NICOLE Pierre (1625-1695)

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Né à Chartres le 13 octobre 1625, fils d'un avocat, Pierre Nicole présentait «un extérieur fort agréable. Il avait le visage beau, les yeux bleus et vifs, le ton de la voix était sonore, l'élocution noble». Peut-être « eût-t-il été malpropre, s'il n'eût eu un domestique qui avait soin de le raser une fois la semaine […], qui lui peignait sa perruque et qui la lui mettait ». E. Renaudot le présente ainsi : « On peut dire de lui sans flatterie qu'il avait naturellement l'esprit excellent, un savoir fort étendu, beaucoup de justesse et de délicatesse et un grand jugement. Ces qualités ne l'empêchaient pas d'avoir une simplicité qui allait jusqu'à l'excès, en sorte qu'il n'a jamais eu d'attachement à ses propres pensées, étant toujours prêt à céder aux avis de ses amis et à corriger ou à supprimer ses ouvrages selon qu'ils lui conseillaient [sic] […]. Il aimait naturellement la compagnie, et ainsi il se laissait distraire volontiers pour recevoir des visites.» Nicole semble avoir été un brillant causeur : «Il parle fort bien», «il avait un talent singulier de bien narrer» ; mais il avait de la peine à soutenir des discussions théoriques et s'y dérobait volontiers. Il était aussi timide et peureux, et, en cas de danger, disposait d'une trappe au plancher, sous laquelle il pouvait escamoter sa table de travail. Enfin, chose curieuse chez quelqu'un qu'on tient volontiers pour rationaliste et cartésien, Nicole, si réticent devant les miracles prêtés à M. de Pontchâteau, était, selon son biographe Beaubrun, «naturellement [porté] à la crédulité, et si la Providence ne l'eût mis entre les mains de bons directeurs aussi éclairés que pieux [il s'agit en particulier d'Antoine Singlin], il eût donné assez volontiers dans les dévotions populaires».

Nicole poursuit ses études à Paris (1641). Il suit à la Faculté de théologie le cours du moliniste Le Moyne et de l’augustinien Sainte-Beuve (1644-1649). Lorsqu’en 1649 Nicolas Cornet fait condamner les Cinq propositions, Nicole interrompt ses études et n'ira pas au-delà du grade de bachelier en théologie. Il refusera toujours de recevoir les ordres. C'est à cette époque qu'il se lie avec les premiers Messieurs : dirigé par Jean Guillebert, il est proche d'Antoine Le Maistre, enseigne aux petites écoles où il donne en thème latin à ses élèves des passages des Provinciales. Vers 1654, Nicole devient le secrétaire puis le collaborateur d'Antoine Arnauld ; les deux hommes travaillent en liaison étroite jusqu'en 1668. Nicole collabore ou publie lui-même de nombreux écrits pour la défense de la grâce efficace, qui se répartissent en deux grandes périodes, en 1654-1655 et de 1657 à 1659. Il participe à la défense d'Arnauld exclu de la Faculté de théologie et, en 1656-1657, à la rédaction des Provinciales, qu'il traduit peu après en latin et publie sous le pseudonyme de Guillaume Wendrock (1658). Il contribue, avec Arnauld et Lalane, à la défense de la doctrine port-royaliste de la grâce par l'adoption des positions néo-thomistes (la XVIIIe Provinciale est proche, sur le plan théologique, des Disquisitions de Paul Irénée de Nicole), qui lui sont reprochées par les partisans de thèses plus strictement augustiniennes. Le conflit ressurgira après 1674 et en 1690, sur le sujet de la grâce générale.

Dans les années 1658-1659, Nicole participe aussi aux conflits qui opposent Port-Royal à la Compagnie du Saint-Sacrement et à des spirituels et mystiques souvent proches des jésuites. L'Apologie pour les religieuses et les Visionnaires (1665-1666) dénoncent, chez des auteurs spirituels comme J. Desmarets de Saint-Sorlin, des «spiritualités déréglées». Dans les Imaginaires écrites dans ces circonstances, une phrase de Nicole contre les «empoisonneurs des âmes» provoque la réaction violente de Jean Racine.

