P 07 : Commentaires
Frises de la Provinciale VII
Frise du recueil R 1035 de Clermont
Frise du recueil R 5452 de Clermont
La frise du recueil 5597 de Clermont, et celle de l’exemplaire mise en ligne par la BNF sont identiques.
De Paris, ce 25 avril 1656.
VII, 1. Après avoir apaisé le bon père, dont j’avais un peu troublé le discours par l’histoire de Jean d’Alba ; il le reprit sur l’assurance que je lui donnai de ne lui en plus faire de semblables, et il me parla des maximes de ses casuistes touchant les gentilshommes, à peu près en ces termes.
Voir la fin de la Provinciale VI, 23-24, qui rapporte l’affaire de Jean d’Alba.
Ce bref rappel de ce qui s’est dit dans la lettre précédente apparente la série des Provinciales à un feuilleton. L’idée de la série est déjà présente dans la numérotation des Provinciales ; mais Pascal en exploite ici les possibilités : le lecteur retrouve ses héros, et se rappelle la situation de l’épisode précédent.
VII, 2. Vous savez, me dit-il, que la passion dominante des personnes de cette condition, est ce point d’honneur, qui les engage à toute heure à des violences qui paraissent bien contraires à la piété Chrétienne, de sorte qu’il faudrait les exclure presque tous de nos confessionnaux, si nos Pères n’eussent un peu relâché de la sévérité de la religion pour s’accommoder à la faiblesse des hommes. Mais comme ils voulaient demeurer attachés à l’Évangile par leur devoir envers Dieu, et aux gens du monde, par leur charité pour le prochain, ils ont eu besoin de toute leur lumière, pour trouver des expédients qui tempérassent les choses avec tant de justesse, qu’on pût maintenir et réparer son honneur par les moyens dont on se sert ordinairement dans le monde, sans blesser néanmoins sa conscience, afin de conserver tout ensemble deux choses aussi opposées en apparence que la piété et l’honneur.
Point d’honneur : “ce en quoi on fait consister l’honneur” (Dictionnaire de l’Académie) ; euphémisme pour désigner les motifs de duel. Voir l’article Honneur de BLUCHE François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, p. 729 sq. Le point d’honneur, qu’on a d’abord désigné par l’expression pointille d’honneur, est la forme la plus subtile du sens de l’honneur : il contraint des hommes généreux, dépourvus de haine, de colère ou de ressentiment l’un à l’égard de l’autre, souvent pour des raisons très minces, à se battre et souvent à s’entretuer en duel. « Une parole de néant dite au jeu, une contenance un peu brusque, un léger et faux rapport, une démarche trop avancée, un coup de bonnet non assez tôt donné » suscitent selon Rivault de Fleurance, des querelles sanglantes.
MESNARD Jean, “Perspectives contemporaines sur la casuistique”, in De la morale à l’économie politique, Op. cit., n°6, Pau, 1996, p. 107-116. Voir p. 113, sur le rapport entre la casuistique et le théâtre cornélien, et sur la valeur de l’honneur, entendu comme réputation auprès d’autrui, que Pascal reproche aux jésuites de chercher à préserver absolument.
ARNAULD Antoine, Lettre de M. Arnauld, Docteur de Sorbonne, à Mr..., sur ce qu’on voulait l’obliger de ne pas voir une personne qui s’était mariée, sans lui demander conseil, in Recueil de plusieurs lettres de Monsieur Arnauld, Docteur de Sorbonne, à Liège, 1698, p.130 sq. Équivoques sur le mot honneur. Ce que c’est que le devoir de défendre son honneur : p. 131. Critique de l’honneur aristocratique, appuyée sur des exemples tirés de Corneille : p. 132. Le prêtre ne doit pas tout sacrifier à l’honneur : p. 131.
CALVET Jean, Bossuet, Œuvres choisies, p. 71 sq., 21 mars 1660, dimanche des Rameaux, Bossuet, Sermon sur l’honneur du monde. “L’honneur du monde, mes Frères, c’est cette grande statue que Nabuchodonosor veut que l’on adore...” “Vain fantôme” : p. 74. Principe : “que tous ceux qui sont dominés par l’honneur du monde sont toujours infailliblement vicieux” : p. 80.
DONETZKOFF Denis, Saint-Cyran épistolier, Thèse, p. 39. Casuistique chez Saint-Cyran dans L’Apologie pour La Rocheposay. Morale alléchante qui donne aux gentilshommes le moyen de paraître vaillants, s’ils sont tant soit peu raisonnables, et de conserver leur honneur sans appeler en duel ceux qui les ont offensés ; et aux gens d’Église de s’accommoder honnêtement de bénéfices sans commettre une exécrable simonie : p. 39. Sans usure ni mauvais trafic : p. 40. Pour les hommes de robe : p. 40.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007,p. 242.
VII, 3. Mais autant que ce dessein était utile ; autant l’exécution en était pénible. Car je crois que vous voyez assez la grandeur et la difficulté de cette entreprise. Elle m’étonne, lui dis-je assez froidement. Elle vous étonne? me dit-il ? Je le crois. Elle en étonnerait bien d’autres. Ignorez-vous que d’une part la loi de l’Évangile ordonne de ne point rendre le mal, pour le mal, et d’en laisser la vengeance à Dieu? Et que de l’autre les lois du monde défendent de souffrir les injures, sans en tirer raison soi-même, et souvent par la mort de ses ennemis? Avez-vous jamais rien vu qui paraisse plus contraire? Et cependant quand je vous dis que nos Pères ont accordé ces choses, vous me dites simplement, que cela vous étonne. Je ne m’expliquais pas assez, mon Père. Je tiendrais la chose impossible, si après ce que j’ai vu de vos Pères, je ne savais qu’ils peuvent faire facilement, ce qui est impossible aux autres hommes. C’est ce qui me fait croire qu’ils en ont bien trouvé quelque moyen, que j’admire sans le connaître, et que je vous prie de me déclarer.
La loi de l’Évangile ordonne de ne point rendre le mal pour le mal, et d’en laisser la vengeance à Dieu : saint PAUL, Ep. Rom. XII, 17-19, « Ne rendez à personne le mal pour le mal. Recherchez ce qui est bien devant tous les hommes. 18 S’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes. 19. Ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés, mais laissez agir la colère ; car il est écrit : A moi la vengeance, à moi la rétribution, dit le Seigneur. » Le passage est très vivant, mais aussi soigneusement composé : si les casuistes et le jésuite qui rapporte leurs décisions savent que la loi de l’Évangile ordonne de ne point rendre le mal pour le mal, et d’en laisser la vengeance à Dieu, les décisions qu’ils prennent contre elle ne peuvent pas être attribuées à un péché d’ignorance. Ils savent très bien ce qu’ils font.
THIROUIN Laurent, « Imprudence et impudence. Le dispositif ironique dans les Provinciales », in Treize études sur Blaise Pascal, p. 178. Analyse de l’ironie du passage.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 241.
VII, 4. Puisque vous le prenez ainsi, me dit-il, je ne puis vous le refuser. Sachez donc que ce principe merveilleux, est notre grande méthode de diriger l’intention, dont l’importance est telle dans notre morale, que j’oserais quasi la comparer à la doctrine de la probabilité. Vous en avez vu quelques traits en passant dans de certaines maximes que je vous ai dites. Car lorsque je vous ai fait entendre, comment les valets peuvent faire en conscience de certains messages fâcheux, n’avez-vous pas pris garde que c’était seulement en détournant leur intention du mal, dont ils sont les entremetteurs, pour la porter au gain qui leur en revient ? Voilà ce que c’est que diriger l’intention. Et vous avez vu de même, que ceux qui donnent de l’argent pour des bénéfices, seraient de véritables simoniaques, sans une pareille diversion.
Diversion : action par laquelle on détourne (Dictionnaire de l’académie). Voir l’idée pascalienne de divertissement.
Intention et direction d’intention
Le problème de la direction d’intention doit être convenablement posé si l’on ne veut pas fausser la discussion.
Qu’est-ce que l’intention ?
WENDROCK, Lettres Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 391 sq. Définition de l’intention : « L’intention en général n’est autre chose que la fin que chacun se propose dans chaque action » : p. 384.
Voir aussi la définition que donne MERSENNE, L’usage de la raison, ch. IV, éd. Buccolini, p. 30 sq. « Quidquid agunt homines, intentio judicat omnes. L’intention est « un acte de la volonté, par lequel elle se porte au bien avec affection de la posséder ; de façon que quand nous avons connu le but où il faut que nos désirs se terminent, et que nous embrassons les moyens propres pour y parvenir, cette volonté et affection est appelée intention, laquelle n’est propre qu’aux créatures raisonnables, les brutes n’en étant capables, puisqu’elles ne connaissent le rapport qu’il y a du milieu avec la fin ». Nicole note que par conséquent une mauvaise intention est une mauvaise fin, comme une bonne intention est une bonne fin.”
Notons pour mettre le problème de côté que la notion d’intention joue un rôle fondamental dans la théorie de l’interprétation, pour désigner ce que vise un auteur, c’est-à-dire ce que Pascal appelle son sens (notamment à propos du sens des prophéties). Il faut se reporter là-dessus à la liasse Loi figurative des Pensées, où le problème est traité à fond. Ce qui suit ne concerne que l’intention considérée comme motif des actions.
L’intention existe nécessairement. La conduite d’un homme répond nécessairement à une fin, qui assure l’unité de conduites qui peuvent être diverses, et parfois contradictoires en apparence. C’est dans ce sens par exemple que Pascal écrit dans la liasse Souverain bien des Pensées, Laf. 148, sel. 182, « Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. » On peut aussi parler d’intention pour un corps collectif. Voir sur ce point la Provinciale V, éd. Cognet, p. 74 : un grand corps ne peut pas persister dans une attitude sans une intention qui le dirige.
L’intention réside au fond du cœur : autrement dit, si les actions extérieures d’une personne sont visibles et peuvent être connues par l’observation de leur conduite, l’intention qui dirige ces actions, c’est-à-dire la fin que vise celui qui les commet, est invisible aux autres. Par conséquent, l’intention invisible commande les actions visibles.
Par suite, à strictement parler, il n’y a que deux personnes qui puissent connaître directement ou immédiatement l’intention invisible qui commande les actions visibles d’un homme : d’une part Dieu qui sonde les âmes de ses créatures sans rien en ignorer ; d’autre part cet homme lui-même, car, comme l’écrit ARNAULD Antoine, De la signature, p. 25, celui qui commet un acte est le mieux placé pour savoir dans quelle intention il le commet. Si l’on s’en tient à l’ordre de la nature, c’est-à-dire si l’on met à part la science que Dieu possède des âmes, nul n’est mieux placé qu’un homme pour savoir ce qu’il a dans le cœur. Nota bene : il ne faut pas dire nul ne sait mieux qu’un homme ce qu’il a dans le cœur, car comme on va le voir plus bas, le fait d’être bien placé pour faire quelque chose ne signifie pas qu’on fait ou qu’on peut faire cette chose.
En tout état de cause, ce qu’une autre personne peut connaître directement d’un homme, est borné à ses actions extérieures qui sont visibles. En revanche elle n’a pas accès direct à ce que cet homme a dans le cœur, c’est-à-dire à son intention invisible : cette connaissance, si elle est possible, ne peut être qu’indirecte et médiate, c’est-à-dire qu’elle peut reposer seulement soit sur un aveu ou une confession sincère faits par l’intéressé, soit sur des raisonnements, des preuves ou des signes. La déclaration sincère est donc la seule voie pour les hommes de dire ce qu’ils croient : ARNAULD Antoine, Seconde lettre à un duc et pair, p. 115.
Par conséquent, tant que l’on est dans l’ignorance du motif qui a poussé une personne à commettre un acte, on est obligé de croire ce qu’elle nous dit de son intention parce qu’elle est la mieux placée pour la connaître.
C’est pourquoi en droit, lorsqu’une personne fait une profession de foi ou une déclaration d’intention, on est a priori obligé de la croire, et il faut des raisons impératives dans le sens contraire pour ne pas l’accepter. Voir ARNAULD Antoine, De la signature, p. 25, § 2 : comme on ne peut savoir mieux que les autres ce qu’ils ont dans le cœur, on est obligé de croire ce que les autres nous disent de leur intention.
Imputer à autrui une intention qu’il récuse, sans preuve rigoureuse, définit un procès d’intention. Il n’est jamais légitime. Voir ARNAULD Antoine, Seconde lettre à un duc et pair, p. 116-117 : c’est le propre des mauvais interprètes des bonnes intentions de déclarer suspecte une profession de foi (cas de saint Basile) : p. 116-117 ; on refuse de se contenter d’une profession de foi parce que le dessein est de chasser celui qui la fait. Les effets d’un tel refus sont évidemment ravageurs : si l’on récuse sans raison une profession de foi sincère, on aboutit à mettre en cause la foi de tous les catholiques : p. 117-118. Il n’est donc pas permis, comme le font les jésuites, de condamner des expressions et des paroles orthodoxes, sous le seul prétexte de certains sens cachés que l’on imagine dans l’esprit de ceux qui les ont écrites : voir ARNAULD Antoine, Défense des professeurs en théologie de la faculté de Bordeaux, ch. II, p. 7. Les conséquences débordent évidemment le domaine religieux, et trouvent un retentissement dans la société civile : le principe des procès politiques tels qu’ils se déroulent dans les pays communistes consiste à récuser les motifs subjectifs allégués par les personnes mises en accusation, et à leur attribuer des motifs objectifs, qui permettent de les condamner sans avoir rien de commun avec leurs intentions réelles ; c’est ainsi qu’on peut établir qu’une personne est un traître objectif, alors qu’il n’a jamais voulu trahir.
Un principe juridique et la charité supposent que quisquis praesumitur bonus ; nous sommes obligés de juger des autres en bien des autres dans les choses où nous ne voyons rien du tout ; et dans le doute, il faut choisir l’hypothèse la plus favorable. Voir par exemple PERELMAN Ch., Logique juridique, p. 90 : chacun est présumé bon ou innocent. Dans le doute, il faut choisir l’hypothèse la plus favorable : ARNAULD Antoine, Seconde lettre, p. 79 ; particulièrement, nous sommes obligés de juger en bien de nos supérieurs dans les choses où nous ne voyons rien du tout : voir ARNAULD Antoine, De la signature, p. 26, § 5. Pascal invoquera ce principe en sa faveur dans la Provinciale XI, 25, éd. Cognet, p. 206 : “On doit toujours, dit saint Augustin, conserver la charité dans le cœur, lors même qu’on est obligé de faire au-dehors des choses qui paraissent rudes aux hommes, et de les frapper avec une âpreté dure, mais bienfaisante, leur utilité devant être préférée à leur satisfaction. Je crois, mes pères, qu’il n’y a rien dans mes lettres qui témoigne que je n’aie pas eu ce désir pour vous ; et ainsi la charité vous oblige à croire que je l’ai eu en effet, lorsque vous n’y voyez rien de contraire. Il paraît donc par là que vous ne pouvez montrer que j’aie péché contre cette règle, ni contre aucune de celles que la charité oblige de suivre ; et c’est pourquoi vous n’avez aucun droit de dire que je l’aie blessée en ce que j’ai fait.” Il n’est donc pas permis de condamner autrui sur de simples soupçons, ni comme le font les jésuites, de condamner des expressions et des paroles orthodoxes, sous le seul prétexte de certains sens cachés que l’on suppose dans l’esprit de ceux qui les ont écrites : c’est ce que soutiendra Arnauld, par exemple dans sa Seconde lettre, p. 74, et plus tard dans sa Défense des professeurs en théologie de la faculté de Bordeaux, ch. II, p. 7.
Est-il possible de connaître l’intention cachée qui commande des actions visibles sans se rendre coupable d’un procès d’intention ? C’est possible sous certaines conditions. Voir sur ce point ARNAULD Antoine, Seconde lettre, p. 74, qui tente de formuler des règles pour les soupçons : p. 79. Mais le problème est traité de manière beaucoup plus rigoureuse dans la XVe Provinciale à propos de la calomnie. Pascal y pose la question sous la forme suivante, § 3 : « Je ne ferai pas voir seulement que vos écrits sont remplis de calomnies, je veux passer plus avant. On peut bien dire des choses fausses en les croyant véritables, mais la qualité de menteur enferme l’intention de mentir. Je ferai donc voir, mes Pères, que votre intention est de mentir et de calomnier ; et que c’est avec connaissance et avec dessein que vous imposez à vos ennemis des crimes dont vous savez qu’ils sont innocents, parce que vous croyez le pouvoir faire sans déchoir de l’état de grâce. » La méthode consiste en l’occurrence à traiter la question en considérant les actions comme des effets ou des phénomènes (visibles), et l’intention comme la raison de ces effets, et à faire une hypothèse sur cette raison qui rende compte de tous les effets. Voir dans les Pensées le fragment Laf. 956, Sel. 791, où Pascal emploie ces termes à propos de la censure d’Arnauld : « Examiner le motif de la censure par les phénomènes ; faire une hypothèse qui convienne à tous. » Autrement dit, il faut appliquer à l’analyse des intentions une forme de la méthode du physicien. On se reportera donc à la XVe Provinciale pour voir comment Pascal s’y prend dans le cas particulier de la calomnie.
Toutefois que, s’il est vrai chacun est le mieux placé pour connaître ses propres intentions, il n’en découle pas nécessairement qu’il les connaisse en effet adéquatement. C’est au contraire un fait sur lequel les moralistes du XVIIe siècle ont constamment insisté, que l’homme sait fort bien se tromper sur lui-même. Sur le problème de la connaissance de soi, voir BÉNICHOU Paul, Morales du grand siècle, p. 168. Les mouvements réels de l’âme sont souvent très différents du sentiment qu’on en a. Les moralistes insistent sur la part que l’inconscient tient dans la vie psychique et morale, et la manière dont chacun sait se mentir à lui-même. Comme l’écrit La Rochefoucauld, l’amour propre est le plus grand des flatteurs, et l’homme sait admirablement se faire illusion sur ses propres intentions, et se persuader qu’elles sont bonnes et désintéressées, alors qu’elles sont mauvaises et égoïstes. Pascal fait la théorie de cette manière de se tromper soi-même sur soi-même dans le fragment Laf. 978, Sel. 743 : « La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il ? Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misère ; il veut être grand, il se voit petit ; il veut être heureux, et il se voit misérable ; il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de s’imaginer ; car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts. Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même il la détruit, autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie. » A priori même, une mauvaise raison est souvent plus probable qu’une bonne, dans la mesure où là plupart du temps, c’est la concupiscence qui est au fond de notre nature après le péché, qui l’engendre. Par conséquent, une certaine méfiance à l’égard de soi-même est nécessaire, afin de ne pas être dupe de ses propres intentions.
Le P. Mersenne, dans son opuscule De l’usage de la raison, II, VIII, éd. Buccolini, Fayard, p. 107-108, tente d’expliquer comment on peut savoir si c’est Dieu qui nous pousse à quelque action, ou si cela vient de notre propre cru, et de notre nature ou de l’esprit malin. Il pose comme règle générale qu’il faut chercher à voir si le mouvement ne répugne point aux commandements de Dieu, ou aux conseils évangéliques, et s’il y est conforme. La pierre de touche consiste à examiner s’il y a apparence que cela réussisse à la gloire et à l’honneur de Dieu, si cela butte à notre sanctification, à déraciner quelque passion, et mortifier nos appétits sensuels déréglés. Mersenne recommande de recourir à un ami ou au directeur spirituel en cas de doute.
Pascal a consacré un texte remarquable, sur la manière dont on peut tenter de percer ses propres intentions, dans une lettre qu’il adresse aux Périer au printemps 1657 ; voir OC III, éd. J. Mesnard, p. 1202 sq., et GEF IX, p. 151, notice. « Vous me faites plaisir de me mander tout le détail de vos frondes, et principalement puisque vous y êtes intéressés. Car je m’imagine que vous n’imitez pas nos frondeurs de ce pays-ci, qui usent si mal, au moins à ce qui m’en paraît, de l’avantage que Dieu leur offre de souffrir quelque chose pour l’établissement de ses vérités. Car, quand ce serait pour l’établissement de leurs vérités, ils n’agiraient pas autrement ; et il semble qu’ils ignorent que la même Providence, qui a inspiré les lumières aux uns, les refuse aux autres ; et il semble qu’en travaillant à les persuader, ils servent un autre Dieu que celui qui permet que des obstacles s’opposent à leur progrès. Ils croient rendre service à Dieu en murmurant contre les empêchements, comme si c’était une autre puissance qui excitât leur piété, et une autre qui donnât vigueur à ceux qui s’y opposent.
C’est ce que fait l’esprit propre. Quand nous voulons par notre propre mouvement que quelque chose réussisse, nous nous irritons contre les obstacles, parce que nous sentons dans ces empêchements ce que le motif qui nous fait agir n’y a pas mis, et nous y trouvons des choses que l’esprit propre qui nous fait agir n’y a pas formées.
Mais, quand Dieu fait agir véritablement, nous ne sentons jamais rien au-dehors qui ne vienne du même principe qui nous fait agir ; il n’y a point d’opposition au motif qui nous presse ; le même moteur qui nous porte à agir en porte d’autres à nous résister, au moins il le permet ; de sort que, comme nous n’y trouvons point de différence et que ce n’est pas notre esprit qui produit le bien et qui permet le mal, cette uniformité ne trouble point la paix d’une âme et est une des meilleures marques qu’on agit par l’esprit de Dieu, puisqu’il est bien plus certain que Dieu permet le mal, quelque grand qu’il soit, que non pas que Dieu fait le bien en nous (et non pas quelque autre motif secret), quelque grand qu’il nous paraisse ; de sorte que, pour bien reconnaître si c’est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s’examiner par nos comportements au-dehors que par nos motifs au-dedans, puisque, si nous n’examinons que le dedans, quoique nous n’y trouvions que du bien, nous ne pouvons pas nous assurer que ce bien vienne véritablement de Dieu. Mais, quand nous nous examinons au-dehors, c’est-à-dire quand nous considérons si nous souffrons les empêchements extérieurs avec patience, cela signifie qu’il y a une uniformité d’esprit entre le moteur qui inspire nos passions et celui qui permet les résistances à nos passions ; et comme il est sans doute que c’est Dieu qui permet les unes, on a droit d’espérer humblement que c’est Dieu qui produit les autres.
Mais quoi ! On agit comme si on avait mission pour faire triompher la vérité, au lieu que nous n’avons mission que pour combattre pour elle. Le désir de vaincre est si naturel que, quand il se couvre du désir de faire triompher la vérité, on prend souvent l’un pour l’autre et on croit chercher la gloire de Dieu en cherchant en effet la sienne. Il me semble que la manière dont nous supportons les empêchements en est la plus sûre marque ; car enfin si nous ne voulons que l’ordre de Dieu, il est sans doute que nous souhaiterons autant le triomphe de sa justice que celui de sa miséricorde, et que, quand il n’y aura point de notre négligence, nous serons dans une égalité d’esprit, soit que la vérité soit connue, soit qu’elle soit combattue, puisqu’en l’un la miséricorde de Dieu triomphe et en l’autre sa justice. »
Paradoxalement, ce n’est pas par l’introspection que l’on peut connaître les motifs profonds qui nous font agir, mais par l’observation de ce qui nous entoure.
On peut résumer les règles qui s’appliquent à l’analyse des intentions comme suit :
1. dans la connaissance de soi-même, il faut appliquer un principe de défiance a priori, et recourir aux signes extérieurs, plutôt qu’à l’introspection, toujours trompeuse ;
2. dans la connaissance d’autrui, il faut appliquer un principe de charité, et recourir à la comparaison des actes et raisonnement par raison des effets.
C’est un principe moral sur lequel l’accord est presque général, que la fin détermine la valeur de l’action. L’action bonne est déterminée par une fin bonne ; l’action mauvaise est déterminée par une fin mauvaise. Voir WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 384. L’intention est réglée par la foi : sainte, mais sans elle il n’y a rien de saint. Condition nécessaire, mais non suffisante : p. 385. Voir II, p. 26. Coupé d’une bonne fin, le moyen cesse d’être bon. Voir NOUËT, Impostures, XXIV, in Réponses, p. 210 sq.
L’intention bonne détermine en principe une action bonne. Mais ce n’est pas toujours le cas, dans la mesure où l’homme, qui peut se tromper sur lui-même, peut prendre pour une intention bonne une intention qui en réalité ne l’est pas.
L’intention mauvaise détermine à coup sûr une action mauvaise. C’est toujours vrai lorsque l’action est intrinsèquement mauvaise. Il n’arrive qu’exceptionnellement qu’une bonne fin rende justes certaines actions qui sans cela seraient condamnables, par exemple lorsque ce qu’il y a de mauvais peut être rectifié par certaines circonstances, comme “quelque grande utilité pour l’Église”.
MESNARD Jean, “Pascal et le problème moral”, L’Information Littéraire, janv.-fév. 1966, 1, p.1-7 ; repris in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., p. 361 sq. Dans la morale, ce n’est pas tant l’acte qu’il faut considérer que l’intention dont il procède. Les actions humaines peuvent être investies d’une valeur réelle à condition d’être assumées chrétiennement.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 227 sq. Il y a une divergence entre la conception port-royaliste de l’intention et celle du P. Bauny. Pour Port-Royal, on ne peut considérer comme bon un acte qui n’a pas Dieu pour fin ; en revanche, pour le P. Bauny, c’est la volonté expresse de faire le mal qui rend l’acte mauvais : p. 418-419. A ses yeux, l’intention, la fin, est une des circonstances de la commission péché : p. 420. Selon les circonstances, on peut considérer des péchés mortels comme des fautes vénielles : l’avarice par exemple n’est un péché mortel que si elle porte tort à quelqu’un.
