saint-Cyran relève les innombrables erreurs et bévues du jésuite, et il l'accuse d'avoir perverti l'éthique chrétienne. Voir SELLIER Philippe, "La rhétorique de Saint-Cyran et le tournant des Provinciales", in Port-Royal et la littérature, p. 159 sq., sur la critique de la Doctrine curieuse du P. Garasse par Saint-Cyran; ADAM Antoine, Du mysticisme à la révolte, p. 97 sq. ; FUMAROLI Marc, L'Age de l'éloquence, p. 326 sq. Voir là-dessus SAINTE-BEUVE, Port-Royal, I, XII, t. 1, p. 336 sq.

Relégué à Poitiers, Garasse s'y trouve en 1611, au moment de la peste; il l’attrape en soignant les malades et en meurt. Il y a des gens dont la mort vaut mieux que la vie...

Le Récit au vrai des persécutions soulevées contre les pères de la Compagnie de Jésus dans la ville de Paris, l'an 1624-25-26, par le R.P. François Garasse, manuscrit publié sous le titre de Mémoires de Garasse, n’a été publié par Charles Nisard, Amyot qu’en 1860.

Son action contre les libertins (qui sont très en vogue en ce moment) a valu au P. Garasse une réputation de loup-garou qu’il est de bon ton de mépriser et de honnir. Le P. Garasse est d’une certaine manière demeuré un pestiféré. Il est aujourd’hui tout luisant des crachats dont le gratifient généreusement, avec le pharisaïsme dont ils sont capables, les milieux spécialistes des esprits forts et libertins, en raison de sa conduite dans le procès de Théophile. On peut ne pas aimer le P. Garasse, mais ce n’était en tout cas pas un mollasson.

La réponse des jésuites à la XIe Provinciale a tenté de défendre Garasse, et Nicole y a répondu dans une note de Wendrock.

Sur le style de Garasse, voir BUSSON, La pensée religieuse..., p. 580 sq.

GRENTE, Dictionnaire des lettres françaises, Le XVIIe siècle, Pochothèque, p. 521 sq. Article tout de même assez favorable au P. Garasse.

PILLORGET René et Suzanne, France baroque, France classique, II, Dictionnaire, Bouquins, Robert Laffont, p. 450-451.

ADAM Antoine, Théophile de Viau et la libre-pensée française en 1620, Droz, Paris, 1935.

ADAM Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, p. 33 sq.

Les libertins du XVIIe siècle, I, éd. Jacques Prévot, Pléiade, Gallimard, Paris, 1998, 1728 p.

BALZAC, Premières lettres, I, p. 58 sq. Lettre à Hydapse (François de Roussines), avec la critique de la Doctrine curieuse du P. Garasse.

DE GRÈVE, « Rabelais, arme du R. P. Garasse », in DEMERSON G. et G., DOMPNIER B., et REGOND A. (dir .), Les Jésuites parmi les hommes aux XVIe et XVIIe siècles, Clermont-Ferrand, Faculté des Lettres, 1987, p. 185-195.

GODARD DE DONVILLE Louise, « Les combats exemplaires du Père François Garasse », in DEMERSON G. et G., DOMPNIER B., et REGOND A. (dir .), Les Jésuites parmi les hommes aux XVIe et XVIIe siècles, Clermont-Ferrand, Faculté des Lettres, 1987, p. 197-206.

TOURNEUR, Zacharie, Beauté poétique. Histoire critique d'une Pensée de Pascal et de ses annexes, Rozelle, Melun, 1933, 168 p.

GHEERAERT Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d'Arnauld d'Andilly à Racine, p. 244 sq.

Voir la notice de Provinciale XI, 28.