P17 : Texte réponse - Annat

 

ANNAT, Réponse à la XVIIe Provinciale Mi-mars 1657.

Provinciales, éd. Cognet, p. 356, n. 1. Réponse faite vers le 15 mars, postérieure à la diffusion de la bulle Ad sacram; publiée à la suite d'une seconde édition de La bonne foi des jansénistes avec la Réponse à la plainte quel font les jansénistes de ce qu’on les appelle hérétiques.

Le site Overnia de la Bibliothèque du Patrimoine de Clermont-Métropole, donne le texte après la Réponse à la plainte.

Le texte se trouve dans les Réponses aux Lettres provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus, Liège, Mathias Hovius 1658, mais à des places variables de la pagination ; sur certains exemplaires, le texte se trouve p. 507-515, dans d’autres, p. 431-437. Dans l’édition de 1657, le texte se trouve p. 421-429.

GEF VII, p. 6 sq. Extrait du texte.

Voir le texte saisi dans le dossier sur la XVIIe Provinciale.

 

MON CHER LECTEUR,

La dix-septième lettre du secrétaire du Port-Royal vient d’arriver. Elle est datée du 23 janvier, et publiée du 19 février. Il a fallu tout ce temps-là pour la faire venir d’Osnabruck, où il indique qu’elle a été imprimée ; les jansénistes ne l’ayant pas voulu faire imprimer à Paris, tant ils sont obéissants à la police et aux ordonnances des magistrats.

C’est une longue lettre de la mesure des autres seize, qui comme la précédente, à laquelle je viens de répondre tend à prouver que les jansénistes ne sont point hérétiques ; Car pour avoir mérité le titre d’imposteurs et de faussaires dans leurs lettres au Provincial, qui est tout ce que j’ai prétendu montrer dans le livre de La bonne foi des jansénistes, le secrétaire nous le donne gagné ; et ne veut plus contredire qu’à ceux qui les appellent hérétiques, comme j’avais fait en passant dans le Préface dudit livre. C’est de cette accusation qu’il veut justifier le parti, par la différence des jugements qui regardent la question de fait, et des jugements qui regardent la question de droit ; ceux-là n’étant point infaillibles, comme peut-être ceux-ci le font, et par la certitude inébranlable de la doctrine de la grâce efficace par elle-même, soutenue dans les écrits de Jansénius, à laquelle il n’y a point d’apparence que le pape ait voulu toucher.

On voit par là que le secrétaire a fait premièrement le scolastique dans ses quatre premières lettres, disputant contre la censure de la Sorbonne. Et puis voyant qu’il avançait peu en voulant heurter contre un jugement soutenu par l’autorité du pape et des évêques, il a passé dans la morale des jésuites, qui lui a fourni la matière des douze suivantes. Mais étant encore chassé de ce champ-là pat la conviction de ses faussetés, il repasse à la scolastique en sa dix-septième, disputant de l’infaillibilité du pape et des conciles ; et de la vérité de la doctrine de la grâce efficace par elle-même.

Il faudrait faire une lettre plus longue que la sienne, pour relever toutes ces extravagances, ses illusions, ses bravades, ses faussetés, ses vanités, et tout ce qu’il dit hors de propos, et contre le respect qu’il doit au Saint-Siège. Je ne considère que les deux principaux moyens qu’il emploie pour faire voir qu’i n’est pas hérétique. Et pour le premier, qui est le prétexte de la différence entre les décisions du fait, et les décisions du droit, le lecteur peut voir qu’il n’y a rien à ajouter à ce que je viens de répondre à la plainte des jansénistes : et que les histoires qu’il rapporte sur ce sujet du pape Honorius et des autres, en lui servent de rien.