Le prétexte d’une bonne action ne peut justifier une mauvaise intention : une mauvaise action ne sauve pas une mauvaise fin, elle corrompt au contraire une bonne fin : WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 385. Ce n’est pas parce qu’on a fait une bonne action que la fin qu’on se proposait est nécessairement bonne.
Il arrive en revanche qu’une bonne fin rende justes certaines actions qui sans cela seraient condamnables : p. 386. Mais cela n’est vrai que sous certaines conditions : c’est faux lorsque l’action est intrinsèquement mauvaise : et lorsque ce qu’il y a de mauvais peut être rectifié par certaines circonstances, comme “quelque grande utilité pour l’Église” : p. 387. Principe général : p. 388. La bonne intention n’excuse que lorsque deux préceptes auxquels on ne peut obéir en même temps concourent néanmoins ensemble : on est alors contraint de préférer l’essentiel.
Une bonne action est disqualifiée par une mauvaise fin : une fin ne peut être bonne lorsqu’elle implique une mauvaise action : WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 384. Une mauvaise action est la marque assurée que la fin qui paraît bonne ne l’est pas en effet ; car Dieu ne peut inspirer à personne le désir de faire le mal. Exemple des vertus des philosophes. Voir NOUËT, Impostures, XXIV, in Réponses, p. 21.
Voir NOUËT Jacques, Impostures, XXIV, in Réponses aux lettres Provinciales, 1658, p. 208-216. « C’est une maxime universellement reçue dans la morale que l’intention rend une action bonne, et que la fin dirige l’intention. Saint Augustin l’a prononcé dans ses Commentaires sur les Psaumes [Bonum opus intentio facit : intentionem finis dirigit. S. August. In Psal.] et tous les théologiens l’ont approuvée. De là vient que dans leurs décisions morales, lorsqu’il est question de voir si une action est bonne ou mauvaise, iles enseignent que l’intention est une circonstance considérable, qui est capable de corrompre les meilleures œuvres les meilleurs œuvres, quand elle se porte à un objet qui n’est pas permis : et de justifier celles, qui n’étant pas essentiellement mauvaises, peuvent être permises en quelques rencontres quand on les fait pour de justes causes.
Les jansénistes qui ne savent ce que c’est que d’avoir de bonnes et sincères intentions, se moquent de cette règle si certaine, et sans se soucier du jugement des sages, ils tâchent de la déguiser par toutes sortes d’artifices, afin de tromper les ignorants. » L’auteur s’en prend ensuite à quelques décisions qu’il impute aux jansénistes.
On peut dès lors aborder le problème de la direction d’intention sur le fond.
Les réponses à ce passage prennent deux formes principales.
La première objection est celle de DUCHÊNE Roger, L’imposture littéraire..., 2e éd., 148 sq., qui, comme c’est souvent le cas, prend la défense des casuistes. Selon lui, Pascal a le tort de penser que la volonté des casuistes jésuites est de d’excuser tous les péchés, et d’engendrer un système cohérent pour y parvenir en toutes circonstances. Il lui reproche de pervertir la notion de direction d’intention en supposant que le système traite les actions à venir, alors qu’il s’agit de savoir comment l’intention était dirigée dans un acte déjà passé : p. 151 sq. Selon Duchêne, il n’y a pas chez les casuistes de méthode de la direction d’intention analogue à celle qu’expose le jésuite de Pascal : il ne s’agit pas d’aider le pénitent à tricher avec lui-même, ni de donner des recettes pour effacer les fautes qu’il va commettre, mais de replacer a posteriori l’action déjà faite dans un ensemble psychologique et moral. La direction d’intention apparaît alors comme un moyen tout naturel de mieux comprendre le mobile des actions passées. Le tort de Pascal serait, dans cette seconde perspective, de présenter comme un moyen d’excuser des fautes ce qui n’est qu’un moyen de les recontextualiser. Pascal aurait donc le tort de confondre explication a posteriori des actions passées avec la justification des actions à venir.
Cette thèse est difficilement recevable.
Dans un premier temps, il semble que l’interprétation de R. Duchêne s’impose. Autrement dit, la direction d’intention, telle que la pratiquent les casuistes, semblerait consister à chercher après le fait, c’est-à-dire au moment de la confession, l’intention bonne qui justifie une action mauvaise qu’on a commise. Autrement dit, la direction d’intention, telle que la pratiquent les casuistes, consisterait non à trouver une bonne intention pour ce que l’on va faire, mais de chercher après le fait une intention bonne qui permette de justifier une action mauvaise qu’on a commise. C’est le cas par exemple en VII, 6, lorsque Escobar dit qu’on n’a pas le droit de souhaiter la mort d’un ennemi par un mouvement de haine, mais que ce vœu est excusable s’il vient de la crainte de souffrir un dommage.
Cependant l’objection selon laquelle la direction d’intention vise, comme le dit Duchêne, à rétablir les circonstances réelles de l’action est rendue ridicule par des exemples comme ceux de VII, 8, où Pascal montre comment cette reconstitution aboutit en réalité à dissoudre dans des circonstances que la segmentation rend insignifiantes une action qui est par elle-même évidemment criminelle : “Si un gentilhomme qui est appelé en duel est connu pour n’être pas dévot, et que les péchés qu’on lui voit commettre à toute heure sans scrupule fassent aisément juger que, s’il refuse le duel, ce n’est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité ; et qu’ainsi on dise de lui que c’est une poule et non pas un homme, gallina et non vir, il peut, pour conserver son honneur, se trouver au lieu assigné, non pas véritablement avec l’intention expresse de se battre en duel, mais seulement avec celle de se défendre, si celui qui l’a appelé l’y vient attaquer injustement. Et son action sera tout indifférente d’elle-même. Car quel mal y a-t-il d’aller dans un champ, de s’y promener en attendant un homme, et de se défendre si on l’y vient attaquer ? Et ainsi il ne pèche en aucune manière, puisque ce n’est point du tout accepter un duel, ayant l’intention dirigée à d’autres circonstances. Car l’acceptation du duel consiste en l’intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n’a pas.”
L’idée de Pascal est que la direction d’intention est un moyen de trouver toujours, l’amour propre aidant, à dénicher une telle intention disculpante qui justifie a posteriori une mauvaise action passée, ce que la complaisance à soi-même permet toujours de mettre à profit pour se forger une bonne conscience.
>Mais la critique de Pascal à l’égard de la direction d’intention ne s’arrête pas là, elle s’étend à la recherche de motifs innocents pour les actions à venir : de ce point de vue, R. Duchêne et O. Jouslin sont d’accord pour en restreindre la portée, mais c’est à tort.
Mais la critique soutenue par Pascal ne s’arrête pas là, et elle s’étend à la recherche de motifs innocents pour les actions à venir : de ce point de vue, R. Duchêne et O. Jouslin sont d’accord pour en restreindre, mais c’est à tort. Le début de VII, 4, est net sur ce point : il s’agit bien, dans l’esprit de Pascal, d’une recette grâce à laquelle les individus peuvent se tranquilliser la conscience à l’égard des actions à venir dont le caractère criminel est évident : “Voilà par où nos Pères ont trouvé moyen de permettre les violences qu’on pratique en défendant son honneur ; car il n’y a qu’à détourner son intention du désir de vengeance, qui est criminel, pour la porter au désir de défendre son honneur, qui est permis selon nos Pères. Et c’est ainsi qu’ils accomplissent tous leurs devoirs envers Dieu et envers les hommes.” Il s’agit, d’une certaine manière, d’une technique pour se tromper soi-même, ce à quoi l’amour propre coopère toujours facilement. L’objection revient donc à jouer sur l’ambiguïté de la formulation On peut tuer celui qui a donné un soufflet, quoiqu’il s’enfuie, pourvu qu’on évite de le faire par haine ou par vengeance, et que par là on ne donne pas lieu à des meurtres excessifs et nuisibles à l’État, où on peut s’entend en principe au sens de il n’y a pas péché grave, mais se traduit immédiatement par il est permis de faire dans la pratique...
Les textes des casuistes sont du reste décisifs sur ce point. Voir GEF V, p. 120, le passage de BAUNY Étienne, Somme des péchés, ch. XIV, 2e éd., 1633 : « l’on n’obligerait donc pas peu le monde, si le garantissant de ces mauvais effets, et tout ensemble du péché qui en est cause, l’on lui donnait le moyen de tirer autant et plus de profit de son argent par quelque bon et légitime emploi, que l’on ne fait des usures. Or c’est cela même avec quoi nous mettrons fin à ce chapitre ». Suivent un certain nombre de conséquences, qui répondent non pas à une action passée, mais à une conduite à tenir dans l’avenir. Pascal reproduit ces conditions dans la Provinciale VIII. De même, lorsque le P. Bauny écrit « celui qui a donc besoin d’argent, venant à expliquer le désir qu’il a d’en recouvrer, en telle ou telle quantité, le créancier futur lui pourra répondre, je n’ai point d’argent à prêter, si bien à mettre à profit honnête et licite... », etc., on peut difficilement ne pas prendre ce passage pour autre chose qu’une méthode applicable dans les actions à venir.
Par conséquent on ne saurait réduire la direction d’intention telle qu’elle se présente chez les casuistes comme une simple méthode de recontextualisation des actions passées ; c’est effectivement une manière de jouer sur la notion d’intention pour excuser des actions qui seraient par elles-mêmes répréhensibles.
Voir le premier Écrit des curés de Paris, § 6. « On voit, en ce peu de mots, l’esprit de ces casuistes, et comment, en détruisant les règles de la piété, ils font succéder au précepte de l’Écriture, qui nous oblige de rapporter toutes nos actions à Dieu, une permission brutale de les rapporter toutes à nous-mêmes : c’est-à-dire, qu’au lieu que Jésus-Christ est venu pour amortir en nous les concupiscences du vieil homme, et y faire régner la charité de l’homme nouveau, ceux-ci sont venus pour faire revivre les concupiscences et éteindre l’amour de Dieu, dont ils dispensent les hommes, et déclarent que c’est assez pourvu qu’on ne le haïsse pas. » La direction d’intention est pour Pascal un instrument commode à cet effet.
C’est du reste dans ce sens qu’a été comprise la VIIe Provinciale, comme en témoigne le célèbre passage du Tartuffe de Molière, OC I, éd. Couton, Pléiade, p. 856, où Tartuffe propose à Elmire de lui trouver des excuses de conscience pour un acte dont on n’a pas de difficulté à comprendre quel il est :
TARTUFFE
“Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.
Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ;
(C’est un scélérat qui parle.)
Mais on trouve avec lui des accommodements ;
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ;
Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.”
Sur la portée de Tartuffe contre la casuistique, voir p. 857-858. La définition de la direction d’intention dans Tartuffe est directement liée à l’idée de laxisme. Voir aussi McKENNA Antony, Molière, dramaturge libertin, Paris, Champion, 2005, p. 40 sq.
A la rigueur, un défenseur des casuistes pourrait arguer que ce n’est pas la faute des casuistes si, d’une direction d’intention qui est seulement destinée à évaluer le degré d’innocence et de culpabilité des actions, les pénitents font le mauvais usage qui consiste à se chercher des excuses pour des actions criminelles. C’est en soi un bel exemple de direction d’intention disculpante, qui consiste à faire porter à d’autres la responsabilité qu’on ne veut pas endosser soi-même. La réponse pourrait être convaincante si les casuistes avaient exclusivement écrit en latin, et jamais dans le français que le public pouvait lire par lui-même ; on sait que ce n’est pas le cas, par exemple, de la Somme des péchés du P. Bauny.
Une autre réponse consiste à réduire la direction d’intention à cette idée que tout ce que les casuistes disent, c’est que, pour qu’une action soit bonne, il faut qu’elle ait une bonne intention, et que par conséquent, il faut toujours avoir une intention honnête lorsque l’on doit agir. Cela reprend certains thèmes des jésuites du XVIIe siècle. Voir ce qu’écrit FABRI Honoré, Notae in notas W. Wendrockii, J. Busdeum, Cologne, 1659, In septimam Epistolam nota unica. De directione intentionis, p. 124 sq. « Vis primo intentionem generatim nihil esse aliud, quam finem, cuique in singulis propositum. O grandem et profondum theologum ! quasi vero intentio finis ipse sit, non vero actus, seu motus voluntatis qui /p. 125/ fertur immediate in finem ; ut electio propter finem, in media. Subdis, actionem humanam ex duobus constare, scilicet ex opere vel officio, ut vocas, et intentione. Si bonum opus sit, sed prava intentio ; vel malum opus, sed bona intentio ; vel utrumque malum ; actio bona et honesta non esse potest, nisi forte cum bona intentione et officio malo inculpata ignorantia conjuncta sit : at cum aliquid per se indifferens est, ut mala intentione adulteratur, ita bono prorsus honestatur. Aliquis vim vi repellit : si propter odium et vindictam, mala intentio factum deturpat ; si propter justitiam, id est, ut jus suum indemne servet, bona intentio defensionis actum honestat. Ornatum colit foemina, ut marito placeat, ut parentibus pareat, ut sponso pulchrior appareat : quis neget, recta intentione ornatum illum eximi culpae ? Quis unquam Jesuita de hoc argumento aliter sensit? quis unquam dixit, turpe factum v. g. furtum, fornicationem, homicidiuml injustum, bona intentione, peccati maculâ immune reddi? nisi forte ingorantia invincibilis intercesserit. Sic qui rem alienam surripit, quam suam esse per inculpatum errorem credit, furto ollo materiali, ut vocant, non peccat”. Contre les exemples de Wendrock. Voir p. 125 : “recta autem /p. 126/ illa est intentio, qua finis honestus proponitur, vel qua voluntas in finem honestum fertur ; honestus vero finis est bonum ; ultimus quidem summum bonum ; alii vero fines alia bona, quae naturae rationali sunt conformia.” Voir aussi DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 334 sq. « Toute la doctrine de la direction d’intention consiste à enseigner que dans les choses qui d’elles-mêmes sont indifférentes, l’intention, selon qu’elle est bonne ou mauvaise, rend une action bonne ou mauvaise ; qu’une bonne action cesse d’être telle, faute d’une bonne intention ; et que généralement parlant l’intention est quelque chose de si important dans la morale, qu’en mille rencontres elle fait seule la différence essentielle qui se trouve entre nos actions. » Les jésuites abusent-ils de cette doctrine en l’appliquant mal à propos ? « Pourquoi ne sera-t-il pas permis aux théologiens jésuites... d’enseigner qu’en ces matières, pour ne point pécher, il faut avoir soin d’agir avec une bonne intention ? » Les jésuites enseignent que la bonne intention est si nécessaire que sans cela on commet de grands péchés.
Pascal aurait donc le tort de laisser entendre que les jésuites se servent de cette direction d’intention pour excuser d’horribles péchés.
La réponse de Pascal dans les Provinciales, c’est que les casuistes, qui comme religieux, devraient s’opposer dans la mesure de leurs moyens aux actes mauvais, et tourner les pénitents vers des actions qui auraient Dieu pour fin, ont une disposition d’esprit contraire, qui consiste, pour un péché donné, à chercher à le rendre innocent en l’excusant par des motifs qui n’ont rien de chrétien. Autrement dit, les casuistes savent que l’intention est un élément essentiel de la valeur de l’action morale, et ils s’en servent pour réduire l’observation de la loi à ce que, dans le langage de l’époque, on appelle une application judaïque, c’est-à-dire purement formaliste. Voir là-dessus LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, II, p. 17 sq. C’est un point que développera par la suite Mathieu PETITDIDIER, Apologie des Lettres Provinciales, II, p. 212 sq. : le P. Daniel dit que l’intention rend l’action bonne ou mauvaise, mais ce n’est pas ce qui est en cause. Pascal “reproche à vos casuistes ... d’excuser des actions mauvaises, non par de bonnes intentions (ce qui néanmoins ne pourrait les excuser), mais par des intentions et par des vues purement humaines et qui ne peuvent être appelées bonnes que dans le langage de la cupidité”. Pascal insiste sur le fait que la direction d’intention oriente l’intention vers des fins temporelles : voir éd. Cognet, p. 110. Pour la commodité temporelle : voir GEF V, p. 16. Peur de la pauvreté : GEF V, p. 18. Pour le point d’honneur : éd. Cognet, p. 114. Éviter le dommage : p. 118. Défendre son bien : p. 120 et 127 sq.
La direction d’intention est donc une méthode pour s’excuser en substituant une intention soi-disant bonne à une intention méchante. Voir sur ce point CARIOU Pierre, Pascal et la casuistique, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 111 sq. Substitution d’une intention à une autre : p. 112.
Le P. Nouët reproche à Pascal, sur ce point comme sur plusieurs autres, de reproduire certaines attaques des protestants : il renvoie à Du Moulin comme source de Pascal : voir NOUËT, Impostures XXIV, in Réponses, éd. de 1658, p. 208 sq.
Même idée chez RAPIN René, Mémoires, II, éd. Aubineau, p. 376 sq. Les critiques de Pascal contre la direction d’intention renouvellent celle du ministre Du Moulin : p. 376-377.
MIEL Jan, Pascal and theology, The John Hopkins Press, Baltimore and London, 1969, p. 140 sq.
PONTAS Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 1105 sq. Intention.
LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, II, p. 17 sq. Idée que les jésuites réduisent l’observation de la loi à une application judaïque ; ils savent que l’intention est un élément essentiel de la valeur de l’action morale : p. 18. D’où la direction d’intention qui, parmi plusieurs résultats, permet de choisir le meilleur but.
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 67 sq. Poser que la fin justifie les moyens entraîne que les moyens une fois justifiés peuvent à leur tour servir de fins justificatrices. Le crédit de la société devient une fin en soi.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, p. 225 sq. Il y a une divergence entre la conception port-royaliste de l’intention et celle du P. Bauny. Pour Port-Royal, on ne peut considérer comme bon un acte qui n’a pas Dieu pour fin ; en revanche, pour le P. Bauny, c’est la volonté expresse de faire le mal qui rend l’acte mauvais. A ses yeux, l’intention, la fin, est une des circonstances dans laquelle on commet le péché. Selon les circonstances, on peut considérer des péchés mortels comme des fautes vénielles : l’avarice par exemple n’est un péché mortel que si elle porte tort à quelqu’un.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, 301 sq. Explication de la direction d’intention.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 185. La direction d’intention est une pure invention de Pascal, qu’il met dans la bouche de son casuiste. Le déplacement du jugement a posteriori de l’acte à celui du jugement a priori ne renvoie à rien dans la casuistique classique : p. 186. En fait, J.-P. Gay cite Duchêne, L’imposture littéraire dans les Provinciales de Pascal, 1985, p. 149-159.
Bénéfice
Bénéfice : voir VI, 14 et le commentaire correspondant.
VII, 4. Mais je veux maintenant vous faire voir cette grande méthode dans tout son lustre, sur le sujet de l’homicide, qu’elle justifie en mille rencontres, afin que vous jugiez par un tel effet, tout ce qu’elle est capable de produire.
Homicide
Sur l’homicide, voir Provinciale XIV.
BOULENGER A., La doctrine catholique, II, La morale, ch. 7, § 208 sq., p. 84 sq. Homicide est le terme générique. L’homicide est un acte par lequel un homme donne la mort à un autre homme : p. 87. Il s’appelle suicide si l’on se donne la mort soi-même ; parricide lorsque l’enfant tue l’un de ses parents ; fratricide lorsqu’on tue son frère, infanticide, régicide ou déicide. Être homicide de fait, c’est tuer réellement et volontairement quelqu’un. Les cas où l’homicide est permis : § 212, p. 88 sq. La légitime défense qui consiste dans le droit que tout homme possède de se protéger contre une injuste agression, de repousser la force par la force. La vindicte publique ou le droit de la société à la peine de mort : p. 89. Dernier cas : la guerre juste, p. 90 sq.
Sans tomber dans la casuistique, on peut retenir les distinctions suivantes :
Tuer : Faire mourir de mort violente (Furetière). Ôter la vie d’une manière violente. On ne se sert point du verbe tuer en parlant des morts violentes par exécution de justice, ni en parlant de ceux qui ont été noyés, étouffés ou empoisonnés Il se dit de toutes les morts violentes qui arrivent par accident, et de toutes les morts naturelles causées par des mamadies : une tuile lui tomba sur la tête et le tua ; l’apoplexie l’a tué (Dictionnaire de l’Académie). Tuerie : massacre de plusieurs personnes (Furetière). Carnage, massacre (Dictionnaire de l’Académie). Tueur : celui qui tue. Il n’est guère d’usage qu’en cette phrase de style familier, c’est un tueur de gens, qui se dit par plaisanterie d’un homme qui fait le brave (Dictionnaire de l’Académie). Furetière prend le mot en un sens voisin : bretteur, assassin ; il faut se donner de garde de ce fanfaron, c’est un tueur de gens ; on le dit aussi des garçons bouchers qui tuent les bestiaux.
Le Dictionnaire de l’Académie signale comme vieux le verbe homicider, et le participe homicidé.
Meurtre : homicide, le crime d’une personne qui en tue une ou plusieurs autres injustement et avec violence (Dictionnaire de l’Académie). Crime et action de celui qui donne la mort à quelqu’un, qui le tue avec violence, effusion de sang et injustice. Meurtre se dit aussi d’une grande tuerie (Furetière).
Assassinat : Meurtre en trahison et de guet-apens Il se dit par extension et surtout en termes de Palais, d’un outrage fait de dessein formé, d’une trahison noire (Dictionnaire de l’Académie). Meurtre qui se fait violemment avec avantage, ou en trahison. Se dit aussi au Palais des mauvais traitements et insultes qui ont été faites à quelqu’un à main armée, et avec avantage, quoique la mort ne s’en soit pas ensuivie. Un homme qui a reçu des coups de bâton demande vengeance de l’assassinat commis en sa personne (Furetière). Assassin : homme qui tue un autre avec avantage, soit par le nombre de gens qui l’accompagnent, soit par l’inégalité des armes, soit par. La situation du lieu, ou en trahison. On appelle aussi assassins les gens qui se louent pour aller tuer quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, et pour venger la querelle d’autrui (Furetière).
Massacre : tuerie, carnage. Il se dit plus ordinairement des hommes qu’on tue sans qu’ils se défendent. Se dit aussi d’une grande tuerie de bêtes. Massacrer : tuer, assommer des hommes qui ne se défendent point (Dictionnaire de l’Académie).
Génocide : le mot manque dans le Dictionnaire de l’Académie comme dans Furetière.
Extermination : destruction entière. Exterminer : détruire, faire périr entièrement. Ne s’applique pas seulement aux hommes : on peut exterminer les hérésies, au sens où on les extirpe ; extirper ne se dit au propre que des mauvaises herbes, lorsqu’on les déracine de telle sorte qu’elles ne puissent plus revenir ; on dit extirper une famille, pour la détruire entièrement. (Dictionnaire de l’Académie.)
Parricide : celui qui tue son père. Il se dit aussi par extension d’un homme qui tue sa mère, ou son frère, ou sa sœur, ou ses enfants. Le mot se dit aussi du crime que commet celui qui attente sur la vie du souverain (Dictionnaire de l’Académie). C’est en général le sens en tragédie.
Infanticide : le mot manque dans le Dictionnaire de l’Académie comme dans Furetière.
Se suicider : le verbe n’existe pratiquement pas en langue classique. Il est remplacé par l’expression se désespérer. En revanche, le Dictionnaire de l’Académie connaît le substantif suicide, au sens de l’action de celui qui se tue lui-même.
Euthanasie : acte de hâter ou de provoquer la mort de malades incurables qui souffrent et souhaitent mourir. Le mot est inconnu de Furetière comme du Dictionnaire de l’Académie.
La doctrine de l’Église sur l’homicide n’est pas encore fixée. Elle s’interroge sur la question des “excuses” qu’on peut donner à cet acte. Dans cette optique, toute réserve faite sur le précepte fondamental de ne pas tuer, et la recherche des cas-limites se justifient dans ce cadre. Pascal envisage l’homicide à la fois comme acte et comme désir de le commettre en pensée.
SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 94 sq. Sur l’homicide.
MOUSNIER Roland, L’homme rouge, ou la vie du cardinal de Richelieu, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 169. Traitement du commandement Tu ne tueras point par Richelieu dans son Instruction du chrétien.
JOUSLIN Olivier, La campagne des Provinciales de Pascal, t. I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 232-238. La doctrine de l’Église sur l’homicide. Pascal contre la direction d’intention sur la question de l’homicide.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851.
Les stipulations honteuses n’ont aucune force
WENDROCK, Provinciales, t. 1, éd. 1700, p. 413. Voir les notes de Wendrock.