Nicole accorde dans son œuvre une place importante aux spéculations profanes. Vers 1658-1659, il participe à la rédaction de textes d'esthétique (Epigrammatum Delectus). Le Traité de la Comédie paraît en 1667. Son esthétique refuse de séparer le Parnasse et le Calvaire, mais prétend établir entre eux des liens fondés sur le jeu de la raison et de l'intellect. Il a longtemps aimé les entreprises pratiques : l'affaire de l'île de Noordstrandt est en partie son œuvre ; il a participé aux travaux des «pascalins», comme l'assèchement des marais poitevins, la canalisation de la Seine, et même les carrosses à cinq sols où il prend une participation.

De mai 1661 à 1662, Nicole revient à la défense de Port-Royal attaqué sur la question de la signature des formulaires. De l'automne 1662 au début de 1664, il s'implique dans la tentative d'accommodement que mène Gilbert de Choiseul. C'est aussi l'époque où il participe à la rédaction de la Logique (1662). Mais surtout dans les années 1664-1673 il se consacre à la défense de l'Eucharistie : en 1664 la petite Perpétuité de la foi catholique s'amplifie avec l'aide d'Antoine Arnauld et paraît de 1669 à 1673 dans les trois gros in-quarto de la “grande” Perpétuité de la foi de l'Eglise catholique touchant l'Eucharistie. Dans ces mêmes années (1664-1665), il participe à la traduction du Nouveau Testament dit «de Mons», qui ne sera édité qu'en 1667. Nicole collabore aussi à la révision des Pensées de Pascal avant leur publication.

Après 1663 le problème touche moins la théologie de la grâce que la soumission à l'autorité, royale ou pontificale. Nicole se tient à l'écart ; il ne se montre ni gallican, ni ultramontain. La signature de la Paix de l'Eglise en 1668 justifie ses positions modérées. Nicole croit définitivement terminées les controverses sur la grâce. Désormais il ne se départira plus de cette attitude de réserve.

Dans les années 1669-1679 paraissent des œuvres majeures : les trois gros volumes in-quarto de la grande Perpétuité, et de 1669 à 1674 les quatre premiers volumes des Essais de morale. Les quatre premiers volumes des Essais de morale sont suivis, dans la dernière partie de la vie de Nicole, d'une Continuation composée à la fois d'autres petits traités et d'études des épîtres et des évangiles. Dans ces Essais, Nicole propose une anthropologie qui s'appuie sur la philosophie cartésienne pour reconnaître des pouvoirs propres à l'homme et des «moyens ordinaires» dans le champ de la dévotion, ainsi que des devoirs qui sont ceux d'un «chrétien intérieur» exerçant sa raison, sa connaissance de soi, des vertus opposées à l'imagination et à la passion. Dans le monde, le chrétien témoigne d'une «civilité chrétienne» qui le rapproche de l'honnête homme ; mais à la différence de ce qui se passe chez les classiques déjà en marche vers les formes multiples de la laïcisation, cet honnête homme qui se sent «coopérateur de Dieu » met toujours au premier plan les exigences de la religion.

En 1679, année de la rupture de la Paix de l'Eglise, Nicole perd deux de ses soutiens, Mme de Longueville et le cardinal de Retz. Commence alors une période de plusieurs années au cours desquelles Nicole sort hors de France, mène une vie d'errance et d'angoisses (septembre 1679-février 1680). Lorsqu'éclatent les conflits du printemps 1679, loin de chercher à se joindre à Arnauld qui entend reprendre la lutte, Nicole se dirige vers la Flandre espagnole. Par un malheureux hasard il se retrouve dans le Hainaut avec Arnauld, qui a pris le même chemin d'exil. Nicole choisit alors de ne pas se joindre à son ami, et cette décision qui lui sera amèrement reprochée par des amis confortablement rétés à Paris, pèsera lourdement sur ses dernières années. Pendant de longs mois, Nicole erre d'abord à Bruxelles et aux Pays-Bas, toujours suspect, sans cesse surveillé par la police royale. Après plusieurs tentatives il finit par obtenir de l'archevêque une autorisation peu glorieuse de retour en France, sous le regard incompréhensif et hostile de la plupart des membres du mouvement port-royaliste. Il revient incognito à Chartres, au plus tard le 12 décembre 1680. Puis Nicole voyage, à Orléans, à Port-Royal, et il cherche des lieux de refuge dans diverses abbayes. Enfin il obtient la permission de revenir à Paris (17 mai 1683). Il habite d'abord au faubourg Saint-Antoine, puis au faubourg Saint-Marceau. Sa santé est toujours plus mauvaise, mais Nicole a gardé toute sa vigueur intellectuelle et cette période le voit publier de nombreuses œuvres.

