P 02 : Notes Wendrock

 

Note première sur la seconde Lettre

 

Du Terme de Grâce suffisante.

Qui sont les Dominicains que cette Lettre condamne ?

Comme la première lettre combat fortement le terme de pouvoir prochain, celle-ci combat de même celui de grâce suffisante. Je dis le terme : car il faut bien distinguer ici le terme de la chose qu'il signifie, Montalte rejetant absolument le terme et ne rejetant pas même les différentes idées qu'on y peut attacher.

Les molinistes entendent par grâce suffisante une grâce qui renferme tout ce qui est nécessaire pour agir, et qui sans autre secours à quelquefois son effet. Montalte rejette entièrement cette notion avec le terme. Et en cela il a tous les thomistes pour lui. Ainsi il dispute avec les molinistes pour le terme, et pour la chose.

Il dispute aussi avec les nouveaux thomistes, mais bien différemment. Car il est presque d'accord avec eux pour la chose, et il dispute seulement du nom. Ceux-ci par le terme de grâce suffisante n'entendent pas une grâce qui n'a besoin de rien pour agir, et qui peut quelquefois produire seule l'action ; mais une grâce qui donne une certaine vertu intérieure, qui attire la volonté vers le bien sans néanmoins la fléchir, si elle est n'est accompagnée d'une grâce efficace. Or qui n'avouera pas que cette grâce se trouve souvent dans les justes, même lorsqu'ils pêchent ? Aussi Montalte ne le nie point, et il ferait encore moins de difficulté de l'admettre dans les justes qui veulent et qui tâchent de faire le bien. Mais la question est de savoir si on doit appeler, ou ne pas appeler cette grâce suffisante : ce qui n'est qu'une pure question de nom, qui convient mieux à la légèreté d'un Grec oisif, qu'à la gravité des Théologiens à moins que la nécessité ne les oblige d'entrer dans ces sortes de disputes.

Car qu'importe que je nomme cette grâce suffisante, ou non ? Pourvu que je ne diminue rien de sa force. Je ne veux nommer suffisant que ce qui l'est en toutes lanières er qui suffit seul. Ne trouvant pas cela dans cette grâce, je lui ôte le nom de grâce suffisante. Pourquoi les thomistes s'en offensent-ils ? Sont-ils établis juges souverains du langage ? Mais peut-être que j'en change le sens ? Qu'ils prennent garde que cela ne leur arrive plutôt qu'à moi, car j'ai l'usage de mon côté, qui décide des termes et des noms.

Mais je m'éloigne du langage ordinaire des théologiens ! Je demande qui sont ces théologiens ? Car on ne prouvera pas que l'Écriture, les conciles, les Pères, ni les anciens théologiens se soient jamais servi du terme de grâce suffisante en ce sens. Qui m'empêchera de parler comme eux ayant les mêmes sentiments qu'eux ? C'est donc trop entreprendre que de vouloir commander l'usage d'un terme qui n'est prescrit par aucune autorité.

Voilà tout le sujet de cette lettre. Voilà tout ce que Montalte y traite avec tant d'érudition, non qu'il rejette entièrement la chose même que les thomistes expriment par le terme de grâce suffisante ; mais il fait voir que le nom en est dangereux ; qu'il entretient une erreur populaire, que c'est indiscrètement que quelques personnes s'en servent dans les entretiens particuliers, et injustement qu'on veut contraindre les théologiens à s'en servir. Il n'empêche néanmoins personne d'en user sur les bancs, et dans l'école, pourvu que les professeurs aient soin d'en détacher les sens des molinistes. Mais il est indigne avec raison qu'on en use indifféremment, en parlant au peuple ignorant et aux simples femmes : ce que ceux qui l'ont inventé n'ont même jamais fait.

De plus il faut remarquer qu'il ne condamne pas tous les dominicains dont la plus grande partie n'a vu qu'avec indignation la lâcheté de leurs confrères ; mais seulement un certain parti du couvent de Paris, dont le P. Nicolaï est le chef, et qui dans ces disputes avait abandonné les sentiments de son ordre, et s'était lié avec les Jésuites pour abolir la doctrine de saint Thomas.

Note II

Sur le sable.

Montalte touche en passant avec beaucoup d'esprit l'artifice dont les molinistes se servirent pour avancer la censure : se voyant vivement poussés sur la question de droit par les docteurs qui défendaient M. Arnauld, et accablés d'une infinité de preuves, ils obtinrent par le moyen de M. le Chancelier, pour faire taire ces docteurs, que personne n'aurait la liberté de parler plus d'une demie heure, qu'on mesurerait au sable. Loi d'autant plus ridicule, que chacun parlait autant qu'il voulait sur la question de fait, qui était beaucoup plus facile, et n'était presque d'aucune conséquence : ce qui aurait été bien plus raisonnable à l'égard de la question de droit ; parce que sur celle-ci, il fallait expliquer toute la tradition, détruire un grand nombre de calomnies, et éclaircir une infinité d'équivoques. Mais c'était cela même que les molinistes appréhendaient ; et pour l'éviter ils introduisirent dans la Sorbonne une servitude nouvelle et pernicieuse, et chassèrent par ce moyen de leurs assemblées ceux de leurs confrères qui ne pouvaient ni ne devaient souffrir qu'on leur ôtât la liberté.