PIROT Georges, Apologie pour les casuistes, XXVIIe objection, éd. contrefaite de 1658, p. 213 sq. Les traités déshonnêtes n’obligent pas avant qu’ils soient exécutés ; mais après exécution, si le prix stipulé n’est pas excessif, la personne qui l’a reçu pour une méchante action n’est pas obligé à le restituer. « Les théologiens et jurisconsultes sont d’accord en ce point que ces traités déshonnêtes n’obligent pas avant qu’ils soient exécutés. Mais après l’exécution les théologiens disent que si le prix stipulé n’est pas excessif, la personne qui l’a reçu pour une méchante action n’est pas obligée à le restituer. Les jurisconsultes et les lois ne parlent pas si nettement, d’où vient que les juges sont portés à faire restituer ces récompenses d’iniquités et de crimes, si on les trouve encore en espèces, et qu’elles soient de considération, sans avoir égard à ces donations ; et les cassent entièrement si elles n’ont pas encore été exécutées. Personne ne trouve rien à redire à ces lois et aux sentences des juges qui les suivent ; car si les empereurs ont pu déclarer nulles les donations que le mari ou la femme se donnent l’un à l’autre, ne se mutuo amore spolient, de peu que l’excès d’amour ne les réduise à la pauvreté, ils ont pu à plus forte raison ordonner le même, pour ces amours illégitimes, qui sont quelquefois plus violents que ceux des personnes mariées ; mais comme les lois qui défendent ces donations, ne s’entendent pas de petites choses, aussi celles qui parlent de ces récompenses ne regardent pas ce qui ne va qu’à la vie, à l’entretien, et choses modiques. Outre que le texte des lois n’est pas si clair, qu’on puisse dire qu’elles irritent parfaitement ces contrats où il y a de la turpitude avant que le juge ne les déclare nuls ; ce qui fait que les théologiens ne les condamnent pas absolument » : p. 214-215.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 371 sq. Note sur la question des gains provenant de clauses honteuses. « Avant d’aborder l’explication des différents textes inculpés par Pascal, posons quelques principes généraux sur la triste et répugnante matière des gains provenant de causes honteuses.
La question relative aux stipulations criminelles peut être examinée à différents points de vue : avant l’exécution, après l’exécution, après le paiement.
1. Avant l’exécution. Tous conviennent que le contrat est nul de soi, parce qu’on ne saurait s’obliger ni obliger les autres à une action mauvaise. Si donc le prix a été payé d’avance, il doit être restitué au donateur.
2. Après l’exécution. Plusieurs théologiens et jurisconsultes soutiennent même alors la nullité du contrat, lequel, disent-ils, ne peut valoir ni en vertu du crime, nullement appréciable à prix d’argent, sous quelque rapport qu’on le considère ; ni en vertu d’une promesse frappée primitivement de nullité, et que ne saurait ratifier l’accomplissement d’une condition réprouvée par la loi divine.
Si nous faisons une dissertation théologique, viendraient ici bien des distinctions entre les actes contraires à la justice et les actes simplement criminels ; les actes défendus par la loi naturelle ou par une loi positive ; les actes intrinsèquement ou accidentellement mauvais.
La seconde opinion, plus généralement adoptée par les théologiens et les jurisconsultes, soutient la validité de pareils contrats, et l’obligation de payer après l’exécution. Le contrat, en effet, n’est nul ni par défaut de matière : car si l’action mauvaise n’est pas appréciable en tant que mauvaise, elle peut l’être en tant qu’utile ou agréable à l’un, pénible ou dangereuse à l’autre ; ni à raison de l’encouragment qu’il donnerait au crime : car si l’espérance du prix y excite, l’obligation de payer détourne de le proposer, et il y a compensation. Grotius, traitant d’après le droit naturel d’une promesse faite pour un sujet naturellement déshonnête ou criminel, décide ainsi (le Droit de la guerre ou de la paix, livre II, ch. XI, § 9, trad. De Barbeyrac) : « Lorsque le crime est une fois commis, la force de l’obligation commence à se déployer : non qu’elle manquât, dès le commencement, à considérer l’engagement en lui-même, mais parce que ce qu’il y avait de vicieux et d’illicite en empêcherait l’effet ».
Ici, comme presque toujours dans ces questions délicates et controversées, nous ne décidons rien, et nous nous bornons au rôle de simple rapporteur.
Ajoutons que si une loi positive frappait ces contrats de nullité, ils seraient nécessairement invalides : tous en conviennent. Ainsi on a disputé sur le sens des articles 1108, 1131, 1133, 1172 du Code civil. Mais il est peut-être plus probable que ces dispositions de la loi ne regardent pas le for intérieur, et ne sont qu’une rénovation de la loi romaine, qui, comme nous l’allons voir, se contentait de refuser action dans le for extérieur, si bien qu’elle n’autorisait pas à répéter lorsque le prix avait été payé déjà.
3. Après le paiement. Peut-on répéter ? Doit-on restituer ? La plupart des théologiens et des jurisconsultes refusent le droit de répéter, même plusieurs de ceux qui ne reconnaissent pas l’obligation de payer après l’exécution « Quand on fait une convention qui roule sur quelque chose d’illicite, dit Puffendorf (Des devoirs de l’homme et du citoyen selon la loi naturelle, liv. I, ch. 9, § 18, trad. De Barbeyrac), aucune des parties n’est obligée de tenir sa parole. Lors même que l’un des contractants a déjà exécuté l’action criminelle à laquelle il s’était engagé, l’autre n’est point tenu de lui payer le salaire qu’il lui avait promis. On ne peut pourtant pas redemander ce que l’on a déjà donné pour un tel sujet, à mois qu’il n’y ait eu de la tromperie de la part de celui quia reçu, ou qu’il ne nous en revienne à nous-même un dommage exorbitant ». Et Pothier, après s’être rangé à la première partie de l’opinion de Puffendorf, ajoute (tr. des Oblig., n. 44 et 45) : « Je souscris pareillement à la décision qu’il donne ensuite, que si j’ai volontairement payé, après le crime commis, ce que j’avais promis à quelqu’un pour le commettre, je n’ai pas plus de droit de le répéter selon les règles du for de la conscience que selon celles du for extérieur, quoique j’aie payé en ce cas une chose que je ne devais pas… Celui qui paie paie avec une parfaite connaissance de la cause pour laquelle il paie : il ne peut, par conséquent, retenir aucun droit pour répéter la chose dont il s’est exproprié volontairement et avec une parfaite connaissance de cause ».
Cette doctrine a continué à être maintenue sans variation, après comme avant le Code civil. Trouller l’a exposée, t. VI, n. 126 : « Quant aux choses naturellement illicites, qui sont défendues par le droit naturel et par le droit civil, comme de tuer un homme, de commettre un adultère, il est encore évident qu’elles ne peuvent être l’objet ou la matière d’un contrat, et que personne ne peur s’y valablement s’engager… Celui qui a donné ou reçu quelque chose pour prix d’une action illicite doit retirer ce qu’il a donné, ou rendre ce qu’il a reçu, avant que l’action soit commise. Mais si elle l’a été, et si la chose ou la somme qui en était le salaire a été payée en vertu de la convention, celui qui l’a donnée ne peut la répéter ; le mal est fait, et la faute commise par le corrupteur qui a payé pour faire commettre un crime ne peut plus être réparée : elle ne eput donc être un titre ni un prétexte pour répéter ce qu’il a donné. Si l’un ne mérite pas de retenir le salaire de son crime, le lâche corrupteur mérite encore moins de recouvrer ce qu’il a donné. Il y a faute de part et d’autre : on doit donc s’en tenir à la règle générale, et donner la préférence au possesseur. C’est la règle tracée poar le droit romain (l. 8, ff. XII, t. V de Condict. ob trurp. causam) : Si et dantis et accipientis turpis causa sit, possessorem potiorem esse, et ideo repetitionem cessare, tametsi ex stipulatione solutum est ».
Le droit romain dit encore, ibid. l. 3, pour le cas du juge qui a reçu de l’argent afin de rendre une sentence injuste : Ubi autem et dantis et accipientis turpitudo versatur, non posse repeti dicimus : veluti si pecunia detur ut male judicetur. Et le Code pénal, art. 180 : « Il ne sera jamais fait au corrupteur restitution des choses par lui livrées, ni de leur valeur : elles seront confisquées au profit des hospices des lieux où la corruption aura été commise ». Dans ce qui précèdent, nous trouvons la réponse à la seconde partie de notre question : Doit-on restituer ce qu’on a reçu pour commettre un crime ? Les théologiens les plus sévères n’en imposent pas l’obligation lorsqu’on a reçu, non en vertu d’une stipulation, mais à titre gratuit. Or, en ces sortes de cas, ne doit-on pas presque toujours présumer une donation ? Ils n’obligent pas non plus à restituer les femmes perdues, parce que la socioétén en les tolérant pour éviter un plus grand mal, est censée leur transférer le domaine de ce qu’elles reçoivent.
La plupart des théologiens généralisent cette réponse, et l’étendent à toute espèce de gains honteux, au moins lorsqu’ils ne proviennent pas d’injustice. Saint Thomas, après avoir distingué trois manières d’acquérir illicitement et avoir exposé les deux premières, ajoute 2. 2 ? q. 32, art. 7 in corp. : « La troisième est lorsque l’acquisition elle-même n’est pas illicite, mais seulement le moyen, comme dans une fille publique » ; et il décide qu’elle peut garder le prix de sa honte. Elle ne serait tenue à restituer qua dans le cas où, par fraude ou artifice, elle aurait tiré plus qu’il ne lui était dû.
Or saint Thomas paraît étendre cette décision à tout gain honteux, et il s’en explique en deux endroits de son commentaire sur le maître des sentences : Sicut cum quis de lenocinio vel meretricio lucratur, sicut est in meretricio vel in similibus (In 4, dit. 15, q. 2, art. 4, quaestiunc. 2 et quaestiunc. 3 in corp.). Le cardinal Cajetan, expliquant ces textes, dit qu’il n’importe en rien qu’on ait acquis par la fornication, l’adultère, etc. (t. V, in 2. 2., comme. in q. 62, art. 5, ad. 2). Tel est aussi le sentiment du savant Sylvius (t. III, in 2. 2 ?, q. 32, art. 7, concl. 3), qui cite pour lui un grand nombre de théologiens.
En terminant, faisons deux observations : 1. Il y a de l’injustice à faire un crime à quelques jésuites d’avoir embrassé une doctrine si répandue dans une matière si délicate et si controversée. 2. Il ne s’agit ici que d’une obligation à imposer en stricte justice, car la restitution peut être obligatoire par pénitence, par la charité qu’on se doit à soi-même, et par l’horreur qui, du crime devra nécessairement rejaillir sur ce qui en a été le produit. Le confesseur devra toujours la conseiller et souvent la prescrire comme un rigoureux devoir. »
Cela signifie que si l’on a engagé un tueur à gages, on n’a pas à le payer avant l’exécution du contrat, mais une fois le meurtre exécuté, on doit lui régler sa note. Notons tout de même que si l’agent est tenu de rendre l’argent qu’on lui a donné, cela veut dire que l’instigateur du crime a eu satisfaction, et gratuitement en sus !
Noter que, sous son aspect d’apparence de cavillation, ce problème a fait l’objet de très nombreux ouvrages du genre policier et des productions cinématographiques qui en ont été tirées, notamment Le Point de non-retour de John Boorman, d’après le roman de Richard Stark et Le Samouraï Jean-Pierre de Melville, d’après un roman de G. McLeod, qui reposent également sur le refus de régler à un tueur à gages le prix qu’on lui a promis, et les conséquences de son mécontentement à l’égard de ses employeurs.
L’imagination est ce qui manque le moins aux romanciers. On trouve un exemple de contrat entre une personne qui demande à être tuée par un de ses proches, contrat accepté par l’un et l’autre dans Jules Verne, Les tribulations d’un chinois en Chine.
D’autre part, John Dickson Carr a imaginé un contrat entre deux personnes dont l’une promet à l’autre de la tuer dans un délai fixé, faute de quoi la victime supposée recevra une grosse somme d’argent, dans Les neuf mauvaises réponses.
La casuistique a fourni un nombre considérable de sujets de pièces de théâtre, notamment à Corneille.
VII, 4. Je vois déjà, lui dis-je, que par là tout sera permis, rien n’en échappera. Vous allez toujours d’une extrémité à l’autre, répondit le Père : corrigez-vous de cela. Car pour vous témoigner, que nous ne permettons pas tout, sachez que, par exemple, nous ne souffrons jamais d’avoir l’intention formelle de pécher, pour le seul dessein de pécher ; et que quiconque s’obstine à n’avoir point d’autre fin dans le mal que le mal même, nous rompons avec lui ; cela est diabolique : voilà qui est sans exception d’âge, de sexe, de qualité.
Quiconque s’obstine à n’avoir point d’autre fin dans le mal que le mal même, nous rompons avec lui : l’impression initiale donne quiconque s’obstine à borner son désir dans le mal pour le mal même nous rompons avec lui ; cela est diabolique...
Selon toute apparence, c’est cohérent : quand l’intention est foncièrement mauvaise, c’est-à-dire dirigée vers le mal, on ne peut pas la rediriger vers le bien. La question est de savoir si ce cas se produit réellement. Peut-on faire le mal pour le mal – quand on n’est pas le diable ?
VII, 4. Mais quand on n’est pas dans cette malheureuse disposition, alors nous essayons de mettre en pratique notre méthode de diriger l’intention, qui consiste à se proposer pour fin de ses actions un objet permis. Ce n’est pas qu’autant qu’il est en notre pouvoir, nous ne détournions les hommes des choses défendues ; mais, quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention ; et ainsi nous corrigeons le vice du moyen par la pureté de la fin.
L’équivoque est là : s’agit-il d’une reconstitution a posteriori des intentions d’une action accomplie, auquel cas un confesseur pourrait admettre le repentir du coupable, et lui accorder l’absolution, ou du calcul avant le fait d’une intention bonne pour une action mauvaise, ce qui met d’avance la conscience à l’abri ? Les termes prêtés au jésuite dans ces lignes ne permettent pas de le discerner avec assurance. L’expression quand nous ne pouvons pas empêcher l’action, nous purifions au moins l’intention, tendrait à accréditer la seconde interprétation.
VII, 5. Voilà par où nos pères ont trouvé moyen de permettre les violences qu’on pratique en défendant son honneur. Car il n’y a qu’à détourner son intention du désir de vengeance qui est criminel, pour la porter au désir de défendre son honneur, qui est permis selon nos pères. Et c’est ainsi qu’ils accomplissent tous leurs devoirs envers Dieu et envers les hommes. Car ils contentent le monde, en permettant les actions ; et ils satisfont à l’Évangile, en purifiant les intentions. Voilà ce que les anciens n’ont point connu ; voilà ce qu’on doit à nos Pères. Le comprenez-vous maintenant ? Fort bien, lui dis-je. Vous accordez aux hommes la substance grossière des choses, et vous donnez à Dieu ce mouvement spirituel de l’intention ; et par cet équitable partage, vous alliez les lois humaines avec les divines.
Texte de 1659 : « Vous accordez aux hommes l’effet extérieur et matériel de l’action, et vous donnez à Dieu ce mouvement intérieur et spirituel de l’intention ».
« Équitable partage » est visiblement ironique. L’ironie de l’épistolier tient dans le fait qu’il désigne ce que le lecteur saisit comme un crime en termes qui en font quelque chose de négligeable, voire de méprisable, « la substance grossière des choses », et il parle en termes religieux du « mouvement spirituel de l’intention », dont on saisit parfaitement qu’il se réduit à rien.
Le procédé qui consiste à reformuler une proposition de façon à en faire voir la véritable signification ou sa portée est fréquent chez Pascal. Il constitue l’équivalent de la substitution de la définition à la chose définie au niveau des termes. Pascal esquisse la théorie de cette technique dans les mathématiques dans le Traité des ordres numériques, OC II, éd. J. Mesnard, p.1327-1329. L’habileté dans les « manières de tourner une même chose », c’est-à-dire l’art de « varier les énonciations » est un don qui permet la découverte de vérités nouvelles. Voir le Numeri figurati seu ordines numerici, OC II, éd. J. Mesnard, p.1202-1203 : « Ainsi se multiplient les propositions, et non sans utilité : car des énoncés différents, encore que relatifs à une même proposition, se prêtent à différents usages. En cela doit consister l’étude des géomètres, ; car des énonciations assorties avec art conduisent à des théorèmes nouveaux et de grande portée, en permettant d’établir des liens entre des propositions qui semblaient n’avoir aucun rapport dans les termes où elles avaient été d’abord conçues ». Le même procédé se prête aussi, comme c’est le cas dans le présent passage, à faire découvrir ce que signifient réellement certaines propositions qui ont été présentées comme innocentes et pures. L’ironie peut prendre part à ce procédé, comme c’est souvent le cas dans les Provinciales.
VII, 5. Mais, mon père, pour vous dire la vérité, je me défie un peu de vos promesses, et je doute que vos auteurs en disent autant que vous. Vous me faites tort, dit le père, je n’avance rien que je ne prouve ; et par tant de passages, que leur nombre, leur autorité, et leurs raisons vous rempliront d’admiration.
Rappel au passage de l’abondance des casuistes et de la surabondance de leurs commentaires, que Pascal met ironiquement dans la bouche du jésuite. Le lecteur est censé comprendre de lui-même que ces prétendues autorités ne prouvent rien. L’idée sera reprise sur un ton différent dans le Premier écrit des curés de Paris, § 9-10, in Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 407-409. « Ces opinions accommodantes ne commencèrent pas par cet excès, mais par des choses moins grossières, et qu’on proposait seulement comme des doutes. Elles se fortifièrent peu à peu par le nombre des sectateurs, dont les maximes relâchées ne manquent jamais : de sorte qu’ayant déjà formé un corps considérable de casuistes qui les soutenaient, les ministres de l’Église, craignant de choquer ce grand nombre, et espérant que la douceur et la raison seraient capables de ramener ces personnes égarées, supportèrent ces désordres avec une patience qui a paru par l’événement, non seulement inutile, mais dommageable : car, se voyant ainsi en liberté d’écrire, ils ont tant écrit en peu de temps, que l’Église gémit aujourd’hui sous cette monstrueuse charge de volumes. La licence de leurs opinions, qui s’est accrue avec le nombre de leurs livres, les a fait avancer à grands pas dans la corruption des sentiments et dans la hardiesse de les proposer. Ainsi les maximes qu’ils n’avaient jetées d’abord que comme de simples pensées furent bientôt données pour probables ; ils passèrent de là à les produire pour sûres en conscience, et enfin pour aussi sûres que les opinions contraires, par un progrès si hardi, qu’enfin les puissances de l’Église commençant à s’en émouvoir, on fit diverses censures de ces doctrines. L’Assemblée générale de France les censura en 1642, dans le livre du P. Bauny Jésuite, où elles sont presque toutes ramassées ; car ces livres ne font que se copier les uns les autres. La Sorbonne les condamna de même ; la Faculté de Louvain ensuite, et feu M. l’Archevêque de Paris aussi, par plusieurs censures. De sorte qu’il y avait sujet d’espérer que tant d’autorités jointes ensemble arrêteraient un mal qui croissait toujours. Mais on fut bien éloigné d’en demeurer à ce point : le P. Héreau fit, au Collège de Clermont, des leçons si étranges pour permettre l’homicide, et les PP. Flahaut et Le Court en firent de même à Caen de si terribles pour autoriser les duels, que cela obligea l’Université de Paris à en demander justice au Parlement, et à entreprendre cette longue procédure qui a été connue de tout le monde. Le P. Héreau ayant été, sur cette accusation, condamné par le Conseil à tenir prison dans le Collège des Jésuites, avec défenses d’enseigner dorénavant, cela assoupit un peu l’ardeur des casuistes ; mais ils ne faisaient cependant que préparer de nouvelles matières, pour les produire toutes à la fois en un temps plus favorable.
En effet, on vit paraître, un peu après, Escobar, le P. Lamy, Mascarenhas, Caramuel et plusieurs autres, tellement remplis des opinions déjà condamnées, et de plusieurs nouvelles plus horribles qu’auparavant, que nous, qui, par la connaissance que nous avons de l’intérieur des consciences, remarquions le tort que ces dérèglements y apportaient, nous nous crûmes obligés à nous y opposer fortement. »
VII, 6. Car pour vous faire voir l’alliance que nos pères ont faite des maximes de l’Évangile, avec celles du monde par cette direction d’intention, écoutez notre père Reginaldus, in praxi. l. 21, n. 62. p. 260. Il est défendu aux particuliers de se venger. Car saint Paul dit aux Rom. 12. Ne rendez à personne le mal pour le mal : et l’Eccl. 28. Celui qui veut se venger attirera sur soi la vengeance de Dieu, et ses péchés ne seront point oubliés. Outre tout ce qui est dit dans l’Évangile du pardon des offenses, comme dans les chapitres 6 et 18 de s. Matthieu. Certes, mon père, si après cela il dit autre chose, que ce qui est dans l’Écriture, ce ne sera pas manque de la savoir.
Texte de Reginaldus (Regnault), Praxis fori pœnitentialis ad directionem confessarii, in usu sacri sui muneris, liv. XXI, ch. 5, n. 62, Difficultas praecedenti annexa, utrum alicui ad defensionem honoris liceat insequi eum, à quo laesus est ut percutiatur, cum id requiri videtur ad reparationem ejusmodi laesionis, Lyon, 1620, p. 263. Le passage vise à donner « rationem qua vindicta et defensio inter se distinguuntur ». « Rei veritas satis patebit, si notemus rationem qua vindicta et defensio inter se distinguuntur, esse quod vindicare proprie sit velle reddere malum pro malo, quod illicitum est privatae personae per illud ad Rom. 12. Nulli malum promalo reddentes] et illud Ecclesiatici 28 : Qui vindicari vult, à Domino inveniet vindictam : et peccata illius servans servabit] et demum illud quod habetur ex cap. 6 D. Matthaei vers. 13. 14 et 15 et ex cap. 18 in fine de condonandis offensis. Defendere autem se, est aggressorem compescere, atque impedire damnum quod jam imminent, vel sic illatum est, ut adhuc maneat in suspenso. Istas enim esse defensionis partes, manifestum est ex facto illius qui furantem res ipsius vel auferre molientem impedit vel jam auferentem insequitur ». Ce texte est cité dans GEF V, p. 66-67, qui remplace les crochets qui signalent une citation par des italiques qui ne se trouvent pas dans l’original.
La citation de Pascal est exacte, mais il ne tient pas compte de la clause restrictive dummodo tamen id fiat incontinente.
Eccl. : Ecclésiastique, ch. XXVIII, 1. « Celui qui veut se venger tombera dans la vengeance du Seigneur, et Dieu lui réservera ses péchés pour jamais » (tr. de la Bible de Port-Royal).
Saint Paul, Épitre aux Romains, XII, 17. « Ne rendez à personne le mal pour le mal. Ayez soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes ».
Matthieu, VI, 9. « Voici donc comment vous devez prier : Notre Père qui es aux cieux ! Que ton nom soit sanctifié. 10. Que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. 11. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. 12. Pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. 13. Ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen ! 14. Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; 15. mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. »
Matthieu, XVIII, 21. « Alors Pierre s’approcha de lui, et dit : Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu’il péchera contre moi ? Sera-ce jusqu’à sept fois? 22. Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois.
Voir éd. Cognet, p. 117 ; DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 322.
RAPIN René, Mémoires du P. René Rapin, de la Compagnie de Jésus, sur l’Église et la Société, la Cour, la Ville et le Jansénisme, 1644-1669, II, p. 376 sq. Contre Pascal qui prétend que les jésuites favorisent la vengeance, le P. Rapin rétablit la doctrine des jésuites : p. 377 sq.
VII, 6. Que conclut-il donc enfin ? Le voici, dit-il. De toutes ces choses il paraît qu’un homme de guerre peut sur l’heure même poursuivre celui qui l’a blessé ; non pas, à la vérité, avec l’intention de rendre le mal pour le mal, mais avec celle de conserver son honneur ; Non ut malum pro malo reddat, sed ut conservet bonorem.
Cette conclusion se trouve dans le même passage, au n. suivant 63, p. 263. « Ac cum haec ita sint, patet illud rationem defensionis, non vindictae habere, quod homo militaris eum à quo vulneratus est insequatur, non quidem ut malum pro malo reddat, sed ut conservet honorem sibi ablatum, dummodo tamen id fiat in continenti, cum res adhuc est in suspenso, non autem postquam is qui abstulit, domum se jam recepit, vel alia negotia gerit, juxta dicenda in explicatione sequentis difficultatis de latrone qui rem alienam, ablatam jam quiete domi habet ».
Comme le remarque l’éd. Cognet, Garnier, p.117, Pascal omet de traduire la clause dummodo tamen id fiat incontiente. La formule sibi ablatum est aussi omise par Pascal après conservet honorem.
VII, 7. Voyez-vous comment ils ont soin de défendre d’avoir l’intention de rendre le mal pour le mal, parce que l’Écriture le condamne ? Ils ne l’ont jamais souffert ;
VII, 7. Voyez Lessius. De just. l. 2. c. 9. d. 12. n. 79. Celui qui a reçu un soufflet, ne peut pas avoir l’intention de s’en venger : mais il peut bien avoir celle d’éviter l’infamie, et pour cela de repousser à l’instant cette injure, et même à coups d’épée, etiam cum gladio.