Pierre Nicole refuse de rien publier qui puisse raviver les conflits. Mais en 1687, il a rédigé pour les moines d'Orval, à la demande de M. de Pontchâteau, des Instructions sur le Symbole. Arnauld revoit la section consacrée à la grâce et rédige un Premier écrit de la Grâce Générale selon la méthode des géomètres (fin 1688). C'est le début d'un nouveau conflit. Dans ce débat, Nicole veut ôter ce qu'a d'odieux la doctrine de la grâce efficace. L'ouvrage soulève à sa publication une hostilité presque unanime.

Avec les années, les conflits avec les réformés portent moins sur la grâce ou sur l'Eucharistie que sur les questions ecclésiologiques - unité de l'Eglise et fondement de l'autorité -, qui prennent beaucoup d'importance dans le dernier tiers du siècle (c'est l'époque de la Révocation de l'Edit de Nantes). Nicole poursuit une réflexion constante, dans sa correspondance comme dans ses ouvrages.

Tout au long des années 1682-1695, Nicole poursuit aussi contre les mystiques, et à partir de 1690 contre les quiétistes. De 1683 à 1695, il compose des textes de dévotion : explication des épîtres et des évangiles, Instructions théologiques et morales sur les sacrements, sur le Symbole, sur l'oraison dominicale, sur le premier commandement du décalogue (c'est-à-dire explication des grands chapitres du Catéchisme du Concile de Trente). Enfin, dans ses dernières années Nicole connaît une «vieillesse conteuse» (J. Mesnard) qui fait de lui un des premiers historiens de Port-Royal.

Un an après Antoine Arnauld, Pierre Nicole meurt au soir du 16 novembre 1695, âgé de 70 ans. Il est enterré le 18 «devant le crucifix du chœur, dans la nef de Saint-Médard, sa paroisse».

Depuis quelques années, Nicole refait surface : Laurent Thirouin a publié une partie de ses Essais de morale, Presses Universitaires de France, Paris, 1999, ainsi que son Traité de la comédie, sous le titre Traité de la comédie et autres pièces d'un procès du théâtre, Champion, Paris, 1998. Béatrice Guion a aussi publié son grand texte esthétique, sous le titre La vraie beauté et son fantôme, chez Champion. Quelques ouvrages permettent de connaître l’essentiel sur les conceptions religieuses, philosophiques, morales et esthétiques de Nicole.

GOUJET, Vie de M. Nicole, in NICOLE, Essais, XIV, Liège, 1767.

GUION Béatrice, Pierre Nicole moraliste, Paris, Champion, 2002.

Pierre Nicole (1625-1695), Chroniques de Port-Royal, n°45, 1996.

GAZIER Augustin, Histoire générale du Mouvement janséniste, 2 vol., Champion, Paris, 1922.

SAINTE-BEUVE, Port-Royal, éd. Leroy, Pléiade, Gallimard, 1953-1955, 3 vol.

Sur la part prise par Nicole dans la campagne des Provinciales, voir :

MESNARD Jean, “Pierre Nicole ou le janséniste malgré lui”, Chroniques de Port-Royal, n°45, 1996, p.229-258.

DESCOTES Dominique, “Nicole commentateur des Provinciales”, Chroniques de Port-Royal, n°45, 1996, p. 101-116.

GUION Béatrice, “Nicole, lecteur de Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 369-398.