Et pour le point de la grâce efficace par elle-même, le bon secrétaire l’entend bien mal, et donne à connaître non seulement qu’il n’est pas docteur, comme il le déclare lui-même, mais qu’il ne mérite pas de l’être. Il prétend que les cinq propositions ne sont pas hérétiques au sens de Jansénius, si ce sens revient à la doctrine de la grâce efficace par elle-même et ne voit pas que par même moyen Calvin peut justifier sa doctrine sur ce même sujet, disant aussi qu’il ne prétend autre chose que défendre la vérité de la grâce efficace par elle-même. Il faut que le secrétaire apprenne qu’il y a deux manières de défendre la grâce efficace par elle-même, l’une qui est hérétique, et appuyée sur des principes hérétiques ; l’autre qui est orthodoxe, soutenue par des principes établis dans les conciles ; Calvin suit la première , et en cela il est hérétique : les docteurs catholiques thomistes, scotistes, sorbonistes, jésuites, sont d’accord de la seconde : et pour cela, nonobstant leurs disputes particulières, ils demeurent tous dans l’unité de la foi, et dans le communion de l’Église.

Pour savoir donc si la doctrine de Jansénius est à couvert par la profession qu’il fait de défendre la grâce efficace par elle-même, il faut savoir de quelle manière il la défend ; si c’est la manière de Calvin, ou celle des docteurs catholiques.

Calvin défend tellement la grâce efficace par elle-même, qu’il croit qu’elle ne nous laisse autre liberté, que la liberté de contrainte : nous assujettissant au reste à la nécessité d’agir, qui nous ôte le pouvoir d’y résister tandis que la grâce persévère. Les docteurs catholiques sont d’accord que la grâce efficace par elle-même, gouverne tellement notre volonté, qu’elle nous laisse le pouvoir d’y résister, en sorte que ces deux choses se trouvent ensemble, la grâce dans la volonté, et dans la même volonté sous la grâce un pouvoir suffisant pour s’empêcher d’y consentir : et ils ne doutent point que ce ne soit le véritable sens des paroles du concile de Trente, potest dissentire. Bannez et Molina, et tous les docteurs catholiques qui lot les sentiments les plus éloignés, et les plus opposés sur le fait de la grâce, sont toutefois unis en ce point-là.

Ils le sont encore en cettuy-ci, Quel la grâce sous cette formalité d’efficace, n’est pas tellement nécessaire aux bonnes actions, qu’elle ne puisse être suffisante sans cela, et nous donner tout le pouvoir qui est requis pour faire que ce que Dieu exige de nous, et que pourtant nous ne faisons pas, nous soit véritablement possible, même lorsque nous manquons à le faire ; d’où il arrive bien souvent que par notre faute, la grâce n’a pas son effet.

Je demande donc au secrétaire, si Jansénius est de ce sentiment, lorsqu’il enseigne qu’il ne faut pas craindre que la nécessité, de quelque nom qu’on l’appelle, nous ôte la liberté ; pourvu que ce ne soit point une nécessité de contrainte. Lorsqu’il dispute contre l’indifférence de la liberté, et ne nous en laisse aucune que Calvin ait refusée, ni n’en reconnaît aucune que Calvin n’ait aussi bien reconnue. Lorsque la grâce suffisante lui semble un monstre dans la théologie, et qu’il nie qu’il y ait jamais aucune grâce médicinale qui l’ait son effet. Lorsqu’il impute à erreur aux semipélagiens, ce qu’ils disaient, que notre volonté peut obéir ou résister à la grâce ? Et puisqu’il est évident que cette doctrine est contraire à la manière dont les docteurs catholiques expliquent la grâce efficace par elle-même ? et qu’elle est plutôt conforme à celle qui a été suivie par Calvin, il faut conclure, que réduisant le sens des cinq propositions condamnées au sens de la grâce efficace par elle-même ; comme elle a été expliquée par Jansénius, c’et le réduire à un sens hérétique : et que tous ceux qui suivent cette explication, ne sont pas seulement disciples de Jansénius, mais qu’ils le sont encore de Calvin.