Le texte de Lessius, De justitia et jure, ceterisque virtutibus cardinalibus, libri quatuor, éd. de 1628, Livre II, chapitre 9, Dubitatio XII, n. 79, p. 99 (avec une erreur sur la page), est reproduit dans GEF V, p. 64. « Idem tenet Victoria, relect. De Jure belli num. 5 ubi dicit, eum, qui colaphum accepit, posse statim repercutere, etiam cum gladio ; non ad sumendam vindictam, sed ad vitandam infamiam et ignominiam, etiamsi invasor non esset ulterius professurus ». Conclusion : si l’agresseur s’enfuit, on peut le poursuivre et le frapper ; car « si enim potest repercutere manentem, cur non fugientem ? » : p. 99.
Les Provinciales, éd. Cognet, p. 118, n. 1 ; GEF V, p. 64. Pascal ne mentionne pas le fait que Lessius, De justitia et jure, l. II, ch. IX, d. 12, n. 79, dit emprunter ce passage au dominicain F. de Victoria.
Victoria : voir la note de Rapin, Mémoires, p. 377. François Victoria, dominicain. Né dans la ville de ce nom en Navarre, il entre dans l’ordre de saint Dominique et étudie à l’université de Paris ; il meurt le 14 août 1549 à Salamanque où il est professeur. Voir sa biographie dans DE VITORIA Francisco, Leçon sur le pouvoir politique, éd. Maurice Barbier, Paris, Vrin, 1980, p. 7-13.
Pascal revient sur ce texte dans la Provinciale XIII, 3, éd. Cognet, p. 237 ; et dans la Provinciale XIV, 26, éd. Cognet, p. 272.
La question est abordée dans ESCOBAR, Theologia moralis, Tr. I, Ex. VII, n. 47, Lyon, 1659, p. 120. “An liceat post impactam alapam percutientem insequi, et interimere?”. Lessius est cité.
NOUËT Jacques, Impostures IV, in Réponses, p. 104 sq. Nouët renvoie à Du Moulin comme source de Pascal, et “tous deux usent de supercherie” : p. 104. Remarque sur l’origine du texte chez Victoria, qui n’est pas jésuite : p. 105. Pascal omet de dire que Lessius en condamne la pratique. Il y revient dans la Réponse à l’onzième lettre, Réponses, p. 284-285 : “... vous attribuez à Lessius ce qu’il ne fait que rapporter de Victoria célèbre théologien, que celui qui a reçu un soufflet peut repousser à l’instant cette injure et même à coups d’épée, etiam cum gladio. Proposition dont il désavoue la pratique au nombre suivant en ces termes que je vous donne ici, parce qu’ils n’ont pas été cités dans la Réponse, afin que vous ne croyiez pas qu’on les ait dissimulés par dessein pour substituer en leur place les paroles du nombre 82. qui ne sont rapportés que pour en montrer la conformité avec celles-ci. Pour les raisons que je viens de dire, cette opinion est probable dans la spéculation : mais néanmoins on ne la doit pas facilement permettre dans la pratique. Premièrement à raison du danger qu’il y a de donner lieu à la haine, à la vengeance et à l’excès. Car si saint Augustin fait difficulté de dire qu’on puisse pour défendre sa vie tuer un homme, beaucoup moins accorderait-il en ce cas qu’on le puisse tuer pour défendre son honneur. Voyez, Monsieur, si vous êtes fondé sur la vérité” : p. 284-285. Voir la réponse in Provinciale XIII, éd. Cognet, p. 237 sq. ; voir aussi plus bas, p. 124.
JOUSLIN Olivier, La campagne des Provinciales de Pascal, p. 367 sq., sur l’Imposture IV sur la résistance à une injure cum gladio. Réponse du p. Nouët pour défendre la doctrine des casuistes sur le duel.
GROTIUS Hugo, Le droit de la guerre et de la paix, II, ch. I, X, 1, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 170 sq. « Il y a des auteurs qui pensent que celui qui se trouve menacé de recevoir un soufflet, ou une semblable insulte, a aussi le droit de repousser cet outrage en tuant son ennemi (Soto, dicto loco ; Navarr., cap. XV, n. 3 ; Sylvest., in verbo Homicidium, 1, quaest. 5 ; Lud. Lopez, cap. LXII) ». C’est la loi évangélique qui en fait rend cet acte illicite Voir § 2, p. 171 : Grotius s’étonne que des théologiens chrétiens le permettent. § 3, p. 171 : il est faux que la défense accompagnée de meurtre soit licite en vertu du droit divin : p. 171.
VII, 7. Nous sommes si éloignés de souffrir qu’on ait le dessein de se venger de ses ennemis, que nos pères ne veulent pas seulement, qu’on leur souhaite la mort par un mouvement de haine. Voyez notre père Escobar, tr. 5. Ex. 5. n. 145. Si votre ennemi est disposé à vous nuire, vous ne devez pas souhaiter sa mort par un mouvement de haine, mais vous le pouvez bien faire pour éviter votre dommage.
Référence d’Escobar : tr. 5. Ex. 5. n. 145, p. 625. « Possum ne proximo malum corporale ad salutem animae exoptare ? Potes ; et mortem ob Reipublicae bonum, et hosti tibi alioqui valde nocituro mortem non odio, sed ad vitandum damnum tuum ; et de morte ejus gaudere, ob bonum inde secutum. Sic Saa ex Soto. » Le texte est cité dans GEF V, p. 77.
VII, 6. Car cela est tellement légitime avec cette intention, que notre grand Hurtado de Mendoza dit : Qu’on peut prier Dieu de faire promptement mourir ceux qui se disposent à nous persécuter si on ne le peut éviter autrement. C’est au l. de spe. vol. 2. di. 153., sect. 4, § 48.
Sect. 4, 55 48 : 55 est une erreur pour §.
Référence dans Hurtado de Mendoza Petrus, Scholasticae et morales disputationes de tribus virtutibus theologicis. De spe, et charitate, Vol. II, Disputatio 153, Sectio IV, Quid teneamur inimicis praestare ?, p. 1196 sq. Le § 48, p. 1197, 1631 : « Item si inimiicus injuste est me vexaturus, ego possum desiderare, orareque Deum, ut eum vivis tollat, si aliter inferenda mala vitari non possunt ».
Mais Pascal cite Hurtado à partir de DIANA Antonino, Resolutiones morales, Pars V, tr. 13, res. 89 ; texte reproduit dans GEF V, p. 78 (contrairement à celui de Hurtado).Voir Resolutiones…, Tomus II, Pars V, Tract. XIII, Miscellaneus I, Resol. LXXXIX, An aliquando quis non tenatur salutare inimicum, et possit ei mortem desiderare ?, 1653, p. 321. « Item si inimicus injuste est me vexaturu, ego possum desiderare, et orare, ut Deus eum e vivis tollat, si aliter inferenda mala vitari non possunt. Huc usque Hurtadus : sed haec in praxi ratione nostrae depravatae irascibilis non videntur consulenda ». L’édition Cognet, p. 118, n. 3, signale la réserve finale de Diana qui désapprouve Hurtado dans la pratique.
VII, 8. Mon révérend père, lui dis-je, l’Église a bien oublié de mettre une oraison à cette intention dans ses prières. On n’y a pas mis, me dit-il, tout ce qu’on peut demander à Dieu. Outre que cela ne se pouvait pas ; car cette opinion-là est plus nouvelle que le bréviaire : vous n’êtes pas bon chronologiste.
Bréviaire : du latin breviarium, abrégé. Les conditions de vie du clergé séculier ne lui donnant pas la possibilité qu’ont les moines de consacrer une grande partie de leur journée à l’office divin, l’Église a adapté, à l’intention de ceux qui ne mènent pas la vie monastique, la liturgie des heures (les heures sont les parties successives de l’office divin, réparties dans la journée). Le livre qui contient cet office est le bréviaire, qui date du IXe siècle. Un prêtre séculier est tenu de dire tous les jours une partie de ce bréviaire.
Sur le bréviaire romain, voir LEVILLAIN Philippe (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 238-239.
PONTAS Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 261-262. Bréviaire.
Vous n’êtes pas bon chronologiste : voir Provinciale V, 20. « J’ai déjà bien reconnu deux ou trois fois que vous n’êtes pas bon scolastique. » Décidément ce pauvre Montalte n’est bon à rien. Mais de ce trait, le lecteur remarque que le jésuite fait un reproche d’ignorer l’histoire du bréviaire, à laquelle il accorde visiblement plus d’attention qu’au caractère choquant des maximes qu’il expose. Au surplus, il n’est pas très à propos de reprocher à un honnête homme de ne pas être un spécialiste de la science chronologique.
VII, 8. Mais sans sortir de ce sujet, écoutez encore ce passage de notre père Gaspar Hurtado, de sub. pecc. diff. 9, cité par Diana, p. 5. tr. 14. R. 99. C’est l’un des 24 pères d’Escobar. Un bénéficier peut sans aucun péché mortel désirer la mort de celui qui a une pension sur son bénéfice, et un fils celle de son père, et se réjouir quand elle arrive, pourvu que ce ne soit que pour le bien qui lui en revient, et non pas par une haine personnelle.
CABOURDIN Guy et VIARD Georges, Lexique historique de la France d'Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1978, p. 36. Un bénéfice est un revenu attaché à une charge ecclésiastique et tiré des biens d’église, dîmes, domaines fonciers et rentes. La nomination aux bénéfices revient à des autorités diverses : le roi (évêchés, abbayes), évêques, prieurs, et donne lieu à toutes sortes d’interventions. Diana envisage le cas où un bénéfice comporte l’attribution d’une pension à une personne, ce qui occasionne une perte financière au bénéficier.
Voir BLUCHE François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, p. 185 sq.
Gaspard Hurtado, 1575-1646, chartreux, puis jésuite, longtemps professeur à Alcala. Voir RAPIN, Mémoires, II, p. 378-379, et Provinciales, éd. Cognet, p. 119. Ne pas confondre avec Hurtado de Mendoza, cité plus haut.
L’éd. Cognet indique que la référence à Diana est inexacte, quoiqu’elle soit reproduite dans Wendrock ; selon Le Guern, la référence à la citation de Gaspard Hurtado par Diana est fausse, et c’est la référence à la citation par Diana du texte de Hurtado de Mendoza que Pascal traduit dans le paragraphe suivant. Une proposition analogue a été condamnée par Innocent XI. Selon Cognet, le passage de Diana a été identifié par l’abbé Maynard : il s’agit de l’éd. d’Anvers, 1667, 9 vol., t. 1, tr. 7, res. 100. Je n’ai pas pu vérifier cette référence.
RAPIN René, Mémoires, II, éd. Aubineau, p. 378-379.
VII, 9. O mon père ! lui dis-je, voilà un beau fruit de la direction d’intention ! Je vois bien qu’elle est de grande étendue : Mais néanmoins il y a de certains cas dont la résolution serait encore difficile, quoique fort nécessaire pour les Gentilshommes. Proposez-les pour voir, dit le père. Montrez-moi, lui dis-je, avec toute cette direction d’intention, qu’il soit permis de se battre en duel.
Duel
BÉLY Lucien, Dictionnaire Louis XIV, article Duel, Paris, Robert Laffont, 2015, p. 426-429.
Dictionnaire de théologie catholique, article Duel, IV, col. 1845-1856.
DRUY le comte de, La beauté de la valeur et la lâcheté du duel, Paris, 1658.
PONTAS Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 705 sq. Duel. Le duel est un combat prémédité de deux ou de plusieurs personnes qui conviennent d’un lieu et d’un temps pour se battre, avec danger de se tuer ou de se blesser. Il y a un duel solennel qui se fait avec certaines cérémonies ; par exemple avec des parrains, une invitation en forme ; et un duel simple, où l’on se contente de convenir d’une heure et d’un lieu pour se battre. Il y a encore un duel qui se fait par autorité publique, et un qui se fait sans cette autorité.
BOULENGER Abbé A., La doctrine catholique, § 213. Définition : combat entre deux personnes qui, après avoir concerté le lieu et l’heure, les armes et les conditions du combat, en viennent aux mains devant les témoins qu’ils ont choisis, et s’exposent au danger d’être tués ou blessés. Conditions comprises dans la définition :
1. l’entente préalable sur les conditions du combat ; si les adversaires se provoquent, se frappent ou se tuent dans un mouvement de colère, ce n’est pas un duel, mais une rixe.
2. le caractère particulier du différend : un combat entre deux hommes ou deux groupes d’hommes pour éviter une plus grande effusion de sang (cas du combat des Horace et des Curiace) n’a pas le caractère du duel et peut être permis au même titre qu’une guerre juste.
Raisons de l’interdiction du duel : p. 92 sq. Le duel n’est pas un cas de légitime défense, qui suppose l’injuste agression et la nécessité de la repousser immédiatement : p. 92-93. Défense par les lois de Dieu et de l’Église : p. 93 sq. Le concile de Trente excommunie quiconque participe à un duel, le favorise ou l’autorise sur ses terres. Le Code refuse la sépulture ecclésiastique aux duellistes morts en duel ou des suites de leurs blessures. Cas du duel simulé : p. 94.
NIDERST Alain, Les Français vus par eux-mêmes. Le siècle de Louis XIV. Anthologie des mémorialistes du siècle de Louis XIV, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 201-204.
CONSTANT Jean-Marie, La vie quotidienne de la noblesse française aux XVIe-XVIIe siècles, Paris, Hachette, 1985, p. 17 sq. Histoire de Bayard contre Sotomayor : p. 19. Duel de Jarnac contre La Chataigneraie : p. 20 sq. Le duel comme symbole de la liberté nobiliaire : p. 43 sq.
CORNEILLE Pierre, Œuvres complètes, I, éd. Couton, Pléiade, p. 1474 sq. Distingue divers types de duels.
COUTON Georges, Réalisme de Corneille, p. 75 sq. Dans Le Cid, le roi aurait dû faire surveiller et garder don Diègue et don Gormas dès le début de leur querelle. L’“appel” de Rodrigue au comte. La distinction faite par Brantôme, dans le Discours sur les duels, entre les combats réguliers, sur autorisation royale, avec tout un cérémonial, et dont l’issue est réputée jugement de Dieu, et les “appels”, combats sans cérémonie : p. 76. Le duel du second type est récent, il vient d’Italie, puis de l’anarchie des guerres de religion : p. 77. Le duel devient un danger national, parce qu’il décime la noblesse française. Les prédicateurs et les juristes font campagne contre le duel : p. 77 sq. Une série d’ordonnances royales plaide en faveur de la répression des duels. La politique de Richelieu est un mélange de modération de la peine, et de fermeté dans l’application ; le procédé a du succès : p. 77-78. A l’acte IV du Cid, il s’agit de juger Rodrigue devenu grand personnage militaire : p. 79. L’arrêt rendu par le roi en faveur de Rodrigue est une abolition : p. 83. Le combat judiciaire de Rodrigue. Les conditions posées sont qu’un seul combat aura lieu, qui aura la main de Chimène pour prix. Droit canon et droit civil autorisent le procédé ; voir l’ordonnance de Philippe le Bel de 1306 : p. 83-84. Dieu exprime sa volonté à travers la victoire : p. 84. Le concile de Trente condamne les duels : p. 84. Le droit français interdit les combats multiples : p. 85. Un débat théorique sur le duel a lieu au cours de la pièce : p. 85 sq. En faveur du duel joue l’argument qu’il évite les lenteurs de la justice : p. 86. Contre le duel, la raison d’État dit qu’il faut au roi préserver ses combattants ; d’autre part, le sort capricieux écrase souvent l’innocent : p. 86. Le conflit de la morale féodale et de la raison d’État fait passer l’obéissance avant le point d’honneur : p. 87.
Sur l’histoire du duel en France au XVIIe siècle, on peut lire l’intéressant ouvrage de CUÉNIN Micheline, Le duel sous l’ancien régime, qui explique pour quelles raisons l’extirpation du duel a été si difficile, et quelle a été l’évolution des idées et des mœurs dans ce domaine.
MOUSNIER Roland, L’homme rouge, ou la vie du cardinal de Richelieu (1585-1642), coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 152. Premiers édits de Louis XIII contre le duel. Voir p. 319 sq. Politique de Louis XIII et de Richelieu en matière de répression des duels. L’affaire Montmorency-Boutteville.
MALHERBE, Lettre à Peiresc du 8 janvier 1613, in Œuvres, Pléiade, p. 541 sq. Discours de la mort du baron de Lus. Voir la suite p. 550 sq., sur le fils du baron de Luz.
MOLIÈRE, Les fâcheux, I, 6, OC I, éd. Couton, Pléiade, p. 499 sq. Sur la politique de Louis XIV en matière de duel.
BILLACOIS Roger, Le duel dans la société française des XVIe et XVIIe siècles, essai de psychosociologie historique, éd. de l’EHESS, Paris, 1986.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, 307 sq. La question du duel. Les maximes des casuistes datent d’une époque où l’esprit médiéval est encore très vivant, avec la dureté de mœurs qui y dominait. Voir aussi p. 324 sq.
GAY Jean-Pascal, « La théologie morale dans le pré : la casuistique du duel dans l’affrontement entre laxisme et rigorisme en France au XVIIe siècle », Histoire, économie, société, 24, 2005, p. 171-194.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol. Sur la question du duel. Tour de force logique par lequel Pascal amène ce problème comme un défi. Le cas du duel judiciaire.
Pensées, Laf. 644, Sel. 529 bis. “Peut-ce être autre chose que la complaisance du monde qui vous fasse trouver les choses probables ? Nous ferez-vous accroire que ce soit la vérité et que si la mode du duel n’était point, vous trouveriez probable qu’on se peut battre en regardant la chose en elle-même ?”
Pensées, Laf. 722, Sel. 604. “Oserez-vous ainsi, vous, vous jouer des édits du roi ? ainsi en disant que ce n’est pas se battre en duel que d’aller dans un champ en attendant un homme.
Que l’Église a bien défendu le duel, mais non pas de se promener.
et aussi l’usure, mais non...
Et la simonie mais non...
Et la vengeance mais non...
Et les sodomites mais non...
Et le quam primum, mais non...”
Duel dans l’ordre des esprits
On appelle Cartel un défi lancé pour un combat singulier (Dictionnaire de l'Académie).
Voir là-dessus DOMPNIER Bernard, Le venin de l’hérésie, p. 174. On organise des conférences orales entre tenants des religions catholique et protestante. Les formes du débat comportent un défi, un cartel, puis des pourparlers et mise en place du bureau, en vue de la surveillance des conditions nécessaires au bon déroulement des séances. Secrétaires et vérificateurs : p. 174. Déroulement de la discussion : p. 174 sq. Signature du procès-verbal : p. 175. Analogie avec le duel : p. 176.
Voir la lettre de Descartes à Mersenne sur Fermat, du 1er mars 1638, MERSENNE Marin, Correspondance, VII, p. 63. Dans la rivalité qui l’oppose à Fermat dans la controverse de maximis et minimis, Descartes fait son choix de ses deux seconds, après que Fermat en a pris deux, comme dans un duel.
Lettre de Descartes à Mersenne des 17 et 27 mai 1638, où, à propos de la contestation de maximis et minimis, Descartes se compare à un bretteur qui refuse le combat contre ceux qui ne sont pas de sa qualité : p. 238.
VII, 9. Notre grand Hurtado de Mendoza, dit le père, vous y satisfera sur l’heure, dans ce passage que Diana rapporte p. 5. tr. 14, R. 99. « Si un gentilhomme qui est appelé en duel est connu pour n’être pas dévot, et que les péchés qu’on lui voit commettre à toute heure sans scrupule fassent aisément juger, que s’il refuse le duel, ce n’est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité ; et qu’ainsi on dise de lui que c’est une poule et non pas un homme, gallina et non vir, il peut, pour conserver son honneur, se trouver au lieu assigné, non pas véritablement avec l’intention expresse de se battre en duel, mais seulement avec celle de se défendre si celui qui l’a appelé l’y vient attaquer injustement. Et son action sera toute indifférente d’elle-même. Car quel mal y a-t-il d’aller dans un champ, de s’y promener en attendant un homme, et de défendre si on l’y vient attaquer ? Et ainsi il ne pèche en aucune manière, puisque ce n’est point du tout accepter un duel ayant l’intention dirigée à d’autres circonstances. [Car l’acceptation du duel consiste en l’intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n’a pas.] »
Le mot se, dans « et de défendre si on l’y vient attaquer », manque sur l’impression originale ; il sera rétabli par la suite (1657 et 1659).
Voir Laf. 722, Sel. 604, cité ci-dessus.
DIANA, Resolutiones morales, Tomus secundus, tr. XIV, Miscellaneus, II, res. 99, éd. de , p. 362-363. An in aliquo casu vier nobilis possit sine peccato acceptare duellum ? Texte reproduit dans GEF V, p. 78 sq. ; voir éd. Cognet, p. 119-120. Le même passage est repris in Provinciale XIV, 13, éd. Cognet, p. 263. Le texte de Pascal ne rend pas le début de celui de Diana, qui commence par “casum excogitavit, qui facile potest evenire in praxim...” ; ce qui explique la mention “fort commun” chez Pascal.
Voir éd. Le Guern, Œuvres, I, p. 1183-1184, texte de Diana, Resolutiones morales, Pars V, tr. XIV, resol. 99.
Gallina et non vir : parodie de citation latine à la manière des doctes. La gallina est dans Diana.
Molière se souviendra de ce passage ; voir Dom Juan, V, 3. « D. CARLOS. Dom Juan, je vous trouve à propos, et suis bien aise de vous parler ici plutôt que chez vous, pour vous demander vos résolutions. Vous savez que ce soin me regarde, et que je me suis en votre présence chargé de cette affaire. Pour moi, je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur, et il n’y a rien que je ne fasse pour porter votre esprit à vouloir prendre cette voie, et pour vous voir publiquement confirmer à ma sœur le nom de votre femme.
D. JUAN d’un ton hypocrite. Hélas ! je voudrais bien de tout mon cœur vous donner la satisfaction que vous souhaitez, mais le Ciel s’y oppose directement, il a inspiré à mon âme le dessein de changer de vie, et je n’ai point d’autres pensées maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller au plutôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désormais par une austère conduite tous les dérèglement criminels où m’a porté le feu d’une aveugle jeunesse.
D. CARLOS. Ce dessein, D. Juan, ne choque point ce que je dis, et la compagnie d’une femme légitime peut bien s’accommoder avec les louables pensées que le Ciel vous inspire.
D. JUAN. Hélas point du tout, c’est un dessein que votre sœur elle-même a pris, elle a résolu sa retraite, et nous avons été touchez tous deux en même temps.
D. CARLOS. Sa retraite ne peut nous satisfaire, pouvant être imputée au mépris que vous feriez d’elle et de nôtre famille, et notre honneur demande qu’elle vive avec vous.
D. JUAN. Je vous assure que cela ne se peut, j’en avais pour moi toutes les envies du monde, et je me suis même encore aujourd’hui conseillé au Ciel pour cela ; mais lors que je l’ai consulté, j’ai entendu une voix qui m’a dit que je ne devais point songer à votre sœur, et qu’avec elle assurément je ne ferais point mon salut.
D. CARLOS. Croyez-vous, D. Juan, nous éblouir par ces belles excuses ?
D. JUAN. J’obéis à la voix du Ciel.
D. CARLOS. Quoi vous voulez que je me paye d’un semblable discours ?
D. JUAN. C’est le Ciel qui le veut ainsi.
D. CARLOS. Vous aurez fait sortir ma sœur d’un Convent pour la laisser ensuite ?
D. JUAN. Le Ciel l’ordonne de la sorte.
D. CARLOS. Nous souffrirons cette tache en notre famille ?
D. JUAN. Prenez-vous-en au Ciel.
D. CARLOS. Et quoi toujours le Ciel ?
D. JUAN. Le Ciel le souhaite comme cela.
D. CARLOS. Il suffit, D. Juan, je vous entends, ce n’est pas ici que je veux vous prendre, et le lieu ne le souffre pas ; mais avant qu’il soit peu, je saurai vous trouver.
D. JUAN. Vous ferez ce que vous voudrez, vous savez que je ne manque point de cœur, et que je sais me servir de mon épée quand il le faut, je m’en vais passer tout à l’heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand Convent, mais je vous déclare pour moi, que ce n’est point moi qui me veux battre, le Ciel m’en défend la pensée, et si vous m’attaquez, nous verrons ce qui en arrivera. »
VII, 10. Vous ne m’avez pas tenu parole, mon père. Ce n’est pas là proprement permettre le duel. Au contraire, il évite de dire que c’en soit un, pour rendre la chose permise, tant il la croit défendue. Ho, ho, dit le père, vous commencez à pénétrer, j’en suis ravi. Je pourrais dire néanmoins qu’il permet en cela tout ce que demandent ceux qui se battent en duel.
Texte de 1659 : « Au contraire, il le croit tellement défendu, que, pour le rendre permis, il évite de dire que c’en soit un. »
VII, 10. Mais puisqu’il faut vous répondre juste, notre père Layman le fera pour moi en permettant le duel en mots propres, pourvu qu’on dirige son intention à l’accepter seulement pour conserver son honneur, ou sa fortune. C’est au l. 3. p. 3, c. 3. n. 2. etc. Si un soldat à l’armée, ou un Gentilhomme à la Cour, se trouve en état de perdre son honneur, ou sa fortune, s’il n’accepte un duel, je ne vois pas que l’on puisse condamner celui qui le reçoit pour se défendre.
C’est au l. 3. p. 3, c. 3. n. 2. etc. : l’édition de 1659 précise au l. 3. p. 3, c. 3. n. 2. et 3.
