P 12 : Commentaires
Rédaction de la XIIe Provinciale
GEF V, p. 352. Le plan est donné par Nicole à l’Hôtel des Ursins selon Goujet. Il révise la lettre chez M. Hamelin, où se trouve Arnauld.
Sources de la XIIe Provinciale
GEF V, p. 353. Jusque là, Pascal a cité Vasquez d’après Diana, et Lessius d’après Escobar. Il cite à présent d’après ces auteurs mêmes.
HERMANT Godefroy, Réponse de l’Université de Paris à l’Apologie pour les Jésuites.
Les menaces de persécution sur Port-Royal
Lettre d’Antoine Arnauld à la Mère Prieure de Port-Royal des Champs, in ARNAULD Antoine, Œuvres , I, p. 140-141. “Il semble que la persécution non seulement contre les personnes, mais encore plus contre la vérité aille recommencer plus que jamais. Vous aurez lu ce que le Clergé a fait contre la mémoire de feu M. de Saint-Cyran. Il a ordonné que son éloge serait rayé des livres de M.M. de Sainte-Marthe ; et deux évêques, M.M. de Rennes et de Rhodès, sont venus à la Cour, pour remercier l’Assemblée, de la part du Roi, de cette belle résolution. M. de Rennes en fit hier la harangue toute pleine d’invectives contre ce saaint homme, et il y ajouta que la Reine les exhortait à achever la destruction de ces mauvaises doctrines. L’affaire a été remise à demain vendredi. On ne doute point que nos ennemis ne fassent tout ce qu’ils voudront. Néanmoins il faut prier Dieu ; et c’est principalement le sujet qui m’a porté à vous écrire, afin que demain vous fassiez faire quelques prières extraordinaires pour cela. Nous ne pouvons mettre notre confiance qu’en Dieu. Nos amis de l’Assemblée sont tout abattus, et il n’y a presque rien à espérer. Mais avec tout cela il ne faut pas perdre courage ; Dieu a ses voies, et il saura délivrer sa vérité de l’oppression, quand il lui plaira, malgré toute la fureur et toute la faiblesse des hommes. Il nous donne d’ailleurs de si grandes preuves de sa bonté, que nous serions bien méconnaissants si nous n’espérions en lui...”
Le Formulaire du 1er septembre 1656
Sur le formulaire, voir dans Provinciale XVIII la note de synthèse générale sur le Formulaire.
Voir ARNAULD, Œuvres, XIX, p. XXXVI, sur le rapport de ces événements avec la séance du 10 mai 1655. Cette fois, c’est l’Assemblée du clergé qui reprend l’affaire ; sur cette Assemblée du clergé en 1656, voir JANSEN, Arnauld d’Andilly, p. 23, et ARNAULD Antoine, Œuvres, XIX, p. XIV-XV.
Le 1er septembre, L’assemblée confirme des résolutions de 1653, 1654 et 1655 ; elle rédige un formulaire uniforme, conforme aux demandes des treize évêques réunis le 10 mai 1655 par Mazarin : voir ARNAULD, Œuvres, XXI, p. IV ; GOUHIER, Blaise Pascal. Commentaires, p. 308. Le texte est identique au précédent : voir GEF V, p. 337, notice et texte, p. 338. “Je me soumets sincèrement à la Constitution de notre saint Père le Pape Innocent X du 31 mai 1653, selon son véritable sens expliqué par l’Assemblée de Messeigneurs les Prélats de France du 28 mars 1654 et confirmé depuis par le Bref de sa sainteté du 29 septembre de la même année. Je reconnais que je suis obligé en conscience d’obéir à cette Constitution et je condamne de cœur et de bouche la doctrine des cinq Propositions de Cornelius Jansénius, contenues dans son livre intitulé Augustinus, que le Pape et les Evêques ont condamnées, laquelle doctrine n’est point celle de saint Augustin, que Jansénius a mal expliquée contre le vrai sens de ce saint Docteur.” Ce projet de formulaire condamne donc les Cinq propositions au sens de Jansénius. Devront signer toutes les personnes qui sont sous la charge des évêques. Parmi les évêques, le plus grand nombre garde le silence : Gondrin, Vialart, Godeau, Rouxel de Madovi. Certains font des objections fondées sur le fait que la question n’a pas été examinée. De nouveau, cette décision reste peu efficace : p. V.
D’AVRIGNY le P., Mémoires chronologiques et dogmatiques, pour servir à l’Histoire ecclésiastique depuis 1600 jusques en 1716 avec des réflexions et des remarques critiques, sl, sn, 1739, II, p. 343 sq., qui donne le point de vue des jésuites sur les événements, indique que l’Assemblée du clergé , composée de 2 archevêques, 37 évêques, et 27 députés du second ordre, approuve tout ce qui a été fait jusque là contre le Jansénisme.
OC III, p. 457. Lettre de Saint-Gilles à Florin Périer du 26 décembre 1656 mentionnant les publications de l’Assemblée du clergé en vue de faire signer le Formulaire.
Réponses aux Provinciales et Réponses aux Réponses
NOUËT, Réponse à la douzième lettre des jansénistes, 8 p. in-4° ; in Réponses, p. 291 sq. Voir le texte dans le dossier correspondant.
NICOLE Pierre, Réfutation de la Réponse à la douzième lettre, 8 p. in-4° (note 1 à la XVIIe Provinciale, in WENDROCK, tr. Joncoux, p. 213 sq.). Sur la date : l’auteur remarque que la XIIIe lettre est déjà sortie.
Vers le 20 août 1656. Jacques, Réponse aux lettres que les jansénistes publient contre les jésuites, août 1656, 16 p. in-4°.
NOUËT Jacques, Réponse aux lettres que les jansénistes publient contre les jésuites, août 1656, 16 p. in-4°. Contient les six première Impostures. Texte repris dans les Réponses de 1657, p. 1 sq., et dans l’édition de 1658 p. 89 sq..
Attribution : GEF V, p. 343 ; Provinciales, éd. Cognet, p. LII et p. 214. Saint-Gilles l’attribue au P. Pinthereau. OC I, p.480.
Voir le texte dans le dossier des Réponses.
NOUËT Jacques, Réponse à l’onzième Lettre des jansénistes
Voir le dossier sur la XIe Provinciale.
La date probable de cet écrit le place entre la XIe et la XIIe Provinciales.
NOUËT Jacques, Réponse à l’onzième Lettre des jansénistes, août 1656, 8 p. in-4°. Date : février 1656? Cette date est sûrement fausse : la XIe Provinciale est d’août 1656. Texte intégral dans Réponses..., p. 273 sq.
Ce texte fourni en mode image dans le présent site. Il faut aussi consulter le texte tel que le donne le recueil Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le secrétaire du Port-Royal contre les pp. de la compagnie de Jésus, qui replace cette Réponse dans l’ensemble de la production des polémistes jésuites.
GEF V, p. 342-343. Extraits.
Voir WENDROCK, Lettres Provinciales, notes à la XIe Provinciale.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 402 sq.
Antoine LE MAÎTRE (?), Réponse à un écrit publié sur le sujet des miracles qu’il a plu à Dieu de faire à Port-Royal depuis quelques temps par une sainte Épine de la couronne de Notre Seigneur
Le texte serait composé début novembre ; l’impression serait de fin septembre 1656. Il constitue une réponse au Rabat-joie des jansénistes.
Antoine LE MAÎTRE (?), Réponse à un écrit publié sur le sujet des miracles qu’il a plu à Dieu de faire à Port-Royal depuis quelques temps par une sainte Épine de la couronne de Notre Seigneur, Paris, fin septembre 1656, répond au libelle du p. Annat. Cette réponse a été imprimée avant la fin septembre 1656, mais ne sera publiée que début novembre, comme l’indique l’Avis au lecteur non paginé. Voir la notice de GEF V, p. 342 : Saint-Gilles et Hermant (Mémoires, t. III, p. 190) l’attribuent de manière certaine à Antoine Le Maistre. Mais on l’a parfois attribuée à Pascal sur une indication du Recueil d’Utrecht (1640), p. 449 : « on a lieu de croire que M. de Pontchâteau est en partie l’auteur, peut-être avec M. Pascal ».
Selon JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 650 sq., le texte n’est assurément pas de Pascal, mais Pascal a peut-être fait partie du comité qui l’a élaboré : p. 651.
23 août 1656. ANNAT François, Rabat-joie des Jansénistes ou observations nécessaires sur ce qu’on dit être arrivé au Port-Royal au sujet de la Sainte Epine par un Docteur de l’Eglise catholique (vers le 23 août 1656)
Pour la date : OC I, éd. J. Mesnard, p. 480 ; OC III, éd. J. Mesnard, p. 457.
ANNAT François, Rabat-joie des Jansénistes ou observations nécessaires sur ce qu’on dit être arrivé au Port-Royal au sujet de la Sainte Épine par un Docteur de l’Eglise catholique, 1+12 p, slnd (23 août 1656), in-4° (BN : Ld 4 242).
Le P. Annat n'a jamais avoué cet ouvrage ; voir GEF V, p. 342. Attribution au P. Pinthereau : OC I, éd. J. Mesnard, p. 480 sq.
BAUDRY DE SAINT-GILLES D’ASSON Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, 23 août 1656, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p. 222 sq. Voir OC I, éd. J. Mesnard, p. 480-481.
ARNAULD Antoine, Œuvres, XXIII, § II, p. VII. Les écrits publiés à l’occasion des miracles de la sainte épine.
GEF V, p. 341 sq.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 407 sq. Analyse de l’ouvrage.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 197 sq.
SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 148 sq.
GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, p. 152.
RACINE, Abrégé, Œuvres, II, p. 86. « L'auteur faisait judicieusement d'avertir qu'il était catholique »: p. 86. Attaque en règle : « Enfin il parut un écrit, et personne ne douta que ce ne fût du P. Annat, avec ce titre ridicule : le rabat-joie des jansénistes, ou observations sur le miracle qu'on dit être arrivé à Port-Royal, composé par un docteur de l'Église catholique. L'auteur faisait judicieusement d'avertir qu' il étoit catholique, n' y ayant personne qui, à la seule inspection de ce titre, et plus encore à la lecture du livre, ne l' eût pris pour un protestant très-envenimé contre l' église. Il avoit assez de peine à convenir de la vérité du miracle ; mais enfin, voulant bien le supposer vrai, il en tiroit la conséquence du monde la plus étrange, savoir, que Dieu voyant les religieuses infectées de l'hérésie des cinq propositions, il avait opéré ce miracle dans leur maison pour leur prouver que Jésus-Christ était mort pour tous les hommes. Il faisait là-dessus un grand nombre de raisonnements, tous plus extravagants les uns que les autres, par où il ôtait à la véritable religion l'une de ses plus grandes preuves, qui est celle des miracles. Pour conclusion, il exhortait les fidèles à se bien donner de garde d'aller invoquer Dieu dans l' église de Port-Royal, de peur qu' en y cherchant la santé du corps, ils n' y trouvassent la perte de leurs âmes. »
Port-Royal répondra dans Antoine LE MAÎTRE (?), Réponse à un écrit publié sur le sujet des miracles qu'il a plu à Dieu de faire à Port-Royal depuis quelques temps par une sainte Epine de la couronne de Notre Seigneur, Paris, fin septembre 1656.
ARNAULD et LE MAITRE, Réponse à un écrit intitulé Observations sur ce qui s'est passé au Port-Royal au sujet de la Sainte Epine
ARNAULD Antoine et LE MAÎTRE Antoine, Réponse à un écrit intitulé Observations sur ce qui s'est passé au Port-Royal au sujet de la Sainte Epine, 27 p. Texte dans ARNAULD Antoine, Œuvres, XXIII, p. 7 sq.
GOUHIER Henri, Commentaires, p. 152 et 54, sur l'attribution du texte.
Pascal y aurait collaboré.
SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 152 sq.
MEYNIER Bernard, Port-Royal et Genève d’intelligence contre le très Saint Sacrement de l’Autel
Voir la note consacrée à cet ouvrage du p. Meynier dans le dossier consacré aux Réponses aux Provinciales, et le fichier consacré au p. Meynier.
Rédaction de la XIIe Provinciale
GEF V, p. 352. Selon Goujet le plan a été donné par Nicole à l’Hôtel des Ursins. Il révise la lettre chez M. Hamelin, où se trouve Arnauld.
OC III, p. 458. Selon le catalogue Fouillou, la lettre fut revue par Nicole chez M. Hamelin. Selon Beaubrun peu sûr ici, Nicole en aurait donné le plan à l’hôtel des Ursins.
Titre de la XIIe Provinciale
Nicole-Wendrock donne pour titre : Réfutation des chicanes des jésuites sur l’aumône et sur la simonie.
Publication de la XIIe Provinciale
GEF V, p. 352. La publication est rapide. Arnauld écrit à son frère le 17 septembre que douze lettre ont été données à la reine de Suède.
OC III, p. 458.
Objet de la XIIe Provinciale
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 198 sq. Pascal défend sa posture d’anonymat et essaie de repousser les accusations de calomnie.
Les problèmes sont beaucoup plus précis que dans la Provinciale XI. Un polémiste a taxé Pascal d’imposture. Aussi celui-ci fait-il beaucoup d’allusions à ce qui a été déjà dit. Il répond à trois impostures, toutes relatives à l’argent :
1. sur l’aumône
la doctrine
la réponse aux impostures
2. sur la simonie
la doctrine
la réponse aux impostures
3. sur la banqueroute
Le problème général des citations
A partir de la douzième Provinciale, Pascal est obligé de justifier sa manière de citer les textes des casuistes. Sa méthode a fait l’objet d’analyses nombreuses, qui dépassent souvent son cas, permettant ainsi de comprendre l’importance que cette pratique en apparence purement technique pouvait revêtir pour les écrivains de son temps.
Voir sur ce sujet le dossier relatif au problème des citations.
Du 9 septembre 1656.
OC III, éd. J. Mesnard, p. 458.
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 214. Défense de la XIIe lettre. L’auteur remarque que le XIIIe lettre est sortie.
RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, II, p. 403 sq.
Provinciales, éd. Cognet, p. 215. Le fragment que nous possédons du Journal de Saint-Gilles s’arrête au 6 septembre. Le 17, Arnauld, Lettres, I, p. 141, écrit à son frère l’évêque d’Angers : “on a donné les 12 lettres à la reine de Suède. Elle les reçut avec joie, mais nous ne savons pas encore le jugement qu’elle en a fait, car ce ne fut qu’avant-hier au soir qu’on les lui présenta, et elle partit hier pour la Cour”.
Frises de la Provinciale XII
Frise du recueil R 1035 de Clermont
Frise du recueil R 5597 de Clermont
La frise est identique à celle qu’affiche la BNF. C’est aussi la même que sur le R. 5452 de Clermont.
XII, 1. J’étais prêt à vous écrire sur le sujet des injures que vous me dites depuis si longtemps dans vos écrits, où vous m’appelez impie, bouffon, ignorant, farceur, imposteur, calomniateur, fourbe, hérétique, calviniste déguisé, disciple de Du Moulin, possédé d’une légion de diables, et tout ce qu’il vous plaît. Je voulais faire entendre au monde pourquoi vous me traitez de la sorte : car je serais fâché qu’on crût tout cela de moi ; et j’avais résolu de me plaindre de vos calomnies et de vos impostures, lorsque j’ai vu vos réponses, où vous m’en accusez moi-même. Vous m’avez obligé par là de changer mon dessein ; et néanmoins, mes Pères, je ne laisserai pas de le continuer en quelque sorte, puisque j’espère en me défendant vous convaincre de plus d’impostures véritables que vous ne m’en avez imputé de fausses.
Texte de 1659 : « et néanmoins je ne laisserai pas de le continuer en quelque sorte ».
Ces insultes ont été mentionnés dans la Provinciale XI. Pascal répondra sur ce point dans les Provinciales XV et XVI. Pascal blasphémateur : voir Première réponse, citée in GEF V, p. 116. Calviniste déguisé : voir Provinciale XVII, 1-2.
NOUËT, Réponse à la douzième lettre. Ces injures ne sont pas des injures, mais des vérités, que Nouët prétend justifier en les examinant les unes après les autres.
Pascal n’est pas le premier à subir les injures des prédicateurs et des écrivains jésuites.
Voir SAINTE-BEUVE, Port-Royal, II, XII, éd. Leroy, t. 1, Pléiade, p. 645, sur l’affaire des sermons du P. Nouët contre La Fréquente communion, à la date du 28 ou 29 novembre 1643 ; le même P. Nouët a prononcé de pareils sermons dès le dernier dimanche d’août 1643. Il reproche à Arnauld d’être un calviniste masqué qui cherche à détourner les fidèles de l’eucharistie. Ces sermons durent huit dimanches de septembre et octobre : p. 646. Le P. Nouët a été obligé de signer un acte de désaveu, le 28 novembre. Sainte-Beuve signale des textes de Hermant et d’Ormesson sur ce sujet.
LE GUERN Michel, Pascal et Arnauld, p. 77. Voir en note la liste des noms donnés par le P. Nouët à Arnauld : “nouveau réformateur, falsificateur des Pères, ignorant, imaginatif, fantastique, mélancolique, lunatique, aveugle, malicieux, furieux, serpent ayant une langue à trois pointes armée de passion, de médisance et d’impiété, scorpion, monstre, loup déguisé en agneau, voulant ruiner l’Église comme Luther et Calvin sous prétexte de la réformer”.
ARNAULD Antoine, Œuvres, XVI, p. VIII sq. Le P. Nouët obligé de signer à genoux un acte de satisfaction humiliant au sujet de ses déclarations contre La fréquente communion.
Vous m’avez obligé par là de changer mon dessein, et néanmoins je ne laisserai pas de le continuer en quelque sorte, puisque j’espère, en me défendant, vous convaincre de plus d’impostures véritables que vous ne m’en avez imputé de fausses : cette formule signale deux caractères apparemment contradictoires des Provinciales : le fait que Pascal y suit de très près l’évolution de la polémique, et que, malgré les péripéties de la controverse, il existe un dessein d’ensemble auquel Pascal se tient fermement, revenant à l’essentiel sans se laisser entraîner dans des combats secondaires qui lui auraient fait perdre l’intérêt du public. Pascal indique d’ailleurs explicitement qu’il ne se laissera pas distraire.
Sur le ministre protestant Pierre Du Moulin, voir la fiche à son nom.
XII, 1. En vérité, mes Pères, vous en êtes plus suspects que moi. Car il n’est pas vraisemblable qu’étant seul comme le suis, sans force et sans aucun appui humain, contre un si grand corps, et n’étant soutenu que par la vérité et la sincérité, je me sois exposé à tout perdre, en m’exposant à être convaincu d’imposture.
Pensées, Laf. 962, Sel. 796. Recueil des originaux, p. 398. “Je suis seul contre trente mille ? Point. Gardez, vous, la Cour, vous, l’imposture, moi, la vérité. C’est toute ma force. Si je la perds, je suis perdu : je ne manquerai pas d’accusateurs et de punisseurs. Mais j’ai la vérité, et nous verrons qui l’emportera”.
Voir Provinciales, éd. Cognet, p. 216, n. 1. On pourrait aussi rapprocher le passage du fragment Laf. 236 : “ainsi toutes les faiblesses très apparentes sont des forces”, mais le sens est assez différent, puisque dans les Pensées, il s’agit de faiblesses logiques.
En fait, dès sa Première réponse..., reproduite in Réponses..., éd. de 1657, p. III, éd. de 1658, p. 3, le p. Nouët a déclaré que le secrétaire du Port-Royal avait tout le parti janséniste derrière lui. Il emploie le terme de légion, comme Pascal l’indique, qui est une allusion à l’Évangile de Marc : “Personne ne peut nier que l’Auteur des Lettres qui courent aujourd’hui, et qui font tant de bruit dans le monde, ne soit un Janséniste ; si toutefois c’est un seul homme, et non plutôt tout le parti : à qui si l’on demande son nom, comme le Sauveur le demanda au démon qui tourmentait ce malheureux endiablé, qui faisait sa demeure dans les tombeaux, il répondrait comme lui : Le nom que je porte, est légion, car nous sommes plusieurs”. Voir Marc V, 1 sq. “Ayant passé la mer, ils vinrent au pays des Gadaréniens. 2. Et Jésus ne fut pas plutôt descendu de la barque, qu’il se présenta à lui un homme possédé de l’esprit impur, sortant des sépulcres, 3. où il faisait sa demeure ordinaire ; et personne ne le pouvait plus lier, même avec des chaînes : 4. Car ayant souvent été lié de chaînes, et ayant eu les fers aux pieds, il avait rompu ses chaînes, et brisé ses fers, et nul homme ne le pouvait dompter. 5. Il demeurait jour et nuit sur les montagnes et dans les sépulcres, criant et se meurtrissant lui-même avec des pierres. 6. Lors donc qu’il eut vu Jésus de loin, il courut à lui, et l’adora ; 7. et jetant un grand cri, il lui dit : Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus fils du Dieu très-haut ? Je vous conjure par le nom de Dieu, de ne me point tourmenter ; 8. car Jésus lui disait : Esprit impur, sors de cet homme. 9. Et il lui demanda : Comment t’appelles-tu ? A quoi il réppondit : Je m’appelle Légion, parce que nous sommes plusieurs : 10. et il le priait avec instance qu’il ne les chasât point hors de ce pays-là. 11. Or il y avait là un grand troupeau de pourceaux qui passaient le long des montagnes ; 12. et ces démons le suppliaient, en lui disant : Envoyez-nous dans ces pourceaux, afin que nous y entrions. 13. Jésus le leur permit aussitôt ; et ces esprits impurs sortant du possédé, entrèrent dans les pourceaux, et tout le troupeau, qui était environ de deux mille, courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, où ils furent tous noyés. »
Voir dans le même sens NOUËT Jacques, Réponse à la XIIe lettre des jansénistes, in Réponses, éd. de 1657, p. 208 sq ; éd. de 1658, p. 294 sq. ; voir GEF VI, p. 4. “Vous êtes seul ! Je crois fermement que vous voulez faire pitié aux gens, et pour moi j’ai de la compassion de voir trente ou quarante solitaires fort empêchés, l’un à chercher des passages, l’autre à les couper ou allonger, l’autre à revoir vos lettres, l’autre à corriger des épreuves, l’autre à débiter des feuilles, l’autre à les lire à la ruelle des lits, et les faire valoir, pendant que vous criez en vous cachant : je suis seul, sans force et sans aucun appui humain, donc je ne suis pas un imposteur. Ce raisonnement est persuasif et fort puissant...” Cette évocation du parti de Port-Royal au travail pour répandre les Provinciales est devenue classique. Le P. Nouët ajoute que Pascal a déjà tout perdu en se lançant dans le parti des hérétiques : voir NOUËT Jacques, Réponse à XIIe lettre, in Réponses..., p. 295 sq.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 424 sq. Le p. Nouët soutient que ce n’est pas en disant qu’il est seul que Pascal prouvera qu’il n’est pas un imposteur.
GEF V, p. 362.
RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, p. 404.
MÉCHOULAN Éric, « La force de la vérité et l’institution d’une subjectivité », La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 154-164. Caractère inédit à l’époque de la déclaration que la solitude d’une énonciation puisse devenir une preuve de sa validité. Sur la déclaration seul comme je suis : p. 154.