Note III

Pourquoi les Jésuites accusent les Thomistes d'être Calvinistes

Il ne tient pas aux jésuites que les thomistes ne passent pour calvinistes. Ceux qui veulent voir comment ils les décrient sous ce faux prétexte, n'ont qu'à lire Théophile Rainauld déguisé sous le nom de La Rivière dans son livre intitulé : Le Calvinisme la Religion des bêtes, et le p. Annat son confrère dans son livre de la Science moyenne, au chapitre dernier. On pourrait croire que cette accusation vient d'un zèle quoique trompé, que les jésuites ont contre l'hérésie. Mais Ripalda avoue ingénieusement quel en est l'origine, Bannez, dit-il,[1] et la plupart de ses Disciples commencèrent à noter le sentiment de Molina de pélagianisme dans leurs disputes publiques, dans leurs entretiens particuliers et dans leurs écrits... Nos auteurs pour se justifier de cette accusation, accusèrent à leur tour le sentiment opposé, de calvinisme. Voilà comme ils renouvellent dans nos jours ce qui avait été pratiqué autrefois par ces donatistes dont parle saint Augustin[2] qui comme il le remarque, calomniaient les autres pour cacher leurs crimes, et pour empêcher par ces faux bruits qu'on ne s'instruisit de la vérité.

Le même Ripalda avoue dans le même endroit[3] qu'on a condamné à Rome, dans la congrégation de Auxilis soixante propositions de Molina. Et pour ne point alléguer de témoins suspects, on peut encore là-dessus, l'Apparat de M. Perefrer docteur de Navarre.

Réponse

Du Provincial aux deux premières Lettres de son ami.

Du 2 Février 1656.

Monsieur,

Vos deux lettres n'ont pas été pour moi seul. Tout le monde les voit : tout le monde les entend ; tout le monde les croit. Elles ne sont pas seulement estimées par les Théologiens : elles sont encore agréables au gens du monde, et intelligibles aux femmes mêmes.

Voici ce que m'en écrit un de Messieurs de l'Académie, des plus illustres entre ces hommes tous illustres, qui n'avait encore vu que la première. Je voudrais que la Sorbonne qui doit tant à la mémoire de feu Monsieur le cardinal, voulut reconnaître la juridiction de son Académie Française. L'auteur de la Lettre serait content ; car en qualité d'académicien, je condamnerais d'autorité, je bannirais, je proscrirais, peu s'en faut que je ne dis, j'exterminerais de tout mon pouvoir, ce pouvoir prochain, qui fait tant de bruit pour rien, et sans savoir autrement ce qu'il demande. Le mal est que notre pouvoir Académique est un pouvoir fort éloigné et borné. J'en suis marri : et je le suis encore beaucoup, de ce que tout mon petit pouvoir ne saurait m'acquitter envers vous, etc.

Et voici ce qu'une personne, que je ne vous marquerai en aucune sorte, en écrit à une dame qui lui avait fait tenir la première de vos lettres.

Je vous suis plus obligée que vous ne pouvez-vous l'imaginez de la lettre que vous m'avez envoyée : elle est tout à fait ingénieuse, et tout à fait bien écrite. Elle narre, sans narrer : elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées ; elle raille finement : elle instruit même ceux qui ne savent pas bien les choses : elle redouble le plaisir de ceux qui les entendent. Elle est encore une excellente Apologie, et si l'on veut, une délicate et innocente censure. Et il y a enfin tant d'art, tant d'esprit, et tant de jugement en cette lettre, que je voudrais bien savoir qui l'a faite, etc.

Vous voudriez bien aussi savoir qui est la personne qui en écrit de la sorte, mais contentez-vous de l'honorer sans la connaître, et quand vous la connaîtrez, vous l'honorerez bien davantage.

Continuez donc vos lettres sur ma paroles ; et que la censure vienne quand il lui plaira : nous sommes fort bien disposez à la recevoir. Ces mots de pouvoir prochain et de grâce suffisante dont on nous menace, ne nous ferons plus de peur. Nous avons trop appris des Jésuites, des Jacobins, et de M. le Moine en combien de façon on le tourne, et combien il y a peu de solidité en ces mots nouveaux, pour nous en mettre en peine. Cependant je serais toujours, etc.

  1. ^  Tom2. Disp. 113. Sect. 9 n. 53.
  2. ^  Ep. 162.
  3. ^ Tom. 2. Disp. 113. Sect. 9. N. 55.