D’où il se voit que c’est en vain, que le secrétaire me reproche que j’ai avoué que le feu pape n’a point touché dans sa constitution, à la controverse de la grâce efficace par elle-même. Car je ne parle expressément dans le Cavilli, d’où il l’a pris, du point qui est en controverse entre les pères de saint Dominique et les jésuites. Et il est vrai que le pape ne l’a point voulu toucher : mais il a touché le point duquel nous demeurons d’accord eux et nous, en le confirmant pas la condamnation de l’hérésie de Jansénius, qui lui est contraire, comme étant celle de Calvin.

C’est pourquoi il ne faut pas s’émerveiller si les calvinistes de tous côtés ont tendu les bras aux jansénistes, les reconnaissant comme compagnons d’école. Les cantons protestants, par la bouche de Henri Ottius grand professeur de l’université de Zurich, s’écrient, In nostras cum confortibus Jansenius transit partes. C’est-à-dire, Jansénius et ceux qui le suivent sont dans nos troupes. Et ils trouvent tant de conformité entre leur doctrine de la grâce, et celle que les jansénistes ont expliqué dans leur Catéchisme, qu’ils ne croient point qu’il y ait nec aliud, noc plus, nec minus, en l’une qu’en l’autre. Les états de Hollande encouragent les jansénistes par l’apostrophe que leur adresse Samuel Marez, pasteur et professeur à Groningue, à tenir bon. Macte illa vestra virtute, viri docti, quod audeatis resistere impio illi pontifici. Courage, dit-il, généreux et savants jansénistes, puisque vous osez résister à ce méchant pape. L’Angleterre se joint avec les autres, et veut que même les gazettes fassent foi, que la doctrine que la Sorbonne a censurée, est en beaucoup de choses le même que celle des églises réformées. Du Moulin ne rêve point quand il avoue à Sedan cette même uniformité de doctrine ; Rousselet le publie dans Nîmes ; et de ces deux fameux apostats qui sont maintenant à Montauban, Labadie et Masson, le premier confesse qu’il a passé au calvinisme par la porte du jansénisme. Le second, qu’il a appris le jansénisme dans Calvin, longtemps avant que Jansénius eût imprimé son Augustinus. Nous avons entre les mains le livre de cettui-cy vient d’imprimer, concernant les motifs de son apostasie, qui arriva l’année passée, après qu’il eût prêché le carême dernier au diocèse de Rouen. Il n’est pas nécessaire que je m’étende davantage sur ce sujet, y ayant tant de pièces imprimées qui font la démonstration de la conformité de la doctrine de Jansénius et de Calvin, sur le sujet de la grâce efficace par elle-même, auxquelles les jansénistes n’ont jamais pu répondre.

Quant à ce que le secrétaire ajoute sur la fin de sa lettre, de la compassion qu’il a de voir que je suis abandonné de Dieu, j’ai trois choses à lui dire : la première, que dès que l’esprit de bouffonnerie le quitte, il ne fait rien qui vaille dans ses lettres, et se rend ennuyeux et méprisable à ceux qui les lisent. La seconde, qu’une neuvaine à la sainte Épine serait bien employée, pour obtenir de Dieu la guérison de son aveuglement. La troisième, que je conçois une particulière confiance, de voir que je suis abandonné de Dieu, dans l’esprit de ceux qui croient que Dieu abandonne son Église, et qu’il va la détruisant tous les jours, comme font les jansénistes attachés aux traditions du feu abbé de Saint-Cyran.

S’il lui prend envie de répliquer quelque chose, qu’il n’envoie plus ses écrits aux presses d’Osnabruck. C’est se donner de la peine pour plaisir. Amsterdam, Leyden, et Genèse, sont plus à sa commodité ; et dans tous ces lieux il ne trouvera pas seulement la permission d’imprimer ses ouvrages, on lui en donnera même l’approbation. Après tout, les jansénistes sont hérétiques.

FIN