XII, 1. Il est trop aisé de découvrir les faussetés dans les questions de fait, comme celle-ci. Je ne manquerais pas de gens pour m’en accuser, et la justice ne leur en serait pas refusée. Pour vous, mes Pères, vous n’êtes pas en ces termes, et vous pouvez dire contre moi ce que vous voulez, sans que je trouve à qui m’en plaindre. Dans cette différence de nos conditions je ne dois pas être peu retenu, quand d’autres considérations ne m’y engageraient pas. Cependant vous me traitez comme un imposteur insigne, et ainsi vous me forcez à repartir : mais vous savez que cela ne se peut faire, sans exposer de nouveau, et même sans découvrir plus à fond les points de votre Morale ;
Les références sont une manière de résoudre les questions de fait : elles fournissent le moyen d’aller vérifier de visu le fait qu’un texte est dans un livre. La pensée de Pascal sur la manière dont doivent être résolues les questions de fait est exposée dans la Préface au traité du vide (OC II, éd. J. Mesanrd, p. p. 777 sq., ainsi que dans les deux dernières Provinciales.
en quoi je doute que vous soyez bons politiques. La guerre se fait chez vous et à vos dépens ;
Pensées, Laf. 962, Sel. 796. “Je suis seul contre trente mille? Point. Gardez, vous, la Cour, vous, l’imposture, moi, la vérité. C’est toute ma force. Si je la perds, je suis perdu : je ne manquerai pas d’accusateurs et de punisseurs. Mais j’ai la vérité, et nous verrons qui l’emportera”.
Pensées, Laf. 904, Sel. 450. “Vous êtes mauvais politiques” (la formule se trouve à la fin du fragment manuscrit).
Pensées, Laf. 989, Sel. 810. “Les jésuites ont voulu joindre Dieu au monde, et n’ont gagné que le mépris de Dieu et du monde. Car, du côté de la conscience, cela est évident ; et, du côté du monde, ils ne sont pas de bons cabalistes. Ils ont du pouvoir, comme je l’ai dit souvent, mais c’est-à-dire à l’égard des autres religieux. Ils auront le crédit de faire bâtir une chapelle et d’avoir une station de jubilé, non de pouvoir faire avoir des évêchés, des gouvernements de place. C’est un sot poste dans le monde que celui de moines, qu’ils tiennent, par leur aveu même (P. Brisacier, Bénédictins). Cependant... vous ployez sous les plus puissants que vous, et vous opprimez de tout votre petit crédit ceux qui ont moins d’intrigue que vous dans le monde.”
Ve Ecrit des curés de Paris : “c’est néanmoins une mauvaise politique : car il n’y a rien de plus capable de les décrier à la fin...”
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 77. Sur les raisons de l’échec de la politique jésuite, et sur le fait qu’ils minent eux-mêmes les bases sur lesquelles repose leur puissance politique. Les pages 77-90 sont essentielles pour la compréhension des Provinciales. Il ne faut pas prendre la clause je doute que vous soyez bons politiques seulement pour une boutade : Pascal pense en effet que la politique des jésuites est, comme celle de toute puissance mauvaise, autodestructrice à terme.
PLAINEMAISON Jacques, “Pascal et la “politique” des Jésuites. Étude de la forme “politique” dans les Provinciales”, in FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 255-266.
- Gérard, Blaise Pascal. Les Provinciales, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 78-81.
XII, 1. Et quoique vous ayez pensé qu’en embrouillant les questions par des termes d’École, les réponses en seraient si longues, si obscures, et si épineuses, qu’on en perdrait le goût, cela ne sera peut-être pas tout à fait ainsi : car j’essaierai de vous ennuyer le moins qu’il se peut en ce genre d’écrire. Vos maximes ont je ne sais quoi de divertissant qui réjouit toujours le monde.
Termes d’École : vocabulaire technique scolastique, qui avait cours en théologie et dans les Universités.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 424, sur la stratégie des jésuites.
Pascal refuse de s’engager sur le terrain juridique à la suite de ses adversaires, ce qui l’exposerait à devenir ennuyeux.
Il a conscience que le P. Nouët tente de l’attirer sur un terrain où il risque de perdre l’un de ses principaux avantages, s’il fait la faute de se laisser entraîner à une comparaison minutieuse des textes. Si les Provinciales deviennent longues, obscures, et épineuses, le public en perdra le goût, et lui-même y perdra son seul véritable appui.
J’essaierai de vous ennuyer le moins qu’il se peut : ironie... Il est certain que les jésuites ne vont pas s’ennuyer...
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 199.
XII, 1. Souvenez-vous au moins que c’est vous qui m’engagez d’entrer dans cet éclaircissement ; et voyons qui se défendra le mieux.
Le style du monde est frappant dans tout ce début : il s’agit pour Pascal de se défendre d’injures dont il ne voudrait pas qu’on les croie de lui, ce qui est précisément défendre son honneur. Suit la comparaison des forces des adversaires ; puis Pascal termine sur une véritable formule de défi, que l’on attendrait presque d’un bretteur. Naturellement, il ne s’agit pas d’honneur mondain, mais d’honneur chrétien, et Pascal veille soigneusement à souligner qu’il n’est pas l’agresseur. Mais le ton est visiblement destiné à plaire aux gens du monde.
Éclaircissement : voir Dictionnaire de l’Académie : explication d’une chose obscure ; il signifie aussi en matière de querelle une explication que l’on demande à un homme, pour savoir s’il a dit ou fait telle chose, ou si en la disant ou en la faisant, il a eu l’intention d’offenser.
M’engagez d’entrer : on dit plus couramment m’engager à entrer...
Pensées, Laf. 962, Sel. 796. “Je suis seul contre trente mille ? Point. Gardez, vous, la Cour, vous, l’imposture, moi, la vérité. C’est toute ma force. Si je la perds, je suis perdu : je ne manquerai pas d’accusateurs et de punisseurs. Mais j’ai la vérité, et nous verrons qui l’emportera”.
XII, 2. La première de vos impostures est sur l’opinion de Vasquez touchant l’aumône. Souffrez donc que je l’explique nettement, pour ôter toute obscurité de nos disputes. C’est une chose assez connue, mes Pères, que selon l’esprit de l’Église, il y a deux préceptes touchant l’aumône :
L’opinion de Vasquez touchant l’aumône : elle est mentionnée dans l’écrit du p. Nouët.
l’un de donner de son superflu dans les nécessités ordinaires des pauvres ;
Sur la question du superflu, voir Provinciale VI.
l’autre de donner même de ce qui est nécessaire selon sa condition dans les nécessités extrêmes. C’est ce que dit Cajetan,
Wendrock précise : « Cajetanus, quem vos imperite pro Vasquesio profertis ». Mais le texte français de Wendrock ne donne rien qui corresponde à cette addition. Nicole insinue que les polémistes jésuites ne s’y connaissent guère en exactitude des citations.
Cajetan : Thomas de Vio, dit Cajetan. Dominicain (1470-1534). Il joua un rôle important dans les premières controverses contre Luther. Il a publié un commentaire de la Somme de saint Thomas. Voir Provinciales, éd. Cognet, p. 217, n. 3 ; et GEF V, p. 363-364. Ne pas confondre avec Enrico Cajetan, 1550-1599 ; voir JOUANNA Arlette et alii, Histoire et dictionnaire des guerres de religion, p. 750.
Dictionnaire des philosophes, article Cajetan Thomas de Vio, Encyclopaedia universalis, Paris, Albin Michel, 1998, p. 303 sq.
MAYAUD Pierre-Noël, Le conflit entre l’astronomie nouvelle et l’Écriture sainte aux XVIe et XVIIe siècles, Un moment de l’histoire des idées. Autour de l’affaire Galilée, II, p. 99 sq.
Le texte de Cajetan invoqué par Pascal est dans GEF V, p. 370-371.
après s. Thomas :
Sur ce que dit Saint Thomas sur l’aumône, la référence à la Somme théologique, 2a 2ae, Q. 52, art. 5-6, donnée par l’édition Cognet, paraît inexacte. Il faut sans doute voir dans Q. 52 un lapsus pour Q. 32, où les articles 5 et 6 traitent en effet de l’aumône : art V, t. IV, p. 523, Utrum dare eleemosynam sit in praecepto, et 6, t. IV, p. 526, Utrum quis debeat dare eleemosynam de necessario. La Q. 66, art. 7 (t. IV, p. 905), répond à la question Utrum liceat alicui furari propter necessitatem), que Pascal aborde un peu plus bas, Provinciale XII, 4. La Q. 118 traite De vitiis liberalitati oppositis, et primo de avaritia t. V, p. 387 sq.) ; la Q. 87 (t. V, p. 87 sq.) traite De decimis, principalement dans son article 1, Utrum homines teneantur ad solvendas decimas ex necessitate praecepti.
Voir l’éd. Cognet, p. 217, n. 4, qui fournit les références suivantes :
2a 2ae, q. 52, art. 5 et 6.
2a 2ae, q. 66, art. 7.
2a 2ae, q. 32, art 6.
2a 2ae, q. 118.
2a 2ae, q. 87.
de sorte que pour faire voir l’esprit de Vasquez touchant l’aumône, il faut montrer comment il a réglé, tant celle qu’on doit faire du superflu, que celle qu’on doit faire du nécessaire.
Annonce du plan en deux parties du passage sur l’aumône qui suit.
Sur l’aumône, voir la note de Provinciale VI, 2-3, éd. Cognet, p. 96-97.
Gabriel Vasquez, 1539-1604 : voir Provinciales, éd. Cognet, p. 97 ; RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, I, p. 13. Jésuite né en 1551 à Belmonte ; il devient jésuite en 1539, mort le 23 septembre 1604 à Alcala. Professeur à Alcala puis à Rome. Ses œuvres occupent 10 volumes (Lyon, 1620). Sur la doctrine de Vasquez, voir Provinciales, éd. Cognet, p. 223.
XII, 3. Celle du superflu, qui est le plus ordinaire secours des pauvres, est entièrement abolie par cette seule maxime de Eleem. c. 4. n. 14. que j’ai rapportée dans mes lettres, Ce que les gens du monde gardent pour relever leur condition et celle de leurs parents n’est pas appelé superflu. Et ainsi à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les Rois.
De eleem : abréviation de eleemosyna qui signifie pitié, miséricorde, et de là aumône.
La décision de Vasquez telle qu’elle est citée par Diana est reproduite in GEF V, p. 11 sq. Sur la doctrine de Vasquez, voir Provinciales, éd. Cognet, p. 223.
Dans la VIe Provinciale, éd. Cognet, p. 96-97, où il a déjà abordé la question de l’aumône, Pascal cite Vasquez pour la citation à laquelle il revient dans la XIIe : Vasquez, De eleemosyna, c. 4, dubium ultimum (sc. 5), n. 14, Differentia inter ecclesiasticos et laicos circa praeceptum elemosynae, édition de 1631 (c’est apparemment par erreur que l’éd. Cognet indique dubium 4) ; le texte s’y trouve à la p. 20. « Sed est quaedam maxima, et notabilis inter ecclesiasticos, et laicos : primo quod laici non tenentur inquirere pauperes, sed illis quos obviam habuerint eleemosunam impertiri ; ecclesiastici vero, praecipue episcopi, ut bene notavit Corduba, tenentur pauperes inquirere, quia sunt pauperum parentes, et haec esse debet illorum cura erga pauperes. Secundo quod laici possunt de bonis patrimonialibus servare ad statum suum, vel consanguineorum mutandum, et tunc illuc non dicitur superfluum. Unde vix in saecularibus invenies etiam in regibus superfluum statui ».
Mais dans l’édition de 1617 des Opuscula de Vasquez, la référence est différente : Tractatus de eleemosyna, Dubium ultimum (sc. 5), Caput quartum, A quibus sit eleemosyna eroganda ?, n. 14, p. 35.
Mais Pascal cite d'après DIANA, Resolutiones morales, Part II, tr. 15, Misc. Res. 32, in 13e éd., Tres priores partes, 1646, p. 246, qui cite Vasquez. « Ex his omnibus respondeo ad propositam quaestionem negative : et licet opinio affirmativa esset vera, tamen in praxi nunquam, aut rarius eveniet. Nam ut ait Vasquez in Opusc. De eleemis. Cap. 4, n. 14 laïci possunt de bonis patrimonialibus servare as statum suum, vel consanguineorum mutandum, et tunc illud non dicitur superfluum. Unde vix ex saecularibus invenies, etiam in regibus, superfluum statui. Haec Vasquez, quae quidem confessariis divitum multum plausibilia erunt. » La citation de Vasquez que fait Diana est conforme à ce qu’écrit Vasquez.
Référence : DIANA Antonio, Resolutionum moralium partes duodecim, 2 vol., Palerme, 1623-1641 ; editio XIII, Lugduni, 1646-1650, 2 vol. Le passage de Diana, est reproduit dans GEF V, p. 30 et 12.
Pascal a lui-même lu Diana ; voir Laf. 958, Sel. 793, les notes qu'il a prises sur son ouvrage.
Comment sait-on que Pascal a lu Vasquez à travers Diana, et non pas directement dans Vasquez ?
Les textes de Diana avaient déjà été utilisés par Arnauld dans ses Remontrances aux PP. Jésuites touchant un libelle qu'ils sont fait courir dans Paris sous ce titre : Le manifeste de la véritable doctrine des Jansénistes, Paris, 1651, Œuvres, XXIX, p. 477-536 ; voir le passage en question p. 516. Voir dans GEF V, p. 11, le texte de Diana, tiré de la Remontrance aux Pères jésuites touchant un libelle qu’ils ont fait courir dans Paris, sous ce faux titre : Le manifeste de la véritable doctrine des jansénistes, telle qu’on la doit exposer au peuple composé par l’assemblée du P. R., Paris, 1651 : « Est-ce prescrire des bornes à l’ambition des grands, ou plutôt n’est-ce point les exhorter à n’y en mettre aucune, que de leur enseigner que plus leur ambition sera grande et démesurée, moins ils seront obligés d’être charitables envers les pauvres. Et n’est-ce pas le faire, que de reconnaître d’une part que dans les grandes nécessités ils sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, et de ruiner de l’autre, comme fait votre Vasquez, cette obligation importante par cette subtilité pernicieuse : Que tout ce qui peut servir à l’élever à une plus haute condition ou à y élever ses proches, ne doit point être estimé superflu : et ainsi, dit ce moliniste, à peine trouvera-t-on dans les séculiers, non pas même dans les rois, quelque chose qui soit superflu à leur état. D’où le fameux Diana votre bon ami conclut fort bien que suivant cette pensée de Vasquez, la doctrine constante de tous les pères établie sur l’Évangile, qu’on est obligé de donner aux pauvres son superflu, ne sera plus qu’une vaine spéculation, qui n’aura jamais, ou presque jamais aucun lieu dans la pratique : c’est-à-dire, mes Pères, que selon votre morale corrompue, l’ambition est une légitime excuse de ne point faire l’aumône ; que pourvu qu’on ait été bien ambitieux, on ne sera point damné pour n’avoir pas été charitable... »
Mais ce texte n’a rien de décisif, puisque le texte d’Arnauld ne mentionne pas le cas des rois. Pascal n’a donc pu s’en servir que comme d’une indication, et non comme d’une source.
On trouve plusieurs références qui montrent que Pascal a utilisé Diana.
Dans les Provinciales mêmes d’abord. Voir Provinciale VI, 3. « Aussi Diana ayant rapporté ces mêmes paroles de Vasquez, car il se fonde ordinairement sur nos Pères, il en conclut fort bien. Que dans la question : Si les riches sont obligés de donner l’aumône de leur superflu encore que l’affirmative fût véritable, il n’arrivera jamais, ou presque jamais, qu’elle oblige dans la pratique. »
Voir aussi Provinciale XII, 6 : « Vous vous plaignez ensuite hautement, de ce qu'après avoir rapporté cette maxime de Vasquez : A peine se trouvera-t-il que les gens du monde, et même les Rois, aient jamais de superflu, j'en ai conclu que les riches sont donc à peine obligés de donner l'aumône de leur superflu. Mais que voulez-vous dire, mes Pères ? S'il est vrai que les riches n'ont presque jamais de superflu, n'est-il pas certain qu'ils ne seront presque jamais obligés de donner l'aumône de leur superflu. Je vous en ferais un argument en forme, si Diana, qui estime tant Vasquez qu'il l'appelle le Phénix des esprits, n'avait tiré la même conséquence du même principe. Car après avoir rapporté cette maxime de Vasquez, il en conclut : que dans la question, savoir si les riches sont obligés de donner l'aumône de leur superflu, quoique l'opinion qui les y oblige fût véritable, il n'arriverait jamais, ou presque jamais, qu'elle oblige dans la pratique. »
Mais surtout le manuscrit des Pensées contient des notes qui attestent que Pascal a lu Diana ; voir Laf. 958, Sel. 793 (Laf. 956 dans l’édition de L’intégrale au Seuil), Recueil des originaux, p. 389-390, des notes prises par Pascal sur Diana. Seule une de ces notes porte sur le nécessaire, le superflu et l’aumône. D’autre part les notes de Pascal ne contiennent aucune référence.
Voici
le texte :
« Diana. 11.
Cela nous est fort utile.
C’est à quoi fait Diana.
11. Il est permis de ne point donner les bénéfices qui n’ont pas charge d’âmes aux plus dignes. Quoi que le concile de Trente ait dit semble dire le contraire, car si mais voici comme il le prouve : car si cela était tous les prélats seraient damnés en état de damnation, car ils en usent tous de la sorte.
11. Le roi et le pape ne sont ils point obligés de choisir les plus dignes. Si cela était, le pape et les rois auraient une terrible charge.
21. Et ailleurs : si cette opinion n’était pas vraie, les pénitents et les confesseurs auraient bien des affaires, et c’est pourquoi j’estime qu’il faut la suivre dans la pratique.
Et ailleurs
21. Si cette opinion était vraie touchant la restitution, ô qu’il y aurait de restitutions à faire !
22. Et en un autre endroit où il met les conditions nécessaires pour faire qu’un péché soit mortel, il y met tant de circonstances qu’à peine pèche‑t‑on mortellement, et, qu après l’avoir établi, il s’écrie : ô que le joug du seigneur est doux et léger, et
11. Et ailleurs en parlant de l’aumône l’obligation de donner l’aumône : l’on n’est pas obligé de donner l’aumône de son superflu dans les communes nécessités des pauvres. Si le contraire était vrai, il faudrait condamner la plupart des riches et de leurs confesseurs.
Ces raisons-là m’impatientaient, lorsque je dis au Père : Mais qui empêche de dire qu’ils le sont ?
C’est ce qu’il a prévu aussi en ce lieu, me dit-il me répondit-il, où après avoir dit : 22. Si cela était vrai, les plus grands riches seraient damnés, il ajoute : à cela Arragonius répond qu’ils le sont aussi, et Baunez, jésuite ajoute, de plus, que leurs confesseurs le sont de même. Vous voyez par là que les jésuites ne mais je réponds avec Valentia, autre jésuite, et d’autres auteurs qu’il y a plusieurs raisons pour excuser ces riches et leurs confesseurs.
J’étais ravi de ce raisonnement, quand il me finit par celui‑ci :
Si cette opinion était vraie pour la restitution, ô qu’il y aurait des restitutions à faire !
Ô mon Père, lui dis-je, la bonne raison ! Ô me dit le Père, que voilà un homme commode ! Ô mon Père répondis-je, sans vos casuistes, qu’il y aurait de monde damné ! Ô mon Père, que vous rendez large la voie qui mène au ciel ! Ô qu’il y a de gens qui la trouvent ! Voilà un...»
On trouve d’autres notes sur un papier collé sur la p. 389, Laf. 958, Sel. 793. « Diana.
C’est à quoi fait Diana.
11. Il est permis de ne point donner les bénéfices qui n’ont pas charge d’âmes aux plus dignes ; le Concile de Trente semble dire le contraire. Mais voici comme il le prouve, car si cela était tous les prélats seraient en état de damnation. Car ils en usent tous de la sorte.
11. Le roi et le pape ne sont point obligés de choisir les plus dignes. Si cela était, le pape et les rois auraient une terrible charge.
21. Et ailleurs si cette opinion n’était pas vraie les pénitents et les confesseurs auraient bien des affaires, et c’est pourquoi j’estime qu’il faut la suivre dans la pratique. »
Le P. Nouët tente de défendre Vasquez dans sa Réponse aux lettres que les jansénistes publient contre les jésuites, p. 3.
Sur l’écrit du P. Nouët que Pascal reprend, voir Première imposture, in Réponses, éd. de 1657, p. 3 sq., et éd. de 1658, p. 93-96 ; texte cité in GEF V, p. 346 sq. : “PREMIÈRE IMPOSTURE. Que les Jésuites favorisent l’ambition des riches, et qu’ils ruinent la miséricorde envers les pauvres, parce que Vasquez dit en son traité de l’aumône, c. 4. Que ce que les personnes du monde gardent pour relever leur condition, et celle de leurs parents, n’est pas appelé superflu, et qu’à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, non pas même dans les Rois. Lettre 6. p. 1. Edition de Cologne p. 77.
Voir la Première imposture, in Réponses, loc. cit. : « RÉPONSE. A prendre les paroles de Vasquez dans le sens supposé que leur donne cet écrivain janséniste, l’on dirait qu’il veut dispenser les riches de l’obligation de donner l’aumône. Mais si vous allez à la source pour y trouver le véritable sens de l’auteur, vous verrez avec étonnement qu’il enseigne tout le contraire.
Vasquez dans cet excellent traité prend à tâche de régler le devoir des riches, et montrer pour quelle raison ils sont obligés de secourir les pauvres dans leur besoin : et pour ce sujet il fait distinction des personnes laïques, qui possèdent de grands biens dans le monde, et des ecclésiastiques qui jouissent des biens de l'Eglise. Quant aux ecclésiastiques, il soutient qu'ils ne peuvent en sûreté de conscience se servir des biens et des revenus de leurs bénéfices pour relever leur condition, ni celle de leurs parents, et qu'ils sont obligés de les employer au soulagement des pauvres, et même de s'enquérir de leurs besoins, parce qu'ils leur tiennent lieu de Pères.
Pour les personnes laïques, qui ont de grandes richesses, soit qu'ils les aient acquises par leur industrie, ou qu'ils les aient trouvées dans leur maison, il assure aussi qu'ils sont obligés sous peine de damnation à donner l'aumône. Mais il demande sur quel principe est fondée cette obligation, et rejetant l'opinion de Cajetan, qui l'établit sur ce qu'un homme riche est tenu de donner aux pauvres le superflu de ses biens, qui est leur partage, il dit que cette raison ne lui semble pas assez forte, et que les riches s'en pourraient facilement défendre, disant qu'ils n'ont rien de superflu ; vu que dans le sentiment même de Cajetan, les personnes du monde peuvent se servir de leurs biens pour relever leur condition par des voies légitimes, statum quem licite possunt acquirere, et pour acquérir des charges, pourvu qu'ils en soient dignes, statum quem digne possunt acquirere (ce sont les mots de Vasquez qu'il répète par deux fois en ce traité ch. I, dub. 3. n.26 et que le janséniste a supprimés) par conséquent qu'on n'appelle point superflu ce qui leur est nécessaire pour y parvenir. D'où il conclut qu'il faut établir ce devoir sur un autre fondement qui le rende indispensable, qui est celui de la charité, qui n'oblige pas seulement les riches à faire l'aumône du superflu de leurs biens, mais encore du nécessaire dans le sens que je viens de dire. Cette doctrine n'est-elle pas toute contraire à celle qu'on lui attribue? Se peut-il voir une imposture plus visible? Je prie le lecteur de voir ce traité et de commencer par le premier chapitre, où il parle des obligations des riches du siècle. Je l'assure qu'il ne sera pas moins édifié de la prudente conduite de ce Père, qu'étonné de a malice de son calomniateur.
Avertissement aux Jansénistes.