Citation abrégée, mais exacte. Voir éd. Cognet, p. 263, texte repris dans la Provinciale XIV, 13, éd. Cognet, p. 263, en réponse au P. Nouët. Voir NOUËT Jacques, Imposture XI, in Réponses, p. 142 sq. ; GEF VI, p. 121 sq. Wendrock rétablit le texte cité et ajoute la référence à Navarre, dont se couvre Layman.
Une proposition analogue a été condamnée par Alexandre VII, et par Benoît XIV en 1752. Voir éd. Cognet, p. 120.
Voir la réponse de Pascal in Provinciale XIV, 13. « Aussi, mes pères, il est constant que vos auteurs permettent de tuer pour la défense de son bien et de son honneur, sans qu’on soit en aucun péril de sa vie. Et c’est par ce même principe qu’ils autorisent les duels, comme je l’ai fait voir par tant de passages sur lesquels vous n’avez rien répondu. Vous n’attaquez dans vos écrits qu’un seul passage de votre p. Layman, qui le permet, lorsque autrement on serait en péril de perdre sa fortune ou son honneur : et vous dites que j’ai supprimé ce qu’il ajoute, que ce cas-là est fort rare. Je vous admire, mes pères ; voilà de plaisantes impostures que vous me reprochez ! Il est bien question de savoir si ce cas-là est rare ! il s’agit de savoir si le duel y est permis. Ce sont deux questions séparées. Layman, en qualité de casuiste, doit juger si le duel y est permis, et il déclare que oui. Nous jugerons bien sans lui si ce cas-là est rare, et nous lui déclarerons qu’il est fort ordinaire. Et si vous aimez [mieux] en croire votre bon ami Diana, il vous dira qu’il est fort commun, part. 5, tract. 14, misc. 2, resol. 99. Mais qu’il soit rare ou non, et que Layman suive en cela Navarre, comme vous le faites tant valoir, n’est-ce pas une chose abominable qu’il consente à cette opinion : Que, pour conserver un faux honneur, il soit permis en conscience d’accepter un duel, contre les édits de tous les Etats chrétiens, et contre tous les Canons de l’Église, sans que vous ayez encore ici pour autoriser toutes ces maximes diaboliques, ni lois, ni canons, ni autorités de l’Écriture ou des Pères, ni exemple d’aucun saint, mais seulement ce raisonnement impie : L’honneur est plus cher que la vie ; or, il est permis de tuer pour défendre sa vie : donc il est permis de tuer pour défendre son honneur ? Quoi ! mes pères, parce que le dérèglement des hommes leur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leur a donnée pour le servir, il leur sera permis de tuer pour le conserver ? C’est cela même qui est un mal horrible, d’aimer cet honneur-là plus que la vie. Et cependant cette attache vicieuse, qui serait capable de souiller les actions les plus saintes, si on les rapportait à cette fin, sera capable de justifier les plus criminelles, parce qu’on les rapporte à cette fin ! »
VII, 10. Petrus Hurtado dit la même chose au rapport de notre célèbre Escobar, au tr. I, ex. 7, n. 96, et au n. 98. Il ajoute ces paroles de Hurtado : Qu’on peut se battre en duel pour défendre même son bien, s’il n’y a que ce moyen de le conserver ; parce que chacun a le droit de défendre son bien, et même par la mort de ses ennemis.
Provinciales, éd. Cognet, p. 120-121. Citation exacte d’Escobar, p. 130.
Texte d’Escobar de cette citation dans la Théologie morale, Tr. I, Ex.7, n. 96, p. 164. Il est reproduit dans GEF V, p. 76. « 96. Potestne quis vir nobilis acceptare duellum in nobilitatis defensionem ? Potest, si ex illius recusatione honorem, aut munia publica esset amissurus. v. gr. Objicit quis viro nobili innocenti crimen dignum amissione nobilitatis, et munerum, quod ille duellum acceptet, probatum censebitur. Ratio est, quia in tali casu acceptatio duelli, ad tuendam nobilitatem, et munia, medium est unicum. Petrus Hurtado 2 2 d. 170. Sect. 8 § 76 ».
Escobar, ibid., Tr. I, Ex.7, n. 98, p. 165. Il est reproduit dans GEF V, même lieu. « An duellum possit acceptari in temporalium bonorum defensionem ? Potest, si non adest alia via tuendi, sive duellum purgativum sit, sive non purgativum ; quia unusquisque habet jus sua bona tuendi, etiam cum inimici internecione. Adhuc Hurtado de Mendoza sect. 8. § 77. »
VII, 10. J’admirai sur ces passages de voir que la piété du roi emploie sa puissance à défendre et à abolir le duel dans ses États ; et que la piété des jésuites occupe leur subtilité à le permettre et à l’autoriser dans l’Église. Mais le bon père était si en train, qu’on lui eût fait tort de l’arrêter, de sorte qu’il poursuivit ainsi.
Paradoxe : la société civile, c’est-à-dire la cité des hommes, est meilleure que ceux qui se prétendent défenseurs de la cité de Dieu. Mais il y a une idée de plus : les jésuites autorisent le meurtre dans l’Église.
VII, 10. Enfin, dit-il, Sanchez, voyez un peu quels gens je vous cite, fait plus. Car il permet non seulement de recevoir, mais encore d’offrir le duel, en dirigeant bien son intention. Et notre Escobar le suit en cela au même lieu n. 97. Mon père, lui dis-je, je le quitte, si cela est ; mais je ne croirai jamais qu’il l’ait écrit, si je ne le vois. Lisez-le donc vous-même, me dit-il ; et je lus en effet ces mots dans la Théologie mor. de Sanchez, l. 2. c. 39, n. 7. « Il est bien raisonnable de dire, qu’un homme peut se battre en duel pour sauver sa vie, son honneur, ou son bien en une quantité considérable, lorsqu’il est constant qu’on les lui veut ravir injustement, par des procès et des chicaneries, et qu’il n’y a que ce seul moyen de les conserver ».
Texte de 1659 : « Enfin, dit-il, Sanchez (voyez un peu quels gens je vous cite !) passe outre ». Voir PARCÉ Léon, “Un correcteur inattendu des Provinciales”, in Écrits sur Pascal, Paris, Éditions du Luxembourg, 1959, p. 44, qui attribue cette leçon à Saint-Amour. L’édition latine suivra cette suggestion : « Postremus Sanctius, inquit (vides quos tibi allegem viros), ultra progreditur ».
Texte de 1659 : « dans la Théologie morale de Sanchez, l. 2, c. 29, n. 7. ».
Escobar le suit en cela au même lieu n. 97 : voir la référence de pagination des passages précédents. « 97. Accusator injustus me calumniis efficit morti addicit, licitumne eum ad certamen provocare ? Ita quidem, si non est alia via injustae mortis evadenda ; quia hujusmodi provocatio locum habet inculpatae tutelae. Nihil enim refert quod accusator non per se, sed per judicem aggrediatur. Ita Hurtado sect. 9, § 82. Addit Sanchez sum. tom. 1 lib. 2. quaest. 39. num 7 tali casu licere accusatorem occidere ».
Sanchez, l. 2. c. 39, n. 7 : Voir Sanchez Thomas, Opus morale, Lib. II, cap. 39, De divinatione per duellum. Et quando duellum licitum sit ; et quibus poenis illicitum subdatur. n. 7, p. 296-297. Texte partiellement reproduit dans GEF V, p. 69-70. « Sed melius alii dicunt licere huic innocenti duellum, ad vitam, honorem, et res familiares in notabili quantitate, tuenda, quando constat omnino, injuste et per calumniam actorem procedere : et certum omnino est fore ut innocens haec amittat : nec aliud sibi evadendi remedium suppetat ».
Je le quitte : au sens de j’abandonne, j’y renonce (Furetière).
VII, 10. Et Navarrus dit fort bien qu’en cette occasion « il est permis d’accepter et d’offrir le duel ; licet acceptare et offerre duellum ». Et aussi « qu’on peut tuer en cachette son ennemi : Et même, en ces rencontres-là on ne doit point user de la voie du duel, si on peut tuer en cachette son homme, et sortir par là d’affaire. Car par ce moyen on évitera tout ensemble, et d’exposer sa vie dans un combat, et de participer au péché que notre ennemi commettait par un duel ».
Texte de 1659 : « participer au péché que notre ennemi commettrait par un duel ».
A la suite des passages cités précédemment : « Immo bene Nav. n. 290 ait teneri innocentem non acceptare duellum, nec indicere : si potest occulte illum occidendo, id vitae, honoris, rerum familiarum periculum evadere. Quippe sic proprium vitae periculum in duello imminens vitabit, et peccatum actoris offerentis aut acceptantis duellum. »
Selonle casuiste, en tuant un homme en cachette, on évite de mettre sa vie en danger et on ne commet pas le péché de participer à un duel. Il évite de préciser qu’au lieu de participer à un duel, on commet une trahison et un assassinat.
VII, 11. Voilà, mon père, lui dis-je, un pieux guet-apens : mais quoique pieux, il demeure toujours guet-apens, puisqu’il est permis de tuer son ennemi en trahison. Vous ai-je dit, répliqua le père, qu’on peut tuer en trahison ? Dieu m’en garde. Je vous dis qu’on peut tuer en cachette ; et de là vous concluez, qu’on peut tuer en trahison, comme si c’était la même chose. Apprenez d’Escobar, tr. 6, Exa. 4. n. 26. ce que c’est que tuer en trahison, et puis vous parlerez. On appelle tuer en trahison, quand on tue celui qui ne s’en défie en aucune manière. Et c’est pourquoi celui qui tue son ennemi n’est pas dit le tuer en trahison, quoique ce soit par derrière, ou dans une embûche ; licet per insidias, aut a tergo percutiat.
ESCOBAR, Theologia moralis, Tr. 6, Exam. 4, n. 26, p. 900-901. « Proditori aliquem occidens seu ferro, seu veneno, caretne Ecclesiae immunitate ? Caret. Profecto dicitur proditorie occidere qui aliquem id minime suspicantem interficit. Quare qui inimicum necat, haud proditor dicitur ; licet per insidias, aut a tergo percutiat ».
VII, 11. Et au même traité n. 56. Celui qui tue son ennemi avec lequel il s’était réconcilié sous promesse de ne plus attenter à sa vie, n’est pas absolument dit le tuer en trahison, à moins qu’il n’y eût entr’eux une amitié bien étroite, arctior amicitia.
ESCOBAR, Liber theologiae moralis, VI, ex. IV, n. 26, p. 698 ; ce texte est déjà invoqué dans la Provinciale VI, § 2, éd. Cognet, p. 96. Passage n. 56, p. 702 : “reconciliatur quis inimico cum fideiussione de non occidendo, postea tamen illum occidit : fruiturne Ecclesiae immunitate? Affirmo, quia non dicendus absolute proditoriè occidisse, nisi intercessisset arctior aliqua amicitia simul comedendo, alloquendo, etc., unde poterat praesumi non obstante fideiussione adhuc odium durare.”
L’expression arctior aliqua amicitia se trouve dans les Institutiones morales du jésuite Juan Azor. REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007, p. 126. Commentaire du passage.
VII, 12. Vous voyez par là, que vous ne savez pas seulement ce que les termes signifient, et cependant vous parlez comme un docteur. J’avoue, lui dis-je, que cela m’est nouveau ; et j’apprends de cette définition, qu’on n’a peut-être jamais tué personne en trahison. Car on ne s’avise guère d’assassiner que ses ennemis.
REGUIG-NAYA Delphine, Le corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de La Fayette, Racine, Paris, Champion, 2007, p. 126.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 236.
Vous ne savez pas seulement ce que les termes signifient, et cependant vous parlez comme un docteur : Pascal reprend ironiquement un des reproches que les polémistes jésuites lui ont fait dansla réalité. Le lecteurpense naturellement que, pour comprendre ce que c’est que tuer en trahison, il n’y a pas besoin d’être grend clerc.
VII, 12. Mais quoi qu’il en soit, on peut selon Sanchez, tuer hardiment, je ne dis plus en trahison, mais seulement par derrière, ou dans une embûche, un calomniateur qui nous poursuit en justice ? Oui, dit le père, mais en dirigeant bien l’intention ; vous oubliez toujours le principal.
Texte de 1659 : « Mais quoi qu’il en soit, on peut donc, selon Sanchez... »
Embûche : embuscade, entre prise secrète ; piège qu’on tend à quelqu’un, conspiration qu’on fait contre lui.
Pensées, Laf. 51, Sel. 84. « Pourquoi me tuez-vous à votre avantage ? Je n’ai point d’armes - Et quoi, ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, et cela serait injuste de vous tuer de la sorte. Mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je suis un brave et cela est juste. »
Le mon ami de ce fragment prend son relief quand on compare à l’expression on ne s’avise guère d’assassiner que ses ennemis.
GROTIUS Hugo, Le droit de la guerre et de la paix, II, ch. I, X, 3. Grotius signale qu’il y a des casuistes qui enseignent que l’on peut tuer un calomniateur, Navarr., lib. XI, cap. III, n. 376, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 33.
VII, 12. Et c’est ce que Molina soutient aussi, to. 4. tr. 3. disp. 12.
« Disputatio 1. Utrum aliquando interficere liceat eum, qui nondum injuste aggreditur, aggredi tamen decrevit. Summarium. 1. Ex sola suspicione etiam vehementi mortem injustam parari, nefas est interficere eum, de quo est suspicio. 2. An licite interficiatur ille, qui injustum homicidium exequi decrevit, ab eo cujus vita periclitatur. »
VII, 12. Et même, selon notre docte Reginaldus, l. 21. c. 5. n. 57. On peut tuer aussi les faux témoins qu’il suscite contre nous.
Texte cité dans GEF V, p. 66. REGNAULT, Praxis fori poenitentialis ad directionem confessarii, in su sacri sui mueris, auctore P. Valerio Reginaldo, Lyon, 1616-1626, 2 vol. Voir le livre XXI, c. 5, n. 57. Conditiones ut occisio hominis ad defensionem sui facta censeatur licita. « Denique si eas ad ferendum contra me falsum testimonium, ex quo accepturus sim mortis sententiam ; nec alia est ratio effugii : licitum est mihi te occidere, tanquam alioqui occisurum me : cum nihil referat in tali re, an tuo vel alieno, puta carnificis, gladio me occidas ».
Voir éd. Cognet, p. 122, n. 3.
Voir pour la discussion DANIEL Gabriel, Réponse aux Provinciales de L. de Montalte, ou Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, chez Donato Donati, Amsterdam, 1697, p. 327 sq., qui soutient que, présentée ainsi, la proposition est anathème, mais « est-ce celle de Reginaldus ? » Voir p. 323, sur les précautions qu’en fait Reginaldus exige selon Daniel.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, 327 sq. Reginaldus ne reconnaît qu’en spéculation le droit de tuer les témoins qui mettent notre vie dans un danger certain, quand il n’y a pas d’autre moyen de les empêcher. Il l’interdit dans la pratique.
Pascal discute la manière dont les jésuites distinguent la théorie et la pratique dans la XIIIe Provinciale.
VII, 11. Et enfin selon nos grands et célèbres pères Tannerus et Emmanuel Sa ; on peut de même tuer et les faux témoins et le juge, s’il est de leur intelligence. Voici ses mots, tr. 2. disp. 4. q. 8. n. 88. Sotus, dit-il, et Lessius, disent qu’il n’est pas permis de tuer les faux témoins, et le Juge qui conspirent à faire mourir un innocent, mais Emmanuel Sa, et d’autres auteurs, ont raison d’improuver ce sentiment-là, au moins pour ce qui touche la conscience. Et il confirme encore au même lieu qu’on peut tuer et témoins et juge.
Texte de 1659 : « Voici ses mots, t. 3, disp. 4, q. 8, n. 83 ».
S’il est de leur intelligence : s’il est leur complice. Intelligence : liaison, concorde, union, amitié de deux ou de plusieurs personnes qui s’entendent bien ensemble. Se dit aussi en mauvaise part d’une cabale secrète, d’une collusion de parties qui tend à nuire à autrui.
PETITDIDIER Mathieu, Apologie des Lettres Provinciales, II, p. 196 sq., sur les opinions des casuistes sur l’homicide.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, 327 sq.
Technique rhétorique du de plus en plus fort. On peut aussi tuer le juge.
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 58 sq.
VII, 13. Mon père, lui dis-je, j’entends maintenant assez bien votre principe de la direction d’intention, mais je veux bien entendre aussi les conséquences, et tous les cas où cette méthode donne le pouvoir de tuer. Reprenons donc ceux que vous m’avez dits, de peur de méprise. Car l’équivoque serait ici dangereuse. Il ne faut tuer que bien à propos, et sur bonne opinion probable. Vous m’avez donc assuré qu’en dirigeant bien son intention, on peut selon vos pères, pour conserver son honneur, et même son bien, accepter un duel, l’offrir quelquefois, tuer en cachette un faux accusateur, et ses témoins avec lui, et encore le juge corrompu qui les favorise : et vous m’avez dit aussi que celui qui a reçu un soufflet peut sans se venger le réparer à coups d’épée. Mais, mon père, vous ne m’avez pas dit avec quelle mesure. On ne s’y peut guère tromper, dit le père, car on peut aller jusqu’à le tuer.
Texte de 1659 : « mais j’en veux bien entendre aussi les conséquences »
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 64 sq. La permission de tuer contrevient aux commandements du roi de France, et autorise les actions barbares. Le chapitre d’Escobar Pratique de l’homicide selon notre société, Tr. I, Ex. VII, caput III, Praxis circa materiam de homicidio ex doctoribus Societatis, p. 116 sq., est repris dans la XIIIe Provinciale, § 9 : p. 65.
VII, 13. C’est ce que prouve fort bien notre savant Henriquez l. 14. c. 10. n. 3. et d’autres de nos pères rapportés par Escobar au tr. I, ex. 7, n. 48, en ces mots. « On peut tuer celui qui a donné un soufflet, quoiqu’il s’enfuie, pourvu qu’on évite de le faire par haine ou par vengeance, et que par là on ne donne pas lieu à des meurtres excessifs et nuisibles à l’État. Et la raison en est qu’on peut ainsi courir après son honneur, comme après du bien dérobé. Car encore que votre honneur ne soit pas entre les mains de votre ennemi, comme seraient des hardes qu’il vous aurait volées, on peut néanmoins le recouvrer en la même manière, en donnant des marques de grandeur et d’autorité, et s’acquérant par là l’estime des hommes. Et, en effet, n’est-il pas véritable que celui qui a reçu un soufflet, est réputé sans honneur, jusqu’à ce qu’il ait tué son ennemi.] Cela me parut si horrible, que j’eus peine à me retenir ; mais, pour savoir le reste, je le laissai continuer ainsi. Et même, dit-il, on peut pour prévenir un soufflet tuer celui qui le veut donner, s’il n’y a que ce moyen de l’éviter. Cela est commun dans nos pères.
Texte de 1659 : « d’autres de nos Pères rapportés par Escobar tr. I, ex. 7, n. 48 ».
Henrique Henriquez est né à Porto en 1536, et devint jésuite en 1552. Il a professé à Cordoue et Salamanque L’abbé Maynard (Provinciales, II, p. 457-458) remarque que la compagnie de Jésus ne peut pas être responsable de sa Théologie morale, car il aurait inséré des décisions rejetées par les réviseurs. Il passa dans l’ordre de saint Dominique, pour revenir ensuite aux jésuites. Il mourut à Tivoli en 1608.
HENRIQUEZ Henrique, Summa theologiae moralis, Salamanque, 1591. Voir p. 868-869. « Si quis fortiorem se videat adversario, et ei constat satis esse ad sui defensionem ut invasorem mutilet, fit irregu. si occidat : nisi praemissa diligentia occidat per accidens et praeter intentionem. Si vir nobilis fuga (quamvis minus honorifica) aut clamore potest evadere periculum mortis, non peccat sistens, et in conflictu cum armis occidens invasorem, sed videtur irregul. quia fuit causa propinqua mortis, et non tam egit pro defensione vitae, quam honoris : clericus vero aut monachus tenetur fuga (nisi esset periculosa) vitare periculum occidendi alium. Et his non est indecorum fugere, ne invasor pereat corpore et anima. Si non timet mortem ab invasore, sed mutilationem membri principalis : quidam putant quod ex caritate tenetur pati id malum pro salute spirituali alterius, ne occisus pereat in aeternum : At revera occidens pro defensione suae integritatis non fit irregul. quia in jure mutilatio, qua privatur vita membri alicujus principalis, aequatur morti in fanore, aut irreg. nec esset irreg. si occidat pro vitando vulnere periculoso, aut gravi deformitate vultus : quia haec videntur aequari morti quantum ad irreg. si clericus accessit ad bellum justum causa exhortationis, et tamen in periculo constitutus occidat hostem pro necessaria sui defensione, non fit irreg. Si adulter etiam clericus advertens periculum intravit domum adulterae, et invasus a marito illius, occidat invasorem pro necessaria vitae aut membrorum defensione, non videtur irregu. quia d. cle. Generaliter excipit et declarat de omni homine, qui se juste defendit. »
Pascal suit Escobar dans la citation qu’il fait de Henriquez. Mais la référence que donne Escobar ne correspond pas au texte d’Henriquez. GEF V, p. 75, ne cite qu’Escobar, et non l’original allégué de Henriquez. Cognet, p. 123, note que Pascal ne connaît le texte de Henriquez que par Escobar, mais il ne donne aucune référence à cet original de Henriquez.
Comme l’indique GEF V, p. 96, n. 1, la référence l. 14, c. 10, n. 3 manque dans Wendrock. Cela suggère que, guidé par Escobar, Nicole n’a pas trouvé dans Henriquez l’équivalent de ce que fournit Escobar. Pascal, avant lui, s’est borné à consulter Escobar, mais n’est pas remonté au texte de Henriquez.
ESCOBAR, Theologia moralis, Tr. I, Ex. VII, n. 47, p. 120. « An liceat post percutientem insequi et interimere? Aliqui negant ; quia id esset injuriam vindicare, non defendere. At Lessius lib. 2, cap. 9, dub. 12, num. 80 licere existimat speculative, sed in praxis non consulendum ob periculum odii, vindicate, et excessum, pugnarum, et caedium in Reipublicae pernitiem. Alii seclusis his periculis in praxi probabilem, et, et tuam judicarunt. Henriquez lib. 14, cap. 10, num. 3. Ratio est, quia quamdiu damnum illatum manet in suspenso, semper est locus defensioni, ut patet in eo, qui furem insequitur fugientem, ad recuperandum ablatum. Nam quamvis honor non sit apud percussorem sicut ablata res apud furem : potest tamen non secus ac res furtiva recuperari, ostendendo signe excellentiae, et aestimationem apud homines captando. An non alapa percussus censetur tamdiu honore privatus, quamdiu adversarium interimit? »
Pascal revient là-dessus dans la Provinciale XIII, 8-9, éd. Cognet, p. 242.
N’est-il pas véritable que celui qui a reçu un soufflet est réputé sans honneur, jusqu’à ce qu’il ait tué son ennemi? C’est la situation du Cid, sur laquelle Pascal revient dans le fragment Laf. 136, Sel. 168 des Pensées sur le divertissement.
VII, 13. Par exemple, Azor, Inst. mor. part. 3. p. 105 (c’est encore l’un des 24 V.) « Est-il permis à un homme d’honneur de tuer celui qui lui veut donner un soufflet ou un coup de bâton ? Les uns disent que non ; et leur raison est que la vie du prochain, est plus précieuse que notre honneur ; outre qu’il y a de la cruauté à tuer un homme pour éviter seulement un soufflet. Mais les autres disent que cela est permis, et certainement je le trouve probable, quand on ne peut l’éviter autrement. Car, sans cela l’honneur des innocents serait sans cesse exposé à la malice des insolents.]
L’un des 24 V. : entendre l’un des vingt-quatre vieillards.
Le signe ] correspond, comme plus haut, à la clôture des guillemets.
Ce passage pose un problème de référence. Le livre d’Azor ne comporte pas de numérotation par pages, mais par colonnes (deux par page).
GEF V, p. 77, renvoie au tome III, Pars III, lib. II, c. 1, qu. 16, p. 105, dans l’édition de Lyon, 1613.
Plus prudemment, l’éd. Cognet et l’éd. Le Guern ne donnent aucune référence.
L’édition latine de Wendrock donne une référence plus précise : Inst. Mor. Part. 3, l. 2, p. 105.
L’édition Maynard donne une référence de page différente, p. 127. Voici le texte, qui correspond à celui que signale GEF V, mais à une autre page. « Decimosexto quaeritur, An si invasor percutiat, verbi gratia alapa, vel fuste, vel verbere hominum alcujus notae, et honoris, ita ut ignomoniosum sit illi, licitum sir occidere invasorem, ne alapa, vel fuste, vel verbere laedat ? Duae sunt opiniones. Prima asserentium, non licere occidere. Sic videtur sentire Maior 4. Distinct. 15, quaest. 20, quia vita proximi pretiosior est nostro honore. Deinde, quia est inhumanum occidere aliumn ne nos alapa, vel verbere, vel fuste percutiat. Opinio secunda est asserentium, id esse licitum, nimirum quando alapa, vel verbere, vel fuste percuti, esset valde homini percusso dedecorosum. Ita Sotus, Couarrunias, Navar. locis supra citatis. Certe hoc videtur probabile, cum alio modo suum honorem defendere non potest. Aliter enim ex militia hominum honor innocentis passim tolli posset”.
VII, 13. Notre grand Filiutius, de même, to. 2. tr. 29. c. 3. n. 50.
La référence aux Moralium quaestionum de chroistianis officiis et casibus conscientiae, t. 2, Lyon, 1626, est exacte. « Dico secundo. Si factis, connitendo alapam, vel fustem impingere, probabilism est sententia doctorum, dicentium fas esse viro Honorato occidere talem invasorem, Nau. c. 15 n. 3, Sot. a 8, Syl. Homicid. I, q. 5 et alii cum Less n. 77. Ratio est, quia sicut licet invasorem occidere ad defendenda bona temporalia: ut dictum est praeced. q. Ita multo magis licere debet ad defendendum honorem, qui merito pluris apud homines aestimatur quam damnum multorum bonorum, vel pecuniarum. Dixi, viro honorato; quia si secundum rectam rationem non censeretur alicui talis defensio nimis utilis, aut necessaria, ut pauperi clerico, religioso, vel personae vulgari, tunc non liceret. Nobili autem laico, militi, etc. liceret ».
La réponse du casuiste fait une différence entre ce qui est permis à un homme honorable et les gens de basse condition. Voir ce qu’écrit Antoine Adam dans son Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, II, Paris, Del Duca, 1962, p. 262. Pascal « sent, derrière les thèses scandaleuses des casuistes, l’idée qu’il y a des hommes placés par leur rang social et leur fortune au-dessus de la loi. Un gentilhomme peut tuer, et non pas un bourgeois, parce que le point d’honneur d’un noble est plus délicat que celui d’un marchand. Les jésuites ont beau dire qu’ils ont soin d’alléger le fardeau aux hommes de toutes les conditions. On voit bien qu’au total ils sont d’autant plus accommodants que leurs clients sont plus haut placés dans la hiérarchie sociale.
Fustis : bâton.
VII, 13. et le p. Héreau, dans ses écrits de l’homicide,
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 142. Orthographie le nom du p. Héreau comme suit : Airault ; il en connaît plusieurs autres orthographes (Hayreau, Ayrault, etc.). Né à Évron en Mayenne le 22 avril 1599, il entre en Compagnie le 5 octobre 1623 ; il enseigne la grammaire, puis la philosophie pendant quatorze ans, puis cinq ans la théologie morale au collège de Clermont.
En 1644, l’affaire Héreau montre que les jésuites accordent diverses autorisations sur le meurtre, l’avortement, et surtout le régicide comme opinions probables.
Sur l’affaire, voir ADAM Antoine, Du mysticisme à la révolte, p. 172. Le p. Héreau est jésuite ; professeur au collège de Clermont à Paris, il enseigne des opinions audacieuses, permettant le duel, l’avortement d’une fille séduite, et surtout il considère comme probable l’opinion qui autorise le régicide. Il n’a rien publié, mais ses cours sont connus par des notes qui y ont été prises. Grandin le dénonce à la Sorbonne ; le Parlement, puis la Cour sont saisis, et le 3 mai 1644, le P. Héreau est condamné par décision du Conseil d’Etat aux arrêts. Le p. Le Moine publie un Manifeste apologétique, et le p. Caussin un plaidoyer en faveur de la Compagnie. Voir GEF V, p. 58, les Requêtes, Procès-verbaux et Avertissements faits à la diligence du recteur et par l’ordre de l’Université de Paris, 1644, et le texte, p. 59.
Son cas est à nouveau évoqué dans Provinciale XIII, 14, éd. Cognet, p. 246-247 : “Et entre autres le p. Héreau dans ses leçons publiques, ensuite desquelles le Roi le fit mettre en arrêt en votre maison pour avoir enseigné, outre plusieurs erreurs, que quand celui qui nous décrie devant des gens d’honneur continue après l’avoir averti de cesser, il nous est permis de le tuer ; non pas véritablement en public, de peur de scandale, mais en cachette, SED CLAM.” La permission de tuer s’accompagne de la recommandation de ne pas “tuer ouvertement, mais clandestinement et en cachette”. Le texte cité par Pascal provient d’un Acte fait à la diligence de M. le recteur de l’Université de Paris, en date du 21 août 1643 ; voir Annales des jésuites, t. 3, p. 862 ; il est tiré d’un cours du p. Héreau au collège de Clermont, trouvé dans les papiers d’un augustin du collège du Mans. La traduction de Pascal est exacte ; Wendrock cite le texte un peu plus longuement.
Remarque : par écrits, il faut entendre non pas des publications, mais un cours dicté par le P. Héreau.
Voir Annales, p ; 929, et Théologie morale des jésuites, 1669, p. 184. Pascal évoque à nouveau son cas dans Provinciale XIII, 14, éd. Cognet, p. 246-247.
Et il y reviendra dans le Premier écrit pour les curés de Paris, éd. Cognet, p. 408, § 9. « Le P. Héreau fit, au Collège de Clermont, des leçons si étranges pour permettre l’homicide. (...) Le P. Héreau ayant été, sur cette accusation, condamné par le Conseil à tenir prison dans le collège des Jésuites, avec défenses d’enseigner dorénavant, cela assoupit un peu l’ardeur des casuistes ; mais ils ne faisaient cependant que préparer de nouvelles matières, pour les produire toutes à la fois en un temps plus favorable. »
Pascal a pu lire la Requête de l’université de Paris à la cour de Parlement contre la doctrine et les écrits dictés du P. Héreau, jésuite, professeur des cas de conscience au collège de Clermont à Paris en 1641 ; il a pu aussi recourir à la Troisième requête de l’université de Paris présentée à la cour de Parlement le 7 de décembre 1644 contre les libelles que les jésuites ont publiés sous les titres d’Apologies par le P. Caussin et de Manifeste apologétique par le P. Le Moyne, et autres semblables, Paris, 1644 ; sources possibles mentionnées par l’éd. Le Guern, Œuvres, I, p. 1185, qui donne des extraits de traduction du cours.
Provinciales, éd. Cognet, p. 124, n. 3.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 142. Accusation par l’université de Paris auprès du parlement de Paris contre le P. Airault (Héreau), professeur de cas de conscience au collège de Clermont en janvier 1644. Opinion en faveur de l’avortement : « il permet à une fille d’honneur engrossée contre son gré, par un jeune homme, de se procurer une décharge auparavant que l’enfant soit animé, de peur qu’elle ne perde son honneur », et il enseigne « aussi qu’il est permis à une femme mariée, qui toujours de son enfantement est en grand danger de mort, de prendre des breuvages qui la rendent stérile » : p. 145.
PASCAL, Œuvres, éd. Le Guern, I, p. 1184-1185, renvoie à La théologie morale des jésuites, p. 12-13, qui fait référence au P. Héreau.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 149. Les attaques tendant à prouver que l’autorisation du meurtre n’est pas de la part du P. Héreau un dérapage d’un théologien particulier, mais la conséquence d’un système autorisé par la surveillance interne de la Compagnie de Jésus. Cela vient d’une volonté délibérée d’autoriser et de répandre des positions favorables ay tyrannicide : p. 150. La Requête présentée à nosseigneurs de la cour de parlement par l’Université de Paris pour joindre à celle du 5 mars contre le P. Héreau avance implicitement que ses sentiments doivent être regardés comme les sentiments de toute la Compagnie, puisque les constitutions des jésuites excluent la diversité de doctrine : p. 150. Dans un second temps, la Requête procède à un élargissement de la mise en cause des doctrines des jésuites à d’autres points théologiques et à d’autres temps : p. 150.
Pascal a pu lire la Requête de l’université de Paris à la cour de Parlement contre la doctrine et les écrits dictés du P. Héreau, jésuite, professeur des cas de conscience au collège de Clermont à Paris en 1641 ; il a pu aussi recourir à la Troisième requête de l’université de paris présentée à la cour de Parlement le 7 de décembre 1644 contre les libelles que les jésuites ont publiés sous les titres d’Apologies par le P. Caussin et de Manifeste apologétique par le P. Le Moyne, et autres semblables, Paris, 1644 ; sources possibles mentionnées par l’éd. Le Guern, Œuvres, I, p. 1185. Extraits de traduction du cours. Noter que la permission de tuer s’accompagne de la recommandation de ne pas « tuer ouvertement, mais clandestinement et en cachette ».
Voir aussi HERMANT, Réponse de l’Université à l’Apologie du P. Caussin, 1644 ; voir GEF VI, p. 13 sq.
Sur le rôle des jésuites dans la diffusion des idées sur le tyran. Les jésuites et l’affaire du De rege et regis institutione, de Mariana, 1598 : Mariana aboutit, au delà des conclusions antérieures, à l’idée que si l’assemblée ne trouve pas d’autre possibilité, comme un jugement et une exécution réguliers, on peut tuer le tyran par le fer ; droit donné à chaque particulier : « il est toujours salutaire que les princes soient persuadés que s’ils oppriment la République, s’ils se rendent intolérables par leurs vices et leurs délits, ils sont sujets à être assassinés, non seulement avec droit, mais avec applaudissement et gloire des générations à venir » ; il accorde même qu’on peut tuer le tyran par l’empoisonnement. Mais le P. Coton, confesseur jésuite d’Henri IV, désavoue cet auteur. En 1644 a lieu l’affaire Héreau, professeur au collège de Clermont : il accorde diverses autorisations sur le meurtre, l’avortement, et surtout le régicide comme opinions probables ; condamné par arrêt du conseil le 3 mai 1644.
Première requête des curés de Rouen, in Divers écrits des curés de Paris, Rouen, Nevers, Amiens, Evreux et Lisieux contre la morale des jésuites..., 1762, p. 359 sq.
ADAM Antoine, Du mysticisme à la révolte, p.172.
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, II, éd. Leroy, Pléiade, p.123.
HERMANT Godefroi, Mémoires, éd. Gazier, I, ch. XV, Paris, Plon, 1905, p. 260 sq. L’Université de Paris présente une requête au Parlement contre les écrits du p. Héreau (1644).
JANSEN Paule, Arnauld d’Andilly, p. 84.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, 330 sq. Maynard conteste les sources de Pascal comme sorties des comptes rendus de l’Université, écrits par le commissaire Charles en 1643 ou 1644, soi-disant sous la dictée de Louis Gorin de Saint-Amour.
Sur le régicide
Le sujet est sensible à l’époque de Pascal, ne serait-ce qu’à cause de l’assassinat de Henri IV.
PASQUIER, Catéchisme des jésuites, éd. Sutto, p. 108 sq. Doctrine nouvelle des jésuites, enseignée dans les collèges : p. 109, et p. 345. Cas de Henri IV : p. 109. Réponse du P. Richeome sur le régicide : p. 117. Voir p. 131, sur les actions des jésuites contre les rois qu’ils jugent nuisibles. Ils se servent de la confession pour exciter au meurtre : p. 132. Sur les dangers politiques liés à l’obéissance aveugle : p. 322. Les jésuites feignent de condamner leur doctrine sur le meurtre des princes et leur rébellion contre l’Etat. L’affaire Barrière : p. 334 sq. Ils demandent au roi d’oublier le crime. L’affaire Chastel : p. 244 sq. Réfutation : c’est une hérésie d’approuver les assassins des princes, même si ce sont des tyrans ; il faut distinguer le roi et le tyran : p. 346 sq. Nul sujet ne peut s’attaquer à un prince ; il faut obéir au roi, bon ou mauvais : p. 349. Acte d’Ignace de Loyola par lequel les jésuites apprennent à tuer ceux qui n’adhèrent pas à leurs opinions : p. 350.
HERMANT Godefroi, Réponse de l’université à l’Apologie du P. Caussin, 1644 ; voir GEF VI, p. 13 sq.
DE MEYER A., “Les premières controverses jansénistes en France (1640-1649)”, Louvain, Van Linthout, 1917, p. 396.
MOUSNIER Roland, L’assassinat d’Henri IV. L’Antiquité sur la tyrannie et le tyrannicide : voir les formes de la tyrannie selon Aristote (Politique, VI, 3, VI, 2) : la tyrannie est présentée comme déviation de la royauté (qui repose sur le consentement des sujets et sur la loi) ; « la tyrannie est la monarchie absolue qui, sans aucune responsabilité et dans l’intérêt du seul tyran, gouverne des hommes qui valent autant et mieux que lui, cette monarchie qui ne s’occupe jamais des intérêts particuliers des sujets. Aussi existe-t-elle malgré eux, car il n’y a pas un seul homme libre qui supporte volontiers un pareil pouvoir (...). La tyrannie (...) est le pire des gouvernements... » L’opposition entre tyrannie et monarchie consiste en ce que « le roi veut et doit être le protecteur de ses sujets... Au contraire..., la tyrannie n’a jamais en vue le bien général, si ce n’est pour son utilité particulière... Le but que se propose le tyran, c’est le plaisir..., la grandeur des richesses, et l’éclat des honneurs » (Politique, VIII, 8). Aristote distingue les tyrannies fondées sur le consentement des sujets, qui ont quelque chose de royal, mais qui sont tyranniques en ce que le pouvoir est absolu et tout à fait arbitraire, et les tyrannies marquées par la ruse et la violence. Dans la tradition juive, le Décalogue dit : tu ne tueras pas (Exode, XX, 13) ; voir aussi Exode, XXI, 12 sq., pour le châtiment de l’homicide. Il y a des cas de meurtres louables : Moïse tuant l’Egyptien, Exode, II, 11 ; et pour les tyrannicides : Jéhu tue Joram roi d’Israël, Ochosias roi de Juda et Jézabel (Rois II, 9) ; Joïadah met à mort Athalie (Rois II, 11).
Dans l’antiquité chrétienne, la règle : Non occides, donne lieu à S. Paul, Ep. Rom. : « que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu » ; l’apôtre marque une opposition absolue au tyrannicide ; il faut subir la tyrannie au besoin jusqu’au martyre ; la persécution aussi est envoyée par Dieu (Tertullien). Il faut savoir mourir, non savoir tuer ; le châtiment viendra de Dieu : « Deus religionis ac populi sui vindex » (Lactance, De mortibus persecutorum). Saint Augustin apporte quelques nuances : le méchant peut être mis à mort pour le bien commun ; un simple particulier peut en sûreté de conscience tuer un tyran, sans mandat du peuple, s’il en a reçu directement l’ordre de Dieu, Cité de Dieu, I, 17.
Les définitions médiévales du tyran. Jean de Salisbury, Policraticus, 1159, écrit : « donc est tyran... qui opprime le peuple par une domination violente, de même que celui qui gouverne par les lois est prince » ; voir la comparaison analogique :
le prince Dieu
le tyran Satan
Saint Thomas, Somme théologique, Secunda secundae, q. 42, de seditione, art. 3 : “voici en effet ce qui est tyrannique : ce qui est ordonné au bien propre du gouvernant, avec préjudice pour la multitude”.
Le Moyen Age sur le tyrannicide. Jean de Salisbury, Policraticus, 1159, est partisan du tyrannicide : « non seulement il est licite de tuer le tyran, mais c’est équitable et juste » ; « que par l’autorité du recueil divin, il est licite et glorieux d’occire des tyrans publics » (titre du ch. XX). Décision valable aussi bien pour le tyran d’usurpation et le tyran d’exercice, pour cette raison : le tyran, violant les règles voulues par Dieu, se rend coupable de lèse-majesté divine ; de sorte que “les humains doivent à Dieu de punir le crime de lèse-majesté divine”. Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard (1254-1256), article sur la nécessité d’obéir aux tyrans : on peut tuer le tyran d’usurpation : “qui occit le tyran pour la libération de la patrie, est loué et reçoit une récompense” ; on n’est pas tenu d’obéir au tyran d’exercice ; on peut même être tenu de ne pas lui obéir :
cas 1 : le tyran abuse en faisant le contraire de ce à quoi sa commission est ordonnée, comme de commander un péché contraire à la vertu : le chrétien est tenu de désobéir ;
cas 2 : le tyran peut contraindre à ce qui est hors de la sphère de sa commission (tyrannie au sens de Pascal) : le chrétien n’est tenu ni d’obéir, ni de désobéir ; si le tyran insiste, il y a le martyre...
Mais de le tuer? il n’en dit rien ; en revanche, il y a devoir d’obéir aux puissances séculières ; « mais ... celui qui ravit la supériorité par la violence ne devient pas vraiment commis ou seigneur ; et donc lorsqu’il y a moyen quelqu’un peut rejeter une telle domination ; si ce n’est qu’il soit devenu ensuite vrai seigneur soit par consentement des sujets, ou par autorité du supérieur... » Dans le De regimine principum (1265-1266), il se montre plus réservé : il faut considérer qu’il vaut mieux supporter le tyran pour éviter un plus grand mal ; si les révoltés échouent, le tyran peut devenir encore plus méchant ; des troubles peuvent naître dans le peuple, et aboutir à un tyran pire que le premier. En définitive, saint Thomas est hostile au tyrannicide : il faut suivre le modèle des martyrs persécutés par Rome ; seule est possible la révolte réglée, par représentants qualifiés du peuple : Somme théologique, secunda secundae (1271-1272) : la révolte contre le tyran est permise et exempte de péché, mais peut-on tuer le tyran ? « Si quelque homme est dangereux pour la communauté et son corrupteur à cause de quelque péché, qu’il soit tué louablement et avec avantage, pour que le bien commun soit conservé »... ; le meurtre des malfaisants est utile au bien commun ; les personnes qualifiées, magistrats, seigneurs, etc., ont le droit de juger et de tuer les malfaiteurs et pécheurs, donc le tyran ; mais est-ce permis à une personne privée, poussé par une inspiration? sans doute non selon saint Thomas, mais on peut essayer de tirer cette conclusion de ses idées.
Les formes de la tyrannie selon les juristes : définition des caractères du tyran selon Bartole (jurisconsulte italien) ; les signes du tyran :
tue les meilleurs hommes de la cité, y compris ses proches
détruit les études et toute discipline ; marque les sages ;
sème de nombreux espions parmi ses citoyens
appauvrit les citoyens pour les écraser de soucis
fait la guerre à l’étranger pour occuper les citoyens
se fait garder par des étrangers
adhère à un parti, avec l’appui duquel il chasse les autres
Bartole distingue deux formes :
defectu tituli, par défaut de titre (y compris celui élu metus causa) : tyrannie d’usurpation
ex parte exercitii, par exercice soit tyrannie d’exercice : le chef d’Etat qui a obtenu le pouvoir d’une façon légale, mais qui en use mal, en violant les lois, les droits, l’intérêt public, dans son intérêt personnel
Les deux tyrannies tombent sous le coup du droit romain, qui fait autorité :
le tyran d’usurpation : lex julia majestatis
le tyran d’exercice : lex julia de vi publica
dans des tragédies dont les sujets sont puisés dans les mondes grec et latin)
Les juristes : selon Bartole, si quelqu’un essaie de déposer le tyran en vue de l’utilité publique, il en a le droit, sans être taxé de sédition, la peine prévue est l’exil à perpétuité ; mais Bartole réprouve le tyrannicide.
Les humanistes au XVIe siècle, imprégnés d’Antiquité, les humanistes regardent les tyrannicides avec sympathie : La Boétie, De la servitude volontaire, 1549 ; parmi les protestants, Luther est contre le tyrannicide ; Calvin, Institutions de la religion chrétienne, 1541 et 1560, doctrine reprise de saint Augustin sur le fait que la toute-puissance vient de Dieu ; nécessité d’obéir au souverain, même tyran ; il faut aller au martyre en priant pour la conversion du roi tyran ; si le roi ordonne une action contraire à la loi de Dieu, refuser l’obéissance, jusqu’au martyre ; les Etats généraux ont même devoir de résistance ; mais les personnes privées n’ont droit ni de se révolter, ni de tuer le tyran, sauf si elles reçoivent une mission spéciale de Dieu contre le tyran : voie ouverte au régicide par des illuminés ; voir la Judith de Du Bartas, qui reprend la thèse de Calvin sur le tyrannicide, devoir de celui qui a reçu un mouvement particulier de Dieu. Les calvinistes iront plus loin au moment des guerres de religion, et surtout après la Saint-Barthélemy, 1572 : droit de désobéissance et d’opposition active, selon le principe : “il n’y a d’autre volonté que celle d’un seul Dieu qui soit perpétuelle et immuable règle de toute justice” (1573, Du droit des magistrats sur leurs sujets) ; le chrétien peut désobéir à un ordre contraire à la loi de Dieu si le tyran ne s’amende pas ; contre le tyran d’usurpation, si les magistrats ne protestent pas, tout particulier peut se révolter et le tuer ; contre un tyran d’exercice : pour les personnes privées, pas de droit de résistance, sauf appel spécial de Dieu (“extraordinaire vocation de Dieu”) ; pour les personnes publiques : les magistrats ont part à la souveraineté, devant laquelle ils sont responsables ; tenus par serment à la maintenance des lois ; donc “tenus de pourvoir contre une tyrannie toute manifeste à la salvation de ceux qu’ils ont en charge”. Mais cela dépasse les idées de Calvin ; c’est un calvinisme extrême, exprimé in Vindiciae contra tyrannos, anonyme de 1581.
Du côté des catholiques se produit un dépassement des positions thomistes par les théologiens, qui font des exceptions à l’interdiction de tuer : légitime défense, permission de tuer un envahisseur, un malfaiteur, permission au particulier de tuer un tyran d’usurpation, car il est légitime de résister à la force par la force mais pas un tyran d’exercice ; en appeler au supérieur, s’il y en a un ; autrement, souffrir jusqu’au martyre. Les doctrines ligueuses se développent lorsque le futur Henri IV devient héritier présomptif du royaume, la doctrine change : alors que les protestants insistent sur l’inviolabilité du souverain, les catholiques insistent sur la souveraineté du peuple et ses droits contre les rois. Jean Boucher, De justa Henrici tertii abdicatione e Francorum regno libri quatuor et Apologie pour Jean Chastel (1589 et 1594). On admet le respect du roi ; contre le tyran d’exercice, il faut que la République se prononce, mais une fois qu’elle l’a fait, un simple particulier peut occire le tyran comme bête féroce ; si le tyran persécute l’Église, massacre les prêtres, profane les sacrements, il perd le caractère de roi, et devient un simple particulier que chacun peut punir de ses crimes ; si le tyran est hérétique, il ne peut être l’oint du Seigneur ; l’homicide n’est pas péché s’il s’exécute pour venger le peuple de Dieu. Il y a donc un accroissement important du nombre des cas où un particulier peut tuer le tyran.
Sur le rôle des jésuites dans la diffusion des idées sur le tyran. Tyrannie et tyrannicide : p. 47. Les jésuites : l’affaire Mariana, De rege et regis institutione, 1598 : aboutit, au delà des conclusions antérieures, à l’idée que si l’assemblée ne trouve pas d’autre possibilité, comme un jugement et une exécution réguliers, on peut tuer le tyran par le fer ; droit donné à chaque particulier : “il est toujours salutaire que les princes soient persuadés que s’ils oppriment la République, s’ils se rendent intolérables par leurs vices et leurs délits, ils sont sujets à être assassinés, non seulement avec droit, mais avec applaudissement et gloire des générations à venir” ; il accorde même qu’on peut tuer le tyran par l’empoisonnement. Mais le P. Coton, confesseur jésuite d’Henri IV, désavoue cet auteur. En 1644 : l’affaire Héreau, professeur au collège de Clermont : il accorde diverses autorisations sur le meurtre, l’avortement, et surtout le régicide comme opinions probables ; condamné par arrêt du conseil le 3 mai 1644.
Les jésuites ont tenté d’attribuer à Port-Royal la permission du régicide. Arnauld a protesté dans ARNAULD Antoine, Remontrance aux pères jésuites touchant un libelle qu’ils ont fait courir dans Paris, sous ce faux titre : La manifeste de la véritable doctrine des jansénistes, telle qu’on la doit exposer au peuple, composé par l’assemblée du Port-Royal (d’après l’éd. de 1651), Œuvres, XXIX, p. 531 sq., XIXe preuve, De ce qu’ils font dire aux disciples de saint Augustin, par le plus horrible de tous les excès, que selon leur doctrine les parricides mêmes des rois seraient tolérables.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 142. Accusation par l’université de Paris auprès du parlement de Paris contre le P. Airault, professeur de cas de conscience au collège de Clermont en janvier 1644 : on lui reproche d’avoir enseigné que l’on peut prévenir un accusateur malveillant, y compris par un assassinat. Il faut tuer non pas ouvertement, mais clandestinement et en cachette : p. 142. On lui reproche aussi des opinions favorables au régicide. S’il est permis à chacun de tuer celui qui a une autorité légitime de régner et en abusent au détriment du peuple : p. 143. Le jésuite s’appuie sur la maxime que le droit de se défendre s’étend à tout ce qui est nécessaire pour se garantir de toute injure : p. 143. Lieu majeur de la mise en cause du p. Héreau est la question du régicide : p. 151 sq. Cela permet de renvoyer les jésuites aux prédicateurs de la Ligue : p. 152.
L’affaire Chastel, 27 décembre 1594
PASQUIER, Le catéchisme des jésuites, éd. Sutto, p. 66 sq. Voir la bibliographie note 252. Voir p. 344 sq. le chapitre consacré à cette affaire. Endoctriné par les jésuites : p ; 345. Les suites : p. 387 sq.
BABELON, Henri IV, index (Châtel).
MOUSNIER Roland, L’assassinat d’Henri IV, p. 201.
L’affaire de Pierre Barrière contre Henri IV
PASQUIER, Catéchisme des jésuites, éd. Sutto, p. 334 sq. Défense des jésuites. Histoire de l’attentat : p. 337 sq. Part des jésuites : p. 340 sq.
BABELON, Henri IV, index.
MOUSNIER, L’assassinat de Henri IV.
VII, 13. Hurtado de Mendoza, in 2. 2. disp. 170. sect. 16. § 137 ;
GEF V, p. 97, indique que le passage de Hurtado n’a pas été retrouvé. L’édition Cognet ne fournit aucune référence, pas plus que l’éd. Le Guern. La référence de Pascal est cependant exacte.
Voir HURTADO de MENDOZA, De spe et charitate, II, Disputatio 170, sect. XVI, Utrum liceat cadere aut vulnerare aggressorem manibus, fuste aut armis ?, p. 1463-1467. « Dico primo, licitum est vulnerare, aut caedere inimicum minantem vulnus, fustem, aut alapam, antequam re ipsa ea damna mihi impingat » : p. 1463. La raison en est que « alapa, fustis, aut vulnus, sunt de se viro nobili gravissimo damno, item caedes aggressoris sunt medium utile per se, et unice necessarium ad illud malum malum avertendum, ergo licitum est injustum aggressorem caedere, aut vulnerare in his occasionibus ». Plus bas, p. 1464, on lit la proposition alléguée par Pascal : « Dico secundo : licitum est vulnerare, aut caedere injustum aggressorem impigentem alapam, fustem, aut vulnus, etiam postquam ille impegit, si adhuc fixus manet in eodem loco nullo dato signo fugiendi ». En revanche : « dico tertio : non licet caedere, aut vulnerarte injustum aggressorem jam fugientem, etiam si violentiam infamem intuelrit », p. 1465. Les thèses en question sont longuement argumentées.
VII, 13. et Bécan, som., t. I. q. 46, de homicid.
Texte de 1659 : « et Bécan, som., t. I. q. 46, de homicid. ».
Martin van der Beeck, 1561-1624, dit Becanus: voir éd. Cognet, p. 449, n. 1; GEF VIII, p. 51. Il fit paraître en 1612 une Controversia de potestate regum et pontificum; la faculté de théologie s'apprêtait à le condamner, quand le syndic Filesac lut la copie d'un décret du pape Paul V, supprimant le livre (3 janvier 1613). Puis, sur l'ordre du chancelier et de la reine, il interdit toute délibération. Un recueil porte sur cette affaire, Summa actorum facultatis... contra librum... auctore Martino Becano, Oppenheim, 1643; voir Annales des jésuites, II, p. 540-568 pour les pièces.
FOUQUERAY, Histoire de la compagnie de Jésus en France, t. III, p. 301 sq. Origines anglaises de l’affaire.
PASCAL, Sixième écrit des curés de Paris, éd. Cognet, p. 449-450.
On peut renvoyer, dans la Summa theologiae scholasticae, Paris, 1690, à De justitia et jure, Prima pars, caput LXIV, De homicidio, Quaestio II, p. 612. « Prima conclusio. Ex fide certum est, aliquam hominis occisionem esse liicitam et prohibitam ». Plus bas : « Secunda conclusio. Aeque certum est aliquam hominis occisionem esse licitam. Nam malefici, adulteri, blasphemi et multi alii possunt licite occidi, ut ex seqq. patebit ». Suivent les questions suivantes : « Quaestio III ? An liceat occidere peccatores ? Prima conclusio. Ex fide certum est licere ». « Secunda conclusio. Non tamen id licet preivata, sed tantum publica authoritate. » Puis : « Tertia conclusio. Non tantum aliquos, sed omnes malefactores qui Reipub. noxii sunt,e licitum est occidere publica authoritate ».
GEF V, p. 81-82, fournit d’autres références, mais sans doute moins justes.
VII, 13. Et nos Pères Flahaut, et Le Court, dans leurs Écrits que l’Université dans sa 3. requête a rapportés tout au long pour les décrier, mais elle n’y a pas réussi,
- , éd. Cognet, p. 124, n. 4. Jésuites professeurs à Caen, auxquels on reprochait des thèses semblables à celles du P. Héreau. Sur la Réponse de l’Université de Hermant, voir GEF V, p. 59 sq.
Premier écrit pour les curés de Paris, éd. Cognet, p. 408, § 9.
Référence reprise dans Provinciale XIII, 9, éd. Cognet, p. 242-243.
Voir éd. Le Guern, éd. de Pascal, Œuvres, I, p. 1185. Il ne s’agit pas à proprement parler de la Troisième requête de l’Université, 7 décembre 1644, mais de la Réponse de l’Université de Paris à l’Apologie pour les jésuites qu’ils ont mise au jour sous le nom du père Caussin, de G. Hermant, Paris 1644, publiée en annexe à la requête.
VII, 13. Et Escobar au même lieu, n. 48. disent tous les mêmes choses.
ESCOBAR, Theologia moralis, Tr. I, Ex. VII, De homicidio, n.48, p. 120. « Num liceat contumeliosum, seu profantem : Mentiris honorato viro internecare ? Negat Azorius tom. 3, lob. 2, cap. 1, q. 17. quia verbales injuriae verbios possunt repelli. At Baldell. Lib. 3, d. 24. n. 24. putat licitum esse occidere contumeliosum; sed in casu, qui aliter arceri non potest ; ne detur licentia improbitati, optimos viros contumeliis afficiendi, quam facta acerbioribus ».
VII, 13. Enfin cela est si généralement soutenu, que Lessius l. 2. c. 9. d. 12. n. 77 en parle comme d’une chose autorisée par le consentement universel de tous les Casuistes. Il est permis, dit-il, selon le consentement de tous les Casuistes, ex sententia omnium, de tuer celui qui veut donner un soufflet ou un coup de bâton, quand on ne le peut éviter autrement. En voulez-vous davantage?
Texte de 1659 : « Enfin cela est si généralement soutenu, que Lessius le décide comme une chose qui n’est contestée d’aucun casuiste, l. 2, c. 9, n. 76 ; car il en apporte un grand nombre qui sont de cette opinion, et aucun qui soit contraire ; et même il allègue, n. 77, Pierre Navarre, qui, parlant généralement des affronts, dont il n’y en [a] point de plus sensible qu’un soufflet, déclare que, selon le consentement de tous les casuistes, ex sententia omnium licet contumeliosum occidere, si aliter ea injuria arceri nequit. En voulez-vous davantage ? »
Le texte se trouve à l’endroit indiqué par Pascal, dans l’édition du De justitia et jure de 1628, p. 98-99.
« Dubitatio XIII. Utrum pro defensione pudicitiae et honoris liceat occidere eum qui tentat violare. [...]
77. Dico secundum, Fas etiam est viro honorato occidere invasorem, qui fustem vel alapam nititur impingere, ut ignominam inferat, si aliter haec ignominia vitari nequit. Ita docet expresse Sotus art. 8, Navarr. Cap. 15, num. 3, et Silvest. verbo Homicidium I, q. 5, et Ludovicus Lopez c. 62. Antonius Gomez to. 3, c. 3, n. 23. Julius Clarus § Homicidium, n. 26, ubi dicit periculum fame aequiparari periculo vitae. Ratio est : quia hic conatur auferre honorem, qui merito pluris apud homines aestimatur ; quam damnum multarum pecuniarum ; ergo si potest occidere, ne damnum pecuniarum accipiat, potest etiam ne hanc ignominiam cogatur sustinere.
78. Notandum est, variis modis alterius posse impeti et auferri, in quibus videtur concessa defensio.
Primo, si baculum vel alapam nitaris impingere. De quo jam dictum est.
Secundo, si contumeliis afficias, sive pet verba, sive per signa. Hic etiam est jus defensionis. Nam, ex sententi omnium, licet contumeliosum occidere, quando aliter ea injuria arceri nequit, (quamquam ipse armis non invadat) ait Petrus Navarrus, lib. 2, cap. 3, num. 376. Etsi autem non inveniam apud auctores expressum, tamen videtur ex illis posse colligi (praeciso scandalo, et aliis gravibus incommodis) quand contumeliae sunt atroces, et alia ratione nequeunt. Ratio enim naturalis dictat, licitam esse eam defensionem, quae necessaria sit ad contumeliam depellendamet comprimendam: alioqui daretur licentia improibitati, optimos quosque contumeliis vexandi : quae tamen multi quam damna rei familiaris sunt acerbiores, magisque libido. Cavenda tamen vindictae libido. Non enim licet privata auctoritate contumeliam vindicare, sed tantum comercere, qud etiam in vitae et rerum defensione servandum : tanti interest quo animo quid agas. Verum haec sententia noin est sequenda. Satis enim esse debet in Repub. ut injuriae verbales verbis repelli, et legitima vindicta comprimi et castigari possint. »
Voir éd. Le Guern, Œuvres, I, p. 1185-1186, sur le fait que ce passage a été entièrement remanié en 1659. C’est au n. 77 que Lessius écrit que fas etiam est viro honorato occidere invasorem..., et au n. 78 qu’il emploie l’expression ex sententia omnium, dans une citation de P. Navarre qu’il reprend à son compte.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 331. Selon Maynard, le n°78 se termine par les mots Verum haec sententia non est sequenda. Mais ce n’est pas le n°78, qui est donné dans le texte des Provinciales de 1659, mais 77.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 142. Accusation par l’université de Paris auprès du parlement de Paris contre le P. Airault (sc. Héreau), professeur de cas de conscience au collège de Clermont en janvier 1644 : on lui reproche d’avoir enseigné que l’on peut prévenir un accusateur malveillant, y compris par un assassinat. Il faut tuer non pas ouvertement, mais clandestinement et en cachette : p. 142. Un homme d’honneur peut tuer celui qui veut lui donner un soufflet, si l’injure ne peut pas être évitée autrement : p. 145.
VII, 14. Je l’en remerciai, car je n’en avais que trop entendu. Mais pour voir jusqu’où irait une si damnable doctrine, je lui dis : Mais mon père, ne sera-t-il point permis de tuer pour un peu moins? Ne saurait-on diriger son intention en sorte qu’on puisse tuer pour un démenti? Oui, dit le père, et selon notre Père Baldelle, l. 3. disp. 24. n. 24. rapporté par Escobar au même lieu, n. 49. Il est permis de tuer celui qui vous dit : Vous avez menti, si on ne peut le réprimer autrement.
Provinciales, éd. Cognet, p. 125. Citation légèrement abrégée, rétablie dans Wendrock.
BALDELLO Nicolas (1573-1655). Jésuite italien. Né à Cortone, il devient jésuite en 1589. Il enseigne à Rome la philosophie et la théologie, et gouverne le collège de Pérouse. Selon l’abbé Maynard, « c’était un homme de science et de vertu, qui consacra à la gloire de Dieu et au salut des âmes tous les jours de sa longue carrière » (II, p. 445-446).
Voir le livre de Baldello, Disputationum ex morali theologia libri quinque, Lyon, Boissat, 1637, à l’endroit indiqué par Pascal, p. 319-320. « Si contumelia magna sit, et per illam magna fiat honoris jactura ; neque possit aliter impediri, potest etiam esse licitum interficere calumniantem ».
Baldelli est cité par Escobar dans sa Théologie morale, Tr. I, Ex. VII, Cap. III, n. 48.
VII, 14. Et on peut tuer de la même sorte pour des médisances selon nos Pères. Car Lessius que le père Héreau entr’autres suit mot à mot, dit, au lieu déjà cité : « Si vous tâchez de ruiner ma réputation par des calomnies devant des personnes d’honneur, et que je ne puisse l’éviter autrement qu’en vous tuant, le puis-je faire ? Oui selon des auteurs modernes, et même encore que le crime que vous publiez soit véritable, si toutefois il est secret, en sorte que vous ne puissiez le découvrir selon les voies de la justice : Et en voici la preuve. Si vous me voulez ravir l’honneur en me donnant un soufflet, je puis l’empêcher par la force des armes, donc la même défense est permise, quand vous me voulez faire la même injure avec la langue. De plus on peut empêcher les affronts, donc on peut empêcher les médisances. Enfin l’honneur est plus cher que la vie. Or on peut tuer pour défendre sa vie, donc on peut tuer pour défendre son honneur.]
Texte de 1659 : « Si vous tâchez de ruiner ma réputation par des calomnies devant les personnes d’honneur ».
Provinciales, éd. Cognet, p. 125. Citation légèrement abrégée, rétablie par Wendrock. Le texte de Héreau est donné dans la Première requête de l’Université, où l’opinion est attribuée à Banez, voir Annales, t. III, p. 863.
Voir la traduction de Wendrock dans l’édition de 1658, p. 167.
Voir GEF V, p. 65, n. 1, qui fournit le passage de Hermant, Réponse à l’Apologie.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 332. Maynard cite la suite du n°82, où Lessius explique que si l’on autorisait le meurtre des médisants, on dépeuplerait l’État, en reprochant à Pascal de tronquer les textes. Pourtant, Pascal l’indique un peu plus bas.
VII, 15. Voilà des arguments en forme. Ce n’est pas là discourir, c’est prouver. Et enfin ce grand Lessius montre au même endroit n. 78. qu’on peut tuer même pour un simple geste, ou un signe de mépris. On peut, dit-il, attaquer et ôter l’honneur en plusieurs manières dans lesquelles la défense paraît bien juste ; comme si on veut donner un coup de bâton, ou un soufflet, ou si on veut nous faire affront par des paroles ou par des signes, sive per signa.
LESSIUS, De justitia et jure, Lib. II, cap. 9, Dub. XII, n. 78. “Notandum est, variis modis honorem alterius posse impeti et auferri, in quibus videtur concessa defensio. Primo, si baculum vel alapam nitaris impingere. De quo jam dictume est. Secundo, si contumeliis afficias, sive per verba, sive per signa ».
Provinciales, éd. Cognet, p. 126. Citation exacte, mais à la fin du passage, Lessius condamne cette opinion pour la pratique, non est sequenda, pour les raisons que Pascal indique plus loin.
On pense à la dispute qui oppose Don Diègue et Don Gormas dans le Cid.
VII, 16. O mon père, lui dis-je, voilà tout ce qu’on peut souhaiter pour mettre l’honneur à couvert, mais la vie est bien exposée, si, pour de simples médisances et des gestes désobligeants, on peut tuer le monde en conscience. Cela est vrai, me dit-il ; mais comme nos pères sont fort circonspects, ils ont trouvé à propos de défendre de mettre cette doctrine en usage en de certaines occasions, comme pour les simples médisances. Car ils disent au moins : Qu’à peine doit-on la pratiquer : practice vix probari potest. Et ce n’a pas été sans raison, la voici. Je le sais bien, lui dis-je ; C’est parce que la loi de Dieu défend de tuer. Ils ne le prennent pas par là, me dit le Père. Ils le trouvent permis en conscience, et en ne regardant que la vérité en elle-même. Et pourquoi le défendent-ils donc ? Écoutez-le, dit-il ; C’est parce qu’on dépeuplerait un État en moins de rien, si on en tuait tous les médisants.
Texte de 1659 : « pour de simples médisances ou des gestes désobligeants ».
Texte de 1659 : « ils ont trouvé à propos de défendre de mettre cette doctrine en usage en ces petites occasions, car ils disent au moins qu’à peine doit-on la pratiquer ».
Ils disent au moins : Qu’à peine doit-on la pratiquer : practice vix probari potest : c’est ce que fait Lessius dans le texte qui précède immédiatement.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 332. Maynard cite la suite du n°82, où Lessius explique que si l’on autorisait le meurtre des médisants, on dépeuplerait l’Etat, en reprochant à Pascal de tronquer les textes. Pourtant, Pascal l’indique ici.
Maynard conteste aussi que des théologiens aient permis de tuer pour des gestes désobligeants.
Le passage donne un exemple de l’ironie de Pascal : le lecteur s’attend, comme l’interlocuteur du jésuite, en raison de sa condition ecclésiastique, allègue une raison religieuse, en l’occurrence l’opposition de la loi de Dieu aux méfaits dont il a été question ; mais le jésuite lui apporte au contraire une raison d’utilité qui relève de la loi civile.
VII, 16. Apprenez-le de notre Reginaldus, l. 21. n. 63. p. 260. Encore que cette opinion qu’on peut tuer pour une médisance, ne soit pas sans probabilité dans la théorie, il faut suivre le contraire dans la pratique. Car il faut toujours éviter le dommage de l’État dans la manière de se défendre. Or il est visible qu’en tuant le monde de cette sorte, il se ferait un trop grand nombre de meurtres.
REGNAULT Valère, Praxis fori poenitentialis, Lyon, Cardon et Cavellat, 1620 ; voir l. 21. n. 63. p. 264. « Caeterum quidquid sit in speculation, non videtur in praxis permittenda facile ejusmodi insecutio ob periculum odii, vindicate, excessus, pugnarum, et caedium in reip. perniciem : quam semper vitare oportet in usu defensionis: juxta illud quod recta ratio dictat, bonum commune esse privato anteferendum ».
Je n’ai pas trouvé d’édition de l’ouvrage où la p. 260 corresponde au texte auquel Pascal fait allusion. Les impressions ont été nombreuses.
La remarque permet de discerner le défaut du raisonnement : la raison qu’allègue le jésuite est d’ordre politique ; elle serait pleinement valable dans la bouche d’un roi. Mais c’est un prêtre qui parle, et sa manière de raisonner ne choque pas son peu de sens religieux.
Sur cette argumentation, voir NOUËT Jacques, Impostures XV à XVIII, in Réponses, p. 16 sq., qui répond que Vasquez et Suarez sont jésuites et disent qu’on n’a pas le droit de tuer un calomniateur : p. 163. Sur le texte de Reginaldus : p. 164. Pascal le coupe : voir l’original in GEF V, p. 67. Selon Nouët, Pascal lui fait dire “qu’il faut toujours éviter le dommage de l’État dans la manière de se défendre”, alors que Reginaldus dit “que dans le droit que chacun a de se défendre, il faut considérer que l’usage que l’on en fait ne tende pas à la ruine de l’Etat” : p. 164-165. Texte latin dans GEF V, p. 67 : “in jure defensionis semper considerandum est, ne usus illius vergat in rei publicae perniciem...” En supprimant le mot droit, Pascal dissimule que selon Reginaldus, encore qu’un particulier eût droit d’user de cette sorte de défense, en la considérant en elle-même, elle est illégitime selon la loi de Dieu, à raison des crimes qu’elle causerait dans l’Etat. La défense se tient : le meurtre, même s’il était permis en soi, serait interdit parce que la loi de Dieu ordonne d’obéir aux lois de la cité. La discussion est reprise dans Provinciale XIII éd. Cognet, p. 244, où Pascal argumente sur la manière dont les jésuites épargnent les lois de l’État, mais non celles de Dieu : « vous ne ruinez que la religion, sans blesser encore sensiblement l’État ».
Citation reprise dans Provinciale XIII, 11, éd. Cognet, p. 244.
Lessius en parle de même au lieu déjà cité. Il faut prendre garde que l’usage de cette maxime ne soit nuisible à l’État, car alors il ne faut pas le permettre, tunc enim non est permittendus.
LEYS Leonard, loc. cit, n. 82 : « Verum haec quoque sententia mihi in praxi non probatur ; quia multis occultis caedibus cum magna Reip. perturbatione praeberet occasionem. Accedit quod etsi speculative vera esset, tamen vix in praxi posset habere locum. Num infamia vel est illata, vel non est. Si est illata, non extinguetur per mortem infamantis. Si non est illata, plerumque non satis constat, aliter non posse eam impediri : ac proinde non poterimus eo modo defensionis uti. »
Argumentation adroite, car elle tire d’une décision d’un jésuite contraire à une maxime laxiste une raison de condamner malgré tout les casuistes, non pour ce qu’ils décident, mais pour les raisons qui fondent leurs décisions.
Lessius : « Il faut prendre garde que l’usage de cette maxime ne soit nuisible à l’État... » : GEF V, p. 65 ; avec en note un passage de Hermant, Réponse à l’Apologie, p. 176 sq., qui renvoie à Lessius à propos du p. Héreau. L’idée est à peu près la même, mais poussée plus loin : s’il n’y avait pas la loi de l’État, il autoriserait le meurtre. Voir la critique de NOUËT, Impostures, in Réponses, p. 166 sq. ; GEF V, p. 65 ne donne pas le texte que fournit Nouët, p. 167, et dont il dit que Pascal l’a supprimé. Texte repris in Provinciale XIII, éd. Cognet, p. 244.
FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 56.
Voir une allusion dans Provinciale XII, 20, éd. Cognet, p. 233-234.
VII, 17. Quoi, mon Père, ce n’est donc ici qu’une défense de politique, et non pas de religion?
GEF VI, p. 16. Citation de Hermant, Réponse à l’Université de Paris (1644), p. 343 : “Que s’ils font quelque sorte de restriction dans cette licence prodigieuse qu’ils donnent de répandre le sang humain, ils ne considèrent que la Loi du Prince, sans s’arrêter à celle de Dieu... ; et ils ne comptent donc pour rien la Loi de Dieu qui défend expressément les meurtres”.
VII, 17. Peu de gens s’y arrêteront, et surtout dans la colère. Car il pourrait être assez probable qu’on ne fait point de tort à l’État de le purger d’un méchant homme.
VII, 17. Aussi, dit-il, notre père Filiutius joint à cette raison-là une autre bien considérable tr. 29. c. 3, n. 51. C’est qu’on serait puni en justice en tuant le monde pour ce sujet.
Pascal ne précise pas qu’il faut consulter le tomus secundus pour trouver le passage cherché. Les références sont du reste justes. Le n. 51 est intitulé Si fugiat aggressor, non licet. Filiutius conclut que, malgré l’approbation de plusieurs casuistes, « tamen practice verius est non licere ; tum quia vix esset illicita vindicta ; tum quia aperiretur via caedibus et excessibus ; unde etiam in foro externo talis puniretur, ex Gomes, tom. 3, cap. 3, n. 24, etsi mitius ».
GEF V, p. 68-69 ; texte repris dans Provinciale XIII, éd. Cognet, p. 244. Critique in NOUËT, Impostures, in Réponses, p. 167 sq. Les juges punissent aussi, selon Nouët, au nom de la loi de Dieu, et non seulement pour des considérations politiques ; il cite le n. 52 (GEF V, p. 69) pour montrer que Filiutius n’admet pas le précepte dans la pratique ; le n°52 seul touche la question de la calomnie. Pascal y répond à propos du même texte, mais en citant Escobar, in Provinciale XIII, 11, éd. Cognet, p. 244 : on peut faire dans la pratique ce qui est probable dans la spéculation. Citation reprise dans Provinciale XIII, 11, éd. Cognet, p. 244.
VII, 16. Je vous le disais bien, mon père, que vous ne feriez jamais rien qui vaille, tant que vous n’auriez point les juges de votre côté. Les juges, dit le père, qui ne pénètrent pas dans les consciences, ne jugent que par le dehors de l’action ; au lieu que nous regardons principalement à l’intention. Et de là vient que nos maximes sont quelquefois un peu différentes des leurs. Quoi qu’il en soit, mon père, il se conclut fort bien des vôtres qu’on peut tuer les médisants en sûreté de conscience, pourvu que ce soit en sûreté de sa personne.
Texte de 1659 : « Quoi qu’il en soit, mon père, il se conclut fort bien des vôtres qu’en évitant les dommages de l’État, on peut tuer les médisants en sûreté de conscience, pourvu que ce soit en sûreté de sa personne. ».
Sur cette raillerie, voir NOUËT, Impostures, in Réponses, 1658, p. 168.
VII, 18. Mais, mon père, après avoir si bien pourvu à l’honneur, n’avez-vous rien fait pour le bien ? Je sais qu’il est de moindre considération, mais il n’importe. Il me semble qu’on peut bien diriger son intention à tuer pour le conserver. Oui, dit le père ; et je vous en ai touché quelque chose qui vous a pu donner cette ouverture. Tous nos casuistes s’y accordent, et même on le permet encore que l’on ne craigne plus aucune violence de ceux qui nous ôtent notre bien, comme quand ils s’enfuient. Azor de notre Société, le prouve, p. 3. l. 2. ch. 1, q. 20.
Texte de 1659 : « Et je vous ai touché quelque chose ».
La référence de Pascal est exacte. Dans les Institutionum moralium tomus tertius, d’Azor de 1618, le passage se trouve p. 128. « Vigesimo quaeritur, An sit licitum furem, qui bona mea rapuit, et secum deferens in equo meo fugit, sagitta occidere ? Silvester, verbo excommunicatio § 6, vers. 9, dub. 1 haesitat, et tandem ait, hoc esse licitum. Sed Couarruvias ubi supra num. 6 ait, non esse licitum. Dico primo. Si in aliquem locumse jam recepit, non licet occidere, quia tunc opera, et officio judicis bona sunt recuperanda. Secundo si bona sunt mihi necessaria, vel ad vitam simpliciter, vel ad statum meum tuendum, dum adhuc ille fugit, licitum est occidere ; quia hoc est tueri bona, et vitam, vel honorem, vel statum. Tertio, si bona non sunt magni momenti, tunc non licet occidere, ut dixi superius ».
L’éd. Cognet indique que malgré l’italique, c’est un résumé de Pascal et non une traduction.
VII, 19. Mais, mon père, combien faut-il que la chose vaille pour nous porter à cette extrémité? Il faut, selon Reginaldus, l. 21. c. 5. n. 66. et Tannerus, in. 2. 2. disp. 4. q. 8. d. 4. n. 69. que la chose soit de grand prix au jugement d’un homme prudent.
REGNAULT (REGINALDUS) Valère, Praxis fori…, Lib. XXI, cap. 6, n. 66, 1620, p. 265. « Notandum est vero, hoc quod diximus aggressorem occidi posse pro rerum defensione, debere intelligi quand ores prudentis arbitrio, circumstant iis attentis, sunt non modici valoris ».
GEF V et Cognet précisent que la référence 66 est erronée ; il faut lire 68.
TANNER Adam, Theologiae scholasticae tomus tertius, Disp. IV, q. 8, dub. 4, n. 69, p. 1246. « Licet etiam pro defensione bonorum externorum fortunae occidere invasorem, quamdiu vis injuriosa durat ; modo res illae quae defenduntur, sint magni momenti, juxta prudentis viri arbitrium, eademque ablatae non possint aliter facile recuperari ».
VII, 19. Et Layman, et Filiutius en parlent de même.
Tanner cite dans le passage précédent plusieurs autorités en faveur de son opinion ; mais ni Layman ni Filiutius n’y figurent.
VII, 19. Ce n’est rien dire, mon père, où ira-t-on chercher un homme prudent, dont la rencontre est si rare, pour faire cette estimation? Que ne déterminent-ils exactement la somme? Comment ! dit le père, était-il si facile à votre avis de comparer la vie d’un homme et d’un chrétien à de l’argent ? C’est ici où je veux vous faire sentir la nécessité de nos casuistes. Cherchez-moi, dans tous les anciens Pères pour combien d’argent il est permis de tuer un homme. Que vous diront-ils, sinon, Non occides, Vous ne tuerez point ? Et qui a donc osé déterminer cette somme, répondis-je ?
GEF VI, p. 125, NOUËT, Imposture XIII, in Réponses, p. 155 sq., et p. 140 pour la réponse de Pascal. Nouët rétablit la question : il s’agit d’un voleur qui s’enfuit son forfait accompli. Molina pose la question généralement : il parle du possesseur, dominus, aussi bien que du gardien, custos, de l’objet du vol (GEF V, p. 72). Nouët rend bien l’idée in Réponses, p. 158. Molina aussi bien que Soto exige qu’on fasse les sommations d’usage, et conseille de ne pas commettre de meurtre. La défense de Nouët est remarquable : il prend un exemple conforme à ce que dit Pascal, et semble même renchérir : un lapin a peu de prix au regard d’une vie humaine. Cet exemple lui permet de donner une première déformation à la question : il laisse tomber le dominus et ne parle plus que du custos, dont on ne peut dire qu’il défend le lapin même, mais qu’il accomplit son devoir de garde-chasse, mission qui représente tout de même une responsabilité. Puis il suppose que dans l’attaque (est-ce vraiment le cas d’un homme qui s’enfuit?), la vie du garde-chasse est en jeu ; il n’est alors plus question du lapin, mais d’une situation de légitime défense. D’autre part, Nouët reproche à Pascal d’omettre la clause cum moderamine inculaptae tutelae ; voir Impostures XIV, in Réponses, p. 158. Daniel reprend la même idée dans les Entretiens..., p. 336.
Cette expression, cum moderamine inculaptae tutelae, apparaît à propos du passage de Exode, II, 11-14, dans le commentaire que Jansénius lui consacre ; voir JANSÉNIUS, Pentateuchus, p. 128. “Egressus est ad fratres suos...” : id est “Hebraeos ut illos scilicet visitaret, non otiosâ visitatione ; sed cum animo liberandi populum suum ab oppressione Aegyptorum, et renunciandi aulae” ; en effet, “effectus hujus propositi Moïsis, fuit illa interdfectio Aegyptii, qui ut Stephanus ait, injuriâ afficiebat, et, ut hîc dicitur, etiam percutiebat Hebraeum, quem Philo dicit fuisse unum ex praefectis opprimentibus Israëlitas”. Jansénius pose ensuite la question : “an juste occiderit Moïses, non ita planum est. Ambr. l. 1. de Offic. c. 36. excusat factum jure defensionis, cum moderamine scilicet inculpatae tutelae, ut addit D. Tho. 2. 2. quaest. 60. art. ult. sed neque privatus propter injuriam sibi vel proximo illatam continuo poteste occidere ; neque de moderamine illo constat ; sed potius videtur deliberato proposito occidisse. Cajetanus dicit fuisse praefectos illos operum publicos hostes Hebraeorum. Sed non idcirco cuilibet privato licet eos occidere, praesertim occisione quae nihil confert ad liberationem oppressi populi. Unde D. Aug. l. 22. contra Faustum c. 70. consultâ, inquit, lege aeternâ, reperio non debuisse hominem ab illo qui nullam ordinatam potestatem gerebat, quamvis injuriosum et improbum occidi, comparatque cum facto sancti Petri ; quia utrique similiter nullâ superiori ac legitimâ potestate vel jubente, vel concedente, in sanguinem alienum armati sunt. Et ita uterque non detestabili immanitate ; sed emendabili animositate peccavit, uterque odio improbitatis alienae ; sed ille fraterno, hic dominico, licet adhuc canrali tamen, amore paccavit. Unde si quis facutm Moïsis excusare vellet, non videtur solidior superesse modus, quam dicendo eum hoc Dei admonitione, vel inspiratione fecisse, ut videtur indicare D. Stepahnus Act. 7. v. 25. et hùc inclinat Aug. qu. 2. in Exod., et D. Thomas loco citato.” Pascal aborde ce passage de l’Exode dans la liasse Loi fugurative des Pensées, dans le fragment Laf. 246.
Dans Provinciale XIV, 12, éd. Cognet, p. 162, Pascal revient sur la clause de la modération d’une juste défense.
VII, 19. C’est, me dit-il, notre grand et incomparable Molina, la gloire de notre société, qui par sa prudence inimitable, l’a estimée à 6. ou 7. ducats, pour lesquels il assure qu’il est permis de tuer, encore que celui qui les emporte s’enfuie. C’est en son t. 4. tr. 3. disp. 16. d. 6.
Texte de Molina : GEF V, p. 71 ; voir éd. Cognet, p. 128, note 2 : la valeur est une extrapolation à partir de Molina commentant Soto.
Le ducat : le ducat ou florin existe comme monnaie réelle, comme monnaie d’or, d’argent, mais aussi comme monnaie de compte (ducat de banque). La valeur varie selon les temps et lieux. Voir plus bas les indications fournies par Havet.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, 308 sq. Voleur qui s’enfuit. Voleur de nuit, voleur de jour. Voir p. 337, discussion sur le nombre de ducats assigné par Molina ; Molina dirait qu’il n’est pas permis de tuer pour une somme peu importante comme 4 ou 5 ducats, et Pascal en conclurait à tort qu’il permet de tuer pour 6 ou 7 ducats.
VII, 19. Et il dit de plus au même endroit : Qu’il n’oserait condamner d’aucun péché un homme qui tue celui qui lui veut ôter une chose de la valeur d’un écu, ou moins, unius aurei, vel minoris adbuc valoris.
Passage repris dans Provinciale XIV, 14, éd. Cognet, p. 262. Le P. Nouët, dans sa XIVe Imposture, in Réponses, p. 157-161, rappelle que les lois permettent de “repousser par la force... pour se défendre” ; puis il note que Pascal omet la clause “pourvu qu’il garde la modération d’une juste défense” notée par Molina : “elle présuppose que celui qui est tué est l’agresseur et agresseur injuste, et que celui qui le tue ne peut autrement repousser la violence qu’il souffre, ni le danger où il se trouve de sa personne, en voulant défendre son bien”. Cette restriction est soi-disant “comme l’âme” de la proposition de Molina. Sur la clause relative à la modération d’une juste défense, voir éd. Cognet, p. 262.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, p. 337-338. Défense de cette proposition de Molina. Maynard déplace la question de la lutte pour un écu à celle de la défense personnelle.
VII, 18. Ce qui a porté Escobar à établir cette règle générale, n. 44. que régulièrement on peut tuer un homme pour la valeur d’un écu, selon Molina.
Le texte dit unius aurei, mais voir Les Provinciales de Pascal, éd. Havet, I, p. 166 : quoique ce mot signifie une pièce d’or, il paraît qu’on l’employait alors pour l’écu d’argent. Voir le Bulletin de la Société de l’histoire de Paris de 1880, p. 115, qui donne un tableau des variations des prix du blé à Paris du XIVe au XVIIIe siècle ; cela permet d’évaluer à 3 francs l’aureus. Le ducat vaut 8 à 12 francs, soit 16 à 24 francs de 1963 ; en 2006, cela doit faire à peu près 20 fois plus, c’est-à-dire à peu près 500 francs, ce qui fait un peu plus de 76 euros. La formule “que régulièrement...” vient d’Escobar : GEF V, p. 75.
Voir ESCOBAR, p. 119. Traduction exacte : regulariter Molina unum aureum assignat.
VII, 20. O mon père, d’où Molina a-t-il pu être éclairé pour déterminer une chose de cette importance sans aucun secours de l’Écriture, des conciles, ni des Pères ! Je vois bien qu’il a eu des lumières bien particulières, et bien éloignées de saint Augustin, sur l’homicide, aussi bien que sur la grâce. Me voici bien savant sur ce chapitre, et je connais parfaitement qu’il n’y a plus que les gens d’Église qu’on puisse offenser, et pour l’honneur, et pour le bien, sans craindre qu’ils tuent ceux qui les offensent. Que voulez-vous dire? répliqua le père. Cela serait-il raisonnable à votre avis, que ceux qu’on doit le plus respecter dans le monde, fussent seuls exposés à l’insolence des méchants?
Texte de 1659 : « je connais parfaitement qu’il n’y a plus que les gens d’Église qui s’abstiendront de tuer ceux qui leur feront tort en leur honneur ou en leur bien ».
VII, 20. Nos pères ont prévenu ce désordre, car Tannerus, to. 2. d. 4. q. 8. d. 4. n. 76, dit Qu’il est permis aux ecclésiastiques et aux religieux mêmes, de tuer pour défendre non seulement leur vie, mais aussi leur bien, ou celui de leur communauté. Molina qu’Escobar rapporte, n. 43. Bécan. in 2. 2. t. 2. q. 7. de hom. concl. 2. n. 5. Reginaldus, l. 21. c. 5. n. 68. Layman l. 3, tr. 3. p. 3. c. 3. n. 4. Lessius, l. 2. c. 9. d. 11. n. 72. et les autres, se servent tous des mêmes paroles.
Tannerus, to. 2. d. 4. q. 8. d. 4. n. 76 : en fait il faut tr. 2. d. 4. q. 8. d. 4. n. 76.
WENDROCK, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 90. Cas choisi par Nicole pour défendre la méthode de citation de Pascal. Le P. Annat, dans La bonne foi des jansénistes, proteste que Pascal parle en général, alors que Lessius “parle en particulier, qu’il est permis de tuer un larron”. “Comme si Lessius en était beaucoup moins excusable” (il doit vouloir dire plus).
VII, 21. Et même selon notre célèbre p. l’Amy, il est permis aux prêtres et aux religieux de prévenir ceux qui les veulent noircir par des médisances, en les tuant pour les en empêcher. Mais c’est toujours en dirigeant bien l’intention. Voici ses termes t. 5. disp. 36. n. 118. « Il est permis à un ecclésiastique, ou à un religieux de tuer un calomniateur, qui menace de publier des crimes scandaleux de sa communauté, ou de lui-même, quand il n’y a que ce seul moyen de l’en empêcher, comme s’il est prêt à répandre ses médisances si on ne le tue promptement. Car en ce cas, comme il serait permis à ce religieux de tuer celui qui lui voudrait ôter la vie ; il lui est permis aussi de tuer celui, qui lui veut ôter l’honneur, ou celui de sa communauté, de la même sorte qu’aux gens du monde. »
Qu’un religieux peut tuer celui qui menace de publier des calomnies contre lui ou contre sa communauté, quand il ne s’en peut défendre autrement : voir Provinciales, éd. Cognet, p. 368. Proposition dénoncée dans la Provinciale VII : « VII, 21. Et même selon notre célèbre p. l’Amy, il est permis aux Prêtres et aux Religieux de prévenir ceux qui les veulent noircir par des médisances, en les tuant pour les en empêcher. Mais c’est toujours en dirigeant bien l’intention. Voici ses termes t. 5. disp. 36. n. 118. « Il est permis à un ecclésiastique, ou à un religieux de tuer un calomniateur, qui menace de publier des crimes scandaleux de sa communauté, ou de lui-même, quand il n’y a que ce seul moyen de l’en empêcher, comme s’il est prêt à répandre ses médisances si on ne le tue promptement. Car en ce cas, comme il serait permis à ce Religieux de tuer celui qui lui voudrait ôter la vie ; il lui est permis aussi de tuer celui, qui lui veut ôter l’honneur, ou celui de sa Communauté, de la même sorte qu’aux gens du monde. » Elle est reprise dans les extraits joints à l’Avis des curés de Paris du 13 septembre 1656, sous le n°VII, où il est spécifié que ce texte ne se trouve que dans l’édition de Douai.
Pascal tire le texte du p. Francisco Amico, De jure et justitia, t. V, Disputatio 36, sect 7, An licitum sit in defensionem propria honoris agressorem occidere?, éd. d’Anvers, 165, p. 410-412. N. B. : Les références de GEF V, p. 73, se rapportent à l’édition de 1642 pour la Proposition : “an licitum sit in defensionem proprii honoris aggressorem occidere?” :
Exemple évoqué dans Provinciale VII, 20, éd. Cognet, p. 129 sq. ; dans Provinciale XIII, 15, éd. Cognet, p. 247 ; dans Provinciale XIV, 10, éd. Cognet, p. 260 ; et repris dans Provinciale XVIII, 22, éd. Cognet, p. 368.
GEF VIII, p. 40, n. 1. Récit de l’affaire.
Sur le P. Francesco Amico, ou Lamy, voir la note de l’éd. Cognet, p. 129. Jésuite italien, auteur d’un Cursus theologiae, Douai 1642, dont le volume De justitia et jure a d’abord été mis à l’Index. Il ne faut évidemment pas le confondre avec le P. Bernard Lamy, de l’Oratoire, auteur de La rhétorique ou l’art de parler et des Entretiens sur les sciences.
L’histoire du P. Lamy est rapportée par WENDROCK, Litterae Provinciales, p. 351 sq. ; Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 263 sq. dans la note à la XIIIe Provinciale, § 2 et 3. La proposition, dénoncée par le Conseil souverain de Brabant, fut censurée par la Faculté de Louvain, le 6 septembre 1649 ; le 8 octobre, elle en censura deux autres, proches de celle-ci, portant sur l’homicide : voir GEF V, p. 74. La censure du 8 octobre est reproduite dans WENDROCK, Litterae Provinciales, p. 354 ; Provinciales, tr. Joncoux, II, p. 269 sq. Voir aussi PETITDIDIER Mathieu, Apologie des Lettres Provinciales, II, p. 196. Proposition condamnée par Alexandre VII ; voir p. 197 des renseignements complémentaires.
Sixième écrit des curés de Paris, 14. « Ils en usèrent de la même sorte sur la condamnation que la Faculté de Louvain fit de cette proposition, qu’il est permis à un religieux de tuer ceux qui sont prêts à médire ou de lui, ou de sa communauté, s’il n’y a que ce moyen de l’éviter. Ce fut ce que le p. Lamy, jésuite, osa avancer dans la théologie qu’il composa selon la méthode présente de l’école de la société de Jésus : Juxta scolasticam hujus temporis Societatis methodum. Car au lieu que ces pères devaient être portés non seulement par piété, mais encore par prudence, à supprimer cette doctrine, et à en prévenir la censure, bien loin d’agir de la sorte, ils résistèrent de toutes leurs forces et à la faculté qui la censura comme pernicieuse à tout le genre humain, et au conseil souverain de Brabant, qui l’y avait déférée. Il n’y eut point de voie qu’ils ne tentassent. Ils écrivirent incontinent de tous côtés pour avoir des approbateurs, et les opposer à cette Faculté. Ce qui rendit cette question célèbre par toute l’Europe, comme dit Caramuel, Fund. 55, page 542, où il rapporte cette lettre, que leur père Zergol lui en écrivit en ces termes : Cette doctrine, dit ce jésuite, a été censurée bien rudement, et on a même défendu de la publier. Ainsi j’ai été prié de m’adresser aux savants et aux illustres de ma connaissance. J’écris donc à plusieurs docteurs, afin que s’il s’en trouve beaucoup qui approuvent ce sentiment, ce juge sévère qui n’a pu être éclairé par la solidité des raisons, le soit par la multitude des docteurs. Mais je me suis voulu d’abord approcher de la lumière du grand Caramuel, espérant que si ce flambeau des esprits approuve cette doctrine, ses adversaires seront couverts de confusion, rubore suffundendos, d’avoir osé condamner une opinion dont le grand Caramuel aura embrassé la protection. »
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, p. 340. Note sur la maxime du P. Lamy.
GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011, p. 142. Accusation par l’université de Paris auprès du parlement de Paris contre le p. Airault, professeur de cas de conscience au collège de Clermont en janvier 1644 : on lui reproche d’avoir enseigné que l’on peut prévenir un accusateur malveillant, y compris par un assassinat. Il faut tuer non pas ouvertement, mais clandestinement et en cachette : p. 142. On lui reproche aussi des opinions favorables au régicide.
VII, 21. Je ne savais pas cela, lui dis-je, et j’avais cru simplement le contraire sans y faire de réflexion, sur ce que j’avais ouï dire que l’Église abhorre tellement le sang, qu’elle ne permet pas seulement aux juges ecclésiastiques d’assister aux jugements criminels. Ne vous arrêtez pas à cela, dit-il, notre père l’Amy prouve fort bien cette doctrine, quoique par un trait d’humilité bien séant à ce grand homme, il la soumette aux lecteurs prudents.
JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, I, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, p. 237. Ce qui est sous-entendu du droit canonique dans l’expression j’avais ouï dire.
VII, 21. Et Caramoüel notre illustre défenseur qui la rapporte dans sa théologie fondamentale, p. 543. la croit si certaine, qu’il soutient que le contraire n’est pas probable : et il en tire des conclusions admirables, comme celle-ci qu’il appelle, la conclusion des conclusions, conclusionum conclusio : Qu’un prêtre non seulement peut en de certaines rencontres tuer un calomniateur, mais encore qu’il y en a où il le doit faire : Etiam aliquando debet occidere.
GEF V, p. 80 sq. Voir WENDROCK, Litterae Provinciales, p. 171, pour le texte original avec quelques coupures. Voir éd. Cognet, p. 131, n. 1 ; GEF V, p. 107, n. 1, remarque que Faugère rapproche cette théorie d’une phrase de Calvin où il conseillait l’emploi des mêmes procédés envers les jésuites ; mais les Aphorismes de Calvin sont l’œuvre du jésuite Bécan, qui attribue faussement à Calvin cette doctrine.
KRABBENHOFT Kenneth, “Pascal contre Caramuel”, XVIIe Siècle, n°133, 1981, p. 437. Selon l’auteur, Pascal déforme les dires de Caramuel.
VII, 21. Il examine plusieurs questions nouvelles sur ce principe ; par exemple celle-ci : SAVOIR SI LES JÉSUITES PEUVENT TUER LES JANSÉNISTES ? Voilà, mon père, m’écriai-je, un point de Théologie bien surprenant ! Et je tiens les jansénistes déjà morts par la doctrine du p. l’Amy. Vous voilà attrapé, dit le père. Il conclut le contraire des mêmes principes. Et comment cela mon père ? Parce, me dit-il, qu’ils ne nuisent pas à notre réputation. Voici ses mots, n. 1146 et 1147. p. 547. et 548. Les jansénistes appellent les jésuites pélagiens : pourra-t-on les tuer pour cela? Non, d’autant que les jansénistes n’obscurcissent non plus l’éclat de la société, qu’un hibou celui du soleil, au contraire, ils l’ont relevée, quoique contre leur intention. Occidi non possunt, quia nocere non potuerunt.
Texte de 1659 : « Caramuel conclut le contraire des mêmes principes. ».
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot 1851, p. 340. Note sur la décision de Caramuel.
VII, 22. He quoi, mon père, la vie des jansénistes dépend donc seulement de savoir s’ils nuisent à votre réputation ? Je les tiens peu en sûreté, si cela est. Car s’il devient tant soit peu probable qu’ils vous fassent tort, les voilà tuables sans difficulté. Vous en ferez un argument en forme, et il n’en faut pas davantage avec une direction d’intention, pour expédier un homme en sûreté de conscience.
Tuable : terme de la langue parlée peu admis alors dans la langue écrite, selon l’éd. Cognet.
Le texte de Caramuel : voir GEF V, p. 80 sq.
Voir éd. Cognet, p. 131, n. 1.
WENDROCK, Litterae Provinciales, p. 171. Texte de Caramuel rétabli de manière plus complète : “En ipsius verba num. 1146. et 1147. pag. 547 et 548. Jesuitas esse Pelagianos dixerunt Janseniani, et dicunt : anne ideo occidi potuerunt? Minime, quoniam quot radios noctua soli, tot Jansenius Societati detraxerit. Respondeo igitur Jansenium occidi non posse si viveret, nec hodie Jansenianos posse qui supersunt : quia tametsi nocere voluerunt, non potuerunt.” Comme le remarque Cognet, Caramuel raisonne d’abord sur le cas de Jansénius, puis généralise au cas des jansénistes.
GEF V, p. 107, n. 1, remarque que Faugère rapproche cette théorie d’une phrase où Calvin conseille l’emploi des mêmes procédés envers les jésuites ; mais les Aphorismes de Calvin sont l’œuvre du jésuite Bécan, qui attribue faussement cette doctrine à Calvin.
WEISS, Bulletin historique et littéraire de la société de l’histoire du protestantisme français, 1896, t. 45, p. 5.
CLÉMENCET, Histoire de Port-Royal, Livre IX, LXXXVI, p. 447. Sur ce passage.
RAPIN René, Mémoires du P.René Rapin, de la Compagnie de Jésus, sur l’Église et la Société, la Cour, la Ville et le Jansénisme, 1644-1669, éd. Aubineau, II, p. 379. Traite la question de pur badinage, mise à la fin de la lettre pour susciter la curiosité ; Rapin ajoute que Caramuel n’est pas jésuite.
SAINTE-BEUVE, Port-Royal, II, XIII, t. 1, p. 604 et p. 1106-1107, n. 10. Rapprochement avec la mort de Saint-Cyran.
VII, 22. O qu’heureux sont les gens qui ne veulent pas souffrir les injures, d’être instruits en cette doctrine ! Mais que malheureux sont ceux qui les offensent. En vérité, mon père, il vaudrait autant avoir affaire à des gens qui n’ont point de religion, qu’à ceux qui en sont instruits jusqu’à cette direction. Car enfin l’intention de celui qui blesse ne soulage point celui qui est blessé. Il ne s’aperçoit point de cette direction secrète, et il ne sent que celle du coup qu’on lui porte. Et je ne sais même si on n’aurait pas moins de dépit de se voir tuer brutalement par des gens emportés, que de se sentir poignarder consciencieusement par des gens dévots.
VII, 23. Tout de bon, mon père, je suis un peu surpris de tout ceci, et ces questions du père l’Amy et de Caramoüel ne me plaisent point. Pourquoi, dit le père, êtes-vous janséniste? J’en ai une autre raison, lui dis-je. C’est que j’écris de temps en temps à un de mes amis de la campagne ce que j’apprends des maximes de vos pères : Et quoique je ne fasse que rapporter simplement et citer fidèlement leurs paroles, je ne sais néanmoins s’il ne se pourrait pas rencontrer quelque esprit bizarre, qui s’imaginant que cela vous fait tort, n’en tirât de vos principes quelque méchante conclusion.
J’en ai une autre raison, lui dis-je : il ne dit pas qu’il n’est pas janséniste...
Campagne : province. On a suggéré que les Provinciales auraient dû s’intituler les Campagnardes. Mais il y a quelque chose de plus rustique dans campagnard que dans provincial.
N’en tirât de vos principes quelque méchante conclusion : selon Cognet, de vos principes signifie selon vos principes, et ne fait pas pléonasme avec en.
VII, 23. Allez, me dit le père, il ne vous en arrivera point de mal, j’en suis garant. Sachez que ce que nos pères ont imprimé eux-mêmes, et avec l’approbation de nos supérieurs, n’est ni mauvais, ni dangereux à publier.
Argument implicite : s’il n’y a rien de mauvais à publier les maximes des casuistes, pourquoi les jésuites en voudraient-ils à l’auteur des Provinciales ? Effet comique : c’est un jésuite qui garantit à Pascal qu’il ne risque rien.
VII, 24. Je vous écris donc sur la parole de ce bon père ; mais le papier me manque toujours, et non pas les passages. Car il y en a tant d’autres et de si forts, qu’il faudrait des volumes pour tout dire. Je suis, etc.
Le papier me manque toujours, et non pas les passages : allusion à la longueur uniforme des Provinciales, 8 pages in 4° jusqu’à la quinzième inclusivement (éd. Cognet).
Il y en a tant d’autres, et de si forts : annonce de l’intérêt croissant des lettres à venir.