Il faut que je rende le bien pour le mal, et la vérité pour le mensonge. J’avertis donc les disciples de Jansénius, que toutes les aumônes qu’ils tirent des veuves, et tous les testaments qu’ils leur font faire en faveur du Jansénisme condamné par le Pape, f sont autant de larcins qui tiennent en quelque façon du sacrilège : parce qu’ils abusent d’un bien donné à Dieu contre l’Eglise de Dieu : et que les personnes riches qui font subsister ce parti hérétique, soit qu’ils y contribuent de leur autorité ou de leurs richesses, se rendent complices de leur rébellion, et se perdent avec eux”
a. Le Ministre du Moulin reproche aussi à l’Église, qu’elle ruine les aumônes, mais d’une autre manière, page 344. Par les indulgences un homme est déchargé des aumônes et oraisons enjointes, qui est un grand soulagement. Armill. ver. Indulg. dist. 22. q. 4.
b. Quod ex superfluo teneantur beneficiarii alere pauperes, illud juris etiam divini est : alias posset Summus Pontifex dispensare, ut quis ex superfluo consanguineos ditaret, quod non est credibile ; et paulo post : In Clerico enim beneficiario, quia pater est, lex charitatis obligat de superfluo, in quo excedit oligationem saeculanum. Vasq. de Eleem. 4. n. 11.
c. Ecclesiastici vero, praecipue Episcopi, tenentur pauperes inquirere, quia sunt pauperum parentes, et esse debet illorum cura erga pauperes. Ib. n. 14.
d. Sed contra est, quod si necessarium, quod aliquis meo superfluo egeat, ut ego tenear erogare illud : ergo non tantum superfluum est ratio dandi ellëmosynam, sed etiam alterius necessitas : ratio ergo illius obligationis illinc nascitur, quod charitas postulet, ut mihi superfluum, quod est alteri necessarium, illi erogem, ne alius indigeat. C. 1. d. 3. n. 21.
e. Ordo ergo charitatis talis esse debet, etc. vitam enim proximi cum detrimento vitae meae non teneor tueri, cum detrimento caeterorum teneor, et sic de reliquis, alias quomodo charitas Dei manet in nobis? C. 1. dub. 3. n. 25.
Secundo, si alicui imminet periculum famae amittejdae, tenetur quis cum detrimento sui status, et rei familiaris superfluae naturae similem necessitatem propellere, ut ordinata sit charitas.
Tertio, si alicui immineat periculum cadendi a statu suo, tenetur quis ex superfluo status illi subvenire. Ibidem n. 26.
f. Res pauperum non pauperibus dare pars sacrilegium est. Ber. »
Pascal répond dans la XIIe Provinciale, éd. Cognet, p. 217-223, où la question est rediscutée, à propos de la réponse du P. Nouët dans sa Première imposture.
Le P. Nouët a aussi réagi contre la XIIe Provinciale.
NOUËT, Réponse à la XIIe lettre, in Réponses..., éd. de 1657, p. 212 sq. ; éd. de 1658, p. 297 sq. Critique des coupes faites par Pascal dans la citation de Vasquez. Pascal n'oserait, contre Cajetan et Vasquez, soutenir qu'il est interdit de soutenir sa condition par des voies légitimes, ce que précise Vasquez, « statum quem licite possunt acquirere ». On ne voit pas le mot licite dans GEF V, p. 12. Nouët avait déjà argué de la présence de ce mot dans Imposture I, in Réponses, p. 13 sq., cité in GEF V, voir p. 93 sq., sur le texte de Vasquez : Rapprochant le reproche formulé par Pascal de ceux du protestant Du Moulin, le P. Nouët réfute l'idée que Vasquez dispense pratiquement les riches de l'aumône : Réponses des pp. jésuites, éd. de 1657, p. 215 sq., et éd. 1658, p. p. 301. Vasquez distingue le cas des personnes laïques du cas des ecclésiastiques p. 93 sq. ; il reproche à Pascal d’omettre de dire que Vasquez distingue plusieurs sortes de nécessaire et de superflu : par rapport à la vie, à l'honneur, à la condition présente, dans l'absolu, etc. Nouët montre que Vasquez est plus sévère que Cajetan : p. 304. Vasquez dirait qu'il faut établir le devoir d'aumône sur celui de charité : p. 95-96.
DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, p. 232 sq. Falsification de la citation de Vasquez, qui a dit « qu'à peine trouvera-t-on que les gens du monde aient du superflu par rapport à leur état ». Explication de sa doctrine : p. 235 sq. Problème du fondement de l'aumône : p. 235-236. Différentes sortes de superflu : p. 236. Critique du raisonnement de Pascal : p. 239. Il invente une proposition qui n'est pas de Vasquez, savoir que les riches ont rarement du superflu : p. 239.
L’abbé Maynard donne dans les notes de son édition des Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 255 sq., une présentation des idées de Vasquez sur l’aumône. Il reprend d’ailleurs la réponse du P. Nouët que Vasquez, trouvant insuffisant le motif qui oblige à l’aumône sur le superflu à la commodité, prétend le fonder plus solidement sur la charité. Il y a diverses sortes de superflus selon Vasquez :
nécessaire et superflu à l’égard de la vie,
superflu à la vie et nécessaire à l’égard de l’honneur,
superflu à l’honneur et nécessaire à l’égard de la condition présente,
superflu à la condition présente et nécessaire à l’égard de la condition qu’on peut acquérir,
superflu à tous égards, dont on n’a besoin ni pour le présent, ni pour l’avenir, ni pour soi, ni pour sa famille.
On peut en citer le passage suivant, p. 257.
« Les biens se classent en nécessaires et en superflus. Il y a nécessaire au superflu au regard de la vie, superflu à la vie et nécessaire à l’honneur, superflu à l’honneur et nécessaire à la condition présente, superflu à la condition présente et nécessaire à la condition qu’on peut acquérir, et enfin superflu à tous égards, dont on n’a besoin ni pour le présent, ni pour l’avenir, ni pour soi, ni pour sa famille.
Les nécessités du prochain se divisent en extrêmes, en graves et en communes, suivant que sa vie est menacée ou sa santé », son honneur, sa condition, ou qu’enfin il se procure avec peine ce que réclame la nature.
Toutes ces distinctions établies, Vasquez pose se principe : Je ne suis pas obligé à secourir mon prochain, s’il m’en doit coûter un bien égal à celui qu’il perdrait sans mon assistance ; mais il y a obligation pour moi de lui venir en aide au prix de quelque bien que ce soit moindre que celui qu’il va perdre : tel est l’ordre de la charité. Principe admirablement sage, dont il tire toutes ses conséquences pratiques.
1. Dans le cas de nécessité extrême, obligation de secourir le prochain de tout le superflu à la vie et du nécessaire à la condition.
2. Même obligation dans certaines nécessités graves, par exemple, lorsque la misère va conduire le prochain à quelque maladie sérieuse, ou qu’il est en danger de perdre sa réputation, bien plus précieuse que l’or. Autrement, dit-il, comment est-ce que la charité de Dieu demeure en moi ?
Jusqu’ici Vasquez est exact et même sévère, plus sévère que Cajetan et la plupart des théologiens qui restreignent au cas de nécessité extrême l’obligation de donner du nécessaire à son état, obligation qu’il étend, lui, à certaines nécessités graves. (…)
4. Dans les nécessités communes, il n’y a d’obligation de secourir les pauvres que du superflu. Seulement Vasquez établit ici entre les ecclésiastiques et les laïques une double distinction (…). C’est un devoir pour les ecclésiastiques d’aller chercher les pauvres, dont ils sont les protecteurs et les pères ; ce à quoi les laïques ne sont pas obligés. Comme les laïques, dans les nécessités extrêmes et quelques nécessités graves, ils doivent faire l’aumône du superflu à leur état, et même du nécessaire. Mais la notion de superflu n’est pas la même pour eux que pour les laïques, car tout ce qui leur reste en dehors de leur entretien est pour eux du superflu, et ils ne peuvent en rien garder pour relever leur condition ni celle de leurs parents ; tandis qu’on n’appelle pas superflu chez les laïques ce qu’ils destinent à l’amélioration de leur état. Et alors viennent les paroles qui forment la première partie de la proposition condamnée pat Innocent X : A peine trouverez-vous du superflu à l’état dans les gens du monde, et même dans les rois. Comment les entendre ? Veut-il dire que tous les riches et tous les rois n’ont jamais de superflu ? Non, croyons-nous ; mais seulement qu’il peut arriver que les rois eux-mêmes n’en aient pas. Du reste, cela est sans conséquence pour les aumônes ordinaires et de tous les jours, qui n’empêchent pas de conserver son état, et même de le relever. Ne confondons jamais avec la pratique les abstractions rigoureuses de la théorie. »
Le P. Nouët va être conduit par la réponse de Pascal dans la XIIe Provinciale, à répondre à son tour : voir NOUËT Jacques, Réponse à la XIIe lettre, in Réponses..., p. 297 sq. Critique des coupes faites par Pascal dans la citation de Vasquez. Il n’oserait, contre Cajetan et Vasquez, soutenir qu’il est interdit de soutenir sa condition par des voies légitimes, ce que précise Vasquez, “statum quem licite possunt acquirere”. On ne voit pas le licite dans GEF V, p. 12. Nouët avait déjà argué de la présence de ce mot dans Imposture I, in Réponses, p. 13 sq., cité in GEF V. Voir p. 93 sq., sur le texte de Vasquez : Nouët rapproche ce reproche de ceux de Du Moulin. Réfutation de l’idée que Vasquez dispense pratiquement les riches de l’aumône : p. 301. Vasquez distingue le cas des personnes laïques et celui des ecclésiastiques : p. 93-94. Pascal omet de dire que Vasquez distingue plusieurs sortes de nécessaire et de superflu : par rapport à la vie, à l’honneur, à la condition présente, dans l’absolu, etc. Nouët montre que Vasquez est plus sévère que Cajetan : p. 304. Vasquez dirait qu’il faut établir le devoir d’aumône sur celui de charité : p. 95-96.
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 214 sq. Défense de Pascal sur l’aumône. Voir p. 217 sq., des réflexions sur la nature de l’ambition, et sur les rares cas où le train de vie est autorisé par l’esprit chrétien.
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 62 sq.
JOUSLIN Olivier, Pascal et le dialogue polémique, p. 387 sq. Voir p. 546 sq., la réponse des Impostures sur le superflu.
JOUSLIN Olivier, Pascal et le dialogue polémique, p. 601 sq. Voir p. 617 sq., la réponse de Port-Royal à la critique formulée par le P. Nouët confirme l’idée que la Provinciale XII attribuait à Vasquez, il ne faut qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir pas de superflu : p. 618.
XII, 3. Vous voyez bien, mes Pères, par cette définition, que tous ceux qui auront de l’ambition, n’auront point de superflu et qu’ainsi l’aumône en est anéantie à l’égard de la plupart du monde.
Texte de 1659 : « Vous voyez bien, mes Pères, que, par cette définition, tous ceux qui auront de l’ambition n’auront point de superflu ».
XII, 3. Mais quand il arriverait même qu’on en aurait, on serait encore dispensé d’en donner dans les nécessités communes, selon Vasquez, qui s’oppose à ceux qui veulent y obliger les riches. Voici ses termes, c. I. n. 32. Corduba, dit-il, enseigne que lorsqu’on a du superflu, on est obligé d’en donner à ceux qui sont dans une nécessité ordinaire, au moins une partie, afin d’accomplir le précepte en quelque chose ; MAIS CELA NE ME PLAÎT PAS : SED HOC NON PLACET : CAR NOUS AVONS MONTRÉ LE CONTRAIRE contre Cajetan et Navarre. Ainsi, mes Pères, l’obligation de cette aumône est absolument ruinée, selon ce qu’il plaît à Vasquez.
Le texte de Vasquez se trouve dans ses Opuscula moralia de Vasquez, De eleemosyna, cap. I, Dubium IV, n. 32, Lyon, 1631, p. 6 : « Postea tamen legi Cordubam in quaestionario, q. 26, lib. 1 et in aliquibus nobiscum convenit, in aliis vero differt. Primo de extrema necessitate idem quid nos asserit. Secundo cum quis habet superfluum status, sentit quod si non sunt necessitates urgentes, tenetur communiter egentibus aliquid tribuere, licet non totum superfluum, ut saltem in aliquo praeceptum impleatur, nec in totum omittatur. Sed hoc non placet, supra enim contra Cajetanum, et Navarrum contrarium probavimus. Et sane si ad id teneretur, ad totum superfluum erogandum obligandus est. »
On trouve déjà le texte dans l’édition de 1617, p. 15-16.
Mais l’édition consultée par Cognet date de 1620 (comme il l’indique en note p. 218) ; c’est sans doute pourquoi il donne des références par lettres, qui ne se trouvent pas dans l’édition de 1631.
On peut d’ailleurs se demander sur quoi Cognet s’appuie pour identifier la source de Pascal dans l’édition de 1631.
Ce texte est cité dans GEF V, p. 360 : « Cum quis habet superfluum status sentit (Corduba) quod etiam si non sint necessitates urgentes, tenetur communiter egentibus aliquid tribuere, licet non totum superfluum, ut saltem in aliquo praeceptum impleatur, nec in totum omittatur. Sed hoc non placet, supra enim contra Cajetanum et Navarrum contrarium probavimus. Et sane si ad id teneretur, ad totum superfluum erogandum obligandus esset ». La traduction est exacte.
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 220 sq. Sur cette citation, Nicole note que les adversaires de Pascal n’ont pas répondu : ils ont fait l’amalgame avec la citation précédente pour trouver un faux-fuyant.
XII, 4. Pour celle du nécessaire, qu’on est obligé de faire dans les nécessités extrêmes et pressantes, vous verrez par les conditions qu’il apporte pour former cette obligation, que les plus riches de Paris peuvent n’y être pas engagés une seule fois en leur vie. Je n’en rapporterai que deux : L’une QUE L’ON SACHE que le pauvre ne sera secouru d’aucun autre : Haec intelligo et caetera omnia, quando SCIO nullum alium opem laturum c. I. n. 28. Qu’en dites-vous, mes Pères, arrivera-t-il souvent que dans Paris, où il y a tant de gens charitables, on puisse savoir qu’il ne se trouvera personne pour secourir un pauvre qui s’offre à nous ? Et cependant si on n’a pas cette connaissance, on pourra le renvoyer sans secours, selon Vasquez.
Passage de Vasquez sur le cas qu’on sache que le pauvre ne recevra aucun secours d’ailleurs, GEF V, p. 359-360. Sur le danger de mort ou de la perte de la réputation : p. 359.
Toutes les éditions ne sont pas équivalentes pour cette référence.
Selon Cognet, le texte se trouve à l’endroit indiqué par Pascal, dans les Opuscula moralia de Vasquez, De eleemosyna, cap. I, Dubium tertium, Lyon, 1631, p. 5 de l’édition de 1631.
La référence complète sur l’édition de 1631 serait : Vasquez, Opuscula moralia…, Tractatus de eleemosyna, ch. I, De eleemosynae praecepto, cap. I, Dubium tertium, n. 28, col. B, Lyon, J. Cardon, 1631, p. 5. « Hoc intelligo, et caetera omnia, quando scio ullum alium opem laturum, et meo auxilio a miserai fore proximum efficaciter liberandum ».
La référence de Pascal, c. I. n. 28, permet de trouver l’endroit, mais elle est très abrégée, voire incomplète. Elle ne mentionne pas qu’il s’agit d’un passage du Dubium III, Quando eleemosyna sit in praecepto ?, in Tractatus de eleemosyna, ch. I, De eleemosynae praecepto.
Cognet lui-même dit qu’il a vérifié sur l’édition de Lyon, 1620, où la référence n’est pas la même. Il est obligé de préciser, p. 218, n. 4, la référence : Dubium III, p. 5 D.
Dans l’édition de 1617, le passage en question se trouve p. 15, n. 28-29. Le texte est le même.
On peut d’ailleurs se demander pourquoi Cognet affirme aussi nettement que la citation est tirée de l’édition de 1631. On peut croire que c’est assez peu important, puisqu’on sait que ce n’est pas Vasquez, que Pascal utilise, mais Diana. Mais il semble bien que, dans cette Provinciale, Pascal soit remonté au texte original de Vasquez.
Le passage de Vasquez sur le cas qu’on sache que le pauvre ne recevra aucun secours d’ailleurs, est reproduit dans GEF V, p. 359-360. Sur le cas où il y a danger de mort ou de perte de la réputation, voir p. 359.
Paris, où il y a tant de gens charitables : sur les réseaux de charité et d’assistance aux pauvres, voir BLUCHE François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, articles Assistance, p. 125-128 et Œuvres de miséricorde, p. 1104-1105.
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 221. Nicole rapporte ce que dit Pascal, dont il accuse l’adversaire de déformer la doctrine de Vasquez.
XII, 4. L’autre condition est, que la nécessité de ce pauvre soit telle, qu’il soit menacé de quelque accident mortel, ou de perdre sa réputation, n. 24. et 26. Ce qui est bien peu commun.
Texte de 1659 : « L’autre condition est que la nécessité de ce pauvre soit telle, qu’il soit menacé de quelque accident mortel, ou de perdre sa réputation, n. 24 et 26, ce qui est bien peu commun ».
Le passage de Vasquez sur le cas qu’on sache que le pauvre ne recevra aucun secours d’ailleurs, est reproduit dans GEF V, p. 359. Sur le cas où il y a danger de mort ou de perte de la réputation.
Quando eleemosyna sit in praecepto ?, c. n. 24, p. 4, donne ce texte : « 24. Judicium et explicatio autoris. Ideo licet mihi in hac re videatur vera opinio dicentium quod eleemosynae praeceptum obligat in extrema vel urgenti necessitate, in hac cum est superfluum status, in illa vero cum est naturae superfluum, ea tamen sententia explicatione eget, quoniam urgens necessitas primo potest esse corporis, ut cum imminet infirmitas aliqua gravis, et hanc appellavit Medina necessitatem quasi extremam, et in hoc casu obligat eleemosyna ex necessario adhuc status, et superfluo naturae sicut extrema, nisi sit salius qui subveniat, ut docuit Medina, hoc existimo ea ratione verum, quia similis necessitas probabiliter timenda est ut extrema, nisi enim simili morbo occuratur, facile salus, et vita illius periclitatur, plusquam proprium statum teneor diligere. »
Le mot mortel ne figure donc pas dans la lettre du texte, mais on parle bien de la vie qui périclite.
Un peu plus bas, p. 5, dans le même numéro, Vasquez en vient à l’honneur. « Duplex autem esse potest miserai, quaedam quae imminet, ut cum quis est in periculo amittentdi honorem, vel statum suum, alia est quando quis jam amisit status sui dignitatem, vel honorem ».
Le n. 26, p. 5, donne ce texte : « Secundo si zlicui imminet periculum famae amittendae, quia illa est pretiosior auro, et statu, seu dignitate, ause auro, et substantiae rei familiaris comparatur, ideo tenetur quis cum detrimento sui status, et rei familiaris superfluae naturae similem necessitatem pro^pellere, et sublevare, ut ordinata sit charitas ».
Ces textes viennent-ils directement de Vasquez, ou sont-ils tirés de Diana ? GEF V ne donne pas de correspondance. La Provinciale VI ne donne pas de passage équivalent. Il faut donc croire que Pascal s’est reporté à Vasquez directement et sans l’intermédiaire de Diana.
Mais ce qui en marque encore la rareté, c’est qu’il dit, num. 45. Que le pauvre qui est en cet état, où il dit qu’on est obligé à lui donner l’aumône, peut voler le riche en conscience. Et ainsi il faut que cela soit bien extraordinaire, si ce n’est qu’il veuille qu’il soit ordinairement permis de voler. De sorte qu’après avoir détruit l’obligation de donner l’aumône du superflu, qui est la plus grande source des charités, il n’oblige les riches d’assister les pauvres de leur nécessaire que lorsqu’il permet aux pauvres de voler les riches. Voilà la doctrine de Vasquez, où vous renvoyez les lecteurs pour leur édification.
Num. 45 : Provinciales, éd. Cognet, p. 219. Erreur de référence : Dub. 60, p. 10 G. Je ne vois pas la nécessité du G (à moins que cela ne désigne la colonne de gauche, ce qui est pertinent). L’erreur de référence 45 subsiste dans Wendrock.
« 60. Authoris sententia. Verumtamen mihi videtur probabilis in aliquo casu opinio Sylvestri et Angeli, afferentium, quod potest, si aliter non potest, rem alienam subripere, qui patitur gravem necessitatem ex superfluo status alterius : eo inquam casu, quo alius tenebatur huic patienti necessitatem extremam, vel gravem succurrere eleemosyna : quia in hoc casu si alius ad id tenebatur, non est rationabiliter invitus, si egens graviter rem illam sibi usurpet, neque in hoc casu dispar est ratio quam cum est extrema necessitas, saltem quoad hoc ».
Vasquez n’oblige donc les riches d’assister les pauvres de leur nécessaire que lorsqu’il permet aux pauvres de voler les riches : non seulement c’est moralement scandaleux, mais en plus c’est logiquement contradictoire. Si les pauvres peuvent voler les riches, les riches n’ont pas besoin de faire l’aumône aux pauvres. Si les riches doivent donner l’aumône aux pauvres, les pauvres n’ont pas besoin de voler les riches. On nage dans l’absurde.
XII, 5. Je viens maintenant à vos impostures.
Les réponses du p. Nouët sont divisées en rubriques intitulées Impostures, qui répondent chacune à un passage de Pascal. L’initiale minuscule est sur l’imprimé. De sorte qu’ici, faute de majuscule initiale et d’italique, le mot impostures n’est pas employé comme un titre : c’est une manière de signifier implicitement que ce sont les Impostures imputées aux jansénistes sont des impostures de la part des jésuites.
XII, 5. Vous vous étendez d’abord sur l’obligation que Vasquez impose aux ecclésiastiques de faire l’aumône. Mais je n’en ai point parlé, et j’en parlerai quand il vous plaira. Il n’en est donc pas question ici. Pour les laïques, desquels seuls il s’agit, il semble que vous vouliez faire entendre que Vasquez ne parle en l’endroit que j’ai cité, que selon le sens de Cajetan, et non pas selon le sien propre. Mais comme il n’y a rien de plus faux, et que vous ne l’avez pas dit nettement, je veux croire pour votre honneur que vous ne l’avez pas voulu dire.
NOUËT Jacques, Réponse à la XIIe lettre, in Réponses aux Lettres Provinciales, 1658, p. 297 sq. Le P. Nouët fait la critique des coupes opérées par Pascal dans la citation de Vasquez. Le P. Nouët déclare que Vasquez distingue le cas des personnes laïques du cas des ecclésiastiques p. 93 sq. NB : cela ne peut être à cette déclaration que Pascal répond ici, puisque Nouët répond à la XIIe Provinciale. Mais l’idée est la même.
Quand il vous plaira : en fait Pascal n’a plus abordé ce sujet. Nicole-Wendrock prend acte de cette lacune, et lui consacre la courte note II, dans laquelle il cite Vasquez. « Montalte », dit-il, « qui ne voulait pas s’écarter de son dessein en se jetant dans de nouvelles disputes, méprise des vaines déclamations, et se contente de répondre qu’il n’a point parlé des ecclésiastiques, mais que néanmoins si les jésuites voulaient entrer dans cette question, il est prêt d’en parler quand il leur plaira ».
Cette indication confirme les remarques d’Olivier Jouslin sur la tactique de Pascal, qui cherche à éviter les sujets sur lesquels on l’entraînerait dans de cavillations infinies. En tout état de cause, c’est une technique à laquelle Pascal recourt à plusieurs reprises, de dire ce qu’il ne dit pas, pour suggérer qu’il épargne ses adversaires. Voir JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Etude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol.
Nicole entreprend ensuite de répondre à la place de Pascal. Il cite le jésuite Comitolus, dont il loue la sévérité inhabituelle dans son ordre, qui soutient que les pensions que reçoivent les titulaires des bénéfices obligent les ecclésiastiques à « faire des aumônes plus abondantes que les séculiers ». Comme « ces pensions », poursuit Nicole, « font véritablement partie du bien de l’Église et des pauvres, il est naturel qu’on ne les distingue pas « des autres biens ecclésiastiques ». Il cite ensuite plusieurs casuistes jésuites qui soutiennent que les ecclésiastiques ne sont pas obligés de donner l’aumône aux pauvres sur ces pensions. « Escobar dit la même chose en moins de mots. Un ecclésiastique, demande-t-il [Théol. Mor. Tract. 5. Exam. 5. c. 6], est-il obligé de donner aux pauvres comme superflu ce qu’il a épargné sur ce qui était nécessaire pour vivre honnêtement selon son état ? Je soutiens avec Molina qu’il n’y est pas obligé : parce que ces biens sont comme des biens de patrimoine, qui lui sont dus pour sa subsistance ».
XII, 6. Vous vous plaignez ensuite hautement, de ce qu’après avoir rapporté cette maxime de Vasquez : A peine se trouvera-t-il que les gens du monde, et même les Rois, aient jamais de superflu, j’en ai conclu que les riches sont donc à peine obligés de donner l’aumône de leur superflu.
Provinciale VI, § 2-3, éd. Cognet, Garnier, p. 96-97. « De même, il est dit dans l'Évangile : Donnez l'aumône de votre superflu. Cependant plusieurs casuistes ont trouvé moyen de décharger les personnes les plus riches de l'obligation de donner l'aumône. Cela vous paraît encore contraire ; mais on en fait voir facilement l'accord, en interprétant le mot de superflu, en sorte qu'il n'arrive presque jamais que personne en ait ; et c'est ce qu'a fait le docte Vasquez en cette sorte, dans son traité de l'aumône, c. 4 : Ce que les personnes du monde gardent, pour relever leur condition et celle de leurs parents n'est pas appelé superflu ; et c'est pourquoi à peine trouvera-t-on qu'il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, et non pas même dans les rois. Aussi Diana ayant rapporté ces mêmes paroles de Vasquez, car il se fonde ordinairement sur nos Pères, il en conclut fort bien : Que dans la question, si les riches sont obligés de donner l'aumône de leur superflu, encore que l'affirmative fût véritable, il n'arrivera jamais, ou presque jamais, qu'elle oblige dans la pratique. »
Voir l’écrit du P. Nouët que Pascal critique ici, Première imposture, in Réponse aux lettres que les jansénistes publient contre les jésuites, p. 93-96 ; texte cité in GEF V, p. 346 sq. : “PREMIÈRE IMPOSTURE. Que les Jésuites favorisent l’ambition des riches, et qu’ils ruinent la miséricorde envers les pauvres, parce que Vasquez dit en son traité de l’aumône, c. 4. Que ce que les personnes du monde gardent pour relever leur condition, et celle de leurs parents, n’est pas appelé superflu, et qu’à peine trouvera-t-on qu’il y ait jamais de superflu dans les gens du monde, non pas même dans les Rois. Lettre 6. p. 1. Edition de Cologne p. 77.
« RÉPONSE. A prendre les paroles de Vasquez dans le sens supposé que leur donne cet écrivain janséniste, l’on dirait qu’il veut dispenser les riches de l’obligation de donner l’aumône. Mais si vous allez à la source pour y trouver le véritable sens de l’auteur, vous verrez avec étonnement qu’il enseigne tout le contraire.
Vasquez dans cet excellent traité prend à tâche de régler le devoir des riches, et montrer pour quelle raison ils sont obligés de secourir les pauvres dans leur besoin : et pour ce sujet il fait distinction des personnes laïques, qui possèdent de grands biens dans le monde, et des ecclésiastiques qui jouissent des biens de l’Eglise. Quant aux ecclésiastiques, il soutient qu’ils ne peuvent en sûreté de conscience se servir des biens et des revenus de leurs bénéfices pour relever leur condition, ni celle de leurs parents, et qu’ils sont obligés de les employer au soulagement des pauvres, et même de s’enquérir de leurs besoins, parce qu’ils leur tiennent lieu de Pères.
Pour les personnes laïques, qui ont de grandes richesses, soit qu’ils les aient acquises par leur industrie, ou qu’ils les aient trouvées dans leur maison, il assure aussi qu’ils sont obligés sous peine de damnation à donner l’aumône. Mais il demande sur quel principe est fondée cette obligation, et rejetant l’opinion de Cajetan, qui l’établit sur ce qu’un homme riche est tenu de donner aux pauvres le superflu de ses biens, qui est leur partage, il dit que cette raison ne lui semble pas assez forte, et que les riches s’en pourraient facilement défendre, disant qu’ils n’ont rien de superflu ; vu que dans le sentiment même de Cajetan, les personnes du monde peuvent se servir de leurs biens pour relever leur condition par des voies légitimes, statum quem licite possunt acquirere, et pour acquérir des charges, pourvu qu’ils en soient dignes, statum quem digne possunt acquirere (ce sont les mots de Vasquez qu’il répète par deux fois en ce traité ch. I, dub. 3. n. 26 et que le janséniste a supprimés) par conséquent qu’on n’appelle point superflu ce qui leur est nécessaire pour y parvenir. D’où il conclut qu’il faut établir ce devoir sur un autre fondement qui le rende indispensable, qui est celui de la charité, qui n’oblige pas seulement les riches à faire l’aumône du superflu de leurs biens, mais encore du nécessaire dans le sens que je viens de dire. Cette doctrine n’est-elle pas toute contraire à celle qu’on lui attribue ? Se peut-il voir une imposture plus visible ? Je prie le lecteur de voir ce traité et de commencer par le premier chapitre, où il parle des obligations des riches du siècle. Je l’assure qu’il ne sera pas moins édifié de la prudente conduite de ce Père, qu’étonné de la malice de son calomniateur.
Avertissement aux Jansénistes.
Il faut que je rende le bien pour le mal, et la vérité pour le mensonge. J’avertis donc les disciples de Jansénius, que toutes les aumônes qu’ils tirent des veuves, et tous les testaments qu’ils leur font faire en faveur du Jansénisme condamné par le Pape, f sont autant de larcins qui tiennent en quelque façon du sacrilège : parce qu’ils abusent d’un bien donné à Dieu contre l’Eglise de Dieu : et que les personnes riches qui font subsister ce parti hérétique, soit qu’ils y contribuent de leur autorité ou de leurs richesses, se rendent complices de leur rébellion, et se perdent avec eux”.
XII, 6. Mais que voulez-vous dire, mes Pères ? S’il est vrai que les riches n’ont presque jamais de superflu, n’est-il pas certain qu’ils ne seront presque jamais obligés de donner l’aumône de leur superflu. Je vous en ferais un argument en forme,
Je vous en ferais un argument en forme : Wendrock traduit id syllogismo concluderem.
XII, 6. si Diana, qui estime tant Vasquez qu’il l’appelle le Phénix des esprits, n’avait tiré la même conséquence du même principe.
Phénix des esprits : texte non identifié par Cognet. Mais il y a du phénix dans l’Imago primi saeculi. Voir Provinciale V, 1. « Ce sont des esprits d’aigles ; c’est une troupe de phénix, un auteur ayant montré depuis peu qu’il y en a plusieurs. Ils ont changé la face de la Chrétienté. Il le faut croire puisqu’ils le disent. Et vous l’allez bien voir dans la suite de ce discours, qui vous apprendra leurs maximes. » Voir aussi Provinciale V, 21, auquel renvoie directement ce passage : « Voyez Diana, qui n’est pas de notre Société, quand il parle de Vasquez, il l’appelle le phénix des esprits. »
XII, 6. Car après avoir rapporté cette maxime de Vasquez, il en conclut : que dans la question, savoir si les riches sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, quoique l’opinion qui les y oblige fût véritable, il n’arriverait jamais, ou presque jamais, qu’elle oblige dans la pratique.
Texte de 1659 : « presque jamais, qu’elle obligeât dans la pratique ».
Que dans la question, savoir si les riches sont obligés de donner l’aumône de leur superflu... : voir Provinciale VI, 4.
A peine se trouvera-t-il que les gens du monde, et même les Rois, aient jamais de superflu : Provinciale VI, 3. « Aussi Diana ayant rapporté ces mêmes paroles de Vasquez, car il se fonde ordinairement sur nos Pères, il en conclut fort bien. Que dans la question : Si les riches sont obligés de donner l'aumône de leur superflu encore que l'affirmative fût véritable, il n'arrivera jamais, ou presque jamais, qu'elle oblige dans la pratique. » Pascal ne donne pas la référence exacte de ce texte qu’il a déjà cité.
Voir DIANA Antonio, Resolutionum moralium partes duodecim, 2 vol., Palerme, 1623-1641 ; editio XIII, Lugduni, 1646-1650, 2 vol. La référence est Resolutiones morales, Pars II, Tr. 15, Resp. 32.
Pascal cite Vasquez d'après Diana, Resolutiones morales, pars II, tr. 15, Misc. Res. 32, De eleemosyna, c. 4, dubium 4, n. 14, in 13e éd., Tres priores partes, 1646, p. 246. Il l’a déjà cité dans la Provinciale VI. « Ex his omnibus respondeo ad propositam quaestionem negative : et licet opinio affirmativa esset vera, tamen in praxi nunquam, aut rarius eveniet. Nam ut ait Vasquez in Opusc. De eleemis. Cap. 4, n. 14 laïci possunt de bonis patrimonialibus servare as statum suum, vel consanguineorum mutandum, et tunc illud non dicitur superfluum. Unde vix ex saecularibus invenies, etiam in regibus, superfluum statui. Illaec Vasquez, quae quidem confessariis divitum multulm plausibilia erunt. » La citation de Vasquez que fait Diana est exacte. Pascal a lu Diana lui-même ; voir Laf. 958, Sel. 793, les notes qu'il a prises.
Les textes de Diana avaient déjà été utilisés par Arnauld dans ses Remontrances aux PP. Jésuites touchant un libelle qu'ils sont fait courir dans Paris sous ce titre : Le manifeste de la véritable doctrine des Jansénistes, Paris, 1651, Œuvres, XXIX. Voir dans GEF V, p. 11, le texte de Diana, tiré de la Remontrance aux Pères jésuites touchant un libelle qu’ils ont fait courir dans Paris, sous ce faux titre : Le manifeste de la véritable doctrine des jansénistes, telle qu’on la doit exposer au peuple composé par l’assemblée du P. R., Paris, 1651 : « Est-ce prescrire des bornes à l’ambition des grands, ou plutôt n’est-ce point les exhorter à n’y en mettre aucune, que de leur enseigner que plus leur ambition sera grande et démesurée, moins ils seront obligés d’être charitables envers les pauvres. Et n’est-ce pas le faire, que de reconnaître d’une part que dans les grandes nécessités ils sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, et de ruiner de l’autre, comme fait votre Vasquez, cette obligation importante par cette subtilité pernicieuse : Que tout ce qui peut servir à l’élever à une plus haute condition ou à y élever ses proches, ne doit point être estimé superflu : et ainsi, dit ce moliniste, à peine trouvera-t-on dans les séculiers, non pas même dans les rois, quelque chose qui soit superflu à leur état. D’où le fameux Diana votre bon ami conclut fort bien que suivant cette pensée de Vasquez, la doctrine constante de tous les pères établie sur l’Évangile, qu’on est obligé de donner aux pauvres son superflu, ne sera plus qu’une vaine spéculation, qui n’aura jamais, ou presque jamais aucun lieu dans la pratique : c’est-à-dire, mes Pères, que selon votre morale corrompue, l’ambition est une légitime excuse de ne point faire l’aumône ; que pourvu qu’on ait été bien ambitieux, on ne sera point damné pour n’avoir pas été charitable... »
GEF V, p. 11. Texte de Diana, tiré de la Remontrance aux Pères jésuites touchant un libelle qu’ils ont fait courir dans Paris, sous ce faux titre : Le manifeste de la véritable doctrine des jansénistes, telle qu’on la doit exposer au peuple composé par l’assemblée du P. R., Paris, 1651 : « Est-ce prescrire des bornes à l’ambition des grands, ou plutôt n’est-ce point les exhorter à n’y en mettre aucune, que de leur enseigner que plus leur ambition sera grande et démesurée, moins ils seront obligés d’être charitables envers les pauvres. Et n’est-ce pas le faire, que de reconnaître d’une part que dans les grandes nécessités ils sont obligés de donner l’aumône de leur superflu, et de ruiner de l’autre, comme fait votre Vasquez, cette obligation importante par cette subtilité pernicieuse : Que tout ce qui peut servir à l’élever à une plus haute condition ou à y élever ses proches, ne doit point être estimé superflu : et ainsi, dit ce moliniste, à peine trouvera-t-on dans les séculiers, non pas même dans les rois, quelque chose qui soit superflu à leur état. D’où le fameux Diana votre bon ami conclut fort bien que suivant cette pensée de Vasquez, la doctrine constante de tous les pères établie sur l’Évangile, qu’on est obligé de donner aux pauvres son superflu, ne sera plus qu’une vaine spéculation, qui n’aura jamais, ou presque jamais aucun lieu dans la pratique : c’est-à-dire, mes Pères, que selon votre morale corrompue, l’ambition est une légitime excuse de ne point faire l’aumône ; que pourvu qu’on ait été bien ambitieux, on ne sera point damné pour n’avoir pas été charitable... »
XII, 6. Je n’ai fait que suivre mot à mot tout ce discours. Que veut donc dire ceci, mes pères ? Quand Diana rapporte avec éloge les sentiments de Vasquez ; quand il les trouve probables, et très commodes pour les riches, comme il le dit au même lieu, il n’est ni calomniateur, ni faussaire, et vous ne vous plaignez point qu’il lui impose : au lieu que quand je représente ces mêmes sentiments de Vasquez, mais sans le traiter de phénix, je suis un imposteur, un faussaire, et un corrupteur de ses maximes. Certainement, mes Pères, vous avez sujet de craindre que la différence de vos traitements envers ceux qui ne diffèrent pas dans le rapport, mais seulement dans l’estime qu’ils font de votre doctrine, ne découvre le fond de votre cœur, et ne fasse juger que vous avez pour principal objet de maintenir le crédit et la gloire de votre Compagnie ; puisque, tandis que votre Théologie accommodante passe pour une sage condescendance, vous ne désavouez point ceux qui la publient, et vous les louez au contraire comme contribuant à votre dessein : mais quand on la fait passer pour un relâchement pernicieux, alors le même intérêt de votre Société vous engage à désavouer des maximes qui vous font tort dans le monde : et ainsi vous les reconnaissez ou les renoncez, non pas selon la vérité qui ne change jamais, mais selon les divers changements des temps,
Texte de 1659 : « et au contraire vous les louez comme contribuant à votre dessein ».
Imposer : voir CAYROU Gaston, Dictionnaire du français classique, p. 433-434 : mettre sur le compte de, charger, accuser faussement, imputer à tort ». Le verbe s’emploie parfois sans complément indirect, pour dire mentir (« ne le croyez pas, il impose) ; mais d’après le Dictionnaire de l’Académie, « pour dire tromper, abuser, il faut toujours dire en imposer, et non imposer ».
Cette technique, qui consiste à inférer des dispositions du cœur à partir des variations des actes, sera reprise dans la Provinciale XV, 12, éd. Cognet, p. 287. Voir DESCOTES Dominique, “Le rapport des parties dans les Provinciales”, in Actes du colloque de Tucson, Biblio 17, Paris-Seattle-Tübingen, 1984, p. 11-36 ; et “La calomnie dans les Provinciales”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n°18, 1996, p. 14-21, ou Treize études sur Blaise Pascal, p.151-166. Pour une perspective plus générale, voir DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 308 sq.
XII, 6. Suivant cette parole d’un ancien : Omnia pro tempore, nihil pro veritate.
GEF V, p. 368. Optat est un évêque du IVe siècle. Selon Cognet, éd. Provinciales, p. 221, le passage a déjà été cité par Hermant dans ses Vérités académiques, Paris, 1643, p. 227, qui indique en marge Optat Milevit. L. I adv. Parmenion (orthographié Parmenian). « Leurs discours aussi bien que leurs actions semblent abandonner le parti de la vérité pour favoriser le temps, et l’occurrence du siècle. Omnia pro tempore, nihil pro veritate ».
Voir Requête des curés d’Evreux contre l’Apologie pour les casuistes, 21 septembre 1658, in Divers écrits des curés, p. 466, qui donne la même référence.
La formule apparaît dans GAZAIGNES, Annales de la société des soi-disant jésuites, III, Paris, 1767, p. 768.
XII, 6. Prenez-y garde, mes Pères, et afin que vous ne puissiez plus m’accuser d’avoir tiré du principe de Vasquez une conséquence qu’il eût désavouée, sachez qu’il l’a tirée lui-même, c. I. n. 27. A peine est-on obligé de donner l’aumône, quand on n’est obligé à la donner que de son superflu, selon l’opinion de Cajetan, ET SELON LA MIENNE : Et secundum nostram. Confessez donc, mes Pères, par le propre témoignage de Vasquez, que j’ai suivi exactement sa pensée,
Texte de 1659 : « A peine est-on obligé de donner l’aumône, quand on n’est obligé de la donner que de son superflu ».
Réf. Dubium III, Quando eleemosyna sit in praecepto, n. 27, p. 5. Pascal donne le chapitre, et le numéro ; mais il omet l’indication Dubium III et la page. « Appello autem superfluum status vel praesentis, vel futuri, quem licite possum adquirere, et ad illum ascendere, nec enime teneor ego meum statum, et dignitatem amittere, ut alius non amittat suum : et simili ratione non teneor ego ob similem necessitatem futurum perrdere statum, quem digne poteram conquirere, quod expresse sensit Navarrus, et Cajet. 2. 2. Et in summa loco citato : qui licet sentiat de superfluo quemlibet teneri ad eleemosynam, sed non existimat superfluum quando quis habet superfluum statui praesenti illud tamen in futurum reservat ut mutet statum digniorem, et ita vix aliquis tenetur, aut secundum opinionem Cajetani, aut secundum nostram ad eleemosynam, quando tantum tenetur ex superfluo status. Unde constat non esse indistincte verum, quod docuit Medina loco citato, quod cum quis eget ad statum suum, non tenetur alii de superfluis etiam statui sub mortali subvenire » (n. 26-27). Voir GEF V, p. 359.
Dans la méthode de l’interprétation, il existe deux moyens de déterminer si un auteur approuve ou non une proposition. Le moins fort est de montrer que cette proposition se trouve chez lui en termes équivalents, c’est-à-dire qu’on peut la tirer de ce qu’il a expressément écrit, soit par déduction, soit par analogie. La plus forte est de montrer que la proposition se trouve en termes exprès chez cet auteur, car alors il ne peut pas la désavouer. Pascal a sur ce point des idées assez originales : selon lui, qu’un auteur ait formulé une proposition en toutes lettres, c’est beaucoup, mais au fond c’est une sorte de coup de chance, car il aurait pu ne pas l’énoncer. En revanche, la position est encore plus forte si on peut montrer qu’il ne pouvait pas ne pas le dire, ni dire autre chose si l’occasion s’en présentait. Voir sur ce point le fragment Laf. 930, où Pascal envisage le cas de saint Augustin : « Saint Augustin a dit formellement que les forces seront ôtées au juste. Mais c’est par hasard qu’il l’a dit, car il pouvait arriver que l’occasion de le dire ne s’offrît pas. Mais ses principes font voir que l’occasion s’en présentant, il était impossible qu’il ne le dît pas ou qu’il dit rien de contraire. C’est donc plus d’être forcé à le dire l’occasion s’en offrant que de l’avoir dit, l’occasion s’en étant offerte. L’un étant de nécessité, l’autre de hasard. Mais les deux sont tout ce qu’on peut demander. » C’est précisément le cas ici : après avoir montré que la proposition considérée se déduit des principes de Vasquez, Pascal montre qu’elle se trouve effectivement chez lui : « les deux sont tout ce qu’on peut demander »
XII, 6. et considérez avec quelle conscience vous avez osé dire, que si l’on allait à la source, on verrait avec étonnement qu’il y enseigne tout le contraire.
La première Imposture discute le passage qui concerne Vasquez. Critique du P. Nouët, Première imposture, in Réponses, p. 93-96 : « à prendre les paroles de Vasquez dans le sens supposé que leur donne cet écrivain janséniste, l'on dirait qu'il veut dispenser les riches de l'obligation de donner l'aumône. Mais si vous allez à la source pour y trouver le véritable sens de l'auteur, vous verrez avec étonnement qu'il enseigne tout le contraire.
Vasquez dans cet excellent traité prend à tâche de régler le devoir des riches, et montrer pour quelle raison ils sont obligés de secourir les pauvres dans leur besoin : et pour ce sujet il fait distinction des personnes laïques, qui possèdent de grands biens dans le monde, et des ecclésiastiques qui jouissent des biens de l'Eglise. Quant aux ecclésiastiques, il soutient qu'ils ne peuvent en sûreté de conscience se servir des biens et des revenus de leurs bénéfices pour relever leur condition, ni celle de leurs parents, et qu'ils sont obligés de les employer au soulagement des pauvres, et même de s'enquérir de leurs besoins, parce qu'ils leur tiennent lieu de Pères.
Pour les personnes laïques, qui ont de grandes richesses, soit qu'ils les aient acquises par leur industrie, ou qu'ils les aient trouvées dans leur maison, il assure aussi qu'ils sont obligés sous peine de damnation à donner l'aumône. Mais il demande sur quel principe est fondée cette obligation, et rejetant l'opinion de Cajetan, qui l'établit sur ce qu'un homme riche est tenu de donner aux pauvres le superflu de ses biens, qui est leur partage, il dit que cette raison ne lui semble pas assez forte, et que les riches s'en pourraient facilement défendre, disant qu'ils n'ont rien de superflu ; vu que dans le sentiment même de Cajetan, les personnes du monde peuvent se servir de leurs biens pour relever leur condition par des voies légitimes, statum quem licite possunt acquirere, et pour acquérir des charges, pourvu qu'ils en soient dignes, statum quem digne possunt acquirere (ce sont les mots de Vasquez qu'il répète par deux fois en ce traité ch. I, dub. 3. n.26 et que le janséniste a supprimés) par conséquent qu'on n'appelle point superflu ce qui leur est nécessaire pour y parvenir. D'où il conclut qu'il faut établir ce devoir sur un autre fondement qui le rende indispensable, qui est celui de la charité, qui n'oblige pas seulement les riches à faire l'aumône du superflu de leurs biens, mais encore du nécessaire dans le sens que je viens de dire. Cette doctrine n'est-elle pas toute contraire à celle qu'on lui attribue? Se peut-il voir une imposture plus visible? Je prie le lecteur de voir ce traité et de commencer par le premier chapitre, où il parle des obligations des riches du siècle. Je l'assure qu'il ne sera pas moins édifié de la prudente conduite de ce Père, qu'étonné de a malice de son calomniateur. » Sur sa doctrine, voir Provinciales, éd. Cognet, p. 223.
Le texte est le même dans les Réponses aux Lettres Provinciales, 1658, p. 93. « A prendre les paroles de Vasquez dans le sens supposé que leur donne cet écrivain janséniste, l’on dirait qu’il veut dispenser les riches de l’obligation qu’ils ont de donner l’aumône. Mais si vous allez à la source, pour y trouver le véritable sens de l’auteur, vous verrez avec étonnement qu’il enseigne tout le contraire. »
NOUËT Jacques, Réponse à la XIIe lettre, in Réponses aux Lettres Provinciales, 1658, p. 297 sq. Le p. Nouët fait la critique des coupes opérées par Pascal dans la citation de Vasquez. Pascal n'oserait, contre Cajetan et Vasquez, soutenir qu'il est interdit de soutenir sa condition par des voies légitimes, dans la mesure que précise Vasquez, "statum quem licite possunt acquirere". Nouët avait déjà argué de la présence du mot licite dans Imposture I, in Réponses, p. 13 sq., cité in GEF V. Mais on ne voit pas le mot licite dans GEF V, p. 12.
Sur le texte de Vasquez, voir p. 93 sq. Rapprochant le reproche formulé par Pascal de ceux du protestant Du Moulin, le P. Nouët réfute l'idée que Vasquez dispense pratiquement les riches de l'aumône : p. 301. Il déclare que Vasquez distingue le cas des personnes laïques du cas des ecclésiastiques p. 93 sq. D’autre part, il reproche à Pascal d’omettre de dire que Vasquez distingue plusieurs sortes de nécessaire et de superflu : par rapport à la vie, à l'honneur, à la condition présente, dans l'absolu, etc. Nouët montre que Vasquez est plus sévère que Cajetan : p. 304. Vasquez dirait qu'il faut établir le devoir d'aumône sur celui de charité : p. 95-96.
L’abbé Maynard donne dans les notes de son édition des Provinciales, t. 1, p. 255 sq., une présentation des idées de Vasquez sur l’aumône. Il reprend d’ailleurs la réponse du p. Nouët que Vasquez, trouvant insuffisant le motif qui oblige à l’aumône sur le superflu à la commodité, prétend le fonder plus solidement sur la charité. On peut en retenir le passage suivant, p. 257 :
« Les biens se classent en nécessaires et en superflus. Il y a nécessaire au superflu au regard de la vie, superflu à la vie et nécessaire à l’honneur, superflu à l’honneur et nécessaire à la condition présente, superflu à la condition présente et nécessaire à la condition qu’on peut acquérir, et enfin superflu à tous égards, dont on n’a besoin ni pour le présent, ni pour l’avenir, ni pour soi, ni pour sa famille.
Les nécessités du prochain se divisent en extrêmes, en graves et en communes, suivant que sa vie est menacée ou sa santé », son honneur, sa condition, ou qu’enfin il se procure avec peine ce que réclame la nature.
Toutes ces distinctions établies, Vasquez pose ce principe : Je ne suis pas obligé à secourir mon prochain, s’il m’en doit coûter un bien égal à celui qu’il perdrait sans mon assistance ; mais il y a obligation pour moi de lui venir en aide au prix de quelque bien que ce soit moindre que celui qu’il va perdre : tel est l’ordre de la charité. Principe admirablement sage, dont il tire toutes ses conséquences pratiques.
1. Dans le cas de nécessité extrême, obligation de secourir le prochain de tout le superflu à la vie et du nécessaire à la condition.
2. Même obligation dans certaines nécessités graves, par exemple, lorsque la misère va conduire le prochain à quelque maladie sérieuse, ou qu’il est en danger de perdre sa réputation, bien plus précieuse que l’or. Autrement, dit-il, comment est-ce que la charité de Dieu demeure en moi ?
Jusqu’ici Vasquez est exact et même sévère, plus sévère que Cajetan et la plupart des théologiens qui restreignent au cas de nécessité extrême l’obligation de donner du nécessaire à son état, obligation qu’il étend, lui, à certaines nécessités graves. (…)
4. Dans les nécessités communes, il n’y a d’obligation de secourir les pauvres que du superflu. Seulement Vasquez établit ici entre les ecclésiastiques et les laïques une double distinction (…). C’est un devoir pour les ecclésiastiques d’aller chercher les pauvres, dont ils sont les protecteurs et les pères ; ce à quoi les laïques ne sont pas obligés. Comme les laïques, dans les nécessités extrêmes et quelques nécessités graves, ils doivent faire l’aumône du superflu à leur état, et même du nécessaire. Mais la notion de superflu n’est pas la même pour eux que pour les laïques, car tout ce qui leur reste en dehors de leur entretien est pour eux du superflu, et ils ne peuvent en rien garder pour relever leur condition ni celle de leurs parents ; tandis qu’on n’appelle pas superflu chez les laïques ce qu’ils destinent à l’amélioration de leur état. Et alors viennent les paroles qui forment la première partie de la proposition condamnée pat Innocent X : A peine trouverez-vous du superflu à l’état dans les gens du monde, et même dans les rois. Comment les entendre ? Veut-il dire que tous les riches et tous les rois n’ont jamais de superflu ? Non, croyons-nous ; mais seulement qu’il peut arriver que les rois eux-mêmes n’en aient pas. Du reste, cela est sans conséquence pour les aumônes ordinaires et de tous les jours, qui n’empêchent pas de conserver son état, et même de le relever. Ne confondons jamais avec la pratique les abstractions rigoureuses de la théorie. »
XII, 7. Enfin vous faites valoir par-dessus tout, ce que vous dites que, si Vasquez a obligé en récompense les riches de donner l’aumône de leur nécessaire. Mais vous avez oublié de marquer l’assemblage des conditions nécessaires pour former cette obligation, et vous dites généralement, qu’il oblige les riches à donner même ce qui est nécessaire à leur condition. C’est en dire trop, mes pères : la règle de l’Évangile ne va pas si avant : ce serait une autre erreur, dont Vasquez est bien éloigné. Pour couvrir son relâchement, vous lui attribuez un excès de sévérité qui le rendrait répréhensible, et par là vous vous ôtez la créance de l’avoir rapporté fidèlement. Mais il n’est pas digne de ce reproche après avoir établi, comme il a fait, par un si visible renversement de l’Évangile, que les riches ne sont point obligés ni par justice, ni par charité de donner de leur superflu, et encore moins du nécessaire, dans tous les besoins ordinaires des pauvres, et qu’ils ne sont obligés de donner du nécessaire qu’en des rencontres si rares qu’elles n’arrivent presque jamais.
Texte de 1659 : « vous dites que, si Vasquez n’oblige pas les riches de donner l’aumône de leur superflu, il les oblige en récompense de la donner de leur nécessaire. Mais vous avez oublié de marquer l’assemblage des conditions qu’il déclare être nécessaires pour former cette obligation, lesquelles j’ai rapportées, et qui la restreignent si fort, qu’elles l’anéantissent presque entièrement : et au lieu d’expliquer ainsi sincèrement sa doctrine, vous dites généralement, qu’il oblige les riches à donner même ce qui est nécessaire à leur condition ».
Texte de 1659 : « après avoir après avoir établi, comme je l’ai fait voir, que les riches ne sont point obligés, ni par justice, ni par charité, de donner de leur superflu ».
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux II, Défense de la douzième lettre, p. 221 sq., paraphrase et développement de ce paragraphe.
Il n’est pas digne de ce reproche : ironie, puisque Pascal pense que si Vasquez était sévère, on ne devrait pas le lui reprocher. Il se place fictivement au point de vue d’un casuiste relâché...
XII, 8. Vous ne m’objectez rien davantage, de sorte qu’il ne me reste qu’à faire voir combien est faux ce que vous prétendez, que Vasquez est plus sévère que Cajetan. Et cela sera bien facile, puisque ce Cardinal enseigne, Qu’on est obligé par justice de donner l’aumône de son superflu, même dans les communes nécessités des pauvres : parce que selon les saints Pères les riches sont seulement dispensateurs de leur superflu, pour le donner à qui ils veulent d’entre ceux qui en ont besoin.
La référence de Cajetan, selon Wendrock, est In 2a 2ae, q. 118, art. 4. Elle est directement intégrée dans le texte de Pascal. Voir l’édition de Wendrock de 1658, p. 310. Texte du début de ce paragraphe XII, 8, dans WENDROCK, Litterae Provinciales, 1658, p. 310. “Nihil praeterea objicitis. Restat illud demonstrandum, quam falso Vasquesium Cajetano rigidiorem esse praedicetis. Ipse enim Vasquesius de Eleem cap. I his verbis Cajetani sententiam exponit : Arbitratur Cajetanus quod sola superfluitas obligat ad elargiendum eleemosynas pauperibus, non tamen aliquibus determinatis, nisi extreme indigentibus, aliis autem indeterminate, ut placuerit habenti superfluum. Audiendus praeterea ipse Cardinalis in 2. 2. qu. 118. art. 4. Dives, inquit, non dispensans superflua, sed cumulans ad emendum sibi dominium ex sola ascendendi libidine non solum illicite agit propter libidinem dominandi, et inordinatum amorem pecuniae ; sed motaliter peccat contra proximorum indgentiam, occupando superflua quae pauperibus debentur ex hoc ipso quod superflua sunt.” Voir GEF V, p. 370, note.
XII, 8. Et ainsi au lieu que Diana dit des maximes de Vasquez, Qu’elles seront bien commodes et bien agréables aux riches, et à leurs confesseurs, ce cardinal, qui n’a pas une pareille consolation à leur donner, déclare, de Eleem., c. 6. Qu’il n’a rien à dire aux riches que ces paroles de JÉSUS-CHRIST : Qu’il est plus facile qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, que non pas qu’un riche entre dans le ciel : et à leurs Confesseurs, que cette parole du même Sauveur : Si un aveugle en conduit un autre, ils tomberont tous deux dans le précipice. Tant il a trouvé cette obligation indispensable !
Texte exact dans WENDROCK, Litterae Provinciales, p. 310. “Quod si mihi illud objereris, quod scilicet divitum confessiones audiri non possent, et confessores damnationem incurrerent : audi Dominum Jesus Christum in Evangelio divitibus dicentem : Facilius est camelum transire per foramen acus, quam divitem intrare in regnum caelorum. Confessoribus autem : Si caecus caeco ducatum praebeat, ambo in foveam cadunt.”
Matthieu, XIX, 23. “ Et Jésus dit à ses disciples : Je vous dis en vérité, qu’un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. 24. Je vous dis en vérité, qu’un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. 24. Je vous le dis encore : il est plus facile qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’un riche entre dans le royaume des cieux.”
Le commentaire de Sacy insiste sur le point que ce n’est pas la richesse par elle-même que le Christ condamne, mais son mauvais usage. Il ajoute que le vrai crime est de ne pas user de la richesse selon les règles de l’Évangile. D’autre part, il n’est pas dit qu’il est impossible aux riches d’acquérir le paradis, mais que c’est très difficile ; et ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu. « Ainsi il est vrai, selon la parole du Sauveur, qu’il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, que non pas qu’un riche entre dans le royaume des cieux. Mais lisons dans Isaïe, dit saint Jérôme [Hieron. In hunc locum. Isai. 60] comment les chameaux de Madian et d’Epha viennent à Jérusalem avec des dons et des présents, et comment ceux qui étaient auparavant comme tout courbés et tout difformes par l’énormité de leurs crimes, entrent par les portes de la cité sainte. « Et nous comprendrons alors », ajoute ce Père, « de quelle sorte ces chameaux-ci, auxquels les riches sont comparés, peuvent bien aussi entrer par la porte très étroite qui conduit à la vraie vie, s’ils ont besoin de se décharger du pesant fardeau de leurs péchés, et de tout ce qu’il y a de vicieux dans leur chair », et si leur cœur est détaché de leurs richesses, lors même que leur faiblesse ou la nécessité de leur état ne leur permet pas d’embrasser la voie la plus sure et plus parfaite du renoncement à tous les biens de la terre ».
Mathieu, XV, 14. “Laissez-les ; ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; que si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans la fosse.”
XII, 8. Aussi c’est ce que les Pères et tous les saints ont établi comme une vérité constante. Il y a deux cas, dit S. Thomas, 2. 2. q. 118. a. 4. où l’on est obligé de donner l’aumône par un devoir de justice, ex debito legali : l’un, quand les pauvres sont en danger : l’autre quand nous possédons des biens superflus.
Somme théologique, II, II, q. 118, art. 4, tome V, p. 394 : “Ad secundum dicendum quod Basilius loquitur in illo casu in quo aliquis tenetur ex debito legali bona sua pauperibus erogare, vel propter periculum necessitatis, vel etiam propter superfluitatem habitorum.”
XII, 8. Et q. 87. a. I. Les troisièmes décimes que les Juifs devaient manger avec les pauvres, ont été augmentées dans la loi nouvelle : parce que JÉSUS-CHRIST veut, que nous donnions aux pauvres, non seulement la dixième partie, mais tout notre superflu.
Somme théologique, II, II, q. 98, art. 1, conc. 4 : “Ad quartum dicendum quod secundae decimae, quae reservabantur ad sacrificia offerenda, locum in nova lege non habent, cessantibus legalibus victimis. Tertiae vero decimae, quas cum pauperibus comedere debebant, in nova lege augentur, per hoc quod dominus non solum decimam partem, sed omnia superflua pauperibus jubet exhiberi, secundum illud Luc. XI, quod superest, date eleemosynam. Ipsae etiam decimae quae ministris Ecclesiae dantur, per eos debent in usus pauperum dispensari.”
XIII, 8. Et cependant il ne plaît pas à Vasquez, qu’on soit obligé d’en donner une partie seulement, tant il a de complaisance pour les riches, de dureté pour les pauvres, et d’opposition à ces sentiments de charité qui font trouver douce la vérité de ces paroles de s. Grégoire, laquelle paraît si dure aux riches du monde : Quand nous donnons aux pauvres ce qui leur est nécessaire, nous ne leur donnons pas tant ce qui est à nous, que nous leur rendons ce qui est à eux : et c’est un devoir de justice, plutôt qu’une œuvre de miséricorde.
Texte de 1659 : « de dureté pour les pauvres, d’opposition à ces sentiments de charité... »
Texte de 1659 : « laquelle parait si rude aux riches du monde ».
Regulae pastoralis liber, IIIe p., ch. XXI, ad. 22. Voir GEF V, p. 372, n. 1.
Complaisance pour les riches, dureté pour les pauvres : c’est toute une éthique, en fait...
XIII, 9. C’est de cette sorte que les saints recommandent aux riches de partager avec les pauvres les biens de la terre, s’ils veulent posséder avec eux les biens du ciel. Et au lieu que vous travaillez à entretenir dans les hommes l’ambition qui fait qu’on n’a jamais de superflu, et l’avarice qui refuse d’en donner quand on en aurait, les Saints ont travaillé au contraire à porter les hommes à donner leur superflu, et à leur faire connaître qu’ils en auront beaucoup, s’ils le mesurent, non par la cupidité qui ne souffre point de bornes, mais par la piété qui est ingénieuse à se retrancher pour avoir de quoi se répandre dans l’exercice de la charité. Nous avons beaucoup de superflu, dit S. Augustin, si nous ne gardons que le nécessaire : mais si nous recherchons les choses vaines, rien ne nous suffira. Recherchez, mes frères, ce qui suffit à l’ouvrage de Dieu, c’est-à-dire à la nature, et non pas ce qui suffit à votre cupidité, qui est l’ouvrage du démon. Et souvenez-vous que le superflu des riches est nécessaire des pauvres.
Texte de 1659 : « le superflu des riches est le nécessaire des pauvres ».
Exposé sur les Psaumes, 147, § 12. « Multa autem superflua habemus, si nonnisi necessaria teneamus : nam si inania quaeramus, nihil sufficit. Fratres, quaerite quod sufficit operi Dei, non quod sufficit cupiditati vestrae. Cupiditas vestra non est opus Dei. Forma vestra, corpus vestrum, anima vestra, hoc totum opus Dei. Quaere quae sufficiant, et videbis quam pauca sint... Quaere quantum (Deus) tibi dederit, et ex eo tolle quod sufficit : caetera quae supeflua jacent, aliorum sunt necessaria. Superflua divitum, necessaria sunt pauperum. Superfluum divitum, necessaria sunt pauperum. Res alienae possidentur, cum supeflua possidentur. » Texte cité dans GEF V, p. 373, n. 1.
Provinciales, éd. Cognet, p. 223, n. 2. Ces textes ne sont pas dans L’Aumône chrétienne, recueil de textes patristiques établi par Antoine Le Maître à la demande de Charles Maignart de Bernières en 1651.
Il faut souligner à quel point ces lignes sont paradoxalement proches des Pensées. La thèse des Pensées, particulièrement dans les liasses Misère et Vanité, est que si l’on juge par la seule raison naturelle, aucune borne, aucune limite n’apparaît jamais comme naturelle, de sorte qu’on trouve toujours une justification à ce qui va le plus directement contre la nature. Il faut la Révélation pour que le sens de ce qui est nécessaire et juste soit clair. C’est ce que Pascal explique aussi dans la liasse Souverain bien. Il n’y a pas de contradiction, malgré les apparences, entre les Provinciales et les Pensées.
XII, 10. Je voudrais bien, mes Pères, que ce que je vous dis servît non seulement à me justifier, ce serait peu, mais encore à vous faire sentir et abhorrer ce qu’il y a de corrompu dans les maximes de vos Casuistes, afin de nous unir sincèrement dans les saintes règles de l’Évangile, selon lesquelles nous devons tous être jugés.
Pensées, Laf. 962, Sel. 796. “Je ne mérite pas de défendre la religion, mais vous ne méritez pas de défendre l’erreur. Et j’espère que Dieu, par sa miséricorde, n’ayant pas égard au mal qui est en moi et ayant égard au bien qui est en vous, nous fera à tous la grâce que la vérité ne succombera pas entre mes mains.”
C’est l’application de la Règle IV de la Provinciale XI, 25 : il ne suffit pas de rétablir la vérité, il faut le faire avec le souci du salut de ceux contre qui on parle.
XII, 11. Pour le second point qui regarde la Simonie, avant que de répondre aux reproches que vous me faites, je commencerai par l’éclaircissement de votre doctrine sur ce sujet. Comme vous vous êtes trouvés embarrassés entre les Canons de l’Église qui imposent d’horribles peines aux simoniaques, et l’avarice de tant de personnes qui recherchent cet infâme trafic, vous avez suivi votre méthode ordinaire, qui est d’accorder aux hommes ce qu’ils désirent, et donner à Dieu des paroles et des apparences. Car qu’est-ce que demandent les simoniaques, sinon d’avoir de l’argent en donnant leurs bénéfices ? Et c’est cela que vous avez exempté de simonie. Mais parce qu’il faut que le nom de simonie demeure, et qu’il y ait un sujet où il soit attaché, vous avez choisi pour cela une idée imaginaire, qui ne vient jamais dans l’esprit des simoniaques, et qui leur serait inutile, qui est d’estimer l’argent considéré en lui-même autant que le bien spirituel considéré en lui-même. Car qui s’aviserait de comparer des choses si disproportionnées, et d’un genre si différent ? Et cependant pourvu qu’on ne fasse pas cette comparaison métaphysique, on peut donner son bénéfice à un autre, et en recevoir de l’argent sans simonie selon vos Auteurs.
REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007, p. 127 sq.
Comparer des choses si disproportionnées et d’un genre si différent : sur les notions de genre, de proportion et de disproportion, il faut relire L’esprit géométrique et le fragment Laf. 308, Sel. 339. On dit en style mathématique qu’il y a proportion entre deux grandeurs a et b lorsqu’on peut égaler le rapport a/b un autre rapport c/d, ou lorsqu’on peut lui donner une valeur e, de sorte que a/b = e ; e, raison de b à a, représente le nombre de fois qu’il faut prendre b pour égaler a (a = eb). Il y a au contraire disproportion lorsque, si grand que soit e, on n’arrive jamais à égaler le produit eb à a, de sorte qu’on a toujours a > eb. L’infini n’a aucune proportion avec quelque fini que ce soit, car on peut toujours multiplier des termes finis sans jamais engendrer un infini. Le zéro n’a aucune proportion avec les nombres, puisque, si longtemps qu’on divise un nombre ou un espace, on n’arrive jamais au néant absolu. Il y a disproportion entre l’homme et l’univers car tous ses efforts n’atteignent jamais l’infinité cosmique, pas plus d’ailleurs que l’infini de petitesse, que les microscopes commencent à découvrir au XVIIe siècle. On dit que deux choses sont de même genre lorsque l’une peut, étant multipliée un nombre suffisant de fois, dépasser l’autre. On dit qu’elles sont hétérogènes, qu’elles n’ont aucun rapport, lorsque, quoiqu’on la multiplie autant de fois qu’on voudra, l’une ne peut dépasser l’autre. Pascal utilise ici le vocabulaire des mathématiques.
Métaphysique : au sens d’abstrait (Dictionnaire de l’Académie).
Sur la simonie, voir Provinciale VI, 14.
NOUËT Jacques, Réponse à la douzième lettre, in Réponses, p. 306 sq.
GEF V, p. 353.
RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, p. 404 sq. “Il ne se justifie pas mieux sur l’article de la simonie, où il retombe dans la même fausseté qu’on lui avait reprochée à l’égard de Tannerus dans sa sixième lettre, où il supprime que Valentia ne parle que selon le sentiment de Sylvestre, de Navarre et de Cajetan, retranchant aussi ces paroles du même Tannerus : que l’argent donné pour un bénéfice, non pas comme prix du bénéfice, mais par un motif de reconnaissance, n’est pas une simonie de droit divin, mqui est l’opinion de saint Thomas, mais que ce peut être une simonie du droit positif ou présumée, dans les cas exprimés dans le droit, et un péché mortel si l’on préfère le bien temporel au bien spirituel. On lui avait reproché cette suppression, qu’il avait faite en sa sixième lettre, qu’il soutient encore avec son opiniâtreté ordinaire en sa douzième. Et pour donner du poids à sa réponse, il fait dire à Tannerus en cette lettre : “que ce n’est pas simonie, quoiqu’on regarde le temporel comme la fin principale et qu’on le préfère même au spirituel, et quoique saint Thomas et d’autres semblables disent le contraire”. Mais il retranche la suite : Encore que par là on commette un péché mortel et une simonie tout au moins de droit positif, c’est-à-dire contre les cas exprimés dans le droit et contre le tribunal extérieur. Ainsi il supprime les deux parties les plus essentielles du passage de Tannerus, et, en voulant excuser la première suppression, il en fait une seconde encore plus criminelle que la première. Voilà la bonne foi de ce calomniateur.”
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Etude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol. Réponse de Port-Royal au P. Nouët sur la simonie.
XII, 12. C’est ainsi que vous vous jouez de la religion, pour suivre la passion des hommes : et voyez néanmoins avec quelle gravité votre Père Valentia débite ses songes à l’endroit cité dans mes Lettres tom. 3. disp. 16. p. 3. p. 2044. On peut, dit-il, donner un bien temporel pour un spirituel en deux manières : l’une en prisant davantage le temporel que le spirituel, et ce serait simonie ; l’autre en prenant le temporel comme le motif et la fin qui porte à donner le spirituel, sans que néanmoins on prise le temporel plus que le spirituel ; et alors ce n’est point simonie ; Et la raison en est, que la simonie consiste à recevoir un temporel comme le juste prix d’un spirituel. Donc si on demande le temporel : si petatur temporale : non pas comme le prix, mais comme le motif qui détermine à le conférer, ce n’est point du tout simonie, encore qu’on ait pour fin et attente principale la possession du temporel : Minime erit simonia, etiamsi temporale principaliter intendatur et expectetur.
Texte de 1659 : « On peut, dit-il, donner un temporel pour un spirituel en deux manières « .
Voir le texte original de Valentia, Commentariorum theologicorum libri quatuor, tomus tertius, in GEF V, p. 24-25. Texte déjà exploité dans Provinciale VI, 13. « Et c'est pourquoi il a été fort nécessaire que nos Pères aient tempéré les choses par leur prudence, comme ces paroles de Valentia, qui est l'un des 4. animaux d'Escobar, vous l'apprendront. C'est la conclusion d'un long discours, où il en donne plusieurs expédients, dont voici le meilleur à mon avis. C'est en la page 2042 du tome 3. Si l'on donne un bien temporel pour un bien spirituel. C'est-à-dire de l'argent pour un Bénéfice ; Et qu'on donne l'argent comme le prix du Bénéfice, c'est une simonie visible. Mais si on le donne comme le motif qui porte la volonté du bénéficier à le résigner, non tanquem pretium beneficii, sed tanquam motivum ad resignandum, ce n'est point simonie, encore que celui qui résigne, considère et attende l'argent comme sa fin principale. »
Le p. Nouët ne défend pas Valentia, mais se contente d’examiner le cas de Tannerus.
XII, 12. Et votre grand Sanchez n’a-t-il pas eu une pareille révélation au rapport d’Escobar, tr. 6. ex. 2. n. 40. Voici ses mots : Si on donne un bien temporel pour un bien spirituel, non pas comme PRIX, mais comme un MOTIF qui porte le collateur à le donner, ou comme une reconnaissance si on l’a déjà reçu est-ce simonie ? Sanchez assure que non.
Voir le texte d’Escobar, Theologia moralis, Tract. VI, Ex. II, De simonia, cap. VI, Praxis circa materiam de simonia ex Societatis Jesu doctoribus, p. 680, cité in GEF V, p. 357. « Temporale datur non tanquapretium rei spiritualis, sed vel ante collationem ad excitandum ançimum collatoris, vel postea gratitudinis ergo : an simonia ? Sanchez Opusc. Tom. 2, lib. 2, cap. 3, dub. 23, num. 7 et 8. negat. Unde si v. gr. Quis inserviat Episcopo ad impetrandum beneficium ex benevolentia, et gratitudine : et Episcopus hoc titulo familiari suo conférât, etiam si explicet se illud praestitisse ad exonerandum se hujusmodi obligatione, neuter est simoniacus ».
Pascal donne la référence d’Escobar, qui donne la référence de Sanchez, comme dans une sorte de poupée gigogne.
XII, 12. Vos thèses de Caen, de 1644. C’est une opinion probable enseignée par plusieurs catholiques, que ce n’est pas simonie de donner un bien temporel pour un spirituel, quand on ne le donne pas comme prix.
Voir la note de éd. Cognet, p. 225, n. 3. Thèses qui ne sont mentionnées nulle part ailleurs dans la polémique janséniste ; elles ne sont connues que par le conflit qui a opposé l’oratorien Dupré, professeur à la faculté de théologie de Caen aux jésuites de la ville. Contre ses adversaires, Dupré a composé deux discours latins dont on trouve les titres dans A. Ingold, Supplément à l’essai de bibliographie oratorienne, Paris, 1882. Le titre en est Oratio contra doctrinam simoniacam, praeter alios adversus romanam sedem errores, publice traditam atque defensam hoc anno 1644 dictatis lectionibus thesibusque disputatis a lectore moralis theologiae Collegii Cadomensis Societatis Jesu, habita in generalibus comitiis universitatis cadomensis postridie Dionysialiorum ejusdem anni ad solemnem scholarum reserationem, a M. Jacobo Dupré, s. th. doctore et professore regio, 1645, 21 p. ; ce discours était précédé d’une Lettre d’un écolier étudiant en droit en l’université de Caen à un avocat de Rouen, du 3 décembre 1644, et suivie par la Doctrine simoniaque enseignée par le Père Erade Bille, professeur ès cas de conscience des jésuites dans leur collège du Mont en la ville de Caen l’an 1644, 8 p. Il semble qu’à la suite de cette affaire Dupré ait quitté l’Oratoire. Le texte de ces thèses est cité dans GEF V, p. 356-357 : “non est improbabile quod multi catholici docent, non esse simoniam dare temporale pro spirituali, si non detur ut premium”.
HERMANT, Mémoires, I, p. 317. « Ce n’était pas là l’unique excès du P. Erard Bille, car il soutenait dans le même traité : que c’est une opinion probable, et enseignée par beaucoup de docteurs catholiques, qu’il n’y a aucune simonie, ni aucun péché de donner de l’argent ou autre chose temporelle pour un bénéfice, soit par forme de reconnaissance et de gratification, soit comme un motif sans lequel on ne donnerait point le bénéfice ; pourvu qu’on ne le donne pas comme un prix égal au bénéfice. Et il n’avait pas honte d’autoriser cette opinion par le témoignage de Milhard, qu’il savait avoir été marqué autrefois d’une très juste et très ignominieuse censure ».
XII, 12. Et quant à Tannerus, voici sa doctrine pareille à celle de Valentia, qui fera voir combien vous avez tort de vous plaindre de ce que j’ai dit qu’elle n’est pas conforme à celle de S. Thomas, puisque lui-même l’avoue au lieu cité dans ma Lettre, t. 3. d. 5. p. 1519. Il n’y a point, dit-il, proprement et véritablement de simonie, sinon à prendre un bien temporel comme le prix d’un spirituel : mais quand on le prend comme un motif qui porte à donner le spirituel ; ou comme en reconnaissance de ce qu’on l’a donné, ce n’est point simonie, au moins en conscience. Et un peu après. Il faut dire la même chose, encore qu’on regarde le temporel comme sa fin principale, et qu’on le préfère même au spirituel : quoique S. Thomas et d’autres semblent dire le contraire, en ce qu’ils assurent, que c’est absolument simonie de donner un bien spirituel pour un temporel, lorsque le temporel en est la fin.
Texte déjà employé dans Provinciale VI, 13, éd. Cognet, p. 105. Voir TANNER, Theologia scholastica, speculative, practica, ad methodum S. Thomae ..., Disp. V, De relig. Quaest. VIII, Dub. III, tomus tertius, col. 1520, Ingolstadt, 1621-1627, 3 vol.
Pascal cite le texte en sautant la partie centrale, comme l’indique le P. Noüet.
L’intitulé du Dubium est le suivant : Dubium III. Quonam modo committatur simonia, ex parte ipsius commutationis ». Titre sous lequel est inscrit une référence : « S. Thom. 2. 2. q. 100. a. 1. 2. 3. 4. 5 ».
La suite du texte est la suivante : « Circa hanc rem speciatim dubitatur primo, Utrum quomodocumque accipere temporale pro spirituali, sit simonia, vel contra.
Respondetur, vere et proprie non esse ; nisi quando temporale accipitur tanquam pretium rei spiritualis, vel contra : quod nimirum sit, quando spirituale pro temporale commutatur, tanquam pro aequali, secundum existimationem commutantis ; ita ut per contractum justitiae res spiritualis pro temporali commutetur. Quando vero datur spirituale propter temporale, vel contra, solum tanquam propter motivum, aut solum ex gratitudine, et per aloiquam compensationem gratuitam, non accidit simonia, saltem in fono conscientiae. Ita ex mente S. Thomae quaestione 100. a. 1. & 2. ad 4 & art. 3. ad. 2. 3. 4. Post Sylvestrum V. simonia q. 3. Cajetanum in summa V. simonia et Navarrum man. cap. 23. n. 100 docet Gregorius de Valentia q. 16. pu. 3. Ratio colligitur ex notione et pravitate simoniae supérius dub. 2. explicata.
« Quod tamen non obstat, quo minus in casibus a jure expressis, incurratur simonia, sive ea, quam juris positivi superius diximus ; sive secundum praesumptionem externi fori.
Unde S. Thomas cit. articulo 2 ad 4. si aliqua, inquit, ex consuetudine exiguntur, quasi pretium rei spiritualis, cum intentionné emendi vel vendendi, est manifeste simonia, et praecipue si ab invito exiguntur/ Si vero exiguntur quasi stipendia per consutudinem approbata, non est simonia, si tamen desit intentio emendi vel vendendi, sed intentio referatur ad solam consuetudinis observantiam ; et praecipue quando aliquis voluntarie soluit. In his tamen omnibus, solicite cavendum est, quod habet speciem simonia, vel cupiditatis, secundum illud Apostoli I. Thess ult. Ab omni specie mala abstinet vos. »
Saltem : à tout le moins, au moins.
Suit le second Respondetur, que Pascal cite après l’expression un peu plus bas :
« Respondetur II. Id etiam admodum explicatum procedere, tametsi temporale sit principale motivum dandi spirituale ; imo etiamsi sit finis ipsius rei spiritualis ; sic ut illud pluris aestimetur, quam res spiritualis. Ita docent Sotus l. 9. De Just. q. 6. art. 2. et Victoria in Relect. de sim. nu. 33. etsi contrarium dixisse videantur S. Thomas hic qu. 100. a. 5. ad. 3., Adrianus quodlib. 9., Gabriel in 4. d. 25. q. 2, Navarrus man. c. 23. n. 101. et Covarrurias l. 1. var. capite ult. num. 3. qui absolute asserunt, simoniam esse, conferre spirituale propter temporale, tanquam propter finem : quod limitate concedit Valentia cit. pun. 3. si temporale non solum sit finis applicationis animi ad actu conferendi spirituale, sed etiam ipsius rei spiritualis, ita ut temporale pluris faciat, quam rem spiritualem ».
Texte in GEF V, p. 40. Voir une citation plus large dans WENDROCK, Litterae Provinciales.
Pascal donne une référence plus précise ici que dans la Provinciale VI, § 13 : il ajoute le d. de Disputatio, mais il omet toujours les éléments complets et ne rectifie pas l’erreur qui consiste à donner pour référence 1519 au lieu de 1520.
NOUËT Jacques, Réponse à la douzième lettre..., in Réponses, Liège, Hovius, 1658, p. 307 sq. (mais sur certaines éditions, également de Liège, Hovius, 1658, le passage se trouve p. 263 sq.). Pascal a omis un passage où il est dit que le cas n’est pas simonie “en conscience”, mais une simonie de droit positif, ou “est présumée telle au tribunal extérieur”.
« Prenez garde à vous, Monsieur, faites réflexion sur votre lettre, voyez comme vous citez Tannerus, et contez, s’il vous plaît, tous les faux pas que je vous marque. Voici sa doctrine, dites-vous, pareille à celle de Valentia. Il n’y a point proprement et véritablement de simonie, sinon à prendre un bien temporel, comme le prix d’un spirituel : mais quand on le prend comme un motif qui porte à donner le spirituel, ou comme en reconnaissance de ce qu’on l’a donné, ce n’est point simonie, au moins en conscience. Et un peu plus bas.
Arrêtez, Monsieur, vous oubliez le principal. C’est ainsi, ajoute Tannerus, que Valentia l’enseigne après Sylvestre, Cajetan, et Navarre, selon la pensée de saint Thomas, et la raison se prend de la notion et de la malice de la simonie que nous avons expliquée. Ce qui n’empêche pas néanmoins, que dans les cas exprimés par le droit, on ne commette une simonie, soit celle que nous avons appelée de droit positif, ou celle qui est présumée telle au tribunal extérieur. Cet entre-deux que vous avez coupé est décisif : il ne fallait pas l’omettre, puisque vous ne le pouviez faire sans vous condamner vous-même. On vous en avait reproché la suppression dans la seconde Imposture, et maintenant il s’agit de voir si ce reproche est véritable, et si vous avez en effet supprimé ces paroles en citant Tannerus en la sixième lettre, vous êtes si accoutumé à ces fourberies, que vous les supprimez derechef. Voilà ce que c’est que d’acquérir de mauvaises habitudes ».
Nouët répond non pas sur le second Respondetur de Tanner, que Pascal invoque, mais il remonte au début de l’article.
Sur la suite du texte, voir p. 308-309: Nouët complète en ajoutant la suite : “... est la fin. Encore qu’en cet échange on commette un grand péché, et tout ensemble une simonie qui est tout au moins de droit positif, dans les cas qui sont exprimés dans le droit” ; texte latin dans GEF V, p. 24.
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 223-224. Nouët ne s’est arrêté qu’à la citation de Tanner, et ne discute pas les autres, de sorte que sa réponse n’atteint pas l’argumentation de Pascal, et n’empêche pas que, selon la Compagnie, l’opinion incriminée ne soit sûre en conscience. Il ajoute que Nouët a tout aussi tort sur la citation de Tanner : p. 224.
RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, p. 404 sq. “Il ne se justifie pas mieux sur l’article de la simonie, où il retombe dans la même fausseté qu’on lui avait reprochée à l’égard de Tannerus dans sa sixième lettre, où il supprime que Valentia ne parle que selon le sentiment de Sylvestre, de Navarre et de Cajetan, retranchant aussi ces paroles du même Tannerus : que l’argent donné pour un bénéfice, non pas comme prix du bénéfice, mais par un motif de reconnaissance, n’est pas une simonie de droit divin, qui est l’opinion de saint Thomas, mais que ce peut être une simonie du droit positif ou présumée, dans les cas exprimés dans le droit, et un péché mortel si l’on préfère le bien temporel au bien spirituel. On lui avait reproché cette suppression, qu’il avait faite en sa sixième lettre, qu’il soutient encore avec son opiniâtreté ordinaire en sa douzième. Et pour donner du poids à sa réponse, il fait dire à Tannerus en cette lettre : “que ce n’est pas simonie, quoiqu’on regarde le temporel comme la fin principale et qu’on le préfère même au spirituel, et quoique saint Thomas et d’autres semblables disent le contraire”. Mais il retranche la suite : Encore que par là on commette un péché mortel et une simonie tout au moins de droit positif, c’est-à-dire contre les cas exprimés dans le droit et contre le tribunal extérieur. Ainsi il supprime les deux parties les plus essentielles du passage de Tannerus, et, en voulant excuser la première suppression, il en fait une seconde encore plus criminelle que la première. Voilà la bonne foi de ce calomniateur.”
XII, 13. Voilà, mes Pères, votre doctrine de la simonie enseignée par vos meilleurs auteurs, qui se suivent en cela bien exactement. Il ne me reste donc qu’à répondre à vos impostures. Vous n’avez rien dit sur l’opinion de Valentia ; et ainsi sa doctrine subsiste après votre réponse. Mais vous vous arrêtez sur celle de Tannerus, et vous dites qu’il a seulement décidé que ce n’était pas une simonie de droit divin, et vous voulez faire croire que j’ai supprimé de ce passage ces paroles de droit divin. Vous n’êtes pas raisonnables, mes pères ; car ces termes, de droit divin, ne furent jamais dans ce passage. Vous ajoutez ensuite, que Tannerus déclare que c’est une simonie de droit positif. Vous vous trompez, mes Pères, il n’a pas dit cela généralement, mais sur des cas particuliers, in casibus a jure expressis, comme il le dit en cet endroit. En quoi il fait une exception de ce qu’il avait établi en général dans ce passage, que ce n’est pas simonie en conscience ; ce qui enferme que ce n’en est pas aussi une de droit positif, si vous ne voulez faire Tannerus assez impie pour soutenir qu’une simonie de droit positif n’est pas simonie en conscience. Mais vous recherchez à dessein ces mots de droit divin, droit positif, droit naturel, tribunal intérieur et extérieur, cas exprimés dans le droit, présomption externe, et les autres qui sont peu connus, afin d’échapper sous cette obscurité, et de faire perdre la vue de vos égarements. Vous n’échapperez pas néanmoins, mes pères, par ces vaines subtilités : car je vous ferai des questions si simples, qu’elles ne seront point sujettes au distinguo.
Texte de 1659 : « Sur quoi vous n’êtes pas raisonnables, mes Pères ».
NOUËT Jacques, Réponse à la douzième lettre..., in Réponses, p. 309 sq. Voir le commentaire de WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 223-224.
Casibus a jure expressis : ces mots sont dans un passage de Tanner omis par Pascal, mais que Nicole rétablit dans Wendrock, et que le P. Nouët cite en marge. Voir NOUËT Jacques, Réponse à la douzième lettre..., in Réponses, p. 311.
Tribunal intérieur et extérieur : nous dirions for intérieur et extérieur (qui signifie tribunal). En droit canonique et en théologie morale, on oppose le for externe (tribunal ecclésiastique, officialité) et le for interne ou intérieur (tribunal de la pénitence saisi par le moyen de la confession des péchés). En son for intérieur signifie en sa conscience.
REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007, p. 113. Les jésuites recherchent des expressions compliquées mais imprécises, avec un vocabulaire difficile et une syntaxe subtile, autant de procédés qui éloignent du langage ordinaire.
REGUIG-NAYA Delphine, « Pratiques herméneutiques dans les Provinciales », La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 211-224. Voir p. 219 sur ce passage, sur la manière dont Pascal corrige les citations trouées des jésuites et impose l’effort de reconstituer un texte en forme, logique et clair, et surtout entier.
Distinction du droit divin et du droit positif
Droit divin : lois et préceptes que Dieu a révélés aux hommes et qui sont renfermés dans l’Ecriture sainte. Il est opposé au droit humain, qui est l’œuvre des hommes. On le distingue du droit canonique en ce que celui-ci renferme les lois ecclésiastiques qui sont l’œuvre de l’Eglise et peuvent être changées comme les lois civiles.
Droit positif : droit établi par le pouvoir social de chaque peuple ; il diffère du droit naturel, qui est invariable parce qu’il est composé de lois fondamentales qui ne peuvent être abolies ni changées par cette autorité. Il est positif en ce qu’il résulte de sources dont l’existence ne peut être contestée : le droit coutumier peut se ramener à deux sources, l’usage, qui crée le droit, et la loi ou déclaration du législateur qui forme le droit écrit.
Pascal aborde les problèmes du droit sous un autre angle dans les Pensées, notamment le fragment Laf. 60.
NOUËT Jacques, Impostures II, in Réponses, p. 98 sq. Nouët renvoie à saint Thomas pour justifier Tanner. Le texte de Tanner, voir GEF V, p. 23, ne contient pas la formule de droit divin. Nouët ajoute la formule dans Imposture, p. 98. Cette critique de Pascal est donc justifiée. Tout ce qu’on peut dire en faveur de Nouët, c’est que dans le paragraphe, se trouve la formule de droit positif.
Nicole, contrairement à Pascal, accepte d’entrer dans la discussion de fond : WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 224.
XII, 13 Je vous demande donc, sans parler de droit positif, ni de présomption de tribunal extérieur, si un bénéficier sera simoniaque, selon vos auteurs, en donnant un bénéfice de quatre mille livres de rente, et recevant dix mille francs argent comptant, non pas comme prix du bénéfice, mais comme un motif qui le porte à le donner. Répondez-moi nettement, mes pères, que faut-il conclure sur ce cas selon vos Auteurs ? Tannerus ne dira-t-il pas formellement, Que ce n’est point simonie en conscience ; puisque le temporel n’est pas le prix du bénéfice, mais seulement le motif qui le fait donner ? Valentia, vos thèses de Caen, Sanchez et Escobar ne décideront-ils pas de même, que ce n’est pas simonie par la même raison ? En faut-il davantage pour excuser ce bénéficier de simonie, et oseriez-vous le traiter de simoniaque dans vos confessionnaux, quelque sentiment que vous en ayez par vous-mêmes ; puisqu’il aurait droit de vous fermer la bouche, ayant agi selon l’avis de tant de docteurs graves ? Confessez donc, qu’un tel bénéficier est excusé de simonie, selon vous ; et défendez maintenant cette doctrine, si vous le pouvez.
Texte de 1659 : « Que ce n’est pas simonie en conscience, puisque le temporel n’est point le prix du bénéfice... »
[En] faut-il davantage : l’éd. de 1659 porte Et. Voir la note de éd. Cognet, p. 227.
NOUËT Jacques, Réponse à la douzième lettre..., in Réponses, p. 312. Pascal a le toupet de proposer des cas de conscience. Nouët le renvoie à l’école, où il apprendra que, si l’on supprime le droit positif, sa demande est ridicule : c’est la même chose que si, en ôtant le précepte de l’Eglise, on disait que c’est péché de ne pas entendre la messe un jour de fête.
XII, 14. Voilà, mes pères, comment il faut traiter les questions pour les démêler au lieu de les embrouiller ou par des termes d’École ou en changeant l’état de la question, comme vous faites dans votre dernier reproche en cette sorte. Tannerus, dites-vous, déclare au moins qu’un tel échange est un grand péché : et vous me reprochez d’avoir supprimé malicieusement cette circonstance, qui le justifie entièrement, à ce que vous prétendez. Mais vous avez tort, et en plusieurs manières. Car, quand ce que vous dites serait véritable, il ne s’agissait pas au lieu où j’en parlais de savoir s’il y avait en cela du péché, mais seulement s’il y avait de la simonie. Or ce sont deux questions fort séparées : les péchés n’obligent qu’à se confesser selon vos maximes ; la simonie oblige à restituer : et il y a des personnes à qui cela paraîtrait assez différent. Car vous avez bien trouvé des expédients pour rendre la confession douce, au lieu que vous n’en avez point trouvé pour rendre la restitution agréable.
Texte de 1659 : « Car, quand ce que vous dites serait vrai... »
Texte de 1659 : « mais vous n’en avez point trouvé pour rendre la restitution agréable ».
NOUËT Jacques, Impostures II, in Réponses, p. 99. Il faut être “extraordinairement méchant pour supprimer cette dernière partie, qui justifie Tannerus, et en détacher la première, pour faire croire au peuple, qui ne sait pas les distinctions de l’Ecole, qu’il ouvre la porte aux simonies.”
En changeant l’état de la question : sur le procédé de la translatio disputationis, voir ARISTOTE, Organon, V, Topiques, p. 69 sq., qui indique les cas où elle est sophistique et ceux où elle ne l’est pas, avec la méthode pour y répondre quand elle est sophistique. ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, dans La logique, III, consacrent une analyse importante à l’ignoratio elenchi, « l’ignorance de ce que l’on doit prouver contre son adversaire », qui est une forme de la translatio disputationis, dans un chapitre consacré aux sophismes en général, qu’il est utile d’avoir lu pour analyser les critiques que Pascal adresse aux casuistes. Sur la manière dont Pascal en use contre les tentatives de déplacement de la question, voir DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 355-356.
PERELMAN Chaïm et OLBRECHTS-TYTECA L., Traité de l’argumentation, p. 642, consacrent une page à la technique de la diversion, qui consiste à « porter la discussion sur des points secondaires, où la défense est aisée », par exemple « en introduisant dans le débat des éléments et des distinctions » qui permettent d’esquiver les points délicats.
Il faut noter que la translatio disputationis n’est pas nécessairement sophistique, à partir du moment où l’on passe d’un problème à un autre, qui est la condition de la résolution du premier. Cela se pratique fréquemment en géométrie, et Pascal en use dans le Triangle arithmétique, où il montre comment on peut résoudre des problèmes de partis par les combinaisons ou par le recours au triangle arithmétique, et dans les Lettres de A. Dettonville, où la Lettre à Carcavy est consacrée à montrer que, pour trouver la mesure des solides de rotation de la cycloïde autour de son axe ou de sa base, il faut commencer par trouver la mesure de solides d’aspect tout différents, qu’il appelle les onglets et les doubles onglets. Voir DESCOTES Dominique, Blaise Pascal. Littérature et géométrie, p. 186 sq., ou la présentation plus accessible de Pascal. Le calcul et la théologie, Les génies de la science, Pour la science, n°16, août-novembre 2003, p. 47-49. est clair que, dans ce cas, la translatio disputationis n’est pas réductible à l’ignoratio elenchi.
Les péchés n’obligent qu’à se confesser, selon vos maximes ; la simonie oblige à restituer, et il y a des personnes à qui cela paraîtrait assez différent : la lucidité de Pascal sur la nature humaine est particulièrement aigüe en ce passage.
XII, 14. J’ai à vous dire de plus, que le cas que Tannerus accuse de péché, n’est pas simplement celui où l’on donne un bien spirituel pour un temporel qui en est le motif même principal, mais il ajoute encore, que l’on prise plus le temporel que le spirituel, ce qui est ce cas imaginaire dont nous avons parlé. Et il ne fait pas mal de charger celui-là de péché ; puisqu’il faudrait être bien méchant ou bien stupide, pour ne vouloir pas éviter un péché par un moyen aussi facile, qu’est celui de s’abstenir de comparer les prix de ces deux choses, lorsqu’il est permis de donner l’une pour l’autre.
Texte de 1659 : « Et il ne fait pas de mal de charger celui-là de péché ».
XII, 14. Outre que Valentia examinant au lieu déjà cité, s’il y a du péché à donner un bien spirituel pour un temporel qui en est le motif principal, rapporte les raisons de ceux qui disent que oui, en ajoutant : Sed hoc non videtur mihi satis certum ; Cela ne me parait pas assez certain.
XII, 15. Mais depuis votre P. Erade Bille Professeur des cas de conscience à Caen a décidé qu’il n’y a aucun péché : car les opinions probables vont toujours en mûrissant. C’est ce qu’il déclare dans ses écrits de 1644. contre lesquels M. du Pré docteur et professeur à Caen fit cette belle harangue imprimée, qui est assez connue. Car quoique ce P. Erade Bille reconnaisse que la doctrine de Valentia suivie par le P. Milhard, et condamnée en Sorbonne, soit contraire au sentiment commun ; suspecte de simonie en plusieurs choses, et punie en justice quand la pratique en est découverte, il ne laisse pas de dire que c’est une opinion probable, et par conséquent sûre en conscience ; et qu’il n’y a en cela ni simonie ni péché. C’est, dit-il, une opinion probable, et enseignée par beaucoup de docteurs catholiques, qu’il n’y a aucune simonie, NI AUCUN PÉCHÉ, à donner de l’argent, ou une autre chose temporelle pour un bénéfice, soit par forme de reconnaissance soit comme un motif sans lequel on ne le donnerait pas ; pourvu qu’on ne le donne pas comme un prix égal au bénéfice. C’est là tout ce qu’on peut désirer.
Voir plus haut, XII, 12, où les thèses de Caen sont mentionnées.
Texte de 1659 : « votre P. Erade Bille, Professeur des cas de conscience à Caen, a décidé qu’il n’y a en cela aucun péché ».
Erard Bille, 1591-1650. Jésuite auquel ses opinions sur la primauté pontificale valurent une polémique en 1644. BURGER Pierre-François, « Jansénisme et hostilité au jansénisme à Caen : le vœu de Caen », in Port-Royal et l’humanisme, Chroniques de Port-Royal, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2006, p. 341-364. En 1644, un conflit éclate à Caen autour de la doctrine du P. Bille, professeur de théologie morale, sur la primauté pontificale. Bille a prétendu que la juridiction du pape « n’est non plus de droit divin que les charges de judicature des magistrats, voire même des professions mécaniques ». Il a soutenu la doctrine des deux chefs de l’Église, Pierre et Paul, qui « ont tenu le pontificat ensemble ». D’après la Doctrine simoniaque enseignée par le père Erade Bile Professeur ès cas de conscience des jésuites dans leur collège du Mont en la ville de Caen l’an 1644, il a enseigné comme opinion probable « qu’il n’y a pas simonie de donner de l’argent pour un bénéfice, soit par forme de reconnaissance et de gratification soit comme un motif sans lequel on ne donnerait point de bénéfice, pourvu qu’on ne le donne pas comme un prix égal au bénéfice ». Le P. Bille a emprunté ces thèses au bénédictin Pierre Milhard, La grande guide des curés, vicaires et confesseurs, ouvrage condamné en novembre et décembre 16119 par la Sorbonne. Voir p. 343, en note, les titres des ouvrages écrits à l’occasion contre le P. Bille. Les thèses auxquelles Pascal fait allusion ne sont mentionnées nulle part ailleurs dans la polémique janséniste ; elles ne sont connues que par le conflit qui a opposé l’oratorien Dupré, professeur à la faculté de théologie de Caen aux jésuites de la ville. Le texte de ces thèses est cité dans GEF V, p. 356-357 : “non est improbabile quod multi catholici docent, non esse simoniam dare temporale pro spirituali, si non detur ut premium”. Contre le P. Bille, l’oratorien Dupré, professeur à la faculté de théologie de Caen, prononce des orationes à l’université de Caen. Contre ses adversaires, Dupré a composé deux discours latins dont on trouve les titres dans A. Ingold, Supplément à l’essai de bibliographie oratorienne, Paris, 1882. Le titre en est Oratio contra doctrinam simoniacam, praeter alios adversus romanam sedem errores, publice traditam atque defensam hoc anno 1644 dictatis lectionibus thesibusque disputatis a lectore moralis theologiae Collegii Cadomensis Societatis Jesu, habita in generalibus comitiis universitatis cadomensis postridie Dionysialiorum ejusdem anni ad solemnem scholarum reserationem, a M. Jacobo Dupré, s. th. doctore et professore regio, 1645, 21 p. ; ce discours était précédé d’une Lettre d’un écolier étudiant en droit en l’université de Caen à un avocat de Rouen, du 3 décembre 1644, et suivie par la Doctrine simoniaque enseignée par le Père Erade Bille, professeur ès cas de conscience des jésuites dans leur collège du Mont en la ville de Caen l’an 1644, 8 p. Dupré publie aussi La doctrine simoniaque enseignée par le P. Erade Bille, qui suit l’Oratio contra doctrinam simoniacam de 1645. Le P. Bille répond par une Lettre justificative en date du 25 août 1645, protestant qu’il n’a pas dit ce qu’on lui attribue et qu’il est victime d’une calomnie ; il rappelle aussi que la Sorbonne a condamné son adversaire Dupré. Il semble qu’à la suite de cette affaire Dupré ait quitté l’Oratoire.
Voir la note de éd. Cognet, p. 225, n. 3. Ces thèses ne sont mentionnées nulle part ailleurs dans la polémique janséniste ; elles ne sont connues que par le conflit qui a opposé l’oratorien Dupré, professeur à la faculté de théologie de Caen aux jésuites de la ville. Contre ses adversaires, Dupré a composé deux discours latins dont on trouve les titres dans A. Ingold, Supplément à l’essai de bibliographie oratorienne, Paris, 1882. Le titre en est Oratio contra doctrinam simoniacam, praeter alios adversus romanam sedem errores, publice traditam atque defensam hoc anno 1644 dictatis lectionibus thesibusque disputatis a lectore moralis theologiae Collegii Cadomensis Societatis Jesu, habita in generalibus comitiis universitatis cadomensis postridie Dionysialiorum ejusdem anni ad solemnem scholarum reserationem, a M. Jacobo Dupré, s. th. doctore et professore regio, 1645, 21 p. ; ce discours était précédé d’une Lettre d’un écolier étudiant en droit en l’université de Caen à un avocat de Rouen, du 3 décembre 1644, et suivie par la Doctrine simoniaque enseignée par le Père Erade Bille, professeur ès cas de conscience des jésuites dans leur collège du Mont en la ville de Caen l’an 1644, 8 p. Il semble qu’à la suite de cette affaire Dupré ait quitté l’Oratoire. Le texte de ces thèses est cité dans GEF V, p. 356-357 : “non est improbabile quod multi catholici docent, non esse simoniam dare temporale pro spirituali, si non detur ut premium”.
HERMANT Godefroy, Mémoires, I, p. 317. « Ce n’était pas là l’unique excès du P. Erard Bille, car il soutenait dans le même traité : que c’est une opinion probable, et enseignée par beaucoup de docteurs catholiques, qu’il n’y a aucune simonie, ni aucun péché de donner de l’argent ou autre chose temporelle pour un bénéfice, soit par forme de reconnaissance et de gratification, soit comme un motif sans lequel on ne donnerait point le bénéfice ; pourvu qu’on ne le donne pas comme un prix égal au bénéfice. Et il n’avait pas honte d’autoriser cette opinion par le témoignage de Milhard, qu’il savait avoir été marqué autrefois d’une très juste et très ignominieuse censure ».
Soit contraire au sentiment commun, suspecte de simonie en plusieurs choses, et punie en justice, quand la pratique en est découverte : voir GEF V, p. 356, qui cite la Doctrine simoniaque enseignée par le P. Erade Bille, « fatendum tamen est multis nominibus hanc sententiam esse suspectam : primo quia est contra communem sensum ; et secundo quia semper aperta praxis damnatur in foro exteriori... »
Il ne laisse pas de dire que c’est une opinion probable, et par conséquent sûre en conscience, et qu’il n’y a en cela ni simonie ni péché. C’est, dit-il, une opinion probable et enseignée par beaucoup de docteurs catholiques, qu’il n’y a aucune simonie, NI AUCUN PÉCHÉ, à donner de l’argent, ou une autre chose temporelle pour un bénéfice, soit par forme de reconnaissance, soit comme un motif sans lequel on ne le donnerait pas, pourvu qu’on ne le donne pas comme un prix égal au bénéfice : la phrase initiale est tirée du Discours de Dupré : « Voici la proposition des thèses dans laquelle ils ont enfermé tout le venin de cette doctrine simoniaque : non est improbabile quod multi catholici docent, non esse simoniam dare temporale pro spirituali, si non detur ut pretium », cité in GEF V, p. 356-357. Le texte de E. Bille est cité au début des extraits qui y sont joints ; voir Provinciales, éd. de 1659, t. 2, p. 120.
Pierre Milhard : Provinciales, éd. Cognet, p. 229, n. 3. Prieur de Sainte-Dode, auteur de La grande guide des curés, vicaires et confesseurs, Lyon, 1617, condamnée par la Faculté de théologie de Paris le 4 novembre 1619. Voir p. 229, n. 3, l’une des propositions condamnées, relative à la simonie.
La censure contre le P. Milhard et les extraits du cours du P. Bille ont été réimprimés à la suite de l’éd. de 1659 des Provinciales, t. 2, p. 118-124.
XII, 15. Et selon toutes ces maximes vous voyez, mes Pères, que la simonie sera si rare, qu’on en aurait exempté Simon même le magicien, qui voulait acheter le Saint-Esprit, en quoi il est l’image des simoniaques qui achètent ; et Giezi, qui reçut de l’argent pour un miracle, en quoi il est la figure des simoniaques qui vendent. Car il est sans doute, que quand Simon, dans les Actes, offrit de l’argent aux Apôtres pour avoir leur puissance, il ne se servit ni des termes d’acheter, ni de vendre, ni de prix, et qu’il ne fit autre chose que d’offrir de l’argent comme un motif pour se faire donner ce bien spirituel. Ce qui étant exempt de simonie selon vos Auteurs, il se fût bien garanti de l’anathème de saint Pierre, s’il eût su vos maximes. Et cette ignorance fit aussi grand tort à Giezi quand il fut frappé de la lèpre par Élisée : car, n’ayant reçu l’argent de ce Prince guéri miraculeusement, que comme une reconnaissance, et non pas comme un prix égal à la vertu divine qui avait opéré ce miracle, il eût obligé Élisée à le guérir sur peine de péché mortel ; puisqu’il aurait agi selon tant de docteurs graves, et que vos confesseurs sont obligés d’absoudre leurs pénitents en pareil cas, et de les laver de la lèpre spirituelle, dont la corporelle n’est que la figure.
Texte de 1659 : « s’il eût été instruit de vos maximes ».
Texte de 1659 : « et qu’en pareil cas vos confesseurs sont obligés d’absoudre leurs pénitents ».
Actes des Apôtres, VII, 18-23. “18. Lorsque Simon eut vu que le Saint-Esprit était donné par l’imposition de la main des apôtres, il leur offrit de l’argent, 19. Et leur dit : Donnez-moi aussi ce pouvoir, que ceux à qui j’aurai imposé les mains, reçoive le Saint Esprit. Mais Pierre lui dit : 20. Que votre argent périsse avec vous, vous qui avez cru que le don de Dieu peut s’acquérir avec de l’argent. 21. Vous n’avez point de part, et vous ne pouvez rien prétendre à ce ministère, car votre coeur n’est pas droit devant Dieu. 22. Faites donc pénitence de cette méchanceté, et priez Dieu, afin que s’il est possible, il vous pardonne cette mauvaise pensées de votre cœur ; 23. car je vois que vous êtes dans un fiel amer et dans les liens de l’iniquité.”
IVe Livre des Rois, V, 20-27. Voir Les deux derniers livres des rois, tr. Lemaître de Sacy, p. 542 sq. La référence moderne est Rois II, 5, 20-27.
« Lorsque Giezi qui servait l’homme de Dieu dit en lui-même : Mon maître a épargné ce Naaman de Syrie et n’a voulu rien prendre : mais je jure par le Seigneur que je courrai aprèslui, et que j’en recerai quelque chose. 21. Giezi s’en alla donc après Naaman, et Naaman le voyant courir vers lui descendit promptement de son chariot, vint au-devant de lui, et lui dit : Tout se porte-t-il bien ? 22. Giezi lui répondit : Tout se porte bien. Mon maître l’a envoyé vous dire que deux jeunes hommes des enfants des prophètes lui sont arrivés tout à l’heure de la montagne d’Ephraïm. Il vous prie de me donner peur eux un talent d’argent et deux habits. 23. Naaman lui dit : Il vaut mieu que je vous donne deux talents ; et il le contraignit de les recevoir, et ayant mis les deux talents et les deux habits dans deux sacs qu’il lia, il en chargea deux de ses serviteurs qui les portèrent devant Giezi. 24. Le soir étant venu, il les prit de leurs mains, les serra dans sa laison, et renvoya ces gens qui s’en retournèrent. 25. Giezi entre ensuite et vint se présenter devant son maître. Et Élisée lui dit : D’où venez-vous Giezi ? Giezi lui répondit : Votre serviteur n’a été nulle part. 26. Mais Élisée lui répondit : Mon cœur n’était-il pas présent avec vous, lorsque cet homme est descendu de son chariot pour aller au-devant de vous ? Maintenant donc vous avez reçu de l’argent et des habits pour acheter des plants d’olivier, des vignes, des bœufs, des brebis, des serviteurs et des servantes. 27. Mais en récompense la lèpre de Naaman s’attachera à vous et à toute votre race pour jamais. Et Giezi se retira d’avec son maître tout couvert d’ue lèpre blanche comme la neige ».
Lemaître de Sacy donne un commentaire rapide de cet épisode dans sa traduction des Deux derniers livres des Rois, p. 542-545 (éd. de 1714), où il insiste sur la “lèpre intérieure” qui défigure aux yeux de Dieu l’âme qui se livre à une telle cupidité.
GEF V, p. 353, sur le livre de Dupré, La doctrine simoniaque enseignée par le P. Erade Bille, qui suit l’Oratio contra doctrinam simoniacam de 1645. Texte p. 354-356.
XII, 16. Tout de bon, mes Pères, il serait aisé de vous tourner là-dessus en ridicules : je ne sais pourquoi vous vous y exposez. Car je n’aurais qu’à rapporter vos autres maximes, comme celle-ci d’Escobar dans la pratique de la simonie selon la Société de Jésus, n. 40. Est-ce simonie, lorsque deux religieux s’engagent l’un à l’autre en cette sorte : Donnez-moi votre voix pour me faire élire provincial, et je vous donnerai la mienne pour vous faire prieur ? Nullement.
ESCOBAR, Theologia moralis, VI, Ex. 2, n°44, p. 681. Après l’énoncé de la question, Escobar écrit : “Aliqui asseruere, putantes praelaturas beneficiorum nomine efferri. At Sanch. dib. 44. cap. 4. negat praelaturas hasce esse beneficio in eo rigore, ut nomine beneficii in lege hac poenali comprehendi censendae sint.” Voir GEF V, p. 357. Il y a une erreur de numéro ; elle est signalée par Cognet, Provinciales, p. 230.
Et cet autre, n. 14. Ce n’est pas simonie de se faire donner un bénéfice en promettant de l’argent, quand on n’a pas dessein de payer en effet, parce que ce n’est qu’une simonie feinte, qui n’est non plus véritable, que du faux or n’est pas du véritable or. C’est par cette subtilité de conscience, qu’il a trouvé le moyen en ajoutant la fourbe à la simonie, de faire avoir des bénéfices sans argent et sans simonie.
Texte de 1659 : « qui n’est non plus vraie que du faux or n’est pas du vrai or ».
ESCOBAR, Theologia moralis, VI, Ex. 2, n. 14. “Praeterea simonia ficta committitur, dum quis exterius rem spiritualem pro temporali promittit, vel rem temporalem pro spitituali absque animo tradendi, et se obligandi ad rem ipsam tradendam ; et haec non est vere simonia, sicut fictum aurum non est aurum.” Wendrock rétablit le texte exactement.
Mais je n’ai pas le loisir d’en dire davantage : car il faut que je pense à me défendre contre votre troisième calomnie sur le sujet des banqueroutiers.
Mais je n’ai pas le loisir d’en dire davantage : car il faut que je pense à me défendre contre votre troisième calomnie sur le sujet des banqueroutiers : Transition facile...
XII, 17. Pour celle-ci, mes Pères, il n’y a rien de plus grossier. Vous me traitez d’imposteur sur le sujet d’un sentiment de Lessius, que je n’ai point cité de moi-même, mais qui se trouve allégué par Escobar dans un passage que j’en rapporte : et ainsi, quand il serait véritable que Lessius ne serait pas de l’avis qu’Escobar lui attribue, qu’y a-t-il de plus injuste, que de s’en prendre à moi ? Quand je cite Lessius et vos autres auteurs de moi-même, je consens d’en répondre. Mais comme Escobar a ramassé les opinions des 24. de vos pères, je vous demande si je dois être garant d’autre chose, que de ce que je cite de lui, et s’il faut outre cela que je réponde des citations qu’il fait lui-même dans les passages que j’en ai pris ? Cela ne serait pas raisonnable. Or c’est de quoi il s’agit en cet endroit. J’ai rapporté dans ma lettre ce passage d’Escobar traduit fort fidèlement, et sur lequel aussi vous ne dites rien : Celui qui fait banqueroute, peut-il en sûreté de conscience retenir de ses biens autant qu’il est nécessaire pour vivre avec honneur, ne indecore vivat ? JE RÉPONDS QUE OUI AVEC LESSIUS ; CUM LESSIO ASSERO POSSE, etc. Sur cela vous me dites que Lessius n’est pas de ce sentiment. Mais pensez un peu où vous vous engagez. Car s’il est vrai qu’il en est, on vous appellera imposteurs, d’avoir assuré le contraire ; et s’il n’en est pas, Escobar sera l’imposteur : de sorte qu’il faut maintenant par nécessité, que quelqu’un de la société soit convaincu d’imposture. Voyez un peu quel scandale ! Aussi vous ne savez prévoir la suite des choses. Il vous semble, qu’il n’y a qu’à dire des injures au monde, sans penser sur qui elles retombent.
Texte de 1659 : « et ainsi, quand il serait vrai que Lessius ne serait pas de l’avis qu’Escobar lui attribue... »
Texte de 1659 : « Il vous semble qu’il n’y a qu’à dire des injures aux personnes, sans penser sur qui elles retombent. »
Provinciales, éd. Cognet, p. 231. Dans la IIIe Imposture, le P. Nouët défend Lessius comme si ce dernier était attaqué directement dans la VIIIe Provinciale.
Celui qui fait banqueroute... : voir Escobar, tr. III ex. 2, n. 163, p. 359.
Texte abordé par le biais d’Escobar, dans Provinciale VIII, 8. « J’aurais bien encore d’autres méthodes à vous enseigner ; mais celles-là suffisent, et j’ai à vous entretenir de ceux qui sont mal dans leurs affaires. Nos Pères ont pensé à les soulager selon l’état où ils sont ; car, s’ils n’ont pas assez de bien pour subsister honnêtement, et tout ensemble pour payer leurs dettes, on leur permet d’en mettre une partie à couvert en faisant banqueroute à leurs créanciers. C’est ce que notre Père Lessius a décidé, et qu’Escobar confirme au tr. 3, ex. 2, n. 163 : Celui qui fait banqueroute peut-il, en sûreté de conscience, retenir de ses biens autant qu’il est nécessaire pour faire subsister sa famille avec honneur, ne indecore vivat? Je soutiens que oui avec Lessius ; et même encore qu’il les eût gagnés par des injustices et des crimes connus de tout le monde, ex [injustitia] et notorio delicto quoiqu’en ce cas il n’en puisse pas retenir en une aussi grande quantité qu’autrement. »
Ce qui est comique, c’est que, dans ce paragraphe, Pascal se fait le défenseur d’Escobar, dont il montre la fidélité dans sa citation des casuistes.
Réponse à Nouët, Impostures III, in Réponses, p. 100 sq, qui soutient que la doctrine de Lessius est “excellente” : p. 101. Un homme ruiné n’est pas obligé de restituer s’il ne peut y parvenir que par sa mort ou celle de ses enfants ; il n’est pas obligé de rendre pendant que sa nécessité dure, mais après. Celui qui s’est ruiné par ses débauches ne peut y trouver d’excuses pour ne pas restituer, puisque c’est de sa faute. Dernier point : ceux qui se sont enrichis injustement doivent restituer même “avec la perte de leur fortune”, “lors principalement que leurs voleries sont connues de tout le monde” : p. 102. Nouët renvoie, comme d’habitude, à Du Moulin, Traditions..., p. 334. Il revient là-dessus in Réponse à la douzième lettre, in Réponses, p. 316 sq.
Sur la banqueroute, voir NOUËT, Réponse à la douzième lettre..., in Réponses, p. 313 sq.
RAPIN René, Mémoires, éd. Aubineau, p. 405-406. “Le troisième article est sur le sujet des banqueroutes, qui est la plus visible et la plus grossière de ses impostures. Il fait dire, dans la huitième lettre, à Lessius, que celui qui fait banqueroute peut en conscience retenir du bien autant qu’il est nécessaire pour faire subsister sa famille avec honneur, encore qu’il l’air gagné injustement. On lui avait montré dans la réponse à cette calomnie que Lessius dit tout le contraire : qu’il ne peut en conscience retenir du bien acquis par des voies injustes, qu’il est obligé de se réduire à l’état où il était avant que de s’élever par des crimes si énormes. Voilà ce qu’on lui avait répondu à sa huitième lettre. Et, pour confondre le sentiment de ce théologien, il cite de lui un autre passage sur le même sujet, il supprime ce qu’il y a de plus essentiel dans sa décision, comme on peut voir dans la réponse du P. Nouët à la douzième lettre, où il fait voir que le sentiment de Lessius est qu’un débiteur qui fait cession sans sa faute, par exemple si on la lui a faite premièrement, peut retenir du bien pour vivre et pour soutenir son état sans déshonneur.”
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Etude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol.
XII, 17. Que ne faisiez-vous savoir votre difficulté à Escobar, avant que de la publier : il vous eût satisfait. Il n’est pas si malaisé d’avoir des nouvelles de Valladolid, où il est en parfaite santé,
Provinciales, éd. Cognet, p. 232, n. 2, 3 et 4. Voir surtout la note 4, sur les visites rendues par des Français à Escobar. Il ne semble pas que le jésuite ait reçu les dix Provinciales dont Pascal dit qu’elles lui ont été envoyées. Voir là-dessus GAZIER Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar, Champion, Paris, 1912, p. 53.
François BERTAUT, abbé conseiller clerc au parlement de Rouen, dans son Journal d’un voyage en Espagne, Paris, Denys Thierry, 1669, p. 194, rapporte sa visite à Escobar (25 décembre 1659). « J’allai voir le Père Escobar, que j’entretins longtemps sur sa Théologie morale, qui a fait tant de bruit. Il s’étonnait qu’on s’en formalisait en France, disant que ce n’étaient pas ses opinions qu’il avait mises dans ce livre, mais celles de tous les casuistes d’Espagne et d’Italie. Il me parut un fort bon homme, âgé d’environ 54 à 55 ans. Je disputai contre lui sur la question de l’homicide et des autres qui sont dans les Lettres au provincial, et il ne me rendit point d’autres raisons de ses maximes, sinon qu’il y avait des docteurs encore plus relâchés que lui. Comme il n’avait pas vu ces lettres dont je viens de parler, je lui promis de lui en envoyer de France... Je fus tout étonné que cet homme qui fait tant de bruit en France, en fît si peu en son pays, où à peine le connaît-on ».
GAZIER Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar, Paris, 1912, p. 53.
HERMANT, Mémoires, III, p. 5-6. Récit de la visite du P. Duffait de l’Oratoire à Escobar, sans doute vers 1660. Voir la note de Cognet, Provinciales, p. 232.
XII, 17. et où il achève sa grande Théologie morale en six volumes, sur les premiers desquels je vous pourrai dire un jour quelque chose. On lui a envoyé les dix premières Lettres : vous pouviez aussi lui envoyer votre objection : et je m’assure qu’il y eût bien répondu :
A cette date, selon Cognet, seuls les tomes I et II sont publiés (1652 et 1655). Il y en a eu sept en tout de 1652 à 1663.
XII, 17. car il a vu sans doute dans Lessius ce passage, d’où il a pris le ne indecore vivat. Lisez-le bien, mes pères, et vous l’y trouverez comme moi lib. 2. c. 16. n. 45. Idem colligitur aperte ex juribus citatis, maxime quoad ea bona quæ post cessionem acquirit, de quibus is qui debitor est etiam ex delicto, potest retinere quantum necessarium est, ut pro sua conditione NON INDECORE VIVAT. Petes an leges id permittant de bonis quæ tempore instantis cessionis habebat ? Ita videtur colligi ex DD. etc.
Texte latin de Lessius, De justitia et jure, Lib. 2. c. 16, n. 45-46, cité dans GEF V, p. 358. « Idem colligitur aperte ex juribus citatis, maxime quoad ea bona, quae post cessionem acquirit : de quibus etiam is, qui debitor est delicto, potest retinere quantum necessarium est ut pro sua conditione non indecore vivat ; nam leges generatim loquuntur. 46. Petes, an leges id permittant de bonis, quae tempore instantis cessionis habebat ?. Resp. Ita videtur colligi ex d. L. Qui bonis 6. p. de cessione bonorum, ubi dicitur, Eum qui bonis cessit non esse fraudandum quotidianis alimentis : quod est aequitati consentaneum in debitore, qui absque sua culpa non est solvendo. » Ex DD : lecture erronée, il y a ex DL, ex dicta lege. Wendrock rétablit et ajoute un autre texte de Lessius.
Le ne indecore vivat a été évoqué dans la Provinciale VIII, § 8. « J'aurais bien encore d'autres méthodes à vous enseigner ; mais celles-là suffisent ; et j'ai à vous entretenir de ceux qui sont mal dans leurs affaires. Nos Pères ont pensé à les soulager selon l'état où ils sont. Car s'ils n'ont pas assez de bien pour subsister honnêtement, et pour payer leurs dettes tout ensemble, on leur permet d'en mettre une partie à couvert, en faisant banqueroute à leurs créanciers. C'est ce que notre Père Lessius a décidé, et qu'Escobar confirme au tr. 3. ex. 2. n. 163. Celui qui fait banqueroute, peut-il en sûreté de conscience, retenir de ses biens autant qu'il est nécessaire pour faire subsister sa famille avec honneur, ne indecore vivat? Je soutiens que oui avec Lessius : et même encore qu'il les eût gagnés par des injustices et des crimes connus de tout le monde, ex injustitia, et notorio delicto ; quoiqu'en ce cas il n'en puisse pas retenir en une aussi grande quantité qu'autrement. »
Le texte de Lessius est cité par Escobar, Liber theologiae moralis, tr. III, Ex. II, n. 163, p. 359: « Qui cessit bonis, tenetur, si postea ad pinguiorem fortunam accedat, restituere. Hoc certum : rogo ulterius, an cedens bonis tuta consicentia possit sibi, et familia sua, ne indecore vivat necessaria retinere ? Cum Lessio assero posse ; quod quidem est verum, licet debita, pro quibus cedit, sint ex injustitia, et notorio delicto contra, quamvis tunc, non possit tantum quantum alias sibi retinere. » Voir ce passage dans GEF V, p. 124. Citation exacte ; voir Provinciales, éd. Cognet, p. 231 sq.
Critique du etc., que Cognet ne donne pas : voir NOUËT, Réponse à la douzième lettre..., in Réponses, p. 316 sq. Nouët objecte que Lessius distingue le cas de celui qui fait banqueroute par un malheur qui ne le rend pas criminel, et ceux qui, s’étant engagés dans des restitutions après leurs crimes, deviennent misérables après s’être rendus criminels. Le débiteur innocent peut retenir ses biens, pour vivre correctement le criminel peut retenir les biens qu’il acquiert légitimement après sa cession, mais non pas ceux qu’il avait avant sa cession acquis par vol. Le texte cité par Pascal ne parlerait que des biens ultérieurs à la cession. Voir Provinciales VIII, éd. Cognet, p. 141.
XII, 18. Je ne m’arrêterai pas à vous montrer que Lessius, pour autoriser cette maxime, abuse de la loi qui n’accorde que le simple vivre aux banqueroutiers, et non pas de quoi subsister avec honneur. Il suffit d’avoir justifié Escobar contre une telle accusation ; c’est plus que je ne devais faire. Mais vous, mes Pères, vous ne faites pas ce que vous devez : car il est question de répondre au passage d’Escobar, dont les décisions sont commodes, en ce qu’étant indépendantes du devant et de la suite, et toutes renfermées en de petits articles, elles ne sont pas sujettes à vos distinctions. Je vous ai cité son passage entier, qui permet à ceux qui font cession de retenir de leurs biens, quoique acquis injustement, pour faire subsister leur famille avec honneur. Sur quoi je me suis écrié dans mes Lettres : Comment ! mes Pères, par quelle étrange charité voulez-vous que les biens appartiennent plutôt à ceux qui les ont mal acquis qu’aux créanciers légitimes ? C’est à quoi il faut répondre : mais c’est ce qui vous met dans un fâcheux embarras, que vous essayez en vain d’éluder en détournant la question, et citant d’autres passages de Lessius, desquels il ne s’agit point. Je vous demande donc si cette maxime d’Escobar peut être suivie en conscience par ceux qui font banqueroute ? Et prenez garde à ce que vous direz. Car si vous répondez que non, que deviendra votre docteur, et votre doctrine de la probabilité ?
La citation de Lessius et l’apostrophe “Comment, mon Père...” se trouvent dans Provinciale VIII, 8. « J’aurais bien encore d’autres méthodes à vous enseigner ; mais celles-là suffisent, et j’ai à vous entretenir de ceux qui sont mal dans leurs affaires. Nos Pères ont pensé à les soulager selon l’état où ils sont ; car, s’ils n’ont pas assez de bien pour subsister honnêtement, et tout ensemble pour payer leurs dettes, on leur permet d’en mettre une partie à couvert en faisant banqueroute à leurs créanciers. C’est ce que notre Père Lessius a décidé, et qu’Escobar confirme au tr. 3, ex. 2, n. 163 : Celui qui fait banqueroute peut-il, en sûreté de conscience, retenir de ses biens autant qu’il est nécessaire pour faire subsister sa famille avec honneur, ne indecore vivat? Je soutiens que oui avec Lessius ; et même encore qu’il les eût gagnés par des injustices et des crimes connus de tout le monde, ex [injustitia] et notorio delicto quoiqu’en ce cas il n’en puisse pas retenir en une aussi grande quantité qu’autrement. Comment! mon Père, par quelle étrange charité voulez-vous que ces biens demeurent plutôt à celui qui les a gagnés par ses voleries, pour le faire subsister avec honneur, qu’à ses créanciers, à qui ils appartiennent légitimement? »
Et si vous dites que oui, je vous renvoie au Parlement.
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 225 sq. Ceux qui sont persécutés par les autorités ou les tribunaux ecclésiastiques doivent confier la défense de leur droit aux autorités politiques et aux tribunaux civils : p. 224. L’Église n’est pas affranchie des exigences de la justice naturelle, que les juridictions séculières ont pour tâche de faire respecter jusque dans son sein. Les curés de Paris présentent leur plainte à tous les tribunaux, civils autant qu’ecclésiastiques : p. 225. Il y a des précédents qui donnent son poids à la menace de Pascal de renvoi aux tribunaux : l’affaire Héreau, les affaires Mariana et Santarel.
XII, 20. Je vous laisse dans cette peine, mes pères ; car je n’ai plus ici de place pour entreprendre l’Imposture suivante sur le passage de Lessius touchant l’homicide ; ce sera pour la première fois, et le reste ensuite.
Voir NOUËT, Imposture IV, in Réponses, p. 104 sq.
La première fois : premier au sens de qui est le plus proche, prochain.
XII, 21. Je ne vous dirai rien cependant sur les Avertissements pleins de faussetés scandaleuses par où vous finissez chaque imposture : je repartirai à tout cela dans la Lettre où j’espère montrer la source de vos calomnies. Je vous plains, mes Pères, d’avoir recours à de tels remèdes. Les injures que vous me dites n’éclairciront pas nos différends, et les menaces que vous me faites en tant de façons ne m’empêcheront pas de me défendre. Vous croyez avoir la force et l’impunité, mais je crois avoir la vérité et l’innocence. C’est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d’opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l’irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre : quand l’on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n’ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l’une sur l’autre. Qu’on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque : au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même.
Voir sur ces exemples ARNAULD Antoine, Le fantôme du jansénisme, 1686, Chapitre XI, p. 95 sq. « Nous sommes les plus forts, comme disait M. de Marca : après qu’ils auront bien crié, il faudra qu’ils en passent par où nous voudrons. Voilà l’esprit de ce siècle. On voudrait que la puissance disposât de tout, et même des règles de la raison. On veut agit à sa fantaisie, raisonner à sa fantaisie, et que les actions les plus injustes passent pour légitimes ; et les plus faux raisonnements, pour des raisonnements solides, par cela seul qu’on a la force en main ».
SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, p. 182. Rhétorique prophétique dans cette péroraison.
Dictionnaire de l’Académie, Violence : force dont on use contre le droit commun, les lois, le bien public.
DE FONTETTE, Vocabulaire juridique, p. 126. Fait d’inspirer à une personne une crainte telle que cette personne donne malgré elle son consentement. La crainte née de la violence constitue un vice du consentement.
LALANDE, Vocabulaire..., p. 1210. Emploi illégitime ou du moins illégal de la force.
La vérité subsiste éternellement : Psaumes, 116, 2. “Veritas Domini manet in aeternum”.
Voir une allusion à cette conclusion dans Pensées, Laf. 85, à propos du droit de l’épée, qui est nécessaire pour faire qu’on ne voie pas “la violence d’un côté et la justice de l’autre”.
Voir Provinciale XVI, 25. « Si la vérité était pour vous, elle combattrait pour vous, elle vaincrait pour vous ; et, quelques ennemis que vous eussiez, la vérité vous en délivrerait, selon sa promesse. Vous n’avez recours au mensonge que pour soutenir les erreurs dont vous flattez les pécheurs du monde, et pour appuyer les calomnies dont vous opprimez les personnes de piété qui s’y opposent. La vérité étant contraire à vos fins, il a fallu mettre votre confiance au mensonge, comme dit un Prophète : Vous avez dit : Les malheurs qui affligent les hommes ne viendront pas jusques à nous : car nous avons espéré au mensonge, et le mensonge nous protégera. Mais que leur répond le Prophète? D’autant, dit-il, que vous avez mis votre espérance en la calomnie et au tumulte, sperastis in calomnia et in tumultu, cette iniquité vous sera imputée, et votre ruine sera semblable à celle d’une haute muraille qui tombe d’une chute imprévue, et à celle d’un vaisseau de terre qu’on brise et qu’on écrase en toutes ses parties par un effort si puissant et si universel qu’il n’en restera pas un test avec lequel on puisse puiser un peu d’eau ou porter un peu de feu : parce que, comme dit un autre Prophète, vous avez affligé le cœur du juste, que je n’ai point affligé moi-même ; et vous avez flatté et fortifié la malice des impies. Je retirerai donc mon peuple de vos mains, et je ferai connaître que je suis leur Seigneur et le vôtre. »
Voir Provinciale XVIII, 22. “Que votre procédé est violent, mon Père, mais qu’il est peu capable de réussir ! Je vous l’ai dit ailleurs, et je vous le redis encore, la violence et la vérité ne peuvent rien l’une sur l’autre.”
LE GUERN Michel, Pascal et Arnauld, p. 174, suppose que cette conclusion a dû être suggérée à Pascal par Arnauld. Sans aucune preuve.
Voir Méthodes chez Pascal, p. 208 sq. Ce passage est-il un acte de foi du combattant ou un acte de foi du croyant ? A cette question répond, à quelques années d’intervalle, le commentaire de ce passage dans PLAINEMAISON Jacques, Blaise Pascal polémiste, Clermont, CERHAC, 2003, p. 98-99, notamment sur ce qui touche l’origine de la certitude de la victoire ressentie par Pascal polémiste.
MESNARD Jean, “Pascal et la vérité”, Chroniques de Port-Royal, n°17-18, 1969, p. 21-40.
Pour comprendre cette conclusion, il faut la rapporter à certains fragments des Pensées. D’abord à la définition de la tyrannie, qui fait écho à la notion de violence.
Pensées, Laf. 58. Sel. 91. “Tyrannie.
La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science.
On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Ainsi ces discours sont faux, et tyranniques : je suis beau, donc on doit me craindre, je suis fort, donc on doit m’aimer, je suis... Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas, il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas.”
Pensées, Laf. 58. Sel. 92. “La Tyrannie consiste au désir de domination, universel et hors de son ordre.
Diverses chambres de forts, de beaux, de bons esprits, de pieux dont chacun règne chez soi, non ailleurs. Et quelquefois ils se rencontrent et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l’un de l’autre, car leur maîtrise est de divers genre. Ils ne s’entendent pas. Et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force : elle ne fait rien au royaume des savants, elle n’est maîtresse que des actions extérieures. - Ainsi ces discours sont faux...”
D’autre part, l’impossibilité pour la violence et la vérité de s’atteindre l’une l’autre répond à la description des ordres dans le fragment 308 de la liasse Preuves de Jésus-Christ.
Pensées, Laf. 308, Sel. 339. « La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle.
Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit.
La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.
La grandeur de la sagesse, qui n’est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différents, de genre.
Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles où elles n’ont pas de rapport. Ils sont vus, non des yeux mais des esprits. C’est assez.
Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges et non des corps ni des esprits curieux. Dieu leur suffit.
Archimède sans éclat serait en même vénération. Il n’a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. O qu’il a éclaté aux esprits.
J.-C. sans biens, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’inventions. Il n’a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. O qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse.
Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu’il le fût.
Il eût été inutile à N.-S. J.-C. pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi, mais il y est bien venu avec l’éclat de son ordre.
Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de J.-C., comme si cette bassesse était du même ordre duquel est la grandeur qu’il venait faire paraître.
Qu’on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l’élection des siens, dans leur abandonnement, dans sa secrète résurrection et dans le reste. On la verra si grande qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas.
Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles comme s’il n’y en avait pas de spirituelles. Et d’autres qui n’admirent que les spirituelles comme s’il n’y en avait pas d’infiniment plus hautes dans la sagesse.
Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits. Car il connaît tout cela, et soi, et les corps rien.
Tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble et toutes leurs productions ne valent pas le moindre mouvement de charité. Cela est d’un ordre infiniment plus élevé.
De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée. Cela est impossible et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible, et d’un autre ordre surnaturel. »
Le contrepoint de cette conclusion se trouve dans ROUSSEAU, Rousseau juge de Jean-Jacques, III, Œuvres I, Pléiade, p. 956-957. “LE FRANÇOIS. Je joins de bon cœur mes vœux aux vôtres pour l’accomplissent de cette prédiction, mais j’avoue que je n’y ai pas autant de confiance, et à voir le tour qu’a pris cette affaire je jugerais que des multitudes de caractères et d’événements décrits dans l’histoire n’ont peut-être d’autre fondement, que l’invention de ceux qui se sont avises de les affirmer. Que le temps fasse triompher la vérité, c’est ce qui doit arriver très souvent, mais que cela arrive toujours, comment le sait-on, et sur quelle preuve peut-on l’assurer? Des vérités longtemps cachées se découvrent enfin par quelques circonstances fortuites. Cent mille autres peut-être resteront à jamais offusquées par le mensonge sans que nous ayons aucun moyen de les reconnaître et de les manifester ; car tant qu’elles restent cachées, elles sont pour nous comme n’existant pas. Otez le hasard qui en fait découvrir quelqu’une, elle continuerait d’être cachée, et qui sait combien il en reste pour qui ce hasard ne viendra jamais ? Ne disons donc pas que le temps fait toujours triompher la vérité, car c’est ce qu’il nous est impossible de savoir, et il est bien plus croyable qu’effaçant pas à pas toutes ses traces, il fait plus souvent triompher le mensonge, surtout quand les hommes ont intérêt à le soutenir. Les conjectures sur lesquelles vous croyez que le mystère de ce complot sera dévoile me paraissent, à moi qui l’ai vu de plus près, beaucoup moins plausibles qu’à vous. La ligue est trop forte trop nombreuse trop bien liée pour pouvoir se dissoudre aisément, et tant qu’elle durera comme elle est, il est trop périlleux de s’en détacher pour que personne s’y hasarde sans autre intérêt que celui de la justice. De tant de fils divers qui composent cette trame, chacun de ceux qui la conduisent ne voit que celui qu’il doit gouverner et tout au plus ceux qui l’avoisinent. Le concours général du tout n’est aperçu que des directeurs, qui travaillent sans relâche à démêler ce qui s’embrouille, à ôter les tiraillements les contradictions et à faire jouer le tout d’une manière uniforme. La multitude des choses incompatibles entre elles qu’on fait dire et faire à J. J. n’est, pour ainsi dire, que le magasin des matériaux dans lequel, les entrepreneurs faisant un triage, choisiront à loisir les choses assortissantes qui peuvent s’accorder, et rejetant celles qui tranchent répugnent et se contredisent, parviendront bientôt à les faire oublier après qu’elles auront produit leur effet. Inventez toujours, disent-ils aux ligueurs subalternes, nous nous chargeons de choisir et d’arranger après.”
ARNAULD Antoine, Réfutation de la réponse d’un ministre..., éd. Migne, p. 59-60. « On doit considérer que le combat entre la religion chrétienne et la religion païenne n’a pas tant été un combat de raison contre raison que de la violence et de la force contre la vérité, parce que toute la force était d’un côté, et toute la vérité de l’autre ; et il est arrivé de là que l’erreur, se trouvant puissante, ne s’est guère mise en peine d’emprunter le secours de la raison. Elle a voulu dominer par les moyens qu’elle trouvait dans ses mains, c’est-à-dire par la force et la violence, et tyranniser non convaincre les esprits. »
MÉCHOULAN Éric, « La force de la vérité et l’institution d’une subjectivité», La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 154-164. Voir p. 155, sur ce passage. Analyse rhétorique.
Violence rhétorique
Voir Provinciale XI, sur la force et la violence rhétoriques.
ARNAULD Antoine, Seconde lettre à un duc et pair, p. 65. Comment les ennemis d’Arnauld font du mot catholique qui répond à une communion, un nom de faction et de schisme ; cette action même est schismatique. Voir p. 67, comment on peut adoucir en apparence une invective effective.
PERELMAN, Traité de l’argumentation, p. 72 sq. Argumentation et violence.
Échec de la violence
La vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même : ces dernières lignes donnent une autre portée aux expressions du début de la lettre comme voyons qui se défendra le mieux.
PLAINEMAISON Jacques, Blaise Pascal polémiste, p. 98-99.
ARNAULD, Seconde lettre à un duc et pair, p. 3-4. Échec des polémistes qui l’attaquent devant le public. L’approbation qu’on donne aux écrits d’Arnauld augmente avec les attaques : p. 4. La puissance de la violence est marque de faiblesse. “Car il est vrai, Monseigneur, que lors que j’ai publié la Lettre, contre laquelle tant d’écrivains se sont élevés, je n’avais pas la moindre pensée qu’elle fût capable de m’obliger à entrer dans aucune contestation, parce qu’il n’y (p. 6) avait pas, ce me semble, sujet de croire, qu’on voulût s’opiniâtrer à soutenir de nouveau l’entreprise la plus téméraire et la plus scandaleuse, qui ait été formée en nos jours contre la charité chrétienne, et la discipline ecclésiastique ; et qui ait été plus hautement improuvée par toutes les personnes équitables, et par ce qu’il y a de plus grand et de plus auguste dans l’Eglise et dans l’Etat.
Il semblait, qu’il y avait lieu d’espérer de la force de la vérité, qui d’elle-même est aussi vénérable à ses amateurs, que redoutable à ses ennemis, que la chaleur d’un zèle si peu réglé céderait à la lumière de la conduite des saints Pères, et des décrets des Papes et des Conciles ; et que ceux, qui s’étaient vus condamnez par la voix publique, avant même qu’on m’eût obligé d’en dire mon sentiment, choisiraient le parti le plus édifiant pour l’Eglise, le plus sûr pour leur conscience, et le plus avantageux pour leur réputation, qui était de réparer au moins par un modeste silence le scandale, qu’ils avoient causé par une indiscrète témérité.
Ils n’ignoraient pas, que cette Lettre a désabusé plusieurs personnes, qui avoient été jusques alors peu favorables à l’innocence de ceux, qui défendent la doctrine si ancienne et si apostolique de S. Augustin touchant la grâce, et qu’ils ont été tellement étonnés de voir les diffamations, dont on les avait prévenus, si visiblement ruinées, et tout ce qu’on leur avait dit de desseins de schisme et de révolte contre le saint Siège, si manifestement faux, et si absolument détruit, qu’ils ont loué Dieu d’avoir dissipé les illusions, et fait évanouir les vains fantômes, par lesquels on leur voulait faire prendre leurs frères pour les ennemis, et des enfants si humbles du très saint et très vénérable Père de tous les fidèles, et de leur commune et si sainte Mère, pour des hérétiques pernicieux, et des auteurs détestables d’une faction et d’un schisme contre le Pape et contre l’Eglise.
Mais je vois maintenant, Monseigneur, que c’est au contraire ce qui les a aigris davantage. La même passion, (p. 7) qui les a jetés dans un emportement, dont tout le monde a été surpris, les a rendus incapables de reconnaître leur faute. Le faux zèle n’a point d’yeux pour se rendre à la lumière de la vérité, si Dieu , ne les lui ouvre par une faveur très rare et très extraordinaire ; et l’exemple de celui, qui était le persécuteur des chrétiens avant que d’en être le maître et le défenseur, apprend à toute l’Eglise, qu’il n’y a qu’une grâce très efficace du ciel, qui soit suffisante pour éclairer l’esprit, et toucher le cœur de ceux, qui croient offrir un grand sacrifice à Dieu, lors qu’ils sacrifient l’innocence et la vertu de ses serviteurs au préjugé désavantageux, qu’ils ont formé en eux mêmes contre l’intégrité de leur foi, et la pureté de leur conduite, et qui, comme dit S. Augustin, Arbitrantur se pro Ecclesià facere quidquid inquietâ temeritate faciunt.
C’est pourquoi ils n’ont pu souffrir, que ce que la lueur trompeuse d’une dévotion peu éclairée leur a fait prendre pour une action héroïque, passât dans le monde pour un procédé aussi injuste et déraisonnable, que violent et outrageux.
Et comme s’ils avoient voulu opposer à la voix publique, qui les condamnait, une conspiration publique de plusieurs personnes armées pour la défense d’une même cause, ils ont cru pouvoir étouffer une seule Lettre par un nombre extraordinaire d’écrits qui l’attaqueraient de toutes parts ; et que troublant de nouveau la paix de l’Eglise, et r’allumant les divisions éteintes, ils pourraient rejeter sur leurs adversaires la cause du trouble qu’ils exciteraient eux mêmes ; et trouver dans cette guerre la satisfaction de leur animosité, qui leur a fait faire depuis deux ans tant de souhaits, tant de vœux, et tant de poursuites, pour les exterminer et pour les perdre.
Mais cette grande multitude d’écrivains est une marque de leur faiblesse. Ils ne se sont engagez à publier de temps en temps de nouvelles réponses à la même Lettre, qu’à cause du mépris qu’ils ont vu que le public faisait des premières. Chacun d’eux a cru devoir venir au (P. 8) secours de son compagnon. Et l’un de ces auteurs ne le dissimule pas, lors qu’après avoir vu déjà trois ou quatre de ces réponses, il commence la sienne par ces paroles[1] : La Lettre, qui paraît depuis peu sous le nom de Monsieur Arnauld, ne me semble pas jusques à cette heure avoir une réponse nette et précise, etc. Il importe pourtant et au public et aux particuliers, qu’elle ne demeure pas sans réplique.
Et parce que le public n’a pas eu une opinion plus avantageuse de l’écrit de cet auteur, que de ceux qui l’ont précédé, il a paru encore depuis lui quatre ou cinq nouveaux champions dans cette carrière : chacun d’eux ayant bien jugé, que ce qu’on avait voulu abattre par tant de machines demeurait toujours ferme et inébranlable ; et que l’approbation, que l’on continuait de donner à cette Lettre s’augmentait plutôt qu’elle ne diminuait par cette foule d’écrits, tant d’attaques redoublées ne servant qu’à faire paraître plus forte et plus invincible la vérité qu’ils combattent.”
Le mensonge sert au triomphe de la vérité
ARNAULD, Seconde lettre à un duc et pair, p. 8.
- ^ Discours d’un Théologien désintéressé. p